HypnoFanfics

Interdit aux moins de 16 ans

Le Prince & L'Idiot

Série : Merlin (2008)
Création : 14.07.2015 à 16h54
Auteur : Listelia 
Statut : Terminée

« Ce jour-là au marché, Arthur se contente de faire ce qui lui semble juste. Il n'a aucune idée à quel point ce simple acte de bonté, un peu bourru, va changer sa vie et celle de tout un peuple... » Listelia 

COMMENTER CETTE FANFIC

Cette fanfic compte déjà 39 paragraphes

Afficher la fanfic

Basé sur les épisodes 5x03, 4x02, 4x05, 2x11, 4x13, 3x02

 

30

ETRANGERS DE LA MÊME FAMILLE

 

 

Lorsque les premiers narcisses ouvrent leurs corolles jaunes comme des lucioles sur la terre noire, un carrosse fait route vers Camelot à travers la plaine, tandis que les serviteurs aèrent les chambres des invités et suspendent de riches tapisseries sur les murs de pierre. Albion fait des bouquets avec Merlin et les installe sur les tables, pépiant joyeusement à l'idée de rencontrer sa tante qu'elle n'a jamais vue.

Le serviteur est étrangement silencieux. Il a surpris hier une dispute entre Guenièvre et Arthur et, s'il n'a pas compris pourquoi le roi était aussi furieux, il en a suffisamment entendu pour savoir qu'il s'agit de quelque chose que la reine avait gardé secret dans l'espoir d'éviter à son mari d'être blessé.

Les clairons annoncent que les invités sont en vue et tout le monde se rassemble dans la cour.

En haut des grands escaliers blancs, Guenièvre, vêtue d'une longue toilette de satin cassis et coiffée d'un diadème qui retient en arrière son voile, baisse les yeux à côté d'Arthur. Le roi a revêtu son armure et sa cape d'apparat. Ses yeux bleus sont orageux, ses sourcils froncés et ses lèvres pincées comme lorsqu'il bouillonne de colère intérieure. Albion se tient entre eux, ses cheveux d'un blond sablonneux tressés soigneusement, frémissante d'excitation. Elle porte une robe rose tulipe assortie à l'éclat de ses joues et à sa petite bouche, avec une collerette gris perle et des manches bouffantes ornées de crevés, comme c'est la mode en ce moment.

Merlin et les chevaliers se tiennent en rang d'honneur sur les marches, attendant nerveusement l'arrivée de Morgane dont ils se souviennent du départ misérable dans une charrette. La jeune fille qui oscillait avec un air de folie, marmonnant des malédictions et sanglotant sous une crinière embroussaillée de cheveux noirs, sera-t-elle redevenue la princesse aux yeux remplis de rêves d'aventure qui a grandi aux côtés d'Arthur ?

Le carrosse se range dans un clapotis de sabots et de roues cerclées de fer.

Arthur se redresse en respirant profondément et s'efforce de plaquer un sourire contrit sur son visage. Personne ne sait pourquoi, quelques jours avant le retour de sa sœur, il a soudainement perdu son enthousiasme et personne ne redoute cette confrontation plus que Merlin, qui se souvient parfaitement du regard d'accusation qu'il a croisé juste avant de dévaler l'escalier et de perdre connaissance.

Il n'y a que deux endroits que le jeune homme évite à tout prix dans le château : le bureau de l'intendant où il a affronté Morgause et découvert que Morgane les avait tous trahis, et le couloir sous l'étage de la nurserie dont la seule pensée lui donne la nausée.

Certains souvenirs ne devraient pas être remués.

Le fait qu'Arthur - qui lui a promis que ce retour serait l'occasion de se réconcilier et de repartir à zéro - soit devenu brusquement si sombre n'est pas pour le rassurer et le serviteur ne cesse de jeter des coups d'œil en direction de son maître qui regarde fixement le carrosse.

Un laquais ouvre la portière et place un petit marchepied sur le sol.

Le premier à descendre de voiture est un homme d'une cinquantaine d'années, vêtu d'un plastron de cuir foncé, aux cheveux noirs plaqués en arrière et aux sourcils réguliers. Il a un port de tête royal, un visage aux mâchoires assez larges, des favoris à peine grisonnants et des yeux sombres très expressifs. Les coins de sa bouche aux lèvres fines se relèvent avec une sorte d'ironie, tandis qu'il rabat sa cape de lin bistre sur son épaule.

- Bienvenue, mon oncle, le salue Arthur.

- Nous sommes honorés par votre invitation, Votre Majesté, répond Lord Agravaine en s'inclinant brièvement, avant de se tourner vers le carrosse pour tendre la main à la personne qui en sort.

Le roi retient son souffle, Albion ouvre la bouche en o, Guenièvre relève la tête, les yeux humides.

Une traine de velours émeraude glisse sur les pavés, la lumière printanière caresse le teint d'albâtre du visage triangulaire et des épaules nues. De longues boucles dignes du plumage d'un corbeau cascadent librement jusqu'aux hanches sur lesquelles se croisent des anneaux d'or et les yeux de perle de Morgane se lèvent sous l'aile de ses cils.

Dix ans après, la jolie jeune fille audacieuse est devenue une femme dont la beauté a quelque chose de glacial.

Elle sourit et fait la révérence, levant haut son menton délicat.

- Mon frère.

- Morgane, souffle Arthur, envahi par un tourbillon de sentiments contradictoires et de souvenirs déchirants.

Albion regarde tour à tour ses parents pétrifiés, sans comprendre, puis fait un pas en avant.

Guenièvre la retient en lui posant une main sur l'épaule.

- Oh, dit Merlin, les yeux fixés sur le carrosse.

Les chevaliers suivent son regard et se figent eux aussi.

Les lèvres peintes en rouge de Morgane se plient en un sourire qui se veut sarcastique, mais qui ne parvient pas à cacher un mélange de douleur et de fierté.

Albion penche la tête de côté, étonnée.

- C'est qui ? demande-t-elle en pointant du doigt le garçon de neuf ou dix ans qui vient de sauter à terre et se tient debout à côté de la jeune femme.

Sous un casque de cheveux noirs, deux yeux bleus étrangement limpides sertis dans un visage à la peau très pâle défient la cour.

- Voici mon fils, Mordred, dit Morgane d'une voix très calme.

Un murmure ébranle les nobles rassemblés derrière les chevaliers qui se troublent malgré leurs efforts pour rester stoïques.

Arthur cille à peine et Merlin comprend soudain la raison de sa dispute avec Guenièvre.

La reine a dû le prévenir. Elle savait forcément que l'enfant existait, elle a dû le voir quand elle est allée passer trois mois au château du bord de mer après la mort de Lancelot.

Dans l'embrasure de la porte, derrière tout le monde, Gaius ferme les yeux.

Il sait.

Il est le seul à qui le roi en a parlé après avoir appris cette nouvelle accablante et en souffre presque autant que le jeune souverain.

C'est une chose de ramener Morgane à Camelot, mais comment faire face au bâtard qui l'accompagne ?

La honte est sur la famille des Pendragon et le vieil homme pleure intérieurement sur la déchéance de celle qu'il aimait comme sa propre fille.

L'enfant n'a pas de père. Un vagabond charismatique, un beau parleur pratiquant la sorcellerie, aurait séduit la princesse exilée et causé ce malheur, d'après Lord Agravaine. Le séducteur s'appelait Alvarr et l'oncle d'Arthur l'a fait exécuter pour contrebande et agitation des foules, avant même de savoir que l'homme rencontrait Morgane en cachette sur la plage.

