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De retour d'Avalon

Série : Merlin (2008)
Création : 15.01.2015 à 10h24
Auteur : Belthane 
Statut : Terminée

« Arthur est de retour d'Avalon et cet événement n'est pas sans graves conséquences... » Belthane 

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Note de l'auteur: cette fiction est la suite de la nourrice magique, que vous pouvez lire ici: La nourrice magique.

Ce nouvel épisode se passe après que Thymiane a ramené Arthur d'Avalon, et qu'elle en est morte. Merlin et son roi rentrent au palais.

 Chapitre I – Arthur est de retour

Arthur et Merlin sont en chemin vers Camelot.

Ils avancent côte à côte, silencieux, chacun perdu dans ses pensées.

 Arthur est tout à sa joie d’être père. Il est également un peu inquiet de reprendre les rênes du royaume, même s’il a toute confiance en Guenièvre.

Merlin est triste de la mort de Thymiane. Il est également un peu inquiet des relations qui vont désormais l’unir à Arthur.

 

Aux abords de la ville, les gens se pressent et se massent sur le bord de la route. Parfois, quelqu’un se penche pour mieux voir.

Ainsi donc, la rumeur est vraie.

 «Le roi est de retour ! Longue vie au roi Arthur ! » crie une voix, bientôt suivie d’autres.

Aussitôt qu’ils ont passé les portes de la citadelle, Merlin et Arthur sont acclamés par les chevaliers, Léon et Perceval en tête. Guenièvre les attend au bas des marches du perron, son enfant dans ses bras.

Elle le confie à sa servante, le temps de prendre Arthur dans ses bras et de le tenir étroitement enlacé.

«Arthur… quel bonheur ! Je vous croyais mort ! »

«Je l’ai été, je crois. Il m’a semblé avoir dormi, si longtemps. Puis j’ai été ramené sur les bords du lac d’Avalon par cette femme »

Il se retourna et montra le corps juché sur le cheval de Merlin. Une rumeur courut parmi la foule. Gaïus sortit du rang.

«Thymiane, mon Dieu ! Que s’est-il passé ? » dit-il en prenant Merlin dans ses bras.

Le jeune magicien soupira.

«Elle a prononcé la formule à l’aide d’un parchemin, et Arthur est sorti de l’eau du lac. Puis elle a dit encore autre chose pour lui rendre la mémoire, semble-t-il. Et elle s’est effondrée. »

Perceval descendit délicatement le corps et le posa sur un brancard qu’on venait d’amener. Gaïus prit la main de Thymiane.

«Ma chère… »

Soudain, il s’interrompit. Il prit le pouls de la jeune femme au creux de son cou. Il se retourna vivement.

«Merlin, elle n’est pas morte ! »

Le magicien s’agenouilla près de la nourrice.

«Mais Gaïus… elle a rendu son dernier souffle dans mes bras ! »

Le médecin hocha la tête.

«Je pense plutôt qu’elle est tombée dans une sorte de coma. Mais c’est une question de temps avant qu’elle ne meure vraiment. »

 

Les chevaliers amenèrent le brancard dans le laboratoire de Gaïus, étroitement suivis par Merlin, Arthur et Guenièvre. Cette dernière était bouleversée. Avec des larmes dans la voix, elle dit :

«Gaïus, pouvez-vous la sauver ? »

Elle cacha son visage contre le torse d’Arthur, qui la rassura en caressant son dos. D’une voix ferme, il dit à Gaïus :

«Elle a sauvé ma femme et mon fils, selon ce que m’a dit Merlin. Faites tout ce qu’il faudra pour la sauver.»

«Il est vrai qu’elle a beaucoup donné pour le royaume, Majesté. Néanmoins, il est difficile de dire si nous pourrons la sauver. Ce genre de coma est difficile à traiter, et je ne sais…»

D’autorité, Arthur se tourna vers Merlin. Il posa la main sur l’épaule du magicien.

«Toi, tu sauras sûrement. Fais ce qu’il faut. »

Merlin hocha la tête en signe d’accord. Arthur venait de lui demander d’user de magie, comme s’il s’était agi de la chose la plus naturelle du monde.

Le roi sortit avec Guenièvre et son enfant, conscient qu’il ne pouvait être d’aucun secours.

 Merlin usa alors de plusieurs sorts de guérison. Aucun ne sembla efficace. Gaïus ajouta des couvertures pour que Thymiane n’ait pas froid. Puis, n’ayant plus rien à faire, ils attendirent.

 * * *

 Un matin, Merlin se leva et vit que Thymiane avait disparu.

 En hâte, il réveilla Gaïus. Ils cherchèrent la nourrice partout dans le palais. Ils la trouvèrent finalement, assise sur le bord des remparts. Merlin lui dit doucement :

«Thymiane… je si suis heureux de te revoir… comment te sens-tu ? »

Elle tourna lentement sa tête dans la direction du magicien et répondit d’une voix aigre qu’il ne lui connaissait pas.

«Merlin… pourquoi est-ce que tu m’as sauvée ? Je devais mourir ! »

«Mais… je ne comprends pas ? »

Thymiane eut un mouvement de la main dans sa direction.

«Evidemment, tu ne comprends rien! Tu ne vois rien! Tu as des pouvoirs immenses et tu es l’homme le plus stupide du royaume!»

 Et elle sauta en bas des remparts et disparut dans la ville basse.

 Merlin se retourna, incrédule, vers Gaïus.

«Qu’ai-je encore fait?»

Gaïus eut un air sombre.

«Je ne sais pas Merlin, mais Thymiane a l’air de savoir des choses que nous ignorons. Il faut la retrouver. »

Informé, Arthur lança une patrouille à sa recherche.

 Ils revinrent bredouilles.

 Guenièvre faisait les cent pas dans la salle du trône. Merlin, Gaïus et Arthur la regardaient.

«Et si Thymiane était retournée au lac d’Avalon ? »

Arthur répondit :

«Mais pourquoi aurait-elle fait cela ? Le chemin est long, infesté de bandits… »

La reine poursuivit néanmoins son raisonnement.

«Thymiane a l’air d’être en colère parce qu’elle a été sauvée… est-ce juste, Merlin ? »

Le magicien acquiesça d’un signe de tête.

«C’est au lac d’Avalon qu’elle a semblé mourir. Peut-être y est-elle retournée, pour terminer je ne sais quoi ? Ce qui n’a pas pu être fait parce qu’elle est encore en vie ? »

Arthur n’était pas convaincu.

«Tout cela n’a aucun sens ! »

Merlin se rendit à l’avis de Guenièvre.

«Peut-être devrais-je y aller, juste pour vérifier… »
Arthur éclata d’un rire moqueur.

«Toi ?! Mais tu…», le roi sembla réfléchir puis reprit d’un air sérieux, «… tu en es tout à fait capable, oui. Mais je serais plus tranquille si tu étais accompagné d’un chevalier, au cas où. »

 Messire Léon fut donc du voyage.

 Longtemps, Merlin et le chevalier cheminèrent en silence. Puis Léon dit :

«Ainsi, pendant toutes ces années, tu as caché ta magie, alors que tout le monde te croyait sot… »

Le sorcier prit une mine sombre.

«Je le devais… qui sait quel sort aurait été le mien si on l’avait su ? »

Léon eut une grimace.

«Durant le règne d’Uther, il est certain que tu aurais été exécuté. Mais je ne sais pas ce qu’il en aurait été avec Arthur. Il tient beaucoup à toi tu sais, même s’il n’en a pas toujours l’air. »

«Je le sais. Il me l’a dit et m’a remercié pour tout ce que j’avais fait, lorsque nous étions en route pour Avalon. »

Ils restèrent à nouveau silencieux. Puis Léon murmura :

«Garder un secret pareil… tout de même… quel courage! Et en user pour protéger le roi sans en tirer de gloire… »

Merlin rougit, puis il sourit.

«Pour l’amour de Camelot. »

Le chevalier lui sourit en retour.

 * * *

 Enfin, ils arrivèrent au Lac d’Avalon.

 Thymiane s’y trouvait bien, assise au bord de la rive, à l’endroit même où elle avait rendu la vie à Arthur.

Léon descendit de cheval et commença à défaire leurs bagages.

«Je crois que tu ferais mieux d’aller lui parler seul… tu sais, de magicien à magicienne. »

Il fit un clin d’œil. Le sorcier sourit et acquiesça d’un signe de tête.

«Pendant ce temps, j’installerai le campement. La nuit va bientôt être là. »

 Merlin s’approcha de Thymiane. Il s’assit à ses côtés, ne sachant quoi dire et attendant qu’elle parle.

Ils restèrent ainsi longtemps, écoutant le clapotis de l’eau et les oiseaux se taire au fur et à mesure que l’obscurité grandissait. Finalement, la nourrice dit d’une voix pleine de tristesse :

«Merlin, je m’excuse de m’être emportée… mais jamais tu n’aurais dû me sauver. »

«Pourquoi? »

Elle se tourna franchement vers lui.

«As-tu oublié la loi ? »

Le visage de Merlin reflétait l’incompréhension la plus totale. Thymiane leva les épaules en signe d’agacement.

«N’as-tu pas affronté Nimue autrefois ? Ignores-tu pourquoi Ygerne, la mère d’Arthur, est morte ? »

Le magicien savait bien que Nimue avait donné Arthur à Uther avec l’aide de la magie et qu’Ygerne en était morte. Les mots de la sorcière lors de leur affrontement sur l’île Fortunée lui revinrent.

«Une vie pour une vie… »

«Exactement. »

Il sursauta.

«Donc le prix à payer pour le retour d’Arthur c’était ta propre vie ? »

Thymiane répondit d’une voix agressive.

«Evidemment! C’est la loi Merlin! Une vie pour une vie. Malgré l’étendue de tes pouvoirs tu ne saurais changer cette règle.»

Le magicien reprit le cours des évènements et comprit soudain :

«Donc tu le savais depuis le début ? C’est cela qu’Arwen t’a enseigné lorsque je t’ai retrouvée inconsciente dans la forêt ? »

Thymiane sourit devant l’innocence du sorcier.

«Non, cette fois-là, Arwen m’a appris à me servir du Parchemin de Vie, que tu m’as vue utiliser ici même. Je connais la loi d’une vie pour une vie depuis bien plus longtemps… sans doute depuis mes premiers pas en tant que nourrice magique. »

Merlin réfléchit à nouveau.

«Est-ce que c’est pour cela que tu as hésité à me dire que tu pouvais faire revenir Arthur le jour où tu m’as révélé l’existence d’Arwen ? »

«Non, je savais que je ne te dirais rien concernant mon sacrifice. Ce que je ne savais pas, en revanche, c’était comment te le dire. Je pensais que tu te souvenais de la loi. »

«Je pensais qu’en ayant vaincu Nimue, j’avais brisé cette règle… »

«Nimue n’était que la Grande Prêtresse. Elle n’avait aucun pouvoir en ce qui concerne les lois de la nature.»

La théorie de Thymiane avait une faille. Merlin lui en fit part.

«Lorsque Morgane a ramené Lancelot à la vie, personne n’a dû donner la sienne en échange. »

«C’est vrai. La raison est simple : il est revenu sans conscience. Son corps était comparable à un réceptacle vide. Il n’est nul besoin d’un échange de vie pour cela. C’est comme de manipuler un objet par la magie.»

Son visage s’assombrit.

«Moi, par contre, j’ai rendu non seulement la vie, mais aussi la conscience à Arthur, ce qui nécessite l’échange de vie. »

Merlin eut un frisson.

«Et alors quoi ? Tu vas te suicider ? »

Thymiane sourit. Décidemment, ce sorcier avait beau être le plus puissant de tous les temps, il ignorait vraisemblablement bien des choses.

«Je ne peux pas, Merlin. Quand bien même je le ferais, cela ne changerait rien à la situation. »

«Mais je ne comprends pas, tu as dis : une vie pour une vie. Non ? »

Léon s’approcha.

«Je m’excuse de vous déranger, mais le repas est prêt. »

Thymiane se leva et posa sa main sur le bras de Léon.

«Merci ! J’ai diablement faim. »

Léon regarda Merlin qui haussa les épaules en signe d’impuissance. Et d’incompréhension.

 

Ils s’assirent tous trois très du feu. Le repas de Léon n’était pas le meilleur qui soit, mais il avait l’avantage de rassasier les estomacs affamés par la longue route et les grandes émotions.

 Une fois qu’elle eut terminé son assiette, et remercié encore Léon, Thymiane poursuivit sa conversation avec Merlin. Le chevalier s’occupa de ranger la vaisselle et de donner à manger aux chevaux.

«Les lois de la nature sont beaucoup plus complexes qu’un simple échange n’importe quand. Il doit impérativement se faire simultanément, sinon il n’est pas valable.»

«Et alors, que va-t-il se passer ? »

Thymiane resserra autour d’elle les pans de la couverture que lui avait apportée Léon.

