N°7 : Apocalypse

Et bien, quelle nuit.

Une autre soirée comme ça et Sarah ne laissera plus revenir Junior à la maison. En y repensant, avec la raclée que s’est pris Walt ce soir, elle ne le laisserait plus m’approcher tout court.

Et je ne suis pas certain de pouvoir la blâmer pour ça. J’ai maintenant des portes avec des impacts de balle, l’électricité à refaire, des pièces brûlées, des murs à rebâtir, et plus de sang à éponger que je ne saurais l’imaginer. Sans mentionner mon épaule que je me suis démise – encore ! – juste au moment où je commençais à être guéri de cette accident sur la 4ème avenue.

On dirait qu’il ne fait pas bon traîner avec moi.

C’est dingue, c’est comme si j’attirais les criminels ces derniers temps. Ça me semble encore incroyable qu’on s’en soit sorti. Et c’est paradoxalement grâce à cette maison.

Cette maison… Je n’avais aucune idée qu’elle gardait de si nombreux secrets. Je veux dire, après toutes les rénovations que j’ai faites l’an dernier, je n’imaginais pas qu’il y avait un monte-charge. Et même si je sais qu’elle a été construite pendant la Prohibition, j’ignorais qu’il y avait un accès caché à la cave !

Jusqu’à ce soir, je ne croyais pas un mot des histoires que Grand-père John me racontait quand j’étais enfant à propos de son père et son grand-père.

J’imagine que Junior a dorénavant lui-aussi un conte à raconter à ses futurs petits-enfants. Un conte qui commencerait un peu comme le livre « Le Hobbit » de Tolkien, « Une soirée inattendue »… sauf que les nains seraient remplacés par un gamin terrifié et un homme blessé, et que le magicien serait un père medium.

Vraiment, tout ce que je voulais faire ce soir c’était discuter, jouer à des jeux vidéos avec mon fils, peut-être commander une pizza. Quand Junior m’a dit qu’il voulait aller au bowling, j’ai pensé que c’était encore mieux.

Alors pourquoi je ne l’ai pas écouté ? Au lieu de ça, j’ai joué les vieux schnoques en le punissant avec une heure ou deux de nettoyage au grenier. Habituellement, ça me va d’être le père cool. Normalement, ça me convient parfaitement de laisser la discipline à Sarah et Walt.

Alors, pourquoi j’ai insisté pour rester à la maison ce soir ?

Bon c’est vrai que si nous étions allés au bowling, Randy n’aurait probablement trouvé personne pour l’aider. Ces voyous auraient suivi les ordres, l’auraient tué lui aussi et seraient partis. Nous n’aurions pas été là pour sauver ce gamin.

Pauvre enfant, perdre son père comme ça. Il a traversé tellement d’épreuves déjà, et maintenant il doit tout redémarrer avec seulement quelques agents du programme de protection des témoins pour l’aider.

Peut-être que je devrais garder un œil sur lui, grâce à mes visions j’entends, pour être sûr qu’il va bien.

La haine.

Quelle émotion destructrice et stérile. Elle est à l’origine de l’intolérance. Elle ferme l’esprit, range tout dans de jolies petites cases. Noir et blanc. Juste et faux. Le Bien contre le Mal. Nous contre Eux.

Comme ça doit être facile pour ceux qui ne voient pas le gris. Il n’y a jamais rien d’équivoque, aucun doute sur quel chemin prendre, sur quel choix faire. Pas besoin de réfléchir, le cerveau reste en dehors de tout.

Et la chose la plus triste est que les enfants ne naissent pas dans ce monde arrogant et effrayant ou plein de haine. Ils viennent au monde, confiants et ouverts. La haine doit être apprise, soit par les parents, par les enseignants, ou par ceux que nous voulons être nos amis. La haine se transmet d’une personne à une autre, de génération en génération, c’est une épidémie mondiale. Ça l’a toujours été. Je suppose.

La haine raciale de Darryl s’est retournée contre son père quand il l’a forcé à la violence. La vie de Darryl est maintenant foutue parce qu’il n’a pas réussi à haïr suffisamment selon les standards de son père. Josh détestait tellement la personne qu’il était qu’il a tué Rashid plutôt que de laisser les autres trouver la vérité. Quel gâchis. Non seulement Rashid est mort et la vie de Josh foutue, mais en plus leurs familles souffrent aussi.