Guenièvre a supplié son mari d'imaginer la solitude de sa sœur, ce qu'elle a pu ressentir en rencontrant quelqu'un qui semblait la comprendre, la crédulité et la vulnérabilité de la jeune fille, l'horreur de celle-ci en apprenant la mort d'Alvarr, mais Arthur n'a retenu qu'un chose de son récit : pendant toutes ces années, Guenièvre savait et elle n'a rien dit.

La reine se refuse à demander pardon pour cela. Pendant les trois mois passés sur les rivages de Meredor, elle n'a pas réussi à renouer avec Morgane qui était comme une sœur pour elle, à retrouver leur amitié, la complicité partagée pendant des années à grandir ensemble, à toucher le cœur de la femme perdue dans ses amers souvenirs. Elle s'est sentie inutile et vide. Mais elle a vu le farouche amour de Morgane pour son fils et a pris la résolution de les protéger, de garder leur secret.

Et quand le roi lui a fait part de sa décision, atterrée, elle lui a avoué la vérité en espérant qu'il fasse preuve de compassion.

Elle n'a pas eu tort. Même s'il n'approuve rien de tout cela, il n'en veut pas à Morgane. En revanche, il a eu beaucoup de mal à passer par-dessus l'idée qu'on lui ait caché la vérité pendant toutes ces années…

- Arthur ?

- Père ?

- Mon neveu ?

- Sire ?

Toutes les voix le ramènent au présent et il fait un effort sur lui-même pour se concentrer. Il se penche vers Albion et désigne Mordred qui l'observe d'un air étrangement impassible pour un enfant aussi jeune.

- Voici ton cousin, explique-t-il. "Il ne connait pas le château, alors je compte sur toi pour jouer avec lui et te montrer gentille."

Un léger souffle passe entre les lèvres laquées de Morgane, comme si pendant un moment elle avait redouté l'animosité de son frère.

- Bien, Père, dit la petite fille blonde en adressant au garçon un sourire auquel il manque une canine dans la rangée du bas.

Elle s'élance et le prend par la main pour l'entrainer, frôlant au passage Morgane qui la dévisage avidement.

- Tout va bien, ma dame ? chuchote Lord Agravaine en attrapant le coude de sa nièce qui tremble un peu.

- Comme elle lui ressemble… souffle la jeune femme. "A Morgause…"

Le gant de cuir noir resserre sa prise sur le bras fin de la jeune femme, assez fort pour qu'elle étouffe une grimace.

- Rappelez-vous vos promesses de bien vous comporter, siffle-t-il à son oreille avant d'adresser un sourire à Arthur qui s'approche, escortant Guenièvre.

L'échange n'a duré que quelques secondes et tout ce que les gens ont vu, c'est une sollicitude pleine de tendresse.

- Mon neveu. Encore une fois c'est un plaisir d'être reçu chez vous.

Le roi hoche le menton.

- Vous êtes les bienvenus, répète-t-il, échangeant une ferme poignée de bras avec son oncle.

Guenièvre salue l'homme qui marque un instant de pause, ses yeux sombres jaugeant la reine, avant de plonger dans une révérence respectueuse.

- Votre Majesté.

- Lord Agravaine, répond-t-elle, luttant pour ne pas baisser les yeux sous ce regard clairement désapprobateur malgré le déploiement d'une excellente étiquette.

Morgane a repris le contrôle de son émotion passagère et s'est redressée. Elle toise son ancienne servante et sa tête s'incline à peine.

Le coin de sa bouche de carmin tique avec dédain.

- Guenièvre.

- Ma Dame.

Arthur fronce les sourcils à ce renversement des statuts, mais ne dit rien, toujours contrarié et encore sous le coup de la vague de nostalgie en revoyant sa sœur pendant toutes ces années.

Il voudrait l'embrasser sur le front et en même temps l'idée lui répugne.

Il se sent nauséeux, en colère, à deux doigts de pleurer et très heureux – complètement perdu.

Et ce n'est qu'après plusieurs semaines qu'il retrouve le sentiment de paix qu'il avait ressenti le jour où il a pris la décision de pardonner à sa sœur et de la laisser revenir.

Lord Agravaine est pour beaucoup dans le rétablissement de cet équilibre. Son oncle est un homme intelligent et raffiné, mais qui sait rester discret et humble. Arthur apprécie les conversations qu'il a avec lui, les suggestions précieuses faites en toute simplicité pendant les conseils, l'adresse à l'épée du seigneur et surtout le soin attentif que montre Agravaine à l'égard de Morgane.

Ça n'a pas dû être facile pour son oncle de découvrir que la nièce placée sous sa garde était tombée enceinte sans être mariée et il a fait preuve de beaucoup de bonté en acceptant l'enfant.

Il est évident que Morgane ne se serait pas remise d'avoir été séparée de Mordred. Arthur se rend compte avec les jours qui passent que la santé mentale de sa sœur est restée fragile, comme si seul un mur de verre se dressait dans son esprit entre la jeune fille folle et cette femme aux manières parfaites dont les yeux sont si froids, et qui ne semble vivante que lorsque son fils s'approche d'elle.

Il a fini par se réconcilier avec Guenièvre, pour le plus grand soulagement d'Albion qui a déjà bien trop de choses à gérer pour ne pas avoir aussi à s'inquiéter des disputes de ses parents.

A commencer par Mordred qui est – de loin – le garçon le plus bizarre qu'elle ait jamais rencontré.

Cela n'aide pas qu'il soit trois ans plus âgé qu'elle et qu'il ne parle quasiment jamais.

Et puis, ça n'a pas vraiment démarré du bon pied.

- Il marche comme un pigeon à qui il manque une patte, a-t-il soudain commenté à voix haute, après qu'elle ait essayé vainement de lui poser un tas de questions, alors que Merlin marchait devant eux pour les accompagner à la nurserie.

Le dos du serviteur s'est raidi un peu, mais il n'a rien dit. Albion était furieuse que l'on fasse de la peine à son meilleur ami et a mis les poings sur les hanches, se dressant sur la pointe des pieds pour être à la hauteur de cet invité-cousin-mal-poli.

- C'est parce que c'est l'homme le plus courageux de tout le royaume, a-t-elle riposté fermement.

Merlin s'est arrêté pour les attendre, mais n'est pas intervenu, contemplant la petite fille avec affection.

- Pff. Je n'ai jamais rien entendu d'aussi ridicule, a lâché Mordred. "Quoi, les braves sont supposés boiter pour montrer leur valeur, maintenant ?"

Elle a soutenu farouchement le regard bleu perçant.

- Non, a-t-elle grondé. "Mais Père a dit qu'on reconnait un héros à ses cicatrices."

- Pff.

La Dolma est sortie dans le couloir pour les accueillir et la discussion s'est interrompue pour prendre un tour encore pire quand le garçon a dévisagé la nourrice avant de demander à Albion si cette femme était la gagnante d'un concours de laiderons.

La Dolma est devenue violette de colère et Merlin s'est dépêché d'emmener les enfants à l'autre bout du château.

Après ça, rien ne s'est arrangé, malgré tous les efforts d'Albion pour obéir au roi, jour après jour.

Lorsqu'elle lui a présenté le gros matou blanc qu'elle charrie partout en le tenant sous les aisselles – la pauvre bête se laisse faire placidement – Mordred a plaqué une main sur sa bouche et l'a repoussée.

- Les chats me font éternuer. Remets ça où tu l'as trouvé.

- Ce n'est pas "ça", c'est Sir Pellinore, a rectifié Albion, vexée. "Et t'es pas marrant."

Il a cassé le petit chariot de Perceval en essayant de s'asseoir dedans, mais heureusement le chevalier a promis qu'il pourrait le réparer, quand elle le lui a amené, en larmes.

Il trouve les poupées ennuyeuses et l'a traitée de bébé en découvrant qu'elle dormait toujours avec son ours en tissu.