«Eh bien, si j’en crois ce que tu me dis, le retour d’Arthur a eu lieu il y a déjà plusieurs jours. Cela veut donc dire que le voile entre les deux mondes est ouvert. »

Immédiatement, Merlin pensa aux Dorocha.

«Nous allons devoir à nouveau affronter les âmes déchues ? »

«Non, nous ne sommes pas au jour où le voile est le plus ténu. Le reste du temps, il est épais et les âmes ne peuvent pas passer, par elles-mêmes du moins. »

«Alors quel est le problème ? »

Thymiane soupira.

«Il est possible que le voile ait laissé passer ceux qui sont morts dans un temps proche de celui d’Arthur. »

Merlin sourit.

«Gauvain ? »

Le regard de Thymiane s’assombrit.

«Oui, Gauvain… mais aussi Morgane et Mordred. Ainsi que les combattants des deux camps à la bataille de Camlann. »

Le magicien resta immobile, glacé jusqu’au sang.

Léon, qui revenait avec d’autres couvertures, les laissa tomber au sol.

 Thymiane regarda successivement l’un et l’autre, comprenant leur terreur.

«Je ne peux pas être certaine de ce que j’avance. »

Elle marqua une pause avant de poursuivre :

«Lorsque l’ordre des Passeuses de Vie existait encore, il y avait un cérémonial spécifique pour faire revenir un parent de futur roi. La Passeuse de Vie concernée venait ici avec ses sœurs et accomplissait le rite du parchemin. Ses suivantes étaient là pour s’occuper de son corps une fois son sacrifice accompli. Elle était ensevelie avec tous les honneurs dus à sa grandeur d’âme. Une nourrice désignée d’avance prenait alors sa place auprès du futur roi.»

«Comme l’ordre n’existe plus, j’ai dû faire les choses seule, et personne n’a donc pu s’assurer que j’étais bien morte, conformément à la loi. Une chose pareille ne serait jamais arrivée au temps de l’Ancienne Religion. Comme j’ai survécu, l’une de mes sœurs m’aurait simplement tuée. Nous sommes donc devant une situation qui ne s’est jamais produite… »

Elle soupira.

«De plus, je n’ai aucune idée de l’aspect des éventuels échappés de l’au-delà. Seront-ils fantômes comme Uther, seront-ils morts-vivants comme Lancelot? Je n’en ai aucune idée. Je ne sais même pas où les chercher si effectivement ils ont été libérés. Je suis donc revenue ici en quête d’indices. »

Merlin comprit alors l’erreur qu’il avait commise. Mais on ne pouvait refaire le passé et il fallait maintenant tâcher de retrouver Gauvain, Morgane et Mordred, s’ils avaient effectivement pu traverser le voile.

Le sorcier aurait voulu partir tout de suite pour Camelot afin de prévenir Arthur, mais Léon parvint à le convaincre d’attendre le jour. Les bandits de grand chemin se plaisaient à commettre leurs forfaits à la faveur de la nuit.

Les trois voyageurs s’installèrent pour dormir, et Léon prit le premier tour de garde.


Belthane  (15.01.2015 à 10:34)

Chapitre II - L’enlèvement

 Au matin, Merlin fut réveillé par le soleil qui brillait contre son visage. Il mit un moment avant d’émerger et de comprendre que Léon ne l’avait pas réveillé pour veiller la dernière partie de la nuit.

 Il se leva et trouva Léon assis contre un arbre, vraisemblablement assommé, à voir la gigantesque ecchymose qui couvrait sa tempe droite. Quant à Thymiane, il n’y en avait nulle trace.

«ça commence à devenir une habitude… » murmura Merlin entre ses dents.

 Le chevalier gémit. Merlin revint près de lui.

«Léon, comment vous sentez-vous ? »

Il frotta sa tempe.

«J’ai un mal de tête terrible… que s’est-il passé ? Je ne me souviens de rien… »

«Je ne saurais dire. Je vous ai trouvé là inconscient et vraisemblablement Thymiane a disparu. Ne bougez pas, je vais vous guérir. »
Merlin appliqua sa main contre la tempe de Léon et prononça une formule de guérison. Léon le remercia et se releva.

 Il n’y avait pas de trace de lutte ou de vandalisme, et aucun effet qu’ils avaient emporté ne manquait. «Qu’en dis-tu ? » demanda Léon.

Merlin observa autour de lui.

«Je ne saurais le dire… vous avez été attaqué par surprise, j’imagine, et comme je dormais, je n’ai rien entendu. Ce qui reste un mystère, c’est le départ de Thymiane. »

Léon réfléchit.

«Je n’ose l’imaginer me frapper pour s’enfuir sans se faire remarquer. »
«Non, je ne le pense pas non plus. Mais son absence demeure mystérieuse. »

«La meilleure chose à faire est probablement de rentrer à Camelot pour informer Arthur, et dépêcher des hommes pour faire une battue. »

 Les deux hommes réunirent leurs affaires, et partirent pour le château.

 En route, Merlin songea à ce qu’avait dit Thymiane. Il se rappela d’Uther lorsqu’il était revenu d’entre les morts pour se venger d’Arthur et de ses décisions qu’il trouvait par trop libérales… Rien n’aurait su le détourner de son but et il était prêt à tuer pour y parvenir. Si d’aventure, Thymiane avait été prise par Morgane, voire pire, Morgane et Mordred, nul doute n’était possible quant à sa fin prochaine. Quant à Gauvain, il était difficile de savoir ce qu’il ferait en pareilles circonstances.

* * *

Finalement, Camelot apparut à l’horizon. Prévenu par une sentinelle, Arthur se porta au devant de ses deux amis.

«Alors ? Quelles nouvelles ? »

Léon raconta ce qu'il s’était passé. Le roi se tourna vers Merlin.

«Qu’en penses-tu ? »

Merlin répéta encore qu’il ne savait qu’en penser. Il était peu probable que Thymiane ait assommé Léon pour partir à la recherche de Gauvain, Morgane et Morded. Il lui aurait suffit de l’endormir, par exemple. Elle n’était pas partisane de la violence.

Par contre, sa disparition laissait à penser que Morgane, et peut-être Mordred, avaient pu lui faire du mal.

 Sur les conseils de Léon, Arthur dépêcha une patrouille pour fouiller les environs du Lac d’Avalon. Il en fit partie, non sans avoir embrassé sa femme et son enfant, qu’il avait décidé d’appeler Vivian.

 Merlin prenait également part aux recherches, ainsi que Gaïus, dont les connaissances pourraient être utiles.

* * *

Ils allèrent longtemps par les bois autour du Lac d’Avalon. Un jour, Arthur, Merlin et Léon se rendirent dans un village tout proche, afin de renouveler leurs provisions.

Une fois la nourriture chargée sur leurs chevaux, Arthur proposa un détour par la taverne, pour se restaurer avant de prendre la route. Il faisait chaud, et une boisson fraîche ne serait pas malvenue.

 Les trois hommes prirent place à une table. Merlin observa autour de lui.

Dans un coin sombre, au fond de la salle, un homme était assis. Il avait les bras posés sur la table, et le front appuyé dessus. Ses cheveux étaient longs et bruns. Quelque chose dans sa physionomie frappa le magicien. Il donna un coup de coude à Arthur, qui regarda dans la direction qu’il lui indiquait. Merlin le vit regarder attentivement et sembler trouver aussi à l’homme quelque chose d’étrange. Léon regarda dans la même direction et dit tout bas:

«Cet homme là-bas, on dirait vraiment sir Gauvain. »

Tous trois se regardèrent, ne sachant ce qu’il convenait de faire. Arthur plaisanta.

«Pourquoi n’avons-nous pas pensé à écumer les tavernes pour trouver Gauvain ?! »

Il héla l’aubergiste et lui demanda d’offrir à l’homme une choppe d’hydromel de sa part.

Ainsi fut fait. L’homme attablé leva la tête, l’air ahuri.

Merlin, Arthur et Léon sursautèrent. Il s’agissait bien de Gauvain, qui leva sa choppe dans leur direction. Le roi dit à Merlin :

«Il est bien différent du Gauvain que nous connaissons. Comment cela est-il possible ? »

Le sorcier expliqua aussi bas qu’il lui était possible, pour ne pas être entendu des autres clients :

«Lorsque Thymiane vous a ramené du lac, vous aviez également cette expression vide. Puis elle a prononcé une formule et vous avez retrouvé votre conscience. »

«Alors prononce également cette formule et ramène-nous Gauvain, veux-tu ? »

Merlin soupira.

«Ce n’est pas possible, Sire ! Cette incantation est connue des Passeuses de Vie seules, et Thymiane est la dernière représentante de cet ordre. Je ne saurais redonner une conscience à Gauvain ! »

Arthur soupira à son tour.

«Tu es sorcier, non ? Tous les sorciers utilisent des formules… ne peux-tu pas en inventer une ? »

«Je pourrais essayer, mais j’ai bien peur que cela reste sans effet. Thymiane utilisait en plus de la formule une sorte de parchemin. Mais je peux toujours essayer. »

Le sorcier regarda autour de lui.

«En tout cas, je ne peux pas le faire ici. Il nous faut ramener Gauvain au campement, et là-bas, avec l’aide de Gaïus, nous pourrons peut-être l’aider. »

 Arthur s’approcha de Gauvain et s’assit à sa table.

«Bonjour Gauvain. Comment vous portez-vous ? »

Le chevalier leva la tête.

«Est-ce à moi que vous parlez ? »

«Oui, je ne connais pas d’autre Gauvain, et surtout personne tel que vous, grâce à Dieu ! »

Arthur rit de sa boutade. L’homme le regarda sans comprendre.

«Donc je suis ce… Gauvain ? »

«Oui, c’est ce qu’il semble, » dit Arthur.

Gauvain conserva son air absent.

«Qu’est-ce qu’on fait alors ? »

«Venez avec moi et je m’occuperai de vous. »

«D’accord. »

Déjà, Gauvain se levait, prêt à faire tout ce qu’Arthur lui dirait. Cela était si contraire à sa nature habituelle que le roi en fut bouleversé.

 Léon conduisit Gauvain sur son cheval. Arthur restait en retrait, avec Merlin.

«Comment est-il possible que Gauvain soit devenu cette ombre ? »

«Justement, Sire, il n’est qu’une ombre. Un corps sans esprit, un réceptacle vide. »

Arthur sembla songer à cette information.

«Les autres seront dans cet état alors ? »

«Oui, il y a des chances. Du moins, je ne vois pas pourquoi cela serait différent pour Morgane et Mordred. »

Le roi déglutit avec peine.

«Se retrouver face à Mordred, cela… me terrifie. A toi je peux bien le dire… »

Merlin eut un sourire chaleureux.

«Je comprends cela. Il doit être difficile d’être face à son… son… »

Le magicien hésitait à prononcer le mot. Le roi le murmura avec dégoût.

«… son meurtrier ! »

« Voilà. »

Arthur resta encore silencieux. Afin de le rassurer, Merlin dit :

«Morgane et Mordred seront sans âme, sans consistance. Ils n’auront que l’air de ces gens que nous avons connus. »

«Tu as raison. »

Arthur ajouta encore, mettant des mots sur ce que Merlin se demandait également :

«Mais qu’allons-nous faire d’eux ? Pourrions-nous les laisser sans âme pour ne pas qu’ils soient dangereux ? »

«Je ne saurais le dire, Majesté. Je me pose la même question. »

* * *

Le campement fut devant eux, au détour d’une haie de bouleaux. Ils installèrent Gauvain sous la tente d’Arthur, et Gaïus vint l’examiner. Il se laissa faire comme une poupée de chiffon, ce qui effraya le médecin.

Lorsqu’il sortit de la tente, Arthur l’interrogea :

«Alors Gaïus ? Qu’en dites-vous ? »

«Il semble que Gauvain soit en vie, et en bonne santé, mais son âme est toujours dans l’au-delà. »

«Cela voudrait dire que si d’autres ont été libérés, ils sont dans le même état ? »

«Je ne saurais le dire, Majesté. Mais je pense qu’il n’y a aucune raison pour qu’il en soit différemment.»

Arthur fut rassuré.

«Alors, il nous faut encore retrouver les autres. »

* * *

Deux jours plus tard, alors que la patrouille levait le camp pour se rendre plus au nord, vers des territoires qu’elle n’avait pas encore fouillés, une femme fit son apparition, avec un enfant. Elle demanda audience au roi Arthur. Il la reçut, comme il le faisait toujours lorsqu’une personne sollicitait son attention.

La femme expliqua qu’elle vivait à quelques kilomètres de là, dans une ferme isolée. A une heure de marche de chez elle se trouvaient les ruines d’un temple de l’Ancienne Religion.

