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La crise énergétique en Californie

La crise énergétique en Californie
We want the power now !

Nous sommes le 24 janvier 2001 à Sacramento, une poignée de consommateurs manifestent devant le bureau du gouverneur de Californie. Les 17 et 18 janvier, les coupures ont privé d’électricité jusqu’à 600 000 abonnés dans le nord de l’État. « We want the power now » lancent les militants en jouant du double sens : pouvoir et énergie. Les coupures sont liées au froid hivernal qui fait exploser la demande énergétique. Les capacités de production ne permettent pas de satisfaire la demande. Dans la presse californienne et internationale, journalistes, hommes politiques et économistes débattent des causes de la crise et cherchent les responsables. À qui la faute ?

UNE CRISE DE SOUS-PRODUCTION

La crise californienne est avant tout liée au déséquilibre entre l’offre et la demande qui provoque la hausse des prix. Une crise de sous-production qui a été accélérée par la libéralisation.

Depuis dix ans, aucun investissement n’a été réalisé dans les infrastructures de production et de nombreuses usines sont aujourd’hui fermées pour travaux. L’État de Californie a progressivement démantelé les deux principaux fournisseurs d’électricité (Pacific Gas and Electric et Southern California Edison) qui détenaient 80 % du marché. Les deux sociétés ont dû vendre leurs usines de production et se consacrer à la distribution. Si elles n’avaient pas été restructurée SoCal et PG & E auraient maintenu leur programme de construction et de rénovation des usines à moyen terme. Le déficit s’élève à l’équivalent de six centrales nucléaires. La libéralisation progressive du marché a entraîné un sous-investissement et un déficit des capacités de production.

De plus, le déséquilibre a été accentué par une croissance économique de 32% entre 1996 et 2001, croissance caractérisée par la multiplication des industries technologiques de la Silicon Valley. Une croissance économique qui se conjugue à une forte croissance démographique.

Deux économistes [1], auteurs d’un rapport sur le secteur énergétique californien, rendent les producteurs entrants responsables de la crise pour avoir entraîné artificiellement l’augmentation des prix en réduisant la production. Les producteurs auraient provoqué volontairement la pénurie. Pour les producteurs, ces conclusions sont ridicules et sans fondement. Ils reportent de leur côté le problème sur la politique environnementale de l’État.

Selon Tom Williams, porte-parole du producteur Duke Energy [2], les centrales ne peuvent tourner à plein régime du fait de l’augmentation du coût des droits à polluer. À San Diego par exemple, Duke Energy ne peut dépasser 60 % des capacités au risque de détériorer l’écosystème de la baie et d’enfreindre la loi sur la pollution de l’air. Dans la même logique, la plupart des permis de construire de nouvelles centrales de production a été refusée récemment [3]. Enfin, la vente en bourse de l’électricité a quasiment exclu les producteurs extérieurs à l’État en entraînant une chute des importations. Les nouveaux mécanismes de régulation auraient accentué le déséquilibre.

PREMIÈRE CIBLE : LA LIBÉRALISATION DU MARCHÉ

Pour certains économistes [4], la libéralisation a été mal conduite et demeure inachevée. Le marché de l’électricité se voit partagé en deux : un marché de gros des producteurs aux distributeurs et un marché de détail des distributeurs aux consommateurs. D’un côté, les producteurs vendent l’énergie en bourse sur le California Power Exchange dont les prix varient en fonction de l’offre et la demande. De l’autre, les distributeurs vendent au consommateur l’électricité à un prix plafonné par le régulateur.

Le premier problème à souligner est le plafonnement des prix de détail. Cette contrainte n’a pas permis aux distributeurs de répercuter au consommateur le coût de l’électricité qui flambait en bourse du fait d’une baisse de l’offre de production. Le gouverneur démocrate Gray Davis, accusé d’être «socialist minded» [5], devient le bouc émissaire de la crise car le plafonnement n’aurait pas permis au marché d’exercer ses vertus. L’augmentation des prix de détail aurait entraîné la baisse de la demande et rééquilibré le marché. Mais, comme le souligne l’économiste Paul Krugman [6], quel homme politique aurait pu assumer l’augmentation des prix de détail, socialement inacceptable ? À San Diego par exemple, le gel des prix, levé en juillet, fut rétabli en toute hâte suite à la protestation des consommateurs.

Outre le plafonnement des prix de détail, la régulation du marché de gros se trouve elle aussi mise en cause. Le régulateur oblige les distributeurs d’électricité à acheter l’énergie en bourse. Ils ne peuvent négocier de contrats à long terme avec les producteurs. Ce système donne la préférence à l’arbitrage fluctuant de la bourse. Or, l’échange à court terme a pour effet de provoquer l’augmentation des prix. Pourtant, l’inflation qui en résulte aurait pu être jugulée par la négociation de contrats de fourniture à long terme.