Et lorsque des personnes comme William Cotton ont une soif de pouvoir, soudainement cela devient une affaire politique… qui sème le désaccord. Quelle meilleure façon de contrôler un groupe que d’attiser leur hostilité les uns envers les autres. Cela marche aussi pour les organisations, les gouvernements. David Duke, Adolf Hitler, Osama Bin Laden… tous ces hommes ont choisi cette tactique. Ecarter ceux qui sont différents, non-conformistes. Dénoncer la diversité. Lever les uns contre les autres. Diviser pour mieux régner. C’est partout la même chose. Dans le monde entier et probablement, depuis la nuit des temps.

Mais comment stopper ça ? Comment puis-je éradiquer la haine de la surface du globe… ou du moins de chez moi ?

En étant compatissant je suppose. Tout le temps essayer de comprendre l’autre, même si – non surtout si on n’est pas d’accord avec lui. Laisser les autres avoir des points de vue différents et les respecter. Rester curieux et ne pas avoir peur. Pour comprendre les autres, il faut certainement poser des questions difficiles pour savoir pourquoi telle personne est différente ou pense différemment.

Il se peut qu’on n’aime pas les réponses. Certaines réponses peuvent changer votre façon de penser. Votre propre point de vue peut s’inverser et soudainement, votre vision du monde est totalement différente de celui de votre entourage. Et, si vous appartenez à un cercle fermé et exclusif, et bien un jour, vous risquez de ne plus appartenir à ce groupe.

J’imagine, quand ça arrive, que cela demande du courage de rester ouvert et tolérant. Mais si on y parvient, on ne peut pas s’empêcher de conclure que nous partageons tous la même expérience : celle de la vie. A la fin de la journée, on se trouvera toujours plus de points communs que de différences.
J'espère que je pourrai enseigner à Junior de ne pas avoir peur des autres qui sont différents de lui, ou de ne pas avoir si lui-même devient différent. Peut-être alors, je lui aurai enseigné comment ne pas haïr.


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                         16 juillet 2006. Manque de foi ? Ou nouvelle perspective ?

Je trouve intéressant que Gene semble parfois placer plus de foi en mes capacités qu’en la religion, ou qu’en lui-même. Je trouve cela d’autant plus curieux qu’il s’est senti obligé d’acheter la relique. Qui voudrait avoir la phalange de Jean le Baptiste ?
Je ne suis pas sûr de bien comprendre.Purdy a étudié la Bible, aussi bien que l’archéologie du Moyen Orient et que les histoires écrites au temps du Christ. En plus d’être un théologien de renommée, il est à la fois un étudiant et un spécialiste de l’émergence du christianisme. Il sait tout sur la croissance de l’Eglise au premier siècle. Purdy est un expert des objets saints de l’époque de Jésus : tout depuis le Suaire de Turin en passant par les ongles retrouvés près de la croix jusqu’aux moindres recoins où sont localisés des restes du Christ et de ses disciples.Pourquoi ma vision de Jésus – ou même de Saint Jean le Baptiste – « restaure »-t-elle la foi de Gene ? Pourquoi est-ce que le fait que je lui décrive ma vision serait plus valable que les millions de témoignages récoltés pendant 2000 ans ?Et qu’aurait fait le bon révérend si je lui avais décrit une autre scène que celle qu’il voulait ? Qu’est-ce qui se serait passé si j’avais vu simplement un type en train de mettre ses sandales ? Ou bien si j’avais vu un moment banal de la vie de n’importe lequel de ces pèlerins ou moines qui ont touché cette relique depuis tous ces siècles ? Alors quoi ?Mes visions peuvent être ambiguës ou indirecte, ouvertes à l’interprétation. Gene le sait… alors il devait savoir que souhaiter me voir avoir une vision tout droit sortie des évangiles était plus que fantasque. Peut-être pensait-il qu’acheter la relique rendrait plus probable le fait que je vois quelque chose qui lui plairait ?Et alors si j’avais vu Saint Jean baptisant le Christ ? Ou mieux, si je m’étais vu en tant que Saint Jean, portant ses habits, goûtant au miel et aux sauterelles qu’il mangeait, et voyant comme lui l’esprit de Dieu descendre sur Terre sous l’apparence d’une colombe ?!Qu’aurait fait Purdy d’une telle vision ?Je parie que je peux deviner… il aurait probablement commencé par faire référence à moi et ma vision d’évangile dans chacun de ses sermons. Je le vois d’ici, érigeant ce bout de phalange et s’exclamant « Mon ami John Smith a vu le visage du Christ ! ». En possédant la relique, il aurait eu l’impression que la vision lui appartenait aussi, non ? Et avec sa foi retrouvée, Gene aurait prêché avec une ferveur et une conviction retrouvées… et forcément son auditoire aurait augmenté, sa chaîne de télé aurait attiré plus de téléspectateurs, et bien sûr, il se serait fait plus d’argent.On dirait que le fait que Purdy ait payé une somme mirobolante pour acquérir la relique n’est pas si curieux que ça, après tout. Pour lui, c’était comme un investissement. C’est amusant comme une petite chose, comme vouloir retrouver la foi, peut prendre de grands airs avides.Assis là, je ne peux m’empêcher de me rappeler comment ma mère a souvent remis en cause sa propre foi quand j’ai grandi. Elle m’a appris très tôt que le doute était l’envers de la certitude ; que les deux allaient de pair. Sa réponse était simple. Elle commençait toutes ses prières par « Seigneur, je crois. Aide ma non croyance. » Dieu, j’en suis sûr, était sa seule foi.  