«Mon fils s’enfuit souvent la nuit, parce qu’il a des problèmes pour dormir. Et c’est là-bas qu’il se rend.»

Puis la femme poussa le jeune garçon devant le roi en lui demandant de répéter ce qu’il lui avait dit.

Le petit regarda le roi, semblant très impressionné et intimidé.

«Parle mon garçon,» lui dit doucement Arthur en se mettant à sa hauteur. «Tu sais, j’ai un garçon moi aussi, mais il est encore très petit. »

«Comment s’appelle-t-il ? » demanda le garçonnet, oubliant sa crainte.

«Il s’appelle Vivian. J’espère que ce sera un grand gaillard fort et courageux comme toi quand il sera plus grand.»

Le garçon sourit en se redressant.

«Pour sûr je suis courageux! Il n’y a que moi qui ose aller aux ruines, et de nuit en plus ! »

Arthur comprit que c’est là que le garçon avait vu quelque chose que la mère avait pensé susceptible de l’intéresser.

«Qu’y a-t-il dans ces ruines ? »

«D’habitude, il n’y a rien. Mais depuis quelques jours, il y a deux dames. Une méchante, et une prisonnière.»

Arthur masqua sa surprise pour ne pas l’effrayer à nouveau et lui demanda de lui raconter ces choses plus en détail.

«La dame méchante est toute en noir, ses cheveux et ses vêtements. Mais elle a de beaux yeux clairs qui ont l’air d’être très en colère. Elle a attaché cette petite dame à des chaînes, celle qui a de longs cheveux blonds et un drôle de petit bonnet brodé. Ses habits devaient être beaux, de toutes les couleurs, mais maintenant ils sont tout sales et déchirés. La méchante dame lui crie dessus! Elle lui pose de drôles de questions. »

Arthur devenait de plus en plus intéressé. La méchante dame pourrait être Morgane et la prisonnière devrait être Thymiane. Si Morgane avait enlevé Thymiane, cela expliquait pourquoi Léon avait été assommé.

«Qu’est-ce qu’elle lui pose comme drôles de questions ? »

Le petit garçon regarda sa maman, comme pour lui demander la permission de continuer. Elle l’encouragea à poursuivre d’un signe de la main.

«Eh bien, la méchante dame répète toujours la même chose. Elle demande à la prisonnière qui est elle est, et comment elle l’a amenée là. Et elle crie, elle crie! Puis elle frappe la dame blonde. Et elle pose encore et encore la question. Puis elle frappe encore. C’est terrible. »

Le garçon semblait encore bouleversé par la scène. On voyait la terreur gagner son visage au fur et à mesure qu’il la racontait.

Arthur le remercia. Il fit donner de l’argent à la maman, et remit au garçon un petit poignard.

«Tu l’utiliseras quand tu seras plus grand. Promet-moi de toujours t’en servir uniquement lorsque c’est nécessaire, pour te défendre. »

Le garçon regardait l’arme, les yeux écarquillés.

«D’accord Majesté. Je ferai attention. »

«Et ne traîne pas trop dans les endroits dangereux. »

Le petit garçon promit, tout à l’admiration de son poignard.

Puis Arthur remercia ses visiteurs, qui partirent.

Merlin avait assisté à l’entretien, un peu en retrait. Arthur lui demanda :

«Qu’en penses-tu ? »

Le sorcier réfléchit avant de demander.

«Morgane est une magicienne puissante. Peut-être a-t-elle réussi à garder un semblant de conscience, quelque chose qui lui dit qu’elle a déjà vécu, mais elle ne sait pas pourquoi. J’imagine que si elle sait que Thymiane l’a faite revenir, Morgane doit penser qu’elle peut lui dire qui elle est. »

Arthur sembla soucieux.

«Morgane la torture. Que se passera-t-il si Thymiane lui révèle qui elle est? Recouvrera-t-elle la mémoire?»

Merlin avoua son ignorance. Gaïus n’en savait guère plus.


Belthane  (15.01.2015 à 10:38)

Chapitre III – Les ruines

 Arthur se rendit aux ruines avec Léon, Perceval et Merlin afin d’en savoir plus. Gaïus resta au campement pour s’occuper de Gauvain qu’on n’osait laisser seul. Trois chevaliers veillaient sur eux.

La route prit du temps, et chacun demeurait silencieux. On sentait une chape de plomb et d’angoisse les entourer.

Ils arrivèrent à proximité des ruines: un tas de pierres écroulées et quelques arches branlantes entourés de morceaux de murs. Arthur fit signe à ses compagnons de se mettre à couvert, derrière des buissons qui se trouvaient très près d’un premier tas de pierres. Les hautes herbes les dissimuleraient aux regards indiscrets.

La situation était conforme à la description de l’enfant.

Thymiane était attachée par de grosses chaînes aux barreaux d’une fenêtre dont il manquait le verre, sur un mur encore debout. Elle était assise, la tête pendante. Il était difficile de dire si elle était encore consciente, parce qu’elle ne bougeait pas. Sa belle tunique, qui avait tant fait sensation à son arrivée à Camelot, était déchirée et sale. Ses pieds étaient nus et son chapeau avait disparu. Ses cheveux étaient mêlés de sang séché, et on pouvait voir même de loin que ses poignets étaient écorchés par les chaînes.

A cette vue, Merlin faillit bondir pour la libérer. Arthur le retint par la ceinture, lui montrant de sa main libre une autre femme qui arrivait dans leur champ de vision.

Vêtue de noir, avec de très longs cheveux de la même couleur, la femme se tenait à quelques mètres d’eux, à l’intérieur des ruines. Elle était de dos. Sa voix résonna contre les pierres millénaires, et les hommes frissonnèrent.

«Alors pauvre femme ! Vas-tu finir par me dire qui je suis ? »

Thymiane eut un mouvement de tête, sans la relever entièrement. Un murmure rauque parvint de dessous ses cheveux.

«Je ne vois pas de quoi vous parlez, vous perdez votre temps Madame, je vous assure. »

Morgane, car c’était bien elle, frappa Thymiane au visage si bien que ses cheveux volèrent en arrière. Elle tint son visage dans le creux de sa main en le secouant.

«Tu m’as ramenée, je le sais, je t’ai vue ! Mais pourquoi ? Qui suis-je ? »

Sa voix amère n’avait pas changé. Elle semblait pourtant être chargée de panique autant que de haine. Elle hurla :

«Dis-moi qui je suis ! Ou je te tue ! »

Thymiane eut un rire grinçant.

«Si vous me tuez, Madame, vous n’apprendrez rien de plus ! »

Morgane marcha de long en large devant sa prisonnière, fulminant.

Une autre voix, basse et profonde, parvint de l’autre bout des ruines.

«Ne vous fâchez pas ainsi, Madame. Tout cela ne nous conduira à rien, je vous l’ai déjà dit. Nous ne savons pas qui nous sommes et pourquoi nous sommes là. Cette pauvre femme a l’air de l’ignorer elle aussi.»

Arthur eût un autre frisson. La voix claire et calme de Mordred venait de retentir. Le petit garçon n’avait pas dû le voir. Morgane sembla se calmer. Il poursuivit.

«Nous ferions mieux de continuer notre voyage jusqu’à la prochaine grande ville. Quelqu’un pourra peut-être nous renseigner, ou nous reconnaîtra. »

Morgane sembla désapprouver cette idée. Elle montra Thymiane d’un bras vengeur.

«Je la connais, je vous assure ! » martela-t-elle avec ferveur, comme pour convaincre Mordred.

Il répondit :

«Peut-être la connaissez-vous, mais elle ne vous connaît pas. Depuis combien de jours l’interrogez-vous ainsi? Ses paroles ne changent pas. Cessez donc de gaspiller votre temps et votre énergie et cherchons ailleurs. Voulez-vous ? »

Morgane soupira, rejeta ses épaules en arrière et répondit :

«Eh bien soit. Allons-nous-en. »

Mordred se plaça près de Morgane.

«Qu’allons-nous faire de cette pauvresse ? »

Morgane soupira encore.

«Eh bien nous allons la laisser là ! Les animaux seront bien heureux de ce festin. Allons-nous-en. »

Le druide s’agenouilla et sembla regarder les blessures de Thymiane.

Puis il se releva et disparut de la vue des hommes, accompagné de Morgane.

 Arthur, Perceval, Léon et Merlin attendirent. Ils entendirent des claquements de sabots de cheval s’éloigner. Le premier, le sorcier se leva et s’avança.

 Les ruines étaient maintenant désertes. Arthur chercha à gauche et Léon à droite, tandis que Perceval restait près de Merlin. Le roi et le chevalier revinrent.

«Il n’y a plus personne. »

Arthur posa sa main sur l’épaule du sorcier.

«Je vais chercher mon cheval. Essaie de la soigner au mieux et nous allons la ramener au campement.»

«Et Morgane ? Et Mordred ? » demanda Merlin.

«Nous les chercherons plus tard» répondit Arthur. «De toute manière, Thymiane est la seule à savoir ce qu’il convient de faire. Mieux vaut la soigner et poursuivre les recherches avec elle que de se lancer tête baissée dans l’inconnu.»

Léon renchérit.

«D’ailleurs, Mordred a parlé d’une grande ville, et il n’y en a qu’une, à trois jours de cheval d’ici. Nous nous y rendrons quand Thymiane aura recouvré la santé.»

 Ainsi fut fait. La nourrice inconsciente fut confiée aux soins de Merlin et Gaïus, tandis qu’Arthur, Léon et Perceval entreprenaient un brin de causette avec Gauvain, qui semblait toujours aussi ignorant et sans consistance. Perceval était très attristé de l’état de son ami, et il cessa bientôt de lui demander s’il se souvenait de telle ou telle aventure qu’ils avaient vécue ensemble.

* * *

Thymiane recouvrit très vite la santé. Elle expliqua à Merlin qu’elle se guérissait elle-même de ses blessures lorsque Morgane et Mordred dormaient. Son aspect sale contribuait à la croire grièvement touchée. Mais elle demeurait fatiguée et on la laissa dormir deux jours entiers.

Puis, après un gargantuesque repas, elle dit à Arthur qu’elle était prête à reprendre la route.

 

Il fallut cependant décider de la manière avec laquelle aborder la situation. Thymiane pouvait rendre la conscience à Gauvain, mais le parchemin nécessaire se trouvait à Camelot. Quant à Morgane et Mordred, elle jugea plus prudent de les laisser dans l’ignorance de leur véritable nature pour l’instant. Il fallait les ramener eux aussi, et aviser de leur sort avec l’aide du Conseil et de Guenièvre.

Perceval et Merlin partirent donc pour Camelot avec Thymiane afin de ramener le parchemin. Pendant ce temps, Arthur, Léon, Gaïus et la patrouille poursuivaient leur chemin vers la grande ville. Il était convenu qu’ils resteraient observateurs des faits et gestes de Morgane et Mordred jusqu’au retour du parchemin.

Très vite, la patrouille fut sur les traces des deux jeunes gens. Ils dormaient beaucoup. Gaïus ne sut dire si c’était là un aspect de leur condition de corps sans âme. Au moins, cela rendait plus simple leur poursuite.

Morgane et Mordred s’installèrent dans une petite auberge. Ils parcouraient la ville en tous sens, ensemble ou séparément, afin d’en apprendre plus sur leur passé.

Les gens de la cité avaient entendu parler de la bataille de Camlann, d’Arthur, de Morgane, du vieux sorcier et de Mordred. Cependant, ils n’avaient jamais vu aucun d’entre eux et ignoraient de quoi ils avaient l’air. C’est ainsi que personne ne put renseigner le druide et la sorcière.

Un jour, ils se rendirent au marché. Arthur et Léon les suivaient de loin. Gaïus et la patrouille campaient discrètement aux abords de la ville.

Morgane et Mordred achetèrent des vivres et des vêtements.

Soudain, quelqu’un fondit sur Arthur et une autre personne ceintura le cou de Léon avec une cordelette. Morgane et Mordred s’étaient rendus compte qu’ils étaient suivis et souhaitaient savoir ce que leur voulaient ces deux hommes.

Arthur demeura pétrifié devant Mordred, qui ne semblait pas comprendre pourquoi cet homme richement vêtu le regardait comme s’il était une menace terrible. Léon prit donc la parole.

«Nous sommes des marchands. Il nous a semblé vous connaître. C’est pour cette raison que nous vous avons suivis. »

Morgane regarda Mordred. Devant leur intérêt manifeste, Léon poursuivit :

«Ne viendriez-vous pas de Camelot ? »

Morgane sembla tressaillir à ce nom. Elle murmura :

«Camelot… ce nom m’est effectivement familier… mais je ne saurais dire pourquoi. »
Elle regarda Léon et Arthur avec une sorte de chaleur, et même un sourire reconnaissant. Mordred quant à lui demeurait neutre, intrigué par les regards lourds que lui jetait Arthur.

