Vivre à contretemps

     Jack était assis à une table avec Pacey à l'extérieur du Ice House, sur la terrasse. Ils cherchaient à divertir Amy qui était assise sur les genoux de Grams juste en face d'eux. C'était aussi pour eux un excellent exutoire que de jouer avec elle, ils taisaient ainsi leur peine d'avoir perdu leur amie.

 

     Jack tenait la petite main d'Amy dans la sienne et lui montrait comment empiler leurs mains de façon à former comme un mille-feuille humain. Sa main à lui, puis par-dessus la sienne, et de nouveau celle de Jack, et ainsi de suite jusqu'à ce que l'un des deux s'emmêle les pinceaux. Elle n'y arrivait pas du haut de ses un an, mais souriait, comme si inconsciemment elle avait compris qu'il ne fallait pas en rajouter à l'état de désespoir dans lequel se trouvaient Jack et Grams.

 

     Doug était quant à lui assis à l'intérieur, seul, les yeux dans le vague devant un café qui devaient maintenant être froid. Il avait l'air de se morfondre et retournait sans arrêt sa petite cuiller dans la tasse, alors qu'il y avait belle lurette que le sucre avait fondu. Quelle était la cause de son état ? Etait-ce sa rupture avec Jack, ou bien le fait qu'il venait d'enterrer une amie ? En effet, du temps de sa relation avec Jack, il avait appris à connaître et à apprécier Jen. Elle était devenue par ricochet une amie avec qui il pouvait rester pendu au téléphone pendant des heures quand Jen cherchait à joindre Jack et qu'elle tombait sur lui.

 

     Pacey, de là où il se trouvait, voyait son frère à l'intérieur. Il ne pouvait supporter de le voir ainsi. Au moins s'ils n'avaient pas rompu, son frère et Jack auraient pu se serrer les coudes. Et là, maintenant, ils souffraient chacun de leur côté en silence. Il voulait intervenir auprès de Jack. Ce n'était probablement pas le moment ni le lieu, mais tant pis il fallait qu'il se lance.

Pacey : Jack, tu ne crois pas qu'il serait temps de lui parler ?

Jack : Je ne crois pas. Il est plus que buté. Et ce n'est pas le moment.

Pacey : Comme tu veux, mais ne laisse pas trop trainer. Vous êtes aussi malheureux l'un que l'autre.

Jack : Tu ne crois pas qu'il l'a bien cherchée ?

Pacey : Sans doute, mais tout le monde à le droit de se tromper, même lui.

     Joey arrive sur ces entrefaites avec le biberon d'Amy à la main.

Joey : Tenez Grams, je crois qu'elle doit commencer à avoir faim.

Grams : Merci mon enfant.

Joey, regardant Jack pour lui montrer qu'elle avait entendu la fin de la conversation, mais avec un faux-air de s'adresser indirectement à Pacey : Tu sais, je crois qu'on a tous droit à une seconde chance. Laisse le temps au temps.

Jack, se levant : Tu as sans doute raison, mais je crois que je n'en ai plus la force. J'en ai assez de me battre contre des moulins à vent depuis des années.

 

     Et il partit, se dirigeant vers la balustrade, le regard perdu vers l'océan. De son côté, Joey venait de dire à Jack de laisser du temps au temps, mais le voir ainsi lui fendait le cœur. Excédée par la volonté de ses amis de s'enfermer dans leur malheur, elle partit d'un pas ferme et décidé dire ce qu'elle pensait de la situation à Doug.

Joey, s'asseyant face à lui, la voix douce malgré tout : Comment tu te sens ?

Doug : Je ne sais pas, Joey.

Joey, d'un air maintenant excédé : Hé bien moi, je vais te le dire.

Doug, l'air interrogatif : Quoi ? Qu'est-ce qu'il t'arrive ?

Joey : Il m'arrive que j'en ai marre. Regarde dans quel état tu es. Et regarde Jack là-bas. On est tous anéantis par la mort de Jen, mais en plus de tout ça, tous les deux vous êtes malheureux comme les pierres. Tu ne crois pas que vous devriez affronter ça ensemble, tous les deux ?

Doug : Sans doute. Mais il a été plutôt ferme dans sa décision.

Joey : Il voulait te faire réagir ! Au lieu de ça, toi tu t'enfermes dans... dans quoi au fait ?

Doug : Dans mon malheur. Tu as le droit de le dire. Et j'en suis tout à fait conscient.

Joey : Mais est-ce que tu es conscient que tu enfermes aussi Jack dans son propre malheur ?

Doug : Oui. Et c'est pour ça que je vais partir.

     La phrase était tombée comme un couperet pour Joey. Doug allait partir. Mais dans ce cas, jamais Jack ne s'en remettrait. S'en était fini de la joie de vivre à Capeside. Pour elle il était hors de question de rentrer dans cette spirale. Elle avait dit à Jen qu'elle savait maintenant où elle voulait emmener sa vie. C'était à elle d'inverser la tendance. De faire revenir un petit rayon de soleil dans la vie de tous ses amis. Elle le devait à Jen.

Joey, la voix chancelante, quasiment en pleurs : Tu n'as pas le droit de nous faire ça.

Doug : Je n'ai pas le choix Joey.

Joey : Bien sûr que tu l'as. Il te suffit d'aller le voir.

     Elle avait désigné Jack, qui était toujours accoudé à sa rambarde, les yeux dans le vague.

Joey : Mais bon sang Doug, tu ne te rends pas comptes que tu as tout pour être heureux ? Et tu sabordes ta vie comme ça, juste parce que tu ne veux pas officialiser les choses, alors que tout serait tellement plus simple.