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                               23 juillet 2006. Une vie plus ordinaire.

Je suppose que si quelqu’un jette un coup d’œil à ma vie, vue de l’extérieur, il sera bien incapable de dire qu’elle est ennuyeuse ou monotone.

Cette après-midi, j’ai été kidnappé dans ma maison (avec un revolver) par un homme drôle et triste à la fois appelé Boyd. Ce type était convaincu que je pourrais l’aider et que j’étais à l’origine de sa vie miséreuse.

C’est incroyable, vraiment, qu’il ait gagné au loto, grâce à des numéros que j’ai donnés alors que j’étais dans une épicerie. Bon sang c’était le numéro de téléphone d’un restaurant vietnamien ! C’est d’autant plus incroyable que le type en question a réussi non seulement à perdre tous ses gains, mais qu’il a contracté d’énormes dettes… auprès d’un véritable requin.

Et il faut que ce soit de ma faute ?!

C’est mal d’espérer que ce sont mes capacités psychiques qui dénichent les fous et les dérangés malgré moi, plutôt que mon subconscient qui cherche à aider des gens comme Boyd ?
Bref, Boyd m’a emmené de force dans un 4x4 de l’armée pour aller dans une station essence où nous avons rencontré Walt. J’ai essayé d’alerter Walt mais ça n’a pas vraiment marché. Ensuite, Boyd m’a dit de mettre un costume qu’il avait loué pour se rendre à une soirée organisée par le country club. (Je ne veux même pas savoir comment il connaissait ma taille). Bien sûr, pour aller au club, nous avons dû voler une autre voiture… puisque le 4x4 venait d’être récupéré pendant qu’on se changeait dans les toilettes.

Visiblement, ça n’a pas posé de problème. Tout ce qu’on a eu à faire c’est de voler un taxi et de rouler jusqu’au club… dans le but de rencontrer un comptable véreux et de trouver où il cachait son argent gagné malhonnêtement. Boyd et moi avons ensuite roulé jusqu’à la maison du comptable pour lui voler (à main armée) 30 000 dollars qu’il plaquait là-bas.

Vous pensez que ça suffit hein ?

Non. Les 30 000 dollars, apparemment, étaient juste un apport. Boyd avait de plus grands plans… et avait besoin de plus de 30 000 dollars pour se sortir de sa mauvaise situation !

Mais avant d’exécuter son plan grandiose, nous devions nous arrêter chez sa femme et sa fille. Boyd leur a fait ses adieux… ce qui aurait été plutôt risible si je n’avais pas eu la vision de lui se faisant tuer plus tard dans la soirée !