Reprenant contenance, ce dernier renchérit :

«Mon ami vous dit la vérité. D’ailleurs, nous allons retourner à Camelot. Souhaiteriez-vous nous accompagner?»

Trop heureuse de rencontrer quelqu’un susceptible de les faire avancer dans leurs recherches, Morgane accepta avec joie, d’un visage aussi lumineux que du temps où la magie lui était étrangère. Mordred approuva d’un signe de tête, soucieux semblait-il de ne pas la contrarier.

Léon les devança pour leur arrivée au campement. Il fit retirer leurs armures aux chevaliers, et leur demanda de se faire passer pour de simples serviteurs. Gaïus serait présenté comme le père de Léon.

Morgane et Mordred se présentèrent devant la riche tente d’Arthur. Ils songèrent que c’étaient là de très riches marchands qu’ils avaient rencontrés et ils bénirent leur bonne fortune.

Un mauvais hasard voulut que Thymiane, Perceval et Merlin revinrent précisément à ce moment-là.

Morgane eut un mouvement de recul en voyant la nourrice. Elle hurla :

«Cette femme.. »

Mordred la tint par le bras et lui fit signe de se taire.

Arthur crut bon de la rassurer.

«Cette jeune femme se nomme Thymiane, et elle voyage en notre compagnie. Cela vous déplaît-il?»

Sous le regard menaçant de Mordred, Morgane assura que non. Elle avait sans doute dû confondre avec une autre dame de sa connaissance, expliqua-t-elle, penaude.

Morgane et Mordred s’étonnèrent également de la présence d’un chevalier. Léon expliqua qu’il était là pour assurer leur protection durant le voyage.

Lorsque Morgane vit Merlin, elle se figea un instant. Le magicien n’osa demander ce qui la troublait. Plus tard, il l’entendit dire à Mordred que son regard lui rappelait quelqu’un, mais elle n’aurait pu dire qui exactement. Ce dernier la tranquillisa, lui expliquant avec condescendance qu’elle devait cesser de trouver de potentielles connaissances à tous les coins de rue.

Gaïus examina la sorcière et le druide, et ses conclusions furent les mêmes que pour Gauvain: ils étaient en bonne santé, mais sans âme. Néanmoins, il trouva Morgane très agitée et effrayée, comme du temps où ses pouvoirs avaient commencé à se manifester.

A la nuit tombée, Merlin vint rejoindre Thymiane sous sa tente.

La jeune femme confia ses craintes au sorcier.

«Morgane a beaucoup de pressentiments. As-tu vu comme elle te regarde? Des choses lui évoquent son passé, sans qu’elle sache exactement pourquoi. J’espère que le fait de retrouver toujours plus de choses de son ancienne vie ne va pas lui rendre définitivement la mémoire… je me demande d’ailleurs si la ramener à Camelot est vraiment une bonne idée.»

Merlin soupira.

«Il nous faut décider au plus vite de son sort. »

«Je vais éviter de rendre la mémoire à Gauvain tant que ces deux-là sont dans les parages. Je ne voudrais pas qu’il commette un impair qui nous mette en danger. »

Merlin acquiesça et souhaita bonne nuit à la nourrice.

Il sortit de la tente. Morgane le héla.

«Merlin… c’est cela ? »

Le sorcier tressaillit. Il fit de son mieux pour cacher son trouble et sembler aimable.

«Oui Madame, c’est cela. Que faites-vous encore éveillée ? »

«Je n’ai pas sommeil ce soir. Il me semble que beaucoup de pensées troubles se bousculent dans ma tête. Des sortes de visions auxquelles je ne comprends rien. J’ai cherché le repos sans le trouver, alors je me suis promenée dans le campement.»

Elle sourit.

Merlin la revit soudain telle qu’elle était à son arrivée à Camelot. Une jeune femme douce et courageuse, qui ne reculait devant rien pour aider ses amis. Il eut moins de mal à feindre l’amitié.

«Eh bien, puisque nous voilà tous les deux réveillés, peut-être pourrions-nous nous asseoir un moment près du feu ? »

Elle acquiesça avec un visible plaisir. Très vite, elle se mit à parler, comme s’il lui était impossible de se retenir.

«Mon compagnon et moi nous sommes réveillés au bord du lac. Nous ne savons ni d’où nous venons ni qui nous sommes. »

«C’est très étrange. »

Morgane rougit.

«Oui, en effet. Sans doute avons-nous été attaqués par des bandits et laissés pour morts sur la rive. Voilà pourquoi aucun souvenir ne nous revient, j’imagine. Gaïus, le père de Léon, a dit que de telles choses pouvaient se produire après un traumatisme. C’est un très bon médecin. »

Merlin décida d’essayer de savoir ce dont Morgane se souvenait exactement. Il savait que la manœuvre était dangereuse: il pouvait réveiller des souvenirs qui lui feraient se rappeler de son passé. Par ailleurs, ni elle ni Mordred ne semblaient être conscients d’avoir des pouvoirs magiques. Peut-être n’en avaient-ils plus à cause de leur condition d’êtres sans âme ?

Morgane parlait toujours.

«Il y a des choses qui me semblent familières, mais je ne saurais dire pourquoi… un nom, une couleur, un son, un regard…»
Elle fixa Merlin avec intensité.

«Votre regard par exemple, il ne m’est pas étranger. »

Même la mort n’avait pu effacer le regard d’Emrys des pensées de Morgane. Elle l’avait cherché avec véhémence toute une partie de sa vie, pour découvrir qu’il était bel et bien sa perte, comme elle en avait eu la vision.

Merlin tenta à nouveau de reprendre contenance devant Morgane qui le regardait d’un œil énamouré. Elle sourit et demanda avec douceur:

«Serait-il possible que vous et moi… ayons été promis ? »

Merlin faillit s’étouffer. Il parvint à articuler avec peine.

«Non… non… certainement pas ! »

De crainte de paraître impoli, il ajouta d’un ton tout de même aigre-doux :

«Je ne saurais oublier une dame telle que vous… »

Sa phrase sembla combler d’aise la sorcière, qui le regarda avec encore plus de douceur. Merlin n’eut d’autre choix que de fuir. Il se leva.

«Eh bien Madame, je crois qu’il est temps pour moi d’aller dormir. Nous reprenons la route demain et il nous faut toutes nos forces. Peut-être devriez-vous essayer vous aussi de vous reposer. »

Morgane sourit.

«Je vais essayer… »

Elle retint Merlin par la main tandis qu’il se retournait. Elle plongea son regard dans le sien.

«Je rêverai de vous… »

Un frisson d’horreur le parcourut. Morgane les croyait bel et bien amoureux.

* * *

Arthur était en train d’écrire une lettre à Guenièvre lui expliquant leurs dernières découvertes. Un messager attendait qu’il ait terminé.

Tandis que le roi cachetait son courrier et le remettait à son serviteur, Merlin fit son entrée sous la tente, rouge de honte et semblant très agité. Arthur congédia le messager en lui souhaitant bonne route.

«Eh bien Merlin ? Que se passe-t-il ? Aurais-tu vu un fantôme ? »

Le sorcier fixait intensément le sol. Arthur sourit de sa boutade.

«Allons Merlin… tu as fais une bêtise, je le vois à ta tête. Et je te connais bien… sur ce point. »

D’un signe de tête, le roi enjoignit le magicien à parler.

Merlin s’assit et soupira.

«Je suis allé voir Thymiane. Elle craint que si Morgane ressent trop de réminiscences de son passé, elle finisse par s’en souvenir définitivement. »

Arthur s’assombrit.

«Voilà qui ne serait pas très bon pour nous… »

Merlin soupira encore.

«Qu’y a-t-il? Tu as peur? Moi aussi j’ai peur. Je ne souhaite pas reprendre la bataille depuis le début.»

«Oh ce n’est pas cela… » ajouta très vite Merlin.

Arthur le regarda avec méfiance.

«Qu’est-ce donc alors ? »

Le sorcier leva les yeux, penaud.

«Morgane connaît mon regard. Elle croit que nous sommes promis, ou que nous l’avons été. »

Arthur eut une grimace de surprise, puis il éclata de rire.

«Toi ? Le promis de Morgane ? Quelle bonne blague ! »

Le roi ne pouvait plus s’arrêter de rire. Merlin regarda par la porte de la tente, gêné.

«Majesté, elle pourrait nous entendre! »

Devant le réel danger, Arthur se calma, et s’excusa.

«Eh bien Merlin, tâche de rester un peu en retrait. Si elle se souvient que tu l’as tuée, tu risques bien pire que Thymiane… »

Le sorcier en eut froid dans le dos.


Belthane  (15.01.2015 à 10:43)

Chapitre IV – Réunis

Le voyage de retour vers Camelot ne se fit pas sans encombre.

Mordred gardait en permanence un œil sur Arthur, qui n’osait ni le regarder, ni lui parler. Ce comportement semblait très étrange au jeune druide et le rendait méfiant.

Morgane essayait par tous les moyens de se retrouver le plus proche possible de Merlin, et le couvait de regards énamourés que le sorcier avait bien du mal à supporter. Plusieurs fois, il faillit lui dire de rester à l’écart, mais il craignait que la colère ne ravive ses souvenirs.

Gaïus et Perceval entouraient Gauvain, le regard toujours vague, qui n’ouvrait la bouche que si on lui adressait la parole. Léon les suivait.

Thymiane, qui cheminait légèrement en retrait, se demandait quelle issue donner à cette affaire. Plus aucune Passeuse de Vie ne pouvait lui dire ce qu’il convenait de faire. S’il était évident à ses yeux qu’il fallait rendre la conscience à Gauvain, il était difficile de dire quoi faire de Morgane et Mordred. Fallait-il leur rendre la mémoire? La nourrice ne se sentait pas à l’aise avec l’idée de les laisser vides de leur esprit. Pourtant, s’ils redevenaient ceux qu’ils avaient été, le danger serait à nouveau présent au sein même de Camelot, et tout serait à recommencer pour le roi Arthur, et pour Merlin. Gaïus, qui pourtant était très au fait des rites de l’Ancienne Religion, n’avait pu être d’aucun secours.

Merlin fit en sorte de se retrouver à la hauteur de Thymiane, et Morgane évita sciemment de se trouver près de la nourrice. Elle soupçonnait toujours la jeune femme d’être un élément déclencheur de l’état dans lequel elle se trouvait.

Le sorcier dit à voix basse :

«Est-ce que tu vas bien ? Tu as l’air très contrariée. »

«Je le suis. J’ignore quelle issue nous devons donner à tout ceci, et il ne reste personne pour m’aider.»

Merlin soupira.

«Nous ne pouvions pas laisser Arwen en vie, tu le sais bien. »

«Oui évidemment, sinon nous aurions perdu la reine et le prince. »

Elle sembla réfléchir, puis son visage s’illumina.

«Merlin, il faut que je retourne à la grotte. »

«Tu penses y trouver des réponses ? »

«Je l’espère… Arwen avait toutes sortes de livres. Une partie d’entre eux étaient les Chroniques des Passeuses de Vie. Elles compilent toute l’histoire de notre ordre depuis des temps très anciens. Pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt…»

«Parce que tu te faisais torturer peut-être ? » répondit le sorcier, mi-figue, mi-raisin.

Thymiane sourit et avança jusqu’à se trouver à la hauteur d’Arthur.

«Majesté, il me faut vous quitter pour retourner dans la grotte d’Arwen. »

D’un geste, Arthur fit s’arrêter la troupe et ordonna qu’on fasse une halte pour désaltérer les chevaux. Il descendit de sa monture et prit Thymiane à part.

«Pourquoi veux-tu faire cela ? »

«La femme qui m’a formée avait en sa possession les Chroniques des Passeuses de Vie. Elles regroupent toute l’histoire de notre ordre, et j’ai bon espoir d’y trouver des renseignements sur ce qu’il conviendrait de faire dans notre situation. »

Arthur sembla hésiter.

«Es-tu certaine de ne courir aucun risque? Tu n’ignores pas que tu es la seule à pouvoir arranger les choses ? Te perdre encore serait synonyme de désastre ! »

«Ne craignez rien ! Un ou deux chevaliers pourraient m’accompagner, si vous le souhaitez. »

Léon et Perceval furent détachés pour accompagner Thymiane dans l’antre d’Arwen. Merlin resta avec Arthur et la troupe afin de pouvoir intervenir à l’aide de ses pouvoirs, au cas où cela s’avérerait nécessaire.

* * *

Thymiane retrouva la grotte dans l’état où elle l’avait laissée à son dernier passage. Il fallut allumer des torches et faire du feu. Après plusieurs heures de recherches, elle mit la main sur les Chroniques: plusieurs dizaines de livres reliés de cuir embossé à la tranche dorée à la feuille, qui étaient dissimulés dans une cavité rocheuse.