En parallèle des débats sur le fonctionnement de la régulation, les associations de consommateurs qualifient la déréglementation de désastreuse. Elle conduit à «confier notre survie à des entreprises privées oligopolistiques mues par la recherche du profit», accuse Harvey Rosenfield de la Fondation des droits du contribuable et du consommateur. L’association exige la reprise en main immédiate du marché par l’État. De leur côté, les deux distributeurs (SoCal et PG & E) estiment être au bord du gouffre et présentent à eux deux près de 11 milliards de dollars de dettes. Ils essuient leur deuxième crise en six mois. Après un été 2000 caniculaire, l’augmentation de la demande liée aux climatisations avait déjà entraîné une hausse de prix sur le marché de gros qu’ils avaient dû compenser. Proches du dépôt de bilan les distributeurs ne paient plus les factures. Le 22 mars 2000 un producteur d’énergie renouvelable CalEnergy a rompu son contrat avec le distributeur SoCal qui ne l’avait pas payé depuis 5 mois.

La crise californienne révèle les contradictions et les limites de l’ensemble du système de production et de régulation d’électricité. Le scénario suivant résume les mécanismes :

1/ les producteurs, contraints par la politique environnementale et utilisant à leur profit la vente en bourse, limitent leur production ;

2/ les distributeurs ne peuvent négocier à long terme ou importer. Ils achètent l’électricité au prix fort en bourse et la revendent aux prix plafonds ;

3/ la demande stimulée par la croissance économique n’est pas limitée par une éventuelle hausse des prix et continue d’augmenter.

La croissance économique et la chute des capacités de production énergétique induisent un déséquilibre inévitable. Il n’était pas prévisible en 1996, date des premières décisions relatives à la dérégulation. Que se serait-il passé si la dérégulation n’avait pas eu lieu ? De toute évidence, la croissance aurait entraîné un déséquilibre identique entre la demande et les capacités de production. Mais on peut imaginer que l’absence de marché de court terme aurait exclu toute pratique spéculative de la part des producteurs. De plus, une gestion publique plus intégrée aurait permis d’assumer les arbitrages qui s’imposaient entre politique environnementale et développement économique. Les producteurs historiques auraient mené à terme leurs plans d’investissement.

L’État de Californie a annoncé mi-février un plan de sauvetage qui comprend trois principaux volets : renflouement des deux compagnies de distribution au bord de la faillite, création d’une agence publique qui achètera et construira de nouvelles centrales et émission d’un emprunt obligataire de 10 milliards de dollars pour financer des contrats de longue durée avec les producteurs.

Entre les solutions extrêmes de la concurrence dérégulée et de la re-nationalisation, le Golden State peut trouver des réponses concrètes aux trois principales causes de la crise : la faillite des distributeurs, la spéculation des producteurs et la baisse des capacités de production. Pour la première, le renflouement des dettes de SoCal Edison et PG & E devient une urgence conjoncturelle. À moindre mal, les coupures touchent aujourd’hui les abonnés par tranches horaires tournantes [7].

L’intervention publique devient nécessaire pour ne pas entrer dans une crise généralisée qu’engendrerait la faillite des distributeurs. Deuxièmement, sur l’évitement des stratégies spéculatives, des solutions efficaces existent.

Au Texas par exemple, où la libéralisation semble réussie [8], distributeurs et producteurs sont autorisés à contracter à long terme. Les fluctuations des prix ne perturbent pas la régulation du marché. Enfin, l’État de Californie peut conduire de deux façons la mise à niveau des capacités de production. Soit il mobilise l’investissement public pour construire des usines comme le prévoit le plan du Gouverneur Davis. Soit il s’appuie sur les producteurs privés en négociant par contrat les plans d’investissement et les choix énergétiques prioritaires. Le choix d’énergies renouvelables, qui représentent déjà 30 % de la production californienne, pourrait être encouragé par des incitations financières.

 

NOTES

[1] Paul Joskow, Center for Energy and Environmental Policy Research, Massachussetts Institue of Technology et Edward Kahn Analysis Group/Eco-nomics, San Fransisco. >

[2] Producteur de Caroline du Nord, nouveau venu sur le marché de la production énergétique californienne.

[3] Georges W. Bush utilise la crise californienne pour suggérer la baisse du coût des permis de polluer et justifier la construction de forages pétroliers en Alaska. Ce sont les mêmes types d’arguments qui ont prévalu au refus de signature du protocole de Kyoto, relatif à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, par le Président des États-Unis.

[4] Jean-Marie Chevalier et Scott Foster, La Californie en panne d’approvisionnement électrique, Le Monde, mardi 13 mars 2001.

[5] William Plaff. The Privatization of Public Utilities Can Be a Disaster, International Herald Tribune, jeudi 22 février 2001.

[6] If Deregulation Fails, They Say It Wasn’t Real Deregulation, New York Times, mardi 20 février 2001.

[7] Les coupures de certains quartiers sont opérées à tour de rôle par les distributeurs lorsque le régulateur lui en fait la demande. Des niveaux d’alerte sont définis dès que l’on passe en dessous d’un certain seuil de production. La procédure de restriction est ensuite enclenchée.

[8]  A State of Gloom, The economist, 18 janvier 2001.

 

Source : h.cairn.info


Ecrit par mamynicky 
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chrismaz66, Hier à 11:04

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choup37, Aujourd'hui à 19:45

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