Guenièvre lui a suggérée de faire une promenade à cheval avec son cousin, en lui disant que les garçons n'aiment pas trop les chats et les jouets. Albion n'a pas répondu, mais elle n'est pas d'accord : le fils de Sir Elyan qui a le même âge ne rechigne pas pour endosser le rôle du papa – ou du roi – quand elle et les filles de Sir Léon jouent à "on serait une famille".

Mordred se montre arrogant et donne des ordres d'un ton sec à Tyr, le palefrenier aux bonnes joues rondes surlignées d'un collier de barbe qui est toujours disponible pour seller le poney de la princesse et l'aider à le brosser.

Malgré les protestations du petit homme dodu, le garçon insiste pour choisir une monture qui a fière allure mais pas très bon caractère, et l'inévitable arrive. Ils ont à peine franchi le pont-levis qu'un reflet de soleil sur un étal de louches en métal effraie le cheval qui se cabre. Une paysanne évite de justesse un coup de sabot qui aurait pu la tuer et Mordred roule sur le sol.

Arthur n'est pas content et convoque les deux enfants, ainsi que le palefrenier et Merlin qui les accompagnait, dans la salle du trône. Albion est très effrayée en écoutant les reproches de son père au sujet de l'accident qu'ils auraient pu causer. Elle rougit de honte quand il réprimande les deux hommes pour n'avoir pas empêché Mordred de prendre un autre cheval et se mord les lèvres de colère quand son cousin s'en sort comme une fleur à cause de son poignet foulé qu'Arthur estime être une punition suffisante.

Guenièvre écoute les doléances de la petite fille en lui caressant les cheveux et renouvelle ses encouragements à se montrer patiente, tandis que la Dolma grommelle que ce n'est qu'un sale gamin.

Albion préfère l'avis de sa nourrice mais, pour faire plaisir à la reine, elle s'efforce d'essayer de comprendre son cousin. En l'observant à la dérobée pendant le dîner, elle s'aperçoit qu'il jette de fréquents coups d'œil au roi, comme s'il mourrait d'envie de s'approcher de lui.

Cela la radoucit un peu.

Elle lui montre à quel endroit on peut grimper sur le mur pour avoir vue sur le terrain d'entrainement pendant que les chevaliers s'y exercent à l'aube avec Arthur et, pour la première fois depuis qu'il est arrivé, Mordred lui sourit. Quand son poignet a guéri, elle suggère qu'il vienne à son cours d'escrime avec Gwaine et le roi accepte après avoir brièvement consulté Lord Agravaine.

Morgane n'a pas eu son mot à dire, mais elle semble trouver l'idée excellente.

De façon inattendue, Gwaine s'attache au jeune garçon morose mais déterminé qui progresse avec une sorte d'instinct farouche, plus vite qu'Albion qui apprécie la classe mais n'est pas aussi passionnée. Le chevalier barbu propose très vite de donner des leçons supplémentaires à Mordred, de le laisser se joindre aux entrainements des écuyers de douze ans, et la permission est accordée.

Pour remercier le roi, Morgane offre de donner des cours de chant à Albion. Arthur, qui n'avait jamais considéré cela comme un point d'éducation essentiel jusque là – Guenièvre privilégie le développement du bon sens chez l'enfant, même si elle la forme aussi aux devoirs d'une princesse – accepte avec plaisir, tout heureux de voir sa sœur s'impliquer dans la vie quotidienne de Camelot.

Lord Agravaine en profite pour mentionner – comme ça, rapidement, dans la conversation – qu'il y a évidemment des limites à ce qu'une ancienne servante peut apporter à une héritière royale.

Le roi disperse la réflexion d'un simple froncement de sourcils : il n'y a que quelques mois que son oncle est arrivé, il est évident qu'il ne se rend pas encore compte de tout ce que Guenièvre fait pour le bien du royaume.

Les chevaliers apprécient Lord Agravaine qui n'hésite pas à se joindre aux patrouilles et qui, sans partager la franche camaraderie qu'ils les lient au roi, se montre bon compagnon.

Le printemps fait place à l'été. Alors que les jours s'allongent et se remplissent de chaleur, de soleil, les murs frais du château continuent de garder leur ombre et leur fraîcheur. Albion est contente de passer ses après-midi dans la jolie chambre de Lady Morgane à faire des vocalises, pendant que Merlin transpire en accompagnant le roi à cheval pour voir où en sont les moissons et le remplissage des greniers.

Après la leçon de chant, la jeune femme se prépare pour le dîner, assise devant sa table à toilette sur laquelle est disposé le miroir chevalet ouvragé d'or ainsi qu'une fine aiguière et un bassin dans lequel flotte une grosse éponge. Elle sourit pour accorder sa permission à Albion dont les yeux demandent silencieusement si elle peut toucher les boîtes à fard et les pots d'onguents.

La petite fille tripote la houppette à poudre, ouvre les coffrets de vermeil et d'argent pour admirer les bijoux, passe la brosse de poils de sanglier dans ses cheveux blonds puis la repose avec soin.

Morgane applique de la teinture de cochenille sur ses lèvres bien dessinées et Albion la regarde, la bouche entrouverte.

- Vous êtes belle, souffle-t-elle.

- Veux-tu essayer ? propose Morgane en trempant délicatement le pinceau dans le liquide rouge onctueux.

Albion dit non, mais sa tête fait oui.

La jeune femme rit doucement et pose quelques légères touches de maquillage sur les lèvres de l'enfant qui s'admire dans le miroir.

- Mère ne se met pas de poudre, dit Albion en articulant exagérément pour ne pas faire de bavures avec le rouge. "Père dit qu'elle n'a jamais eu besoin de maquillage pour faire tourner les têtes et qu'il ne voit pas pourquoi elle commencerait maintenant à s'en mettre."

Morgane lâche un reniflement narquois.

- Les hommes ne savent pas ce dont ils parlent, dit-elle en brossant sa chevelure de jais si soyeuse. "Je fardais parfois Guenièvre, quand elle se rendait chez Gaius et que son amoureux y demeurait entre deux voyages..."

Elle hésite un instant, puis ajoute à mi-voix :

- Ce n'est pas ta mère, tu le sais, n'est-ce pas ? Vous ne vous ressemblez même pas.

- Je sais, dit gravement Albion. "Mes cheveux ne sont pas frisés comme les siens, ils sont ondulés, comme ceux de ma maman et de Père. Ma maman est morte quand j'étais très très très petite. C'est pour ça que la Dolma prend soin de moi."

Elle penche la tête de côté et ses yeux d'ambre brillent.

- Ma maman était très courageuse. Ce n'est pas sa faute, si elle est morte. Elle a perdu la bataille même si elle s'est battue jusqu'au bout. Ça arrive, des fois.

Morgane parait sur le point de dire quelque chose, puis se ravise.

Arthur n'a pas dit à sa fille qu'elle avait tué sa mère en venant au monde, alors que c'était la vérité. Uther, lui, avait laissé croire à Morgane qu'elle avait causé la mort d'Ygraine en naissant, alors que celle-ci s'était en fait suicidée à cause de l'infidélité de son mari.

Parfois, dans l'esprit faible et torturé de la jeune femme, les deux hommes se confondent. Mais aujourd'hui ils sont bien distincts.

- Viens, Morgause, allons dîner, dit-elle en se levant et en prenant la main que la petite fille lui tend avec confiance.

- Oui, ma Dame, répond docilement l'enfant qui ne comprend pas très bien pourquoi sa tante lui donne ce nom quand elles sont seules.

Si elle a toujours un peu de mal à s'entendre avec Mordred, en revanche elle aime beaucoup sa tante qu'elle trouve toujours si triste et qu'elle voudrait voir sourire. Guenièvre l'encourage à passer du temps avec Morgane, même si elle refuse toujours doucement de l'accompagner pendant la leçon de chant.