 

     Pacey, qui avait lui aussi pris la résolution d'aider son frère, s'approchait d'eux deux. Voyant que la discussion était animée, il arrivait avec un petit sourire en coin, prêt à dégainer à Joey et Doug une de ses légendaires réparties censées faire mouche.

Pacey : Alors vous roucoulez tous les deux ?

Joey, l'œil mauvais : Très drôle Witter.

Doug : J'étais en train de dire à Joey que je vais partir Pace.

Pacey : Quoi ? Mais c'est quoi cette histoire ? Ça veut dire quoi ?

Doug : Je n'en peux plus de cette situation, de toute cette pression. Pas seulement de celle que vous me mettez parce que vous n'acceptez pas de voir Jack malheureux, mais aussi de celle que je me mets à moi-même. Je suis perfectionniste, pointilleux même. Et là, en ce moment je ne suis pas à l'aise dans ma vie. Alors je vais partir. Loin de la famille, et loin de Jack. Pour faire le point.

Pacey, qui réagissait à chaud, mais disait au moins le fond de sa pensée : Tu es en train de faire la plus grande connerie de ta vie.

Joey : Heureuse de te l'entendre dire. Puis s'adressant à Doug. Si tu ne te réconcilies pas avec Jack tout de suite, tu vas le regretter toute ta vie. Tu es prêt à renoncer à celui que tu aimes pour un idéal de vie, et pour conserver la fausse image que tu as toujours donné à tout le monde ?

Doug, que ces paroles avaient touché plus qu'il ne voulait l'admettre : Vous m'emmerdez tous les deux.

     Et il se leva d'un coup. Faisant basculer la table et se renverser le café auquel il n'avait pas touché. Il quitta la salle, traversa la terrasse le regard fixé vers l'horizon, et descendit les marches pour s'en aller.

 

     Alors qu'il s'éloignait, dans son esprit les choses s'échauffaient. Les paroles de son frère et Joey se bousculaient. « Tu es en train de faire la plus grande connerie de ta vie », mais qu'est-ce qu'ils en savaient ? De quel droit lui faisaient-ils la morale alors qu'eux refusaient de faire un pas l'un envers l'autre alors qu'ils étaient faits l'un pour l'autre ? « Tu vas le regretter toute ta vie »... Bon sang, et s'ils avaient raison. Et si, et si... Tout devenait confus dans son esprit. Il se débattait en son fort intérieur, luttant entre son cœur et sa raison. Jen aurait été de bons conseils au moins...

 

     D'un coup, il s'arrêta de marcher. Ça y est. Il avait enfin tranché. Alors de son cœur ou de sa raison, lequel avait été le plus fort ? Cette discussion avec Joey et Pacey avait eu l'effet d'un électrochoc. Il fit demi-tour et revint sur ses pas. Il marchait maintenant d'un pas décidé.

 

     Jack, toujours accoudé à sa balustrade l'avait d'abord regardé partir, et maintenant il le regardait revenir, sans rien comprendre de la situation. Il sentait bien qu'il était en train de se passer un évènement capital, mais n'en connaissait pas encore la nature. Doug monta les quelques marches donnant accès à la terrasse, et vint s'accouder aux côtés de Jack. Il attendit quelques secondes avant de commencer à parler. Jack avait compris qu'il ne tenait pas les rênes de la situation, et le laissa guider la conversation.

Doug, d'une petite voix faible, quasiment inaudible : Jack...

     Un ange passa encore. Jack garda le silence. Doug quant à lui continuait à chercher ses mots. On pouvait le sentir rien qu'à l'expression de son regard.

Doug : Jack... est-ce que tu me pardonnerais d'avoir été si long à comprendre.

Jack : Si long à comprendre quoi ?

Doug : Que le regard des autres n'a pas d'importance, et que l'important est d'être en accord avec soi-même.

Jack, dont le regard s'illumina : Je crois que si tu l'as compris aujourd'hui, ce sera la plus grande victoire de Jen.

     Jack appuya sa tête contre l'épaule de Doug.

 

     Au loin, toujours installés derrière la vitre les séparant de la terrasse, Pacey et Joey les regardaient un sourire au coin des lèvres.

 

Auteur: sonianonna

 Note: 16,5

Classement: 2eme place

 

Commentaire de Melinou27
Bon respect des règles, peu de fautes d'orthographe. Ta présentation est très bien et les personnages parlant sont bien mis en évidence. Ta fic m'a beaucoup plue. J'ai vraiment aimé que ton histoire tourne autour de la relation de Jack et Doug, peu de monde le font. Les sentiments sont bien décrits et on entre tout de suite dans cette nouvelle scène de la série. Tu as bien réussit le challenge !^^

Commentaire d'Atchoum49

J'ai eu un peu de mal à rentrer dedans mais malgré cela j'ai bien aimé la relation Jack/Doug. C'est le seul One-shot ne tournant pas autour de Dawson/Joey/Pacey et ça fait du bien. Les sentiments sont bien retranscrits. Merci pour ce petit changement bien appréciable^^.

Commentaire de Serenity

Bonne mise en page, règles bien respectés. Ce que j'ai apprécié, c'est le risque pris de parler d'un couple moins "populaire", ce qui a donné un côté unique, original à la fic. L'histoire est intéressante et bien amenée. Les sentiments sont bien présents mais je pense que tu peux encore aller un peu plus loin dans la description pour une prochaine fic. En tout cas bravo, magnifique histoire!