Ils furent mis dans de grands sacs que les deux chevaliers accrochèrent à la selle de leur monture. La jeune femme regretta de ne pas tout emporter, car il y avait encore de nombreux ouvrages dont le savoir serait perdu à tout jamais. Elle ajouta tout de même quelques livres de médecine qui pourraient peut-être avoir de l’utilité pour Gaïus.

Thymiane, Léon et Perceval se mirent en route pour Camelot. Si tout se passait comme prévu, la patrouille les aurait devancés et se trouvait déjà sans doute au palais.

* * *

Les trois compagnons passèrent les grilles du château. Guenièvre vint au-devant d’eux, sur la grand place.

«Thymiane ! Léon ! Perceval ! Vous voilà ! Où sont les autres ? »

Ils se regardèrent. La nourrice hasarda :

«Ils devraient être arrivés quelques heures avant nous… »

Guenièvre serra son châle autour de ses épaules.

«Ils ne sont pas encore revenus. Où sont-ils ? J’ai pourtant bien reçu le message d’Arthur qui annonçait son prochain retour… »

Léon prit la parole :

«Majesté, il nous faut partir à leur recherche. Nous allons rebrousser chemin jusqu’à l’endroit où nous les avons laissés. »

Pour aller plus vite, les chevaux furent déchargés de leurs bagages.

Au grand galop, les deux chevaliers et la nourrice traversèrent les bois. Ils trouvèrent bientôt un campement, où les braises du feu étaient encore rougeoyantes.

Aucune trace ni des chevaliers, ni de personne.

Les trois amis cherchèrent alentours, et ne trouvèrent aucun indice. Thymiane fit appel à ses dons afin de révéler des choses qui auraient pu être masquées à l’œil nu. Rien n’apparut. C’était comme si la patrouille avait disparu de la surface de la terre.

Ils revinrent au palais et Léon informa Guenièvre de la situation. Au comble de l’inquiétude, la reine envoya une patrouille effectuer une nouvelle battue. Il en fut ainsi durant des jours et des jours.

Thymiane ne savait que faire pour être utile. Elle restait de longues heures aux côté de Guenièvre, et essayait de la soulager au mieux. Elle prenait également soin du petit Vivian, qui était un enfant vif et joyeux.

La nourrice se mit à lire les Chroniques des Passeuses de Vie. Elles remontaient à des temps immémoriaux. D’abord, elles n’étaient qu’une succession de noms et de dates. Une sorte de registre des membres de l’ordre. Puis, des textes plus complets racontaient quelle nourrice avait été placée au service de quel roi. Il était mentionné également comment les choses se passaient. La lecture était longue et fastidieuse, car elle était écrite en langage codé, de manière à ne pouvoir être faite que par un membre de l’ordre.

Dans l’un des livres, Thymiane trouva un fait relaté fort intéressant. Juste après l’avènement du règne d’Uther, avant qu’il ne bannisse la magie, les Chroniques faisaient état d’une Passeuse de Vie qui avait quitté l’ordre. Les raisons demeuraient assez mystérieuses et ce fait semblait unique dans l’histoire. Immédiatement, la nourrice fit part de cette découverte à Guenièvre.

«Que penses-tu qu’elle a pu devenir ? » demanda cette dernière.

« Il y a peu d’informations sur cette femme. Si je recoupe les listes des membres de l’ordre, je crois qu’elle se nomme Vitaline et qu’elle devait avoir aux environs de dix-sept ans lorsqu’elle a quitté les Passeuses de Vie. Il n’y a pas mention de ses raisons mais il me semble me rappeler qu’Arwen m’a parlé d’une femme qui avait quitté l’ordre pour se marier. »

«Les Passeuses de Vie ne pouvaient pas se marier ? »

«En théorie, non. Elles juraient de se donner corps et âme à l’élévation leur roi. Cela impliquait qu’elles ne pouvaient avoir ni mari, ni famille. Rien ne devait entraver leur dévouement.

Personne n’a jamais contrevenu à cette règle. Mais il est arrivé que des nourrices magiques se marient sur le tard, une fois leur roi en place et suffisamment puissant. Je crois possible que cette Vitaline ait quitté l’ordre par amour. Je ne vois en tout cas aucune autre raison. »

«Mais où pourrait-elle être allée ? »

«Je l’ignore. J’ai entendu Arwen dire que les Passeuses de Vie qui étaient bannies de l’ordre ou qui n’avaient pas été mises au service d’un roi étaient envoyées dans les Montagnes Blanches, dans une sorte de monastère. Il est possible que Vitaline y ait trouvé refuge, elle aussi.»

Guenièvre fit les cent pas, réfléchissant.

«De toute manière, c’est la seule piste que nous ayons. »

* * *

Thymiane partit donc pour les Montagnes Blanches. Malgré les supplications de la reine, elle s’y rendit seule, afin de ne pas éveiller la méfiance de Vitaline, si elle la retrouvait.

La nourrice avait appris comment survivre à ce genre de voyage. Arwen l’avait emmenée un jour dans les Montagnes Blanches. Elle avait dit :

«Si un jour il m’arrive malheur, ou que tu échoues dans ta mission, c’est dans le monastère que tu vois là-bas que tu devras te rendre. »

Au loin, sur un autre versant de la montagne couverte de neige, on pouvait voir un grand bâtiment fortifié qui semblait abandonné. La nature avait repris ses droits et des branches tordues montaient le long des tours crénelées, lui donnant l’aspect d’une forteresse faite de ronces. Si on regardait plus attentivement, l’une des fenêtres garnies de vitraux semblait être faiblement éclairée. Mais cela devait être une vue de son imagination, puisqu’aucune des femmes de l’ordre outre Arwen n’avait survécu au châtiment d’Uther. Ensuite, Arwen n’était plus revenue sur le sujet.

Durant plusieurs jours, Thymiane puisa dans les réserves qu’elle avait emportées dans un petit sac qu’elle portait en bandoulière. Son bagage devait être minimal, afin de ne pas gêner sa marche.

Lorsque la nourriture et l’eau furent taries, elle but de la glace fondue et se nourrit de racines qu’elle sortait de sous la neige. Son épais manteau de cuir et de fourrure qui se croisait de chaque côté de sa taille lui tenait lieu non seulement d’habit mais également de couverture. Son bonnet fait des mêmes matières lui servait autant de protection contre le froid que d’oreiller. Lorsqu’elle devait bivouaquer, la nourrice creusait un tunnel sous la neige et s’y couchait, ne laissant comme entrée que quelques trous pour laisser passer l’air. Son entrainement lui avait appris à ralentir son rythme cardiaque pour économiser ses forces autant que possible.

Un jour enfin, le monastère apparut. Et cette fois-ci, dans les faibles lueurs de l’aube, Thymiane fut certaine d’avoir vu de la lumière à l’une des multiples fenêtres.

Le chemin fut encore long et périlleux jusqu’aux portes de la grande bâtisse. Il fallait se frayer un passage parmi les ronces qui encombraient la lourde porte d’entrée cloutée de fer.

Thymiane tenta de secouer la lourde cloche qui se trouvait à côté de la porte. La corde était gelée et la cloche aussi. Ses forces n’étaient plus suffisantes pour essayer de les dégager. Elle ouvrit la porte à l’aide d’une formule.

La nourrice se retrouva dans une vaste cour intérieure carrée. Chacune des parois qui la délimitaient était ouvragée de colonnes et d’arches qui portaient encore par endroits des restes de peintures aux couleurs vives qui représentaient des fleurs et de la vigne. Le sol était jonché de vieilles feuilles et de branchages. Par endroits, les pavés aux couleurs passées étaient descellés. La forteresse comptait deux étages, chacun ouvragé de balcons. Au centre se trouvait une grande fontaine dénuée d’eau. Jadis, cette forteresse avait dû être une réelle œuvre d’art, mais le temps avait fait son œuvre destructrice.

Thymiane se concentra pour percevoir une présence, ou une lumière. Mais bien vite elle sentit les murs vaciller autour d’elle, et ce fut le trou noir.


Belthane  (15.01.2015 à 10:46)

Chapitre V – Igor et Vitaline

Lorsqu’elle ouvrit les yeux, Thymiane dut s’habituer à l’obscurité. La première chose qu’elle vit était une flamme vacillante posée sur une petite table en bois peint à côté d’elle. La nourrice était couchée sur un matelas dur, enveloppée dans des peaux veloutées et des couverture de grosse laine.

Assise un peu plus loin, dans l’obscurité, se trouvait une vieille femme en train de dormir, la tête en arrière et la bouche ouverte. Ses cheveux étaient extrêmement longs, et tous blancs, tressés en couronne plusieurs fois autour de sa tête, mêlés avec des rubans. Sa peau était très ridée mais elle semblait fraîche et pimpante. Elle était vêtue d’un châle de grosses mailles de laine bleue et d’une robe noire délavée sans âge, sur laquelle on pouvait voir quelques restes de broderies aux couleurs passées.

Thymiane bougea ses jambes et elle fit tomber quelque chose par terre avec son pied. Un bruit sourd retentit, amplifié par le silence. Ce devait être un livre, pensa la nourrice.

Instantanément, la vieille femme s’éveilla. Elle s’approcha avec un air très doux et un sourire lumieux.

«Bonjour jeune fille ! Comment te sens-tu ? »

La nourrice observa la vieille femme. Pouvait-elle être Vitaline ? Thymiane répondit :

«Oui, je vais plutôt bien, merci… est-ce à vous que je le dois ? »

La femme eut un rire aussi ridé que son visage.

«Il semblerait ! Tu as fait un tel bruit en trébuchant dans la cour que je n’ai pas pu faire autrement que de venir voir et je t’ai ramenée ici. Enfin, pas moi toute seule, je n’ai plus les mêmes forces qu’autrefois… »

La vielle femme se retourna légèrement.

Thymiane se rendit compte qu’un peu plus loin dans la pièce, un vieil homme se tenait debout près d’une belle cheminée sculptée dont le foyer rougeoyait faiblement.

S’il n’avait porté cette longue barbe, il aurait été très semblable à la femme. Mêmes rides, même expression douce, mêmes cheveux blanchis recouvrant quant à lui ses épaules et tout son dos, presque jusqu’au sol.

La vieille dame reprit :

«C’est Igor qui m’a aidée à te mettre dans le lit. Il m’accompagne depuis de bien longues années. Je me nomme Vitaline.»

Thymiane l’avait donc retrouvée! Pour un peu, elle aurait dansé dans son lit… Si seulement un horrible mal de tête ne meurtrissait pas soudain ses tempes. Tout son visage se contracta.

«Tu as mal à la tête, n’est-ce pas ? C’est l’air humide et froid de cette forteresse : beaucoup de gens ne le supportent pas parce qu’ils n’y sont pas habitués. »

Vitaline se leva. Elle dit encore :

«Repose-toi maintenant, c’est tout ce qu’il te faut. Nous parlerons quand tu te sentiras un peu mieux.»

Elle passa sa main sur le front de Thymiane, qui ressentit immédiatement une sensation de fraîcheur et de soulagement. Puis à nouveau, elle sombra dans la nuit.

* * *

Un rayon de lumière éveilla la nourrice. Elle se sentait bien, étrangement engourdie.

Puis elle pensa à la raison pour laquelle elle se trouvait là et se leva brusquement. Mauvaise idée: la migraine refit son apparition. Pourtant, il fallait faire quelque chose. Seule Vitaline pouvait quelque chose pour elle et ses amis.

Thymiane se leva donc, et sortit de sa chambre. Elle se trouva dans un long couloir qui donnait sur la cour intérieure et qui était intégralement vitré. Plus loin, il y avait une porte entrouverte qui laissait passer un peu de lumière.

Vitaline et Igor étaient attablés. L’odeur d’une soupe fumante et de pain chaud emplissait la pièce et Thymiane se rendit compte qu’elle mourrait de faim. Elle s’approcha en faisant grincer le vieux parquet. La vieille femme leva la tête et lui fit signe de prendre place avec un grand sourire.

Après avoir mangé quelques instants en silence, Igor déclara qu’il fallait qu’il aille chercher du bois pour le feu.

Un fois seule avec Vitaline, Thymiane demanda :

«Vous vivez seuls ici ? Vous entretenez cette immense forteresse ? »

La femme eut le même rire ridé que la première fois. Elle se cala confortablement contre le dossier de sa chaise.