Nous avons ensuite abandonné le taxi pour voler la voiture de sa femme… qu’il aurait pu tout simplement emprunter. Et puis, sortis de nulle part, des collègues de Boyd nous ont arrêtés pour démolir la voiture à coup de bat de baseball dans le but désespéré de me forcer à aider Boyd en danger.

Ce que Boyd ne réalisait pas c’est que je savais déjà qu’il était en danger, il ne savait pas que j’avais eu des visions de lui tué une balle dans la tête. Et soudain, aussi pénible que cet homme était, j’ai compris : il voulait sa vie d’avant. Je suis passé par là.

Ce que je n’avais pas vu dans les visions, c’est que Boyd avait engagé le tueur ; comme plan de secours. L’idiot pensait en fait qu’il pourrait mieux subvenir aux besoins de sa famille en étant mort… et qu’elle le préférerait mort !

Finalement, nous avons rejoint cette partie de poker secrète où j’ai perdu toutes mes mises. Boyd ne m’écoutait pas quand je lui disais que mes pouvoirs ne me montraient pas tout. Cela dit, ils m’ont permis de voir que la partie était truquée et que nous pouvions échapper à la bagarre qui allait suivre.

Mais nous ne pouvions pas échapper au tueur ! Heureusement, Walt avait entre temps compris la situation et lui et ses hommes sont intervenus pour permettre d’éviter le pire.

Ce sont des jours comme ça qui me font souhaiter avoir une vie un peu plus ordinaire.

Walt a appelé ça « symétrie » et je ne trouve pas de meilleur mot. Mon anniversaire suivi d’un jour où j’ai failli mourir. Sauvé par le canif de mon père que mon fils m’a donné. Tout s’équilibre au final.

Mais rien ne semblait équilibré lorsque que j’étais bloqué dans ces visions, croyez-moi !

C’était déroutant et surréaliste, avec l’expérience de vivre dans le corps de quelqu’un d’autre. Je ne sais pas si les gens voient défiler leur vie avant de mourir, mais je sais que mon cerveau en manque d’oxygène a carburé à fond pour donner un sens aux visions que j’ai eues en touchant ces trois personnes.

Je ne sais pas si c’était mon ego ou mon identité, cette part fondamentale de moi qui voulait sortir de cet état de choc et survivre, mais je dois dire que je ne m’attendais pas à ce que mon esprit prenne la forme de Bruce à une soirée à chapeaux !

Je vous le dis, ces visions où je suis devenu Maiya, lorsque j’ai vu à travers ses yeux, font partie des plus étranges que j’ai jamais vécues. Je veux dire, j’ai eu des visions auparavant dans lesquelles je jouais le premier rôle, celui de la personne que concernait la vision.

En tant que Cole, j’ai senti sa rage, son manque de self-control. En tant que Desmond, son désir et ses sentiments pour Maiya. Mais en tant que Maiya, j’ai été submergé par sa peur, et son incroyable amour, pour sa fille Sienna. C’était puissant. Contraignant. Même une fois la vision terminée, tout ce à quoi je pouvais penser c’était trouver la petite fille et m’assurer qu’elle allait bien. C’était sacrément intense.

Maintenant, les sentiments si profonds de Maiya envers sa fille sont-ils uniques ? Ou bien ai-je goûté à l’instinct maternel ? Parce que, laissez-moi vous dire que c’est effrayant… et impressionnant. Pas entièrement différent de ce que je ressens pour Junior en tant que père, mais assez différent toutefois pour se sentir, et bien, dans un sens, étranger.

Bien sûr, la différence que j’ai ressentie peut facilement être mise sur le compte de l’état d’inconscience dans lequel je me trouvais, du fait que ma zone morte n’avait pas assez d’oxygène !

Cela dit, tout ça m’a fait réfléchir… et m’a quelque peu inquiété. Quand le moment viendra, quand je mourrai, comment ça sera ? Est-ce que je revivrai ma vie ? Reverrai-je le visage de toutes les personnes qui m’ont été chères ? Ou bien est-ce que je verrai des fragments de la vie de quelqu’un d’autre ? Peut-être aurai-je la vision de ce qui sera arrivé au dernier patient ayant été en contact avec le stéthoscope ou le scalpel ? Ou peut-être ce sera la vision de ce qui arrivera à mon médecin longtemps après ma mort ?
J’espère que je ne verrai pas mon enterrement ni ressentirai le deuil que vivra mon fils. J’imagine que c’est trop demander qu’au moment où je mourrai, ma zone morte parte en premier.