Albion voit les regards furtifs échangés pendant les repas, la façon dont les lèvres de Morgane se pincent quand les serviteurs s'approchent d'abord de la reine pour la servir avant de se tourner vers la sœur du roi. Elle a deviné que Guenièvre et Morgane avaient été amies, des années auparavant, mais elle ne parvient pas à les rapprocher de nouveau, comme si quelque chose d'inébranlable se trouvait maintenant entre elles.

Elle ne sait pas qu'il s'agit de la couronne que l'on posera un jour sur sa tête.

Les nuages s'enfuient dans le ciel et les rayons dorés du soleil caressent les champs verdoyants et les vignes chargées de gros grains juteux et voluptueux. Les greniers sont remplis de sacs de farine et de viande salée.

Arthur a un peu plus de temps et le passe avec Mordred sur le terrain d'entrainement. Le garçon irradie de fierté à l'idée de lui montrer ses progrès, sous l'œil gouailleur de Gwaine. Le roi le désarme rapidement, mais le félicite et lui ébouriffe machinalement les cheveux en quittant la pelouse, sans se rendre compte que le geste affectueux a figé le jeune garçon.

Les sourcils de Lord Agravaine se sont joints sur son front alors qu'il les observait, les bras croisés. Il a suivi le roi après un dernier coup d'œil indéchiffrable.

Mordred a mis du temps à se rendre compte que Gwaine lui parlait et a dispersé la question mi-inquiète mi-railleuse du maître d'armes d'un simple haussement d'épaules.

Il est orgueilleux, solitaire, sauvage et indépendant. Il y a longtemps qu'il a appris à s'endurcir contre des moqueries comme celles qu'il essuie lorsqu'il s'entraine avec les écuyers – "hé, bâtard, ta mère s'est plutôt bien roulé dans la boue pour une fille de roi" – mais il ne s'attendait pas à la vague d'émotion qui l'a submergé en sentant la tape paternelle glisser sur sa jeune tête.

Soudain il sait pourquoi il ne parvient pas à se montrer sympathique envers Albion qu'il trouve pourtant mignonne et gentille.

Il ne sait pas que Merlin et beaucoup d'autres ont deviné depuis longtemps ce qu'il cache sous son attitude froide et arrogante.

Il a fini par s'attacher au serviteur boiteux, même s'il a compris qu'il devait éviter de le mentionner devant sa mère qui ne l'aime pas. Il se résout à accompagner sa cousine en promenade à travers le royaume, se permettant de temps à autre un sourire ironique aux réflexions naïves de Merlin. Il craint Numéro Quatre qui semble toujours voir jusqu'au tréfonds de son âme, mais apprécie l'amitié simple et un peu rustre de Perceval. Sir Léon le met mal à l'aise : le chevalier semble ne pas lui avoir pardonné d'avoir ruiné les jeux de ses filles. Il évite Gaius et la Dolma autant que possible : il trouve que le vieux médecin sent le ranci et la nourrice lui fait clairement comprendre qu'elle ne l'apprécie pas.

Son préféré reste Gwaine et il s'est aussi fait un ami en la personne de Will, l'un des écuyers, un garçon frondeur et impétueux d'une quinzaine d'années, que ses origines modestes isolent du reste du groupe.

A la fin de l'été, de violents orages éclatent chaque jour après les journées étouffantes de chaleur. Le ciel se gonfle de nuages violets et noirs. Des éclairs blancs fusent à travers le château tandis que le tonnerre roule, terrifiant, et que de grosses gouttes tièdes s'écrasent sur les pavés de la cour.

Albion cherche son chat, Sir Pellinore, sans se douter qu'on la cherche partout. Le matou grognon et obèse a encore entamé une tourte dans les cuisines et l'un des gâte-sauces, exaspéré, l'a aspergé d'eau sale et d'épluchures de légumes. Avec un miaulement courroucé, le minet s'est enfui en rasant les murs, son gros bidon raclant le sol.

Elle finit par le retrouver à l'étage que Merlin refuse toujours de traverser, quitte à faire un énorme détour, et se penche pour le prendre dans ses bras. Quand elle se redresse, une bourrasque se glisse par une fenêtre ouverte et éteint les torches. Plongée dans l'obscurité, avec le bruit de la pluie qui tambourine contre les vitres et des volets qui claquent, la petite fille lâche un cri de terreur.

Sir Pellinore, écrasé contre elle, se débat et lui échappe de nouveau.

Albion le rappelle d'une petite voix tremblante, mais le chat l'ignore et s'enfuit en trottinant. Elle serre les poings, plisse les yeux pour apercevoir le bout du couloir qui fait si peur à son meilleur ami et tape du pied, énervée et effrayée, en voyant que le matou ne revient pas. Derrière elle, les escaliers ne sont plus éclairés non plus.

Elle ravale ses larmes, décidée à être aussi courageuse que tous les adultes qu'elle aime tant, digne de son statut de princesse.

- Sir Pellinore ! Revenez-ici ! ordonne-t-elle d'une voix qui bégaie un peu.

Le chat blanc a disparu, mais dans l'éclair qui l'éblouit soudain, elle distingue une silhouette sombre dans le couloir.

Un monstre. Un fantôme. Quoi que ce soit que fuit Merlin, c'est là, dans le couloir, tout près, tapi dans l'ombre, prêt à lui sauter dessus.

Le tonnerre débaroule, puissant et assourdissant, et elle se laisse tomber sur le sol, les mains sur les oreilles, les paupières crispées.

Quelqu'un touche son épaule et elle pousse un cri perçant en se jetant en arrière.

- Albion ?

Deux yeux d'un bleu argenté à la lueur surnaturelle de cette nuit d'orage croisent les pupilles d'ambre dilatées de frayeur et embuées par les larmes.

- C'est moi, Mordred. N'aies pas peur.

Il l'aide à se relever et l'emmène sans se moquer de ses reniflements et des petits cris qui lui échappent à chaque nouveau coup de tonnerre, la laissant s'accrocher à son bras. Il la guide jusqu'à la nurserie et la laisse devant la porte.

Albion le rappelle avant qu'il ne s'éloigne.

- Merci, souffle-t-elle.

Il hausse les épaules avec un petit sourire un peu ironique.

- C'est rien.

- Qu'est-ce que… pourquoi…. Pourquoi t'étais là-bas ?

Il fronce un sourcil sans comprendre.

- A cet étage, précise la petite fille comme si cela voulait tout dire.

Mordred ne comprend pas et se contente de mordiller sa lèvre inférieure.

- C'est là où sont les appartements de Lord Agravaine, répond-t-il. "Je venais chercher ma mère."

- Oh, dit Albion, surprise. "Je ne savais pas que des gens y habitaient."

- On m'a dit que c'était les meilleures chambres du château, rétorque Mordred. "C'est normal que ton père y loge un invité de marque."

Pour la première fois, Albion remarque la nuance amère à peine perceptible dans la voix de son cousin, mais elle ne pousse pas la question et lui adresse une révérence reconnaissante.

- Oui, je suis bête, répond-t-elle avec un rire encore un peu froissé par la peur. "Bonne nuit, Mordred."

- Bonne nuit, princesse, répond le garçon avant de s'en aller de son pas raide habituel.

La Dolma gronde Albion d'avoir disparu à cause d'un stupide chat, Guenièvre vient l'embrasser sur le front quand elle est couchée et Arthur ramène Sir Pellinore qui s'était réfugié dans ses appartements : apparemment le chat sait très bien où se rend sa maîtresse pendant les orages.

Merlin passe la journée du lendemain avec la princesse. La pluie empêche Arthur d'aller inspecter les récoltes, mais il rappelle son serviteur en fin d'après-midi pour se rendre dans les caves du château.