«Non ma chère, nous n’entretenons pas tout. La majeure partie de cette vaste demeure est à l’abandon. Elle abritait jadis un grand nombre de membres de l’ordre des Passeuses de Vie, ainsi que leur époux si elles en avaient un. Il faut dire qu’il y avait beaucoup d’appelées et peu d’élues. En ce temps-là, être nourrice magique était une charge honorifique qui attirait les convoitises. Les dons des familles de jeunes filles qui entraient dans l’ordre permirent de construire ce vaste palais, et de le décorer avec un luxe inouï. Longtemps, cet endroit a résonné de rires et de chants. C’était une sorte de paradis sur terre, préservé de la folie destructrice d’Uther. Puis les nourrices devenues vieilles sont mortes, une par une, et les hommes également. Igor et moi sommes restés seuls. Nous sortons très peu et vivons pour ainsi dire coupés du monde depuis bien des années. »

Elle se tut, se pencha en avant et demanda d’un air sombre :

«Es-tu une Passeuse de Vie ? Je sens notre magie qui émane de toi. »

Thymiane n’aurait su dire si c’était une bonne ou une mauvaise chose aux yeux de sa bienfaitrice.

«Oui, en effet. J’ai été formée par Arwen. »

Les yeux de Vitaline sortirent de façon comique de leur orbite et semblèrent soudain habités par un brasier.

«Arwen? Cette vieille pie est encore de ce monde? Puisse la triple déesse l’emporter dans les profondeurs des abîmes de l’Enfer ! »

Et Vitaline cracha par terre.

Thymiane eut une seconde de surprise puis elle ne put s’empêcher d’éclater de rire devant l’air outré de la vieille dame.

Elle raconta ce qu’elle avait appris auprès d’Arwen, sa détention et son service de Passeuse de Vie auprès de Guenièvre. Puis elle raconta comment Merlin avait tuée la vieille nourrice et comment Thymiane avait malgré tout survécu à la renaissance d’Arthur. Elle termina par la disparition de la patrouille qui accompagnait Gauvain, Morgane et Mordred.

Longtemps, Vitaline se frotta le menton, en proie à une intense réflexion. Puis elle demanda :

«Donc ce Merlin, c’est le fameux Emrys dont parlent toutes les légendes ? »

«C’est lui-même. »

«Incroyable… je ne pensais pas entendre ça de mon vivant ! »

Puis la vieille femme sembla retomber dans la contemplation méditative de son assiette.

Thymiane dit encore :

«J’ai entrepris ce long voyage pour vous demander ce qu’il convenait de faire. J’ai parcouru les anciens livres, les grimoires d’Arwen, je n’ai rien trouvé. »

Vitaline soupira et eut un sourire mauvais.

«Cette pauvre Arwen est venue ici après le châtiment d’Uther. Je l’ai gardée près de moi quelques temps et un jour elle s’est échappée, en prenant avec elle une partie des Chroniques et des livres de médecine. Nous n’étions pas d’accord sur l’avenir de notre ordre. Uther avait détruit la partie active et je trouvais plus sage de demeurer cachées et préservées. J’étais déjà âgée et je ne me sentais pas la force de la vengeance. Mais Arwen était jeune, pleine de passion, et elle n’était pas de mon avis. Elle est donc partie tenter sa chance pour se venger du roi. »

La vieille femme regarda Thymiane.

«Heureusement qu’elle a eu à faire à un cœur plus pur que le sien… »

Vitaline caressa la main de la nourrice avec chaleur. Puis elle se leva avec une remarquable agilité pour son âge.

«Il faut venir avec moi. Il y a encore beaucoup de livres ici qui pourront nous être utiles pour connaître la bonne décision à prendre. »

* * *

Thymiane suivit Vitaline au rez-de-chaussée, dans une salle sombre et poussiéreuse. Lorsqu’elle termina d’allumer les torches, la jeune femme se rendit compte qu’elle se trouvait au cœur d’une vaste bibliothèque.

Vitaline expliqua:

«Voici la bibliothèque des Passeuses de Vie. Ici sont conservés tous les livres concernant notre ordre. Elle contient également une majeure partie de la littérature magique et à part ce qu’Arwen nous a volé», Vitaline cracha par terre, « on peut dire que c’est une des plus riches bibliothèques du genre. Nous devrions pouvoir trouver de quoi t’aider. »

Thymiane parcourut les rayonnages. Créatures magiques, rituels en tous genre, santé, physiologie, pensées philosophiques… De multiples sections comprenaient tous les sujets possibles et imaginables liés à l’univers magique. Tandis que la jeune nourrice parcourait cette inestimable richesse, Vitaline cherchait un livre précis qui pourrait les aider. Au bout de quelques minutes seulement, elle brandit un ouvrage, grimpée sur une échelle :

«Le voilà ! Prend donc place à la table et regardons cela ensemble. »

Thymiane s’assit et observa Vitaline tandis qu’elle sautait souplement en bas de l’échelle. Elle ouvrit le livre et tourna les pages à une vitesse folle, comme si elle semblait savoir exactement quelle partie lui serait utile. La jeune nourrice lui demanda :

«Si nous trouvons une réponse à mon problème, cela veut-il dire que cette question a déjà été posée par le passé?»

«Ma très chère ! Arwen était talentueuse, mais elle était aveuglée par sa destinée comme elle se plaisait à appeler sa lubie! Se venger d’Uther, mais pourquoi faire? Cela allait-il nous ramener toutes nos sœurs perdues?»

La vieille femme leva ses yeux gris vers le ciel. Puis elle tourna une page dans un bruit de papier froissé sans attendre la réponse de Thymiane.

«Eh bien non, cela ne ramènerait personne. Et ça a fini par tuer cette pie, Dieu merci ! »

Reprenant une mine concentrée, Vitaline continua son monologue.

«Arwen n’a pas eu le temps de terminer sa formation. On peut dire, je crois, qu’elle a choisi ce qui pouvait lui être utile et qu’elle a écarté ce qui pouvait lui être néfaste, comme la conscience de faire quelque chose de condamnable et l’apprentissage des cas d’échec. Arwen la Grande ne pouvait pas échouer, évidemment. Elle a donc omis de se renseigner sur ce qui pouvait arriver de mauvais et ce qu’il fallait faire dans ce cas. Mais on ne peut pas décemment être une nourrice magique potable et ignorer la moitié de l’enseignement qui nous est donné! »

Puis la vieille femme montra à Thymiane une page du grimoire.

«Nous y voici ! »

«Alors ? » hasarda la jeune femme.

«Il est dit qu’il faut utiliser à nouveau le parchemin pour rendre la conscience à ceux qui se sont échappés de l’au-delà.»

«Je sais déjà cela. Mais concernant la loi de l’échange de vie ? Que faut-il faire ? »

«Une vie pour une vie… effectivement… alors… regardons cela… »

Vitaline tourna encore quelques pages. Puis elle se concentra sur l’une d’entre elle et dit :

«Il va nous falloir exécuter un rituel afin de rétablir l’équilibre du monde et de faire amende honorable auprès de la triple déesse. C’est un rituel long et difficile, qui nécessitera nos deux pouvoirs, pour le moins. Peut-être aussi celui d’Emrys, si je ne suis plus assez forte. »

Thymiane ouvrit des yeux ronds.

«Mais Vitaline… Merlin, enfin Emrys, est porté disparu avec la patrouille, comme je vous l’ai dit. »

La vieille femme se frappa le front du plat de la main avec un bruit sourd.

«Oui, c’est vrai… ma cervelle ne fonctionne plus très bien, ma chère, et j’avais oublié. Effectivement, il va nous falloir retrouver tout ce petit monde d’abord ! »

Elle sourit et se leva avec grâce: Igor était revenu, couvert de neige et le bout du nez rougi.

Soudain, Thymiane eut la crainte d’avoir aggravé sa situation. Vitaline était charmante et pleine de savoir, mais elle semblait avoir subi quelques dommages liés à son grand âge. Il fallait espérer que cela n’entraverait pas la bonne marche de ce fameux rituel.

* * *

Vitaline et Igor préparèrent leurs bagages, et Thymiane rassembla ses affaires. Aux premières lueurs de l’aube, le lendemain, ils partirent pour Camelot.

Malgré le fait que l’homme et la femme étaient relativement vieux, Thymiane devait concéder qu’ils avaient une longueur d’avance sur elle en terme de survie. Pour dormir, ils se vêtaient d’une sorte de grande cape qu’ils maintenaient fermée et relevée devant eux avec un bâton. Cela formait un genre de tente à l’échelle d’une personne dont Vitaline expliqua qu’elle avait appris la technique dans les déserts d’Orient. Igor chassait et sa femme entretenait le feu. Il nourrissait les chevaux pendant qu’elle faisait la vaisselle. Leur organisation paraissait parfaitement rôdée et ils n’avaient pas besoin d’échanger un seul mot la plupart du temps.

 * * *

Ils mirent plusieurs jours pour atteindre Camelot. La situation y était toujours la même : la patrouille demeurait introuvable malgré les multiples recherches effectuées encore et encore.

Vitaline et Guenièvre fraternisèrent immédiatement. La vieille femme était folle du petit Vivian. Voilà bien des années qu’elle n’avait pas eu de petit enfant à choyer et cela la ramenait avec bonheur à ses jeunes années. Igor eut plus d’affinités avec Perceval, dont il partageait la nature peu expansive.

Léon et Thymiane discutèrent de la suite à donner aux recherches. Toutes les possibilités avaient été évoquées : Léon et la dernière patrouille étaient même retournés au lac d’Avalon et n’y avaient rien trouvé. La nourrice magique finit par dire :

«Je me demande si nous ne prenons pas le problème dans un mauvais sens. Si nous partions du principe que Morgane a finalement recouvré la mémoire… »

Léon réfléchit à son tour à cette hypothèse, horrifié.

«Elle serait retournée là où elle avait établi ses quartiers au temps de la bataille de Camlann : dans son repaire des hautes forêts. »

«C’est possible. Pourrions-nous aller jusque-là ? »

«Bien sûr. Il faut quelques journées de cheval, mais après tous ces jours de recherche, j’imagine qu’un de plus ou de moins ne va pas changer grand-chose. »

Ainsi fut décidé. Vitaline et Igor insistèrent pour être du voyage. Perceval en fut évidemment également.


Belthane  (15.01.2015 à 10:48)

Chapitre VI – Le rituel

La route jusqu’au repaire de Morgane fut couverte en un temps très restreint. La troupe galopa à bride abattue et ne se reposa que lorsque c’était vraiment nécessaire. Plusieurs mois s’étaient écoulés, et chacun craignait ce qui allait se passer.

Arrivés en vue de l’endroit, Thymiane remarqua qu’on semblait faire du feu. De la fumée s’élevait en effet de la plus haute des tours. Deux hommes étaient postés devant l’entrée.

«Elle a reconstitué une armée ! » s’exclama Léon, au comble de la surprise.

«Peut-être que non» objecta Perceval. «Elle peut très bien avoir quelques hommes pour assurer sa sécurité, rien de plus.»

Thymiane était d’accord pour dire qu’on ne pouvait être certain des souvenirs exacts de Morgane. Mordred avait peut-être également retrouvé sa mémoire, même s’il en semblait moins près. Il était aussi possible que la troupe ait été faite prisonnière par une tierce personne: un marchand d’esclaves, par exemple, qui aurait établi ses quartiers ici, caché des regards.

La prudence restait de mise dans tous les cas de figure. Un attaque frontale comme le suggérait Perceval semblait dangereuse, au vu du fait qu’on ignorait ce qu’on allait trouver à l’intérieur. Léon proposa de chercher une autre entrée de la forteresse, un passage dérobé comme il en existait souvent dans ce genre de construction. La majorité était de son avis et on se mit au travail.

Après un temps de recherche alentour, Igor trouva un passage secret dont il fallut ôter les éboulis. De toute évidence, Morgane – si c’était elle – n’était pas installée là depuis longtemps, ou du moins elle n’avait pas cru bon de remettre la forteresse en état. Léon ouvrit la marche, suivi de Thymiane, Vitaline et Igor. Perceval restait en arrière, pour s’assurer qu’ils n’étaient pas suivis.

Ils empruntèrent plusieurs escaliers et arrivèrent sur un balcon qui surplombait une vaste salle. Sans grande surprise, Morgane était assise sur le trône, entourée de deux soldats à la mine patibulaire et à l’attirail désordonné.

A genoux, alignée devant elle, la patrouille recherchée depuis des mois. Merlin, Gaïus, Gauvain, Arthur et les chevaliers étaient attachés aux poignets. Morded, à genoux avec eux, n’était pas attaché, mais semblait partager leur infortune.

Thymiane et ses amis se mirent à couvert derrière la balustrade ouvragée et observèrent la scène.

Morgane s’adressait au druide d’une voix dure.

«Mon cher Mordred, ne vous souvenez-vous pas? La grande bataille de Camlann… nous étions à si peu de mettre Camelot à genoux! Vous avez tué Arthur !»

Le druide restait impassible, quoiqu’un agacement certain se manifestait dans le ton de sa voix.

«Je ne vois pas de quoi vous parlez, Madame. Je vous en prie, cessez donc de vous donner en spectacle comme cela. »

La sorcière arpentait l’estrade du trône de long en large, devant les prisonniers.

Soudain, Gaïus s’effondra face contre terre. Merlin s’approcha de lui, les mains liées.