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                                            6 août 2006. Peut-être qu'il est temps.

Je pensais ce que j’ai dit à Bruce. Peut-être est-il temps que je cesse de garder mes visions d’armageddon secrètes.

Chaque jour, le pouvoir et l’influence de Stillson prennent plus d’ampleur. Chaque fois que je me retourne, il gagne la confiance de plus en plus de personnes. Et son ascension politique accélère. Son électorat grandit. Avec l’aide de Janus, le petite étoile de Stillson brille de plus en plus, devenant par la même occasion une dangereuse menace. A l’origine du futur que je vois dans mes visions : l’homme qui initie l’apocalypse, celui qui apporte catastrophes et morts.

Les gens ont vraiment besoin d’être alertés. Les gens doivent savoir ! Ils doivent arrêter de suivre aveuglément ce type, pour ouvrir les yeux et le voir tel qu’il est réellement.

L’apocalypse que je vois peut-être empêchée. Je dois y croire. Je pense que c’est pour ça que j’ai eu ces visions en premier lieu… peut-être même que c’est pour ça que ma zone morte s’est réveillée.

Mais comment faire ?

Est-ce que je me focalise sur le fait de discréditer Stillson ? Pointer le doigt sur Stillson ou sur Janus ? Dois-je devenir l’épine dans leur campagne ? Le moucheron qui ne partira pas, espérant que ma seule petite voix sera rejointe par d’autres, jusqu’à ce que Stillson perde l’avantage ? Ou bien tous ces efforts se retourneront-ils contre moi comme dans le passé ? Est-ce que Janus manipule les évènements et les médias pour m’écarter définitivement ? Ou pire, pour tourner ce que je fais à son avantage ?

Les gens doivent savoir ce qu’il se passera si rien n’est fait. J’ai besoin de le dire à plus de personnes, pas seulement à Bruce. Depuis des années je garde pour moi ce que je sais sur Stillson. Je n’avais aucune preuve. Je n’avais aucune crédibilité. Mais, maintenant, beaucoup de personnes croient en mes visions. Peut-être qu’avec toutes ces guerres dans le monde, la guerre en Irak, la prolifération d’armes nucléaires, la menace terroriste constante… peut-être qu’il est temps que je partage mes visions, pour obliger les gens à réfléchir ou au moins se poser des questions sur les mensonges de Stillson.

Devrai-je alors lancer un mouvement ? Si oui, j’ai besoin d’un accès aux media. Purdy m’aidera-t-il ? Ou est-il déjà dans la poche de Janus ? Et même s’il ne l’est pas, Purdy résistera-t-il à la tentation de sauver des âmes  plutôt que des vies? Probablement pas.

Et pour finir, est-ce que je veux vraiment que les gens me suivent, aveuglément, comme ils le font avec Stillson ? Non, je n’ai aucune envie de prendre une page du livre de Carter pour rassembler mes disciples. Je ne veux pas être vu comme un prophète biblique. Je ne veux pas être pris pour celui qui annonce la fin du monde, comme Carter, au lieu de celui qui prévient du désastre.

Ça serait l’apothéose n’est-ce pas ? En sortant de l’ombre pour mettre les gens au courant de l’apocalypse, je deviendrais plus public et je serais associé à la fin du monde. Et ensuite, si, ou quand l’impensable arrivera, Stillson, ou Janus, ou d’autres comme eux (qui auront survécu) retourneront la situation à leur avantage en me pointant du doigt comme étant la source de tout. Non, merci.

Je dois trouver un autre moyen.

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                                                      13 août 2006. La famille.

Je ne sais pas ce qui me surprend le plus : que Gene Purdy ait été un ‘guérisseur’ charlatan appelé Ray Franklin, ou bien que j’ai couru à son secours quand je l’ai vu en danger dans une vision.

Comment ça se fait ? Je n’ai même pas hésité. Pourquoi, alors que mes sentiments envers Purdy ont toujours été si… compliqués ?