Dehors, les gouttes crépitent sans intermittence sur le corps fuselé du dragon de pierre dont la gueule est en fait un cor.

En revenant de sa leçon avec Geoffroy de Montmouth, Albion fait un crochet par les appartements de Morgane. Les chevaliers sont allés en patrouille malgré le temps de chien, Guenièvre est dans la ville basse avec Gaius et les filles de Sir Léon sont parties la veille avec leur mère au domaine des parents de celle-ci pour y passer les premières semaines d'automne.

La sœur du roi lui ouvre, un peu étonnée de la voir arriver alors qu'elle n'a pas de cours de chant, et sourit avec plaisir en la laissant entrer. Albion se hisse sur le lit à baldaquin et laisse balancer ses jambes.

- Que faites-vous ? demande-t-elle.

Morgane lui montre les belles arabesques qu'elle trace sur un parchemin.

- C'est une histoire, explique-t-elle.

- Vous écrivez mieux que Père, commente l'enfant.

- Arthur n'a jamais été très doué avec une plume, il est bien trop brute, ricane la jeune femme.

Albion ne relève pas le ton sarcastique

- Est-ce que cela sera chanté pendant les banquets, ensuite ? demande-t-elle.

Morgane secoue la tête.

- Non, c'est seulement pour lire à voix haute, lentement, quand il neige dehors ou sous un arbre en été. Pour rêver et s'évader de cette vie.

- Oh, dit la petite fille avec des yeux émerveillés à l'idée d'une histoire qui ne réclame ni une fête ni la présence de la Dolma. "Puis-je le lire ?

Morgane range le parchemin dans un des étroits tiroirs de sa table à toilette.

- Non, dit-elle. "Pas cette histoire. Mais il y en a une autre que je veux bien partager avec toi."

Elle sort d'un coffre un livre élimé, attaché avec des courroies de cuir et dont la reliure est recousue au gros fil, et s'installe sur la courtepointe vert-de-gris de son lit en déployant sa robe de satin noir autour d'elle. Albion la rejoint aussitôt et attrape un gros oreiller sur lequel elle pose son menton.

- "Seigneurs, vous plaît-il d'entendre un beau conte d'amour et de mort ?" commence Morgane de sa belle voix un peu grave. "C'est de Tristan et d'Iseut la reine. Écoutez comment à grand'joie, à grand deuil ils s'aimèrent, puis en moururent un même jour, lui par elle, elle par lui…"

La pluie ruisselle sur la croisée et les heures passent, enchanteresses.

Albion est fascinée par l'histoire, par l'émotion dans la voix de sa tante, par la magie de l'écriture. A la lueur des bougies dont les flammes dansantes se reflètent dans les yeux pâles de la sœur du roi, elle découvre que les livres qu'aime tant Merlin ne parlent pas que de choses qui s'apprennent.

Elle ne sait pas que les romans ne sont pas considérés des lectures saines.

Elle frémit pendant la nuit où la farine est saupoudrée sur le sol, bat des mains quand le chien reconnait Tristan, pleure quand le mensonge change la voile de couleur et quand la ronce indestructible pousse sur la tombe.

- "… ceux qui sont pensifs et ceux qui sont heureux, les mécontents et les désireux, ceux qui sont joyeux et ceux qui sont troublés, tous les amants. Puissent-ils trouver ici consolation contre l'inconstance, contre l'injustice, contre le dépit, contre la peine, contre tous les maux d'amour !" conclut Morgane en refermant le livre abimé avec précaution.

Elle essuie une larme au coin de son œil et tend un mouchoir à la petite fille qui se mouche bruyamment.

- Tu as aimé ?

- Oh oui ! s'écrie Albion.

Morgane rit doucement à son enthousiasme.

- Tristan est si courageux et si fou, glousse la petite fille.

- Un jour, j'ai rencontré un homme qui était comme lui, murmure Morgane presque involontairement. "Il avait des yeux remplis d'étincelles et des cheveux bouclés qui sentaient le sel et la mer. Il aurait pu être prince. Il parlait et il se battait comme un prince. C'est lui qui m'a donné ce livre."

- Où est-il ? demande Albion.

- Il est mort, dit simplement Morgane.

Dans le silence qui suit, la petite princesse réfléchit profondément. Puis elle s'approche de sa tante et lui met ses bras autour du cou avec affection.

- Vous l'aimiez beaucoup, hein ?

- Qui ? tressaille Morgane en se blottissant dans l'étreinte, oubliant qu'il s'agit d'une enfant, respirant cette odeur qui ressemble tant à celle, rassurante et complice, de Guenièvre, le parfum de l'époque où elles n'étaient que des jeunes filles, presque des sœurs, partageant rêves et secrets.

- Le papa de Mordred.

- Ah.

Un autre silence.

- Non, dit finalement Morgane, presque dans un souffle. "J'aimais Alvarr."

Albion ne comprend pas, mais elle sent les épaules délicates trembler de sanglots retenus, alors elle berce doucement sa tante, chuchotant des mots de réconfort comme la Dolma le fait lorsqu'elle a mal.

Quand on vient les chercher pour le dîner – elles sont incroyablement en retard et, si le roi se contente d'un froncement de sourcils réprobateur sous l'œil attendri de Guenièvre, en revanche Lord Agravaine se racle la gorge d'un air mécontent et Mordred lance un coup d'œil de reproche à sa mère – Morgane chuchote à Albion que le livre qui raconte l'histoire de Tristan et Iseult doit rester un secret absolu.

La petite fille n'a pas l'occasion de demander pourquoi car le lendemain, alors qu'elle se rend aux appartements de sa tante pour sa leçon de chant, le tocsin se met à sonner à toute volée.

Les gardes se rassemblent dans la cour, les serviteurs se massent derrière les fenêtres et sous les arcades.

Le roi dévale les grands escaliers pour venir à la rencontre de Gwaine, demandant ce qui se passe.

- Un cavalier, Sire, répond le chevalier barbu d'un air soucieux. "Il a franchi le pont-levis sans s'arrêter pour décliner son identité."

- Avons-nous pu l'intercepter ? Pourquoi une telle hâte ? Qui est-il ?

- Son cheval est mort sous lui à peine quelques mètres plus loin, dit Gwaine. "On l'amène sur un brancard. Sire, il n'a dit que quelques mots avant de s'évanouir, mais… je crains qu'il n'apporte de terribles nouvelles."

Perceval et Numéro Quatre entrent dans la cour à cet instant, chargés de la civière sur laquelle est étendu un jeune homme d'une vingtaine d'années, blond, vêtu de vêtements de paysan, les yeux clos et les joues maigres terriblement pâles.

Le médecin remplaçant de Gaius lui fait respirer les vapeurs d'une potion à l'odeur infecte et l'inconnu reprend conscience péniblement.

Arthur s'agenouille à côté de la civière.

- Qui êtes-vous ? demande-t-il. "Pour quelle raison venez-vous à Camelot ? Parlez sans crainte. Je suis le Roi Arthur."

- Je sais… balbutie le jeune homme d'une voix à peine audible. "Sire… vous… le royaume… malheur… une armée… je l'ai vue… en marche sur Camelot…"

Une cruche tombe sur les pavés et éclate en morceaux bruyamment, faisant sursauter les chevaliers qui entourent la civière.

Gwaine et Arthur se retournent d'un même mouvement.

- Merlin ?

Le serviteur est figé, les mains encore ouvertes, la cruche brisée à ses pieds, l'eau qu'elle contenait répandue sur ses chausses et sa tunique. Tout le sang s'est retiré de son visage.

- Daegal… souffle-t-il.

 

 

A SUIVRE...