«Gaïus, m’entendez-vous ? »

Le médecin ne bougea pas. Merlin se mit à crier.

«Ne voyez-vous pas qu’il est vieux et qu’il ne peut pas survivre à un traitement pareil? »

Morgane s’approcha du magicien et prit tendrement sa tête entre ses mains.

«Mon promis, ne vous souciez pas de cela ! Je vous ferai monter sur mon trône. Nous régnerons ensemble ! »

Merlin se dégagea avec fureur.

«Je ne serai jamais votre roi ! Vous vous trompez, je vous assure ! »

Morgane se leva, le regard plein de feu.

«Ecoutez-moi tous, autant que vous êtes. Je suis la reine légitime de Camelot, et Merlin est mon roi. Avec l’aide de notre ami Mordred, qui a comme nous des pouvoirs magiques, nous avons mené une guerre contre Camelot et nous avons failli gagner, puisque Arthur a été vaincu. Il est temps de reprendre ce qui nous revient de droit.»

Elle s’arrêta un instant, et reprit avec fureur.

«Mais voici que cette femme, Thymiane, a ramené mon frère à la vie et a fait échouer tous nos plans!»

Morgane commençait donc à avoir des souvenirs plus clairs, mais pas très précis. Thymiane ne put s’empêcher de sourire lorsque la sorcière déclara Merlin comme son promis… cela devait lui être très désagréable.

Une pierre se détacha soudain de leur balcon et Morgane leva la tête.

Elle vit la longue chevelure blanche d’Igor et hurla :

«Emrys ! Tu ne m’auras pas cette fois ! »

Elle lança ses mains en avant et le vieil homme fut projeté avec une violence inouïe contre le fond de la galerie avant que quiconque ait pu réagir.

Vitaline se précipita près de lui, et ne put que constater qu’il était mort. Elle se releva lentement et s’approcha de la balustrade cassée du balcon.

D’une voix forte et tremblante, elle dit :

«Morgane Pendragon ! Vous ne valez pas mieux que votre idiot de père! Puissiez-vous être maudite!»

Puis à son tour, Vitaline leva les bras et projeta Morgane en arrière. Cette dernière retomba lourdement sur le bord de l’estrade de son trône, la tête la première.

D’un bond, la vieille femme sauta du balcon, et en un instant, elle fut près de la sorcière. Elle leva la main, puis la resserra comme si elle voulait attraper quelque chose d’invisible. Morgane eut un sursaut, puis elle mourut.

Tous les autres étaient restés saisis. Durant de longues minutes, on n’entendit plus que les sanglots de Vitaline.

Puis Arthur se leva avec peine et lui dit :

«Madame, j’ignore votre nom, mais je suis désolé de ce qui vient d’arriver. »

La vieille femme murmura :

«Je devrais être maudite… jamais une nourrice magique ne doit perdre son sang-froid, nous sommes entraînées à cela. »

Arthur ouvrit de grands yeux surpris.

«Vous êtes une nourrice magique ? Mais je croyais que Thymiane était la dernière ! »

Thymiane arriva près d’eux.

«Je ne suis pas la dernière, comme nous le pensions. J’ai entrepris un long voyage pour retrouver Vitaline, qui a quitté l’ordre peu avant qu’il soit détruit par votre père. Elle vivait dans les Montagnes Blanches avec son époux Igor, que Morgane vient de tuer. »

Arthur regarda la vieille femme avec une immense compassion.

Léon et Perceval entreprirent de détacher les prisonniers. Immédiatement, Merlin tenta de guérir Gaïus.

Malheureusement, il était trop tard.

Le magicien pleura sans honte sur la dépouille de son ami. Arthur posa sa main sur son épaule et l’assura de sa sympathie.

«Le royaume doit beaucoup à Gaïus. Sa science était grande et ses conseils toujours avisés. »

Il fit signe à Léon et Perceval de prendre le corps. Ils le firent, avec un infini respect.

Sur le chemin du retour, Merlin porta le corps du médecin sur son propre cheval. Ses larmes étaient taries et ses yeux étaient lourdement cernés. On le laissa à sa tristesse.

«Il faut lui laisser faire son deuil » dit Léon. 

«Avec Gaïus, c’est toute une époque de sa vie qui s’en va» ajouta Perceval.

Vitaline chevauchait devant, en silence, non loin de Merlin. Elle avait fait ensevelir Igor aux abords de la forteresse.

«Ici ou ailleurs, cela est égal maintenant», avait-elle dit.

Ensuite venaient Arthur et Thymiane qui allaient à la même vitesse. La marche était bouclée par Perceval et Gauvain, puis Léon et Mordred.

La nourrice magique demanda au roi :

«Que s’est-il donc passé après que nous vous ayons quittés? Nous vous avons cherché sans succès durant de longues semaines.»

Arthur baissa la tête.

«Très honnêtement, Thymiane, je ne saurais vous le dire. Après votre départ, nous avons poursuivi notre route, puis nous avons installé le camp pour une dernière nuit avant d’arriver à Camelot. Ensuite, aucun de nous ne se rappelle plus de rien. Nous nous sommes réveillés tous ensemble dans une vaste cellule de la forteresse. Puis Morgane a commencé à nous interroger, un par un, puis ensemble, durant des jours et des jours. Nous avons eu très peu de nourriture et d’eau, et le pauvre Gaïus n’y a pas survécu. »

Thymiane regarda devant elle Merlin qui cheminait avec le corps de son ami. Il avait les épaules voûtés, et les bras ballants de ceux qui ne savent comment surmonter une peine immense.

«Et vous alors ? » demanda Arthur.

Thymiane raconta ses recherches dans les livres d’Arwen et sa décision de se lancer à la poursuite de la dernière nourrice magique. Ensuite, elle avait eu l’idée de venir ici, guidée par l’idée que Morgane se souvenait toujours un peu plus de sa vie, ce qui pouvait l’avoir conduite à reprendre sa forteresse d’autrefois.

«Vous avez eu une excellente intuition, et nous vous devons la vie. Je vous remercie. »

Thymiane se crut obligée de dire :

«Nous avons trouvé le moyen de rendre la conscience à Gauvain et Mordred sans procéder à l’échange de vies, puisque cela n’est plus possible. Vitaline connaît un rituel qui nous permettra de remettre les choses dans l’ordre. »

Cette dernière chevauchait toujours régulièrement, la tête droite. Thymiane loua intérieurement son courage et sa force. Pourtant, si elle avait pu être à ses côté, elle aurait vu le torrent de larmes qui inondait son visage.

* * *

Guenièvre fut folle de joie de retrouver Arthur et tous ses amis. Elle demeura incrédule face à Gauvain qui la regardait avec un air vide et triste. Mordred demeurait impassible et méfiant, mais il ne semblait pas vouloir prendre le pouvoir sur quoi ou qui que ce soit.

Les funérailles de Gaïus furent célébrées par toute la cité. Pâle et grave, Vitaline demeura impassible la plupart du temps, comme perdue dans ses pensées, ne parlant que si on lui adressait la parole. Guenièvre et Vivan eurent de la peine à la reconnaître.

Merlin également demeurait silencieux, ce qui inquiétait grandement Arthur.

Au soir de la cérémonie, il le convoqua dans la salle du trône.

Ils étaient seuls, le roi ayant demandé à toute la cour de sortir, gardes compris, en ajoutant qu’on ne les dérange sous aucun prétexte.

Le magicien demeurait debout devant Arthur assis sur son trône. Durant de longues minutes, ils se regardèrent sans rien dire. Puis le roi prit la parole :

«Merlin, voilà déjà longtemps que je souhaite te parler, mais les évènements de ces derniers mois ne nous ont guère laissé le temps de le faire.»

Le magicien acquiesça d’un signe de tête, à la fois curieux et anxieux de ce qui demandait tant de cérémonie. Arthur reprit :

«Lorsque nous avons atteint le lac d’Avalon, je t’ai dit que je souhaitais que tu ne changes pas. »

Il sembla mesurer la portée de ses mots.

«Je le pense toujours. Malgré tout ce qui a amené mon père à interdire la magie, j’ai compris qu’elle est un art difficile à manier, et qui exacerbe les qualités et les défauts de chacun, conduisant ainsi à des comportements souvent répréhensibles. »

Il se leva et fit face à Merlin.

«Ma sœur, par exemple, a été rongée par la haine et la rancœur face à notre père. Cela s’est ressenti dans sa magie destructrice. »

Arthur s’arrêta encore, comme s’il désirait laisser le temps à son ami de bien s’imprégner de ses paroles.

«Après la mort de mon père, je me suis reposé sur de nombreuses personnes. J’ai été trahi par Agravain, puis par Guenièvre, et par ma propre sœur. Mon père, quant à lui, n’a manifesté que dégoût envers la politique d’ouverture que j’ai toujours délibérément voulu mener. »

Il sourit, les yeux embués. Merlin sentait une boule d’émotion se former dans sa gorge.

«Mais toi, Merlin, tu es toujours resté présent, coûte que coûte, à chaque instant, quelles que soient mes actions, confiant dans mes capacités. Si j’ai pris le fait que tu me caches ton don comme une trahison de plus au début, j’ai compris qu’il y avait là encore plus d’abnégation: jamais tu n’as cherché ni l’honneur, ni la reconnaissance. Tu m’as d’ailleurs sciemment laissé endosser la gloire de bien des actions dont le mérite te revenait. »

Le regard du roi s’assombrit.

«Je t’ai souvent maltraité, plus par maladresse et par bêtise que par réelle méchanceté. Et je crois que tu sais au plus profond de toi que tu as toujours été mon meilleur ami. »

Une larme coula sur la joue de Merlin sans qu’il puisse la retenir. D’une voix un peu plus enrouée, Arthur poursuivit:

«Après toutes les choses que tu as faites pour moi, tu m’as prouvé ta valeur et ton amitié. Je désire plus que tout que tu demeures ici et que tu sois mon conseiller. »

Le magicien resta quelques instants interdit. Il ne put qu’articuler maladroitement :

«Mais Majesté… jamais je n’ai cherché… encore aujourd’hui je… »

Arthur lui administra une tape à l’arrière du crâne en grimaçant.

«Merlin, je sais bien que tu n’as jamais cherché la reconnaissance. Ce n’est pas pour te flatter que je t’offre cette responsabilité! Plutôt parce que je sais qu’une seule personne ne me trahira jamais. Et cette personne, c’est toi.»

Le magicien ne sut que dire. Il regardait son roi comme on regarde un cadeau longtemps désiré mais jamais encore offert. Arthur s’impatienta :

«Alors, c’est oui ou est-ce que je dois te mettre au pilori pour te faire réfléchir ? »

Merlin ne put s’empêcher de rire.

«Bien sûr que j’accepte. Je serai toujours là pour vous, vous le savez bien. »

Arthur et Merlin se donnèrent une accolade fraternelle.

* * *

Au lendemain de la nomination de Merlin, Thymiane et Vitaline décidèrent qu’il était temps de procéder à la restitution de la conscience de Gauvain et Mordred. Il fallait également sacrifier au rituel visant à réparer le voile et les malheurs qui en avaient découlé.

Elles se mirent en route, avec Gauvain, Mordred et Merlin. Arthur hésita à faire partie du voyage, et Guenièvre le supplia de n’en rien faire. Par deux fois déjà, elle avait failli le perdre définitivement, et c’en était assez comme cela. Par ailleurs, le petit Vivian grandissait et il fallait qu’il connaisse son père. Le roi se rangea donc à l’avis de la reine, avec regret. Léon et Perceval furent également mis à contribution, car aucun autre chevalier n’avait comme eux connaissance de la situation.

Une fois le groupe prêt au départ dans la cour du château, Arthur s’approcha de Merlin.

«Fais attention à toi… je ne voudrais pas perdre mon conseiller si peu de temps après l’avoir nommé!»

Merlin sourit, et promit de faire attention.

* * *

Une fois au lac d’Avalon, Thymiane fit s’agenouiller Gauvain et Mordred côte à côte. Elle déroula le précieux parchemin qu’elle avait utilisé pour Arthur, et prononça à nouveau la phrase magique.

Gauvain et Mordred eurent un mouvement de surprise, puis se regardèrent.

Merlin vint à leurs côtés et dit :

«Venez donc avec moi, je vais vous expliquer ce qu'il se passe. Les deux femmes que vous voyez là ont encore des choses à faire. »

Mordred acquiesça d’un signe de la tête et Gauvain siffla entre ses dents.

«D’accord… mais après il faudra me présenter la jolie petite blonde ! »

Thymiane rougit et Merlin sourit, heureux de retrouver le Gauvain d’autrefois.

Vitaline et Thymiane se mirent au travail, afin d’exécuter le rituel selon la description du livre. Il était long et nécessitait beaucoup de concentration. Merlin, Gauvain et Mordred se retirèrent au campement installé un peu plus loin sous les arbres, où les attendaient Perceval et Léon.