D’un côté, je n’ai jamais pu lui faire confiance. Gene a toujours été trop ambitieux, jusqu’à se compromettre pour plus de pouvoir. Sa morale est une girouette. Et pourtant, je n’ai jamais renvoyé Purdy du rôle de tuteur que ma mère lui a donné quand je suis tombé dans le coma, du rôle de gardien de mon héritage, je n’ai pas non plus récupéré tout cet argent que ma mère a laissé à la fondation de l’Héritage. Je n’ai même jamais réfléchi au fait qu’il l’avait sûrement escroquée. Qu’il l’avait en quelque sorte envoûtée pour qu’elle croit en lui.

D’un autre côté, ma mère croyait en lui. Pendant ses dernières années de vie, qui ont dû être difficiles et solitaires, Gene était là pour elle quand je ne pouvais pas l’être. Que ses sentiments envers elle aient été sincères ou pas, elle ressentait de l’amour pour lui et tenait à son amitié. Pourtant pas assez apparemment pour sortir du désespoir. Mais quand j’ai vu le deuil de Purdy lorsqu’elle est morte, je ne peux pas nier qu’il souffrait réellement de l’avoir perdue. Pour cette raison, j’imagine, je me suis toujours senti lié à lui, une sorte de connexion à travers notre deuil commun, notre intention partagée d’honorer la mémoire de ma mère du mieux que nous pouvons.

Au fil du temps, pourtant, Gene est devenu plus pour moi que quelqu’un que ma mère aimait. Plus, même, que quelqu’un en qui mon père avait confiance. Est-ce à cause de sa foi en moi ? Il a été le premier à croire en mes capacités psychiques. Celui à m’apporter son soutien quand la plupart des gens étaient sceptiques. Quelque part, il est devenu plus qu’un vieil ami de la famille. Purdy est devenu la famille.

Je ne suis pas sûr de savoir quand c’est arrivé, mais il fait partie maintenant de la famille, ok peut-être en tant qu’oncle ennuyeux, mais il est de la famille quand même.

Et la famille prend soin de la famille, même quand la confiance a été cassée ou que l’affection n’est pas particulièrement présente.

Rappelez-moi déjà qui a dit qu’on ne choisissait pas sa famille ? J’aurais un mot à lui dire.


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                                                            20 août 2006. Et si.

Je n’arrête pas de me demander « Et si ? »

Et si Linda avait été juste un peu plus folle ? Plus violente ?

Et si Junior avait été blessé ? Sarah aurait pu perdre son bébé. Elle aurait pu se faire tuer. Et si Junior avait perdu sa mère ? Walt aurait bousillé sa carrière s’il avait tiré sur Linda. Il a failli gâché sa vie. Junior lui aurait été enlevé, et il ne m’aurait jamais pardonné. Même si ça n’aurait pas été pas faute… tout du moins pas directement.

J’ai été proche de perdre tout ce qu’il y a de bon dans ma vie, ce qu’il reste de famille. Tout serait parti.

Je sais que je devrais être heureux, soulagé. Aucune de ces horreurs n’est arrivée. Mais la vérité est que j’ai encore peur. Je suis pétrifié, de mon être.

Après tout, et si la prochaine personne que j’essaye d’aider se trouve être encore plus psychotique que Linda ? Quand j’empêche une mauvaise chose de se produire, est-ce que je fais de Sarah, Junior et Walt de meilleures cibles pour tous les tarés dehors ? Dans ce cas, que puis-je faire pour les protéger, les garder en sécurité ?

Et si j’ignorais tout simplement mes visions ? Ne rien faire et laisser le futur arriver ? En serais-je capable ? Les visions cesseraient-elles ? Ou bien les maux de tête reviendraient-ils par vengeance ?

Pire, l’apocalypse se produirait-elle plus tôt si je n’essaye de l’empêcher ?

Je crois que je peux faire la différence, je dois continuer de tout faire pour empêcher les catastrophes. Je suis probablement le seul à le pouvoir.

Mais je ne peux pas non plus continuer à mettre ma famille en danger non plus.

Et si je quittais Cleaves Mills ? Evacuer l’endroit. En restant, je risque la vie de ceux à qui je tiens. En partant, je pourrais peut-être faire plus de bien, pour mieux arrêter l’ascenssion de Janus et Stillson.

Il est peut-être temps de commencer à penser à partir…