 


Listelia  (30.07.2015 à 10:37)

Basé sur les épisodes 5x13, 1x10, 4x12, 4x13, 5x04, 5x07, 3x02

 

 31

S'IL NE FALLAIT CHOISIR QU'UNE CHOSE

 

 

Le soleil matinal entre à flots par les hauts vitraux de la salle du trône, dessinant des arcs-en-ciel sur le parquet ciré.

Tous les visages sont graves, les yeux fixés sur le roi. Les mains jointes sous le menton, il réfléchit et ils attendent en retenant leur souffle.

- Dans combien de temps seront-ils là ? demande Arthur sans bouger.

- Ils atteindront la ville dans moins de deux jours, répond Sir Léon. "S'ils sont si près sans que nous n'ayons eu de rapport des avant-postes, c'est que nos hommes sont morts. Si Daegal ne nous avait pas prévenus…"

Arthur hoche la tête.

- Sous quelle bannière a-t-il dit qu'ils marchaient ?

- Odin, Sire. Nous savions qu'il amassait une armée, mais qu'elle soit de cette taille… cela a dû prendre des années de la rassembler…

- Combien d'hommes ? interrompt le roi.

- Vingt mille, peut-être plus, répond Perceval. "Le gosse a foncé nous avertir dès qu'il a compris ce qui se passait en les voyant franchir le Gué de la Pierre Tombée."

- Qu'est-ce qu'il faisait là-bas alors qu'il est supposé être banni au-delà des frontières de Cantia ? grommelle Gwaine.

Arthur lève la main et le silence revient aussitôt.

- Nous n'aurons pas le temps de sortir les affronter, dit-il lentement. "Sonnez le cor. Nous devons protéger la population en premier. Que les gens se réfugient à Camelot. Nous devons nous préparer à un siège."

Ils ont froid, soudain, alors qu'il fait pourtant déjà très chaud.

 

oOoOoOo

 

A travers le pays a résonné l'appel sourd et grondant du dragon de granit.

Les soldats s'activent dans le château, transportant des arbalètes, des épées, des cottes de mailles, rassemblant des flèches, des bottes, des pierres à aiguiser. Une longue chaine de serviteurs descend des sacs à provisions et des couvertures dans les caves creusées sous le château.

Les chevaliers bâtissent des barricades dans les rues de la ville basse et des réserves d'huile ont été préparées sur les deux cercles de remparts.

Les paysans vêtus de chanvre brun affluent de partout, chargés de ballots, poussant des charrettes de paille sur lesquelles ils transportent les vieux et les malades. Les femmes portent des bambins au nez qui coule dans leurs bras, les hommes charrient des corbeilles de fruits et de légumes hâtivement cueillis. Des fillettes aux cheveux bouclés ont rempli leurs tabliers de roues de fromage et de pain noir, des garçons aux joues maculées de traces de terre tirent au bout d'une corde une chèvre ou une vache, le bien le plus précieux de la famille.

La mort dans l'âme, les gardes sont obligés de leur dire de laisser les animaux dans la cour.

Une grand-mère édentée, à la peau toute ridée, son petit chignon gris serré sous un fichu défraichi mais très propre, refuse de déposer au sol une grosse oie blanche qui caquète avec colère.

- C'est m-ma seule comp-pagnie, explique-t-elle d'une voix éraillée. "Elle est c-comme m-aa fille…"

Perceval secoue la tête en se penchant pour se mettre à sa hauteur.

- On ne peut pas faire d'exception, la mère, dit-il doucement. "Je vous en prie. Laissez le volatile. C'est votre vie qui compte."

Les nobles sont logés à la même enseigne que les manants, malgré leurs protestations.

- Ne prenez que le strict nécessaire, rappelle Sir Léon en arpentant les couloirs. "Non, un seul coffret à bijoux."

- Mais les pillards, les voleurs…

- Fermez la porte de vos appartements à clé, conseille le chevalier en s'efforçant de ne pas lever les yeux au ciel.

Si l'armée ennemie parvient à entrer dans la citadelle, la dame aura vite oublié sa quincaillerie pour tenter de sauver sa peau.

Il croise Arthur et Gwaine qui sont en train de compter le nombre croissant de réfugiés.

- Neuf mille, Sire, et il continue d'en arriver.

- Pourvu que les caves soient assez grandes, marmonne le roi. "Qu'en est-il d'Odin ?"

- Nos éclaireurs ont rapporté que l'armée atteindrait la plaine dans quelques heures, répond le chevalier barbu. "Altesse, est-ce que nous n'aurions pas dû envoyer le signal ?"

Arthur s'arrête sous les arcades pour considérer la cour d'honneur bourdonnante d'activité, d'appels, de cris d'animaux.

- Ce sera un bain de sang si les armées de Mercia et d'Essetir s'en mêlent. Attendons. Quand il verra qu'il ne peut franchir les défenses de Camelot, comme beaucoup d'autres qui ont essayé avant lui, Odin sera peut-être disposé à négocier.

Gwaine repousse ses cheveux en arrière.

- Le château n'a pas été assiégé depuis presque vingt ans. Peut-être que nous ne tiendrons pas si longtemps…

Arthur lui lance un regard sombre et il se tait.

- Où en est l'infirmerie ? demande le roi en se remettant en marche.

- Gaius et … euh, je ne sais plus son nom, son remplaçant, quoi, sont en train d'installer des tables dans le grand caveau. J'ai fait descendre des coffres de fournitures médicales et Sir Elyan a dit que le conduit qu'ils ont installé pour l'eau fonctionnait. Nous ne devrions pas en manquer. Une fameuse invention, Sire.

- Elyan est un homme plein de ressources. La Reine et la Princesse sont-elles déjà en bas ?

- Non, Altesse. La dernière fois que je les ai vues, elles aidaient en cuisine.

Arthur lâche un grognement mi-amusé, mi-exaspéré.

- Assure-toi qu'elles rejoignent Morgane et Mordred au plus vite. Lord Agravaine ne devrait pas tarder à revenir des remparts extérieurs, envoie-le moi. Et fais passer le mot, qu'on se presse. Sonne le tocsin s'il le faut. Quand le soleil sera passé derrière le donjon, je ne veux voir que des uniformes dans la cour.

Gwaine salue rapidement, puis se hâte en direction des communs tandis qu'Arthur hèle l'Intendant qu'il voit s'engager dans les escaliers au bout du couloir.

Au troisième étage du corps de logis, vêtue d'une robe trop chaude pour la saison – le roi a dit qu'il ferait froid dans les caves - la Dolma empaquète quelques effets pour la jeune princesse. Albion fait irruption dans la pièce, les joues rouges d'avoir couru, ses cheveux blonds tressés en couronne saupoudrés de farine.

- Vite, Nounou, s'écrie-t-elle. "Mère a dit que je dois me changer et prendre mes affaires pour descendre à la cachette !"

La Dolma fait claquer sa langue avec désapprobation.

- Je sais. Je vous âttendais, môi, dit-elle.

L'enfant est déjà en train de se débarrasser de ses chaussures et tire sur sa robe pour la passer au-dessus de sa tête avant que les lacets n'en soient défaits.

- Câlmez-vous, câlmez-vous, petit gnome des bôis, proteste la femme en s'agenouillant pour l'aider. "Là, laissez-môi dégâger votre oreille de ce col."

- Vais-je devoir m'habiller comme un garçon ? demande la petite fille avec excitation. "Mère a dit que ça sera plus pratique."

- Plus prâtique et âbsolument pâs digne d'une princesse, grommelle la Dolma. "Oui, vous mettrez des braies, mais que celâ ne vous laisse pâs crôire que vous serez autorisée à vous sâlir comme un petit goret âvec ces garnements du villâge."

L'enfant glousse de rire.