Les deux chevaliers donnèrent l’accolade à Gauvain, qui leur demanda si au moins ils n’avaient pas vidé tous les tonneaux d’hydromel du royaume en son absence. Parce qu’il avait une sacrée soif! Pendant qu’il buvait, et mangeait, Léon et Perceval lui racontèrent leur formidable épopée.

De temps à autre, leurs rires sonores venaient ponctuer les psalmodies de Thymiane et Vitaline.

Merlin resta seul avec Mordred. Ils s’assirent un peu à l’écart du foyer, où se tenaient les chevaliers.

Le premier, le druide rompit le silence.

«Je comprends pourquoi tu étais si méfiant à mon égard, Merlin. Tu savais que j’allais trahir le roi, n’est-ce pas ? »

Merlin baissa les yeux.

«Kilgharrah me l’avait annoncé, dès ta première incursion à Camelot, alors que tu n’étais qu’un enfant. Je n’avais pas voulu le croire. Et lorsque tu es réapparu, quand Morgane cherchait la Diamère, j’ai compris que le danger était bien réel, même si j’aurais vraiment souhaité du fond du cœur que nous soyons amis. »

Mordred resta quelques instants pensif.

«Pourquoi m’as-tu redonné la conscience ? Il t’aurait suffi de me laisser ignorant et tu aurais rendu la situation bien plus simple pour toi et pour Arthur. »

«C’est vrai. Mais autant Arthur que Thymiane étaient d’accord avec moi sur le fait que laisser une personne sans conscience n’est pas humain, et cela quelle que soit cette personne… ou ce qu’elle a fait. »

A l’évocation de sa trahison, le druide sembla mal à l’aise.

«Tu sais bien que si Arthur n’avait pas tué Kara, jamais je ne l’aurait trahi. »

Merlin regarda Mordred dans les yeux.

«Je le sais, c’est pour cela que j’ai tenté de raisonner Arthur plusieurs fois. »

Les deux hommes restèrent un moment sans parler, puis Merlin reprit :

«Qu’est-ce que tu vas faire maintenant ? »

Mordred regarda devant lui, les yeux fixes.

«J’imagine qu’Arthur va me faire exécuter pour haute trahison. »

Merlin répondit :

«Je ne crois pas. Parle-lui, et expliquez-vous franchement. Il est possible que tout ce qui c’est passé ces derniers temps ait changé sa vision des choses… »

Merlin se leva, et rejoignit les chevaliers. Mordred resta sciemment à l’écart, de crainte de la réaction de ses anciens amis.

Les hommes préparèrent leurs affaires pour la nuit, et Gauvain prit le premier tour de garde. Perceval et Léon protestèrent d’abord, mais le chevalier leur dit :

«J’ai été comme endormi durant toutes ces dernières semaines. Laissez-moi donc profiter de ma belle conscience toute neuve!»

Un sourire se dessina sur son visage tandis que son regard se fixait sur Thymiane.

Merlin sourit. Gauvain resterait toujours Gauvain.

Longtemps encore, on entendit résonner dans la nuit les étranges paroles des deux nourrices magiques. Merlin s’endormit en les écoutant, heureux.

 

* * *

 

Aux premières lueurs du jour, le rituel fut achevé. Vitaline s’enroula dans sa pelisse de fourrure pour dormir et Thymiane demeura assise au bord de l’eau, à contempler le soleil se lever.

Gauvain s’assit près d’elle.

«Les messires qui ronflent là-bas m’ont dit que je vous dois ma seconde vie. Alors… merci. »

Thymiane sourit.

«Seriez-vous aussi doucereux si j’étais un homme ? »

Gauvain sourit à son tour.

«Je vois que la dame est une coriace à qui on ne la fait pas. »
«Malheureusement non, messire. Vous avez peu de chances avec moi. »

«Pourquoi cela ? Je suis un chevalier au physique avantageux en pleine possession de ses moyens… »

Thymiane le regarda franchement.

«Mon cher Gauvain… nous sommes aussi différents que l’eau et l’huile ou le jour et la nuit. Vous ne seriez pas heureux avec moi, et il en serait de même pour moi. Nous ne pouvons pas nous comprendre.»

Gauvain eut un air pensif.

«C’est possible. Je vis pour le danger et les jolies dames… je ne saurais vous rendre justice. Mais vous pouvez compter sur mon éternelle amitié. »

Thymiane sourit et Gauvain sourit également en retour.

Derrière eux, on entendit un froissement de couvertures. Le camp se réveillait doucement.

Dans la journée, la troupe reprit le chemin de Camelot. Vitaline avait l’air exténuée. Thymiane l’était également, mais elle ressentait une sorte de satisfaction du devoir accompli et de paix intérieure.

La paix intérieure, ce ne fut pas ce qui inondait Mordred. Il demeura d’humeur sombre tout le long du chemin, se demandant quel sort allait lui être réservé. Plusieurs fois, il s’en fallut de peu pour qu’il ne quitte le convoi, mais il resta, soucieux de s’expliquer avec le roi.

Gauvain emplit l’air de ses bavardages habituels. Léon et Perceval le rabrouèrent amicalement plusieurs fois, ce qui le faisait pester de plus belle. Il n’y avait rien de plus beau que des amis qui se retrouvent, pensa Merlin.

Il s’avança à la hauteur de Thymiane.

«Alors, ce rituel ? »

Elle sourit.

«Secret de Passeuse de Vie, mon cher. »

La jeune femme lui fit un clin d’œil. Elle reprit :

«Disons qu’il suffisait simplement de faire amende honorable et de promettre à la triple déesse de ne plus la mécontenter, afin qu’elle nous accorde la grâce de remettre le monde en ordre. »

Merlin écarquilla les yeux.

«Et… c’est tout ?! »

«Merlin… on ne s’amende pas auprès de la triple déesse en lui demandant simplement pardon comme on le ferait lorsqu’on renverse son verre de vin sur la chemise du roi ! »

Le magicien rit. C’était vrai… lorsqu’on tachait la chemise du roi, on la remettait en état par la magie sans qu’il s’en rende compte.

* * *

Arrivé au palais, Mordred regagna ses anciens appartements. Au soir de leur retour, Arthur vint l’y trouver, en toute simplicité. Le druide fit amende honorable.

«Majesté, je vous ai trahi, et je ne saurai mériter à nouveau votre confiance. Mais si vous n’aviez pas tué celle que j’aimais, je ne vous aurais jamais abandonné.»

«Mordred, tu m’as bien souvent sauvé la vie, et si j’avais écouté Merlin comme il aurait fallu le faire, les choses auraient été fort différentes. »

Le jeune homme, surpris par ce discours, leva ses grands yeux bleus et regarda son roi.

«Cependant, tu comprends également que je ne peux pas te réintégrer en tant que chevalier. »

Mordred acquiesça.

«Je te propose donc la chose suivante : je te laisse la vie sauve, mais tu dois me promettre de ne plus revenir à Camelot. »

Le druide promit et remercia le roi de sa clémence. Au lever du jour, il se mit en chemin et retrouva les druides cachés dans la forêt d’Ascétyr. Il demeura parmi eux et on n’entendit plus parler de lui.

Arthur fut très heureux de revoir Gauvain avec son caractère habituel. Il l’emmena à la taverne, avec Léon, Perceval et Merlin. Il offrit à tous une tournée royale. Ils burent et rirent jusqu’aux premières lueurs de l’aube. Rien n’était plus précieux que les amis, songea le roi. Il fut heureux qu’une seconde vie lui ait été donnée pour l’apprécier.

Vitaline mit du temps à se remettre. Elle demeurait toujours anéantie par la mort d’Igor, et le rituel du lac lui avait coûté beaucoup de forces qu’elle peinait à retrouver.

Guenièvre s’occupa d’elle comme une fille l’aurait fait pour sa mère. La vieille nourrice ne semblait retrouver un peu de gaieté que lorsque le petit Vivian était auprès d’elle. Le couple royal ne tarda pas à lui demander de prendre la suite de Gaïus. D’abord, elle refusa, arguant qu’elle était trop vieille pour devenir médecin de la cour. Puis elle se ravisa. La raison de son changement était simple: elle souhaitait apprendre ce qu’elle savait à Thymiane avant que la mort veuille bien lui permettre de retrouver son amour perdu. Cette dernière avait repris ses fonctions de nourrice magique avec grand plaisir. Néanmoins, Vitaline savait que plus le temps passerait, moins Vivian aurait besoin de sa surveillance constante. Elle pourrait donc assurer également la fonction de médecin de la cour, avec l’aide de Merlin, si Arthur voulait bien le laisser en paix de temps à autre. Ces deux-là étaient encore plus inséparables qu’avant, surtout depuis que plus aucun secret n’était entre eux.

C’est ainsi que Thymiane et Vitaline prirent possession du laboratoire de Gaïus, en y apportant quelques modifications. Lorsque le roi et la reine vinrent prendre des nouvelles de leur installation, ils eurent peine à reconnaître l’endroit.

Vitaline leur fit personnellement faire le tour des lieux, très fière. Sa nouvelle tâche auprès de sa jeune disciple semblait lui avoir redonné vie.

Lorsqu’on entrait dans le laboratoire, on arrivait d’abord devant une table garnie de chaises et de lampes orientales aux multiples reflets. Là, Vitaline aimait à parler avec ses patients, ou avec quiconque demandait son aide. Après un paravent ouvragé qui fermait l’espace, se trouvait la table d’auscultation.

La bibliothèque avait été agrandie des ouvrages qu’un détachement spécial de chevaliers avait ramenés de la forteresse des Montagnes Blanches. Comme il n’y avait plus de place pour les remèdes et les ingrédients des potions, la chambre de Merlin avait été reconvertie en officine.

Merlin était maintenant locataire de très beaux appartements jouxtant ceux d’Arthur et de Guenièvre, qui communiquaient entre eux par une porte dérobée. De fait, le roi était encore plus présent auprès de lui qu’il ne l’avait jamais été, franchissant la porte – sans frapper – pour demander conseil à son ami sur presque tout. Merlin, comme à son habitude, ne manquait jamais de le donner, même s’il était désagréable.

Comme le laboratoire ne permettait plus d’y vivre, Guenièvre avait demandé à ce qu’on refasse à neuf deux chambres de l’aile attenante à la tour. Après avoir fait visiter leur cabinet au couple royal, Thymiane et Vitaline eurent la surprise de visiter leurs propres appartements.

Celui de Vitaline avait été décoré selon la mode nomade qui lui était chère, et Guenièvre avait envoyé des acheteurs par tout le pays afin de trouver le mobilier et les tapis orientaux que la vieille nourrice affectionnait.

La chambre de Thymiane était très peu ornementée. Gênée, Guenièvre justifia l’absence de luxe par le fait qu’elle ignorait ce qu’aimait la nourrice. La jeune femme remercia chaleureusement la reine, et estima qu’elle pouvait très bien se charger de cette tache elle-même. La majeure partie de sa vie s’était passée dans une grotte presque sans lumière, et elle-même n’aurait su dire ce qu’elle aimait. Cela restait une chose à découvrir. Rassérénée, la reine eut un large sourire.

Une fois chacune et chacun installé et ayant trouvé ses marques, Arthur fit donner un grand banquet. Cela coïncida avec l’anniversaire de la première année de Vivian. Les réjouissances durèrent jusque fort tard dans la nuit.

Gauvain avait trouvé une nouvelle conquête qui n’avait d’yeux que pour lui.

Perceval et Léon débattaient des nouvelles épées qu’un marchand avait fournies au roi. Léon les estimait trop lourdes en combat rapproché et Perceval les trouvait au contraire trop légères.

Merlin parlait avec Thymiane d’un patient de sa connaissance qu’elle traitait, et dont il voulait savoir l’évolution de la maladie.

Vitaline demeurait seule, le sourire aux lèvres, les yeux dans le vague. Puis après quelques instants, elle se leva, et vint présenter ses respects au couple royal, après avoir salué toutes les personnes encore présentes.

«Je vais aller rejoindre mes appartements» dit-elle, «je n’ai plus la santé et la fougue de mon jeune temps.»

Elle sourit et Guenièvre lui sourit en retour. Personne n’ignorait que bientôt la vieille nourrice allait s’éteindre, comme une bougie qui s’étiole. Elle rejoidrait alors son Igor, qui occupait ses pensées la plupart du temps.

Arthur regardait ses amis, Léon et Perceval, Gauvain et sa conquête, Merlin et Thymiane. Ils semblaient tous heureux, absorbés par leur bonheur et leurs discussions.

Il se tourna vers Guenièvre qu’il tint par les épaules et lui dit :

«La nourrice magique avait raison. Le temps des larmes est terminé. Trinquons. »

FIN


Belthane  (15.01.2015 à 10:53)

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