- Je f'rais jaamais çaa, maa Daame, riposte-t-elle d'une voix haut-perchée, en faisant des mines avec ses mains, clairement en train d'imiter sa nourrice.

La femme lui pince le nez avec affection.

- Fârfâdet.

Elle aide la petite fille à mettre une tunique de laine bleue moelleuse et lui passe par-dessus l'épaule une fourrure de renard blanc sur laquelle elle boucle une ceinture de cuir.

- Vôilà, vous êtes prête. Gârdez ce joli sourire sur vos lèvres, mon bouton de rose. Dans ces heures sombres qui nous âttendent, vous serez un rayon d'espôir.

Albion lève ses beaux yeux d'ambre vers la Dolma.

- Père et les chevaliers sont plus forts que les méchants qui viennent, n'est-ce pas, Nounou ?

- Oui, répond la femme fermement. "Maintenant, chôisissez un de vos jouets et descendons."

La petite fille n'hésite pas. Elle ramasse sur son lit l'ours en tissu qui ressemble à une loque, puis se hisse sur la pointe des pieds pour attraper les deux dragons de bois sur la cheminée.

- Celâ fait trôis, dit sévèrement la Dolma.

Albion lui adresse une moue suppliante.

- Mon dragon et ç'ui de mon-p'tit-frère-que-j'aurais-p't-être-un-jour. S'te plaît, Nounou, je peux pas les laisser là !

- Les autres enfants n'ont pâs eu drôit à un traitement de fâveur, répond simplement la femme.

Les yeux d'Albion se remplissent de larmes.

- Mais je dois déjà laisser Sir Pellinore… bredouille-t-elle. "S'il te plait… je les garderai dans mes poches… ils tiendront pas de place…"

La Dolma mordille ses lèvres.

- Non, finit-elle par dire. "Mais j'ai une idée. Vous sâvez cette pierre descellée sous l'ârmoire de lâ Reine, celle que vous âvez découverte âvec Dreâ, l'autre jour ? Mettons-les dans cette câchette. Personne ne les y trouverâ."

L'enfant sèche ses joues aussitôt.

- Oooh… comme un trésor !

Aussitôt dit, aussitôt fait, et Guenièvre admire la fermeté et l'ingéniosité de la nourrice.

La jeune femme a attaché ses longs cheveux frisés et mis le même genre de tenue que la princesse. Elle descend aux caveaux avec les deux autres après avoir tiré d'un coffre une épée dans une gaine de cuir au pommeau de laquelle est attaché un cordon qui retient une alliance en argent.

Arthur les croise et ne fait aucune remarque en reconnaissant l'épée que son épouse utilisait pour s'entrainer avec Lancelot.

Il fait lourd. Il fera sûrement orage cette nuit.

Le roi distribue encore quelques instructions, puis se met à la recherche de son serviteur pour que celui-ci vienne l'aider à revêtir son armure. Il le trouve en train de trainer de gros sacs dans les Escaliers du Griffon et secoue la tête en dévalant les marches pour le rejoindre.

- Merlin ! Où étais-tu passé ? Je t'ai fait mander quantité de fois !

Le soleil qui passe à travers les fenêtres se teinte d'ocre avec le soir qui vient et Arthur se demande combien de temps il leur reste avant que l'armée d'Odin ne saccage les bois qui entourent Camelot pour se frayer un passage.

- Je rassemblais des provisions, répond le jeune homme avec enthousiasme, essuyant la sueur qui lui coule sur le front. "Vingt-cinq morues salées, quinze chapons – et un sanglier fumé."

- Mais pourquoi diable ? s'écrie le roi qui hésite entre éclater de rire et se fâcher.

- On se prépare pour un siège, explique très sérieusement Merlin.

Arthur pince l'arrête de son nez.

- Oui, et non pas un banquet.

Son serviteur tire sur ses grandes oreilles avec fatalité.

- Vous savez comment vous êtes quand vous avez faim ? marmonne-t-il. "On pourrait rester coincés ici pour des semaines, des mois, peut-être même."

Il attrape un bocal qu'il avait posé sur l'appui d'une fenêtre et le montre au roi avec un grand sourire très satisfait.

- Regardez ce que j'ai trouvé pour votre petit déjeuner. Votre plat préféré, des œufs macérés dans du vinaigre !

Arthur se frotte la nuque avec embarras.

- Merlin, dit-il finalement en s'approchant et en ramassant un des sacs bien trop lourds pour son ami. "J'ai dit que chacun pouvait emmener ce qu'il avait de plus précieux dans les caves, en plus des denrées strictement nécessaires. Qu'est-ce que tu as de plus cher au monde ? C'est de cela dont tu devrais te préoccuper, plutôt que d'essayer de m'engraisser."

Merlin secoue la tête et ses yeux bleus sincères se lèvent vers le roi.

- Mais ce que j'ai de plus cher au monde, c'est vous, dit-il simplement.

Arthur se mord les lèvres et ne trouve rien à répondre.

Il tapote l'épaule de son serviteur, puis l'entraine après avoir fait signe à quelqu'un de descendre les sacs. Merlin tient toujours le bocal d'œufs en conserve.

- Viens m'aider à mettre mon armure.

Dans la chambre baignée par les dernières lueurs rougeoyantes de la journée, les deux hommes restent silencieux tandis que Merlin sangle les différentes parties de l'armure.

Au loin, les cloches sonnent lentement puis se taisent.

Arthur accepte son épée et prend la cassette de bois sur sa table de nuit avant d'échanger un regard avec son serviteur qui a ramassé son bocal.

- C'est l'heure, dit-il.

En bas, dans les caves gigantesques creusées sous le château, les paysans et les nobles sont mélangés. Certains installent des grabats de fortune, des femmes donnent la becquée à leur marmaille distraite par la foule, des chevaliers terminent de s'équiper tout en disant adieu à leurs familles. Tout le monde parle en chuchotant, comme par crainte d'attirer plus vite l'ennemi. Gaius et son remplaçant ont déjà mis leurs sur-robes brunes de travail et mangent pour se préparer à la nuit qui sera longue.

Arthur contemple avec compassion son peuple entassé qui ne se plaint pas, les vieillards appuyés sur leurs cannes ou alignés sur des bancs, une mère enceinte jusqu'aux yeux qui caresse les cheveux d'une petite fille de quatre ou cinq ans aux grands yeux noirs, un groupe d'adolescents à l'air farouche qui a sans doute l'intention de venir lui demander de participer à la bataille, ces hommes qu'il connait et estime qui embrassent leurs épouses et leurs enfants avant d'aller se battre sur les remparts.

Perceval serre sa femme dans ses bras puis vient rejoindre le roi. Gwaine termine le contenu de son outre puis la jette négligemment sur une table avant de marcher vers eux.

Sir Léon est déjà là, son long manteau écarlate sur les épaules.

Sir Elyan et les autres se groupent autour de lui à leur tour, forts, magnifiques, courageux.

Arthur salue d'un signe de tête les écuyers qui ne sont pas autorisés à se battre ce soir – parmi eux, Will avec ses yeux vifs toujours contrariés sous sa frange noire et Mordred, si jeune et si frêle pour être déjà vêtu d'une cotte de mailles.

Fermiers, valets, bottiers, filles de cuisine, nobles, scribes, taillandiers, femmes de chambre, marchands, forgerons, porteurs d'eau, fileuses, mendiants, tondeurs de drap, meuniers, alleresses, tisserands, bouviers, charbonniers, lavandières… tous ont les yeux fixés sur lui et tous les visages reflètent la confiance qu'ils placent en lui.

Arthur incline la tête en réponse.

Il est leur serviteur, leur protecteur, leur roi.

Il défendra Camelot au péril de sa vie.

Il lève la main et, dans un silence que ne trouble aucun sanglot, les guerriers quittent les caves pour se rendre sur les remparts et derrière les barricades de la ville basse, là où les attendent Numéro Quatre et les centaines de soldats déjà en poste.

- Père !

- Arthur !

Il se retourne en bas des marches et s'accroupit juste à temps pour recevoir dans ses bras la fillette qui se précipite vers lui.

- Sois sage, Albion, dit-il en l'embrassant sur le front et en la reposant sur le sol.

- Je le serai, Sire, répond fièrement l'enfant.

Guenièvre s'approche avec un sourire qui tente de cacher l'inquiétude dans ses yeux noisette.

- Prenez soin de vous, dit-elle doucement.

- Veille sur eux tous, répond le roi à mi-voix, avant de se pencher pour déposer un baiser sur les lèvres de la reine.

Il effleure une dernière fois les cheveux blonds de sa fille, puis s'engage dans les escaliers, suivi de son serviteur qui adresse un geste de la main à Guenièvre et Albion.

Gaius secoue sa tête chenue en s'asseyant lourdement entre Geoffroy de Montmouth et la Dolma.

Arthur lui a assuré qu'il renverrait Merlin vers les caves dès que commencerait la bataille, mais le vieux médecin a quand même peur que son petit-fils ne se convainque qu'il doit absolument aider et qu'il ne reste au milieu du danger.

La Dolma n'écoute pas ses marmonnements, occupée à observer une scène qui se déroule dans un coin sombre.

Morgane a assisté aux adieux du roi et de la reine et s'est d'abord raidie, un pli narquois tordant ses lèvres de carmin. Puis quelque chose est passé dans ses yeux, comme une faille, comme un corbeau effrayé, comme un regret. Elle a jeté un coup d'œil autour d'elle, rapidement, frémissante et anxieuse, puis a repéré Lord Agravaine dont elle s'est approchée presque timidement. L'homme était occupé à resserrer les brides de ses braconnières et lui a à peine accordé un battement de cils.

Elle lui a pris les lacets, les a noués elle-même, glissant dans sa robe de satin noir autour de lui, la lueur des torches huilant sa chevelure de jais. Il a fini par lui attraper le menton et l'a forcée à le fixer dans les yeux.

Et lorsqu'elle a soudain perdu contenance, sa fine silhouette se tordant pour le repousser, il l'a lâchée avec un reniflement sarcastique et s'est éloigné à grands pas.

Morgane est restée debout au même endroit, massant son menton délicat, et son regard de perle lançait des éclairs, même si une larme coulait, toute seule, le long de sa joue d'albâtre.

Mordred est venu la rejoindre après quelques instants et quand ses yeux d'un bleu surnaturel ont croisé ceux de la Dolma, la femme a détourné les siens, mal à l'aise.

Albion n'a pas tardé à venir la distraire et la nourrice a chassé l'étrange scène au fond de son esprit pour se concentrer sur l'enfant qui ne se doute pas un instant de ce qui se prépare et prend les dispositions du siège pour un grand jeu.

En haut, sous le ciel qui s'assombrit peu à peu, chargé de crépitements et chaleur, les hommes plissent les yeux pour distinguer ce qui s'avance vers eux au-delà du bois, sur les basses collines.

La plaine se remplit lentement de fourmis noires.

Et quand la nuit tombe enfin, des dizaines de centaines de torches s'allument soudain en face d'eux et un frémissement court sur les remparts à cette vue.

L'armée d'Odin est là.

Puissante, énorme, accompagnée de trébuchets, de balistes et de beffrois, de milliers de lances, d'épées et d'hommes dont seul le bruit des pas ébranle la terre.

Glacé par cette vue, Merlin cherche la main d'Arthur derrière le créneau, mais elle se dérobe. Le serviteur se mord les lèvres à ce geste, et le rouge lui monte aux joues d'avoir embarrassé le roi avec sa couardise. Mais Arthur ôte son gant et sa main rattrape celle de son ami.

Sa paume est aussi moite que celle de Merlin.

Il ne le regarde pas. Ses yeux sont fixés sur l'ennemi qui se dresse hors de portée de tir et sa bouche se plie au coin comme lorsqu'il est extrêmement sérieux, extrêmement sincère.

- C'est normal d'avoir peur, souffle-t-il. "Mais ne t'inquiète pas. Tout ira bien."

- Je sais, chuchote Merlin. "J'ai foi en vous."

Arthur lui presse une dernière fois la main, puis lui donne une tape sur l'épaule et le pousse en direction des escaliers qui descendent du chemin de ronde.

- Allez, retourne aux caves, maintenant.

- ça n'a pas commencé, proteste son serviteur.

Le roi est sur le point de riposter quand soudain un fracas terrible s'élève.

Ce sont les milliers de boucliers en face d'eux, contre lesquels les soldats d'Odin cognent leurs masses d'armes. Une clameur de métal qui grésille d'étincelles brûlantes dans la chaleur étouffante de cette nuit d'été.

Dans le noir, le bruit est lent, assourdissant, scandé en rythme avec les battements de leurs cœurs. A chaque salve, ils frappent le sol du pied et la terre tremble, l'air vibre.

Arthur sent ses hommes se troubler. Il remet son gant et enfile son casque.

- Va-t'en, Merlin, siffle-t-il.

Le jeune homme hésite. Ses yeux bleus parcourent la première ligne de remparts autour de la ville basse, les reflets d'acier dans l'obscurité, les visages tendus, les corps penchés sur les créneaux.

Les archers sont en joue, les chevaliers ont la main sur leurs épées.

Soudain la mélopée sourde s'arrête.

Le temps semble suspendu pendant un instant.

Puis un éclair déchire le ciel, illuminant quelques secondes les milliers d'hommes qui encerclent la ville, et le ciel se crève dans un rugissement de tonnerre, déversant des trombes d'eau qui s'abattent sur le château, alors que l'armée d'Odin se rue à l'assaut de Camelot.

 

 

A SUIVRE...

 

 


Listelia  (30.07.2015 à 21:11)

Basé sur les épisodes 5x13, 1x10, 4x12, 4x13, 5x04, 5x07

 

32

SUR LE CHAMP DE BATAILLE

 

 

Les soldats ne se souviennent pas de l'acrobate de quatorze ans que le roi avait banni après l'opération de sauvetage à Daobeth. Ils ont jeté un coup d'œil vaguement intrigué au jeune homme blond et maigre qui a été envoyé sur le front dès qu'il a été assez remis pour tenir debout, puis s'en sont désintéressés.

La nuit est tombée et avec elle l'enfer a déferlé sur le château.

Combattre, c'est la seule pensée cohérente qui leur reste.

Daegal est heureux qu'Arthur lui ait donné la chance de se racheter en défendant Camelot. Il ne sait pas manier une épée, mais il est utile pour aider à charger les trébuchets poussés sur la place du marché et celle des lavoirs, dans la ville basse. Sous la pluie battante, tailleurs de pierre, charpentiers et manœuvres s'activent en tous sens pour préparer les projectiles et plus d'un a déjà jappé des avertissements au garçon qui, dans sa hâte, ne se méfie pas des contrepoids.

- Tu veux te faire tuer ? a hurlé quelqu'un, et Daegal s'est contenté de lâcher un petit rire amer.

Mourir ? Pourquoi pas ? Cela fait six ans qu'il ne vit plus parce que le remords le ronge.

Il repousse sa tignasse filasse en arrière et plisse les yeux pour voir à travers le rideau de gouttes. De la boue macule ses braies et glisse, visqueuse et tiède, dans son cou et sous sa chemise. Ses avant-bras lui font mal à force de treuiller et de soulever des boulets pour remplir la huche qui les projette au-delà des murailles.

Ses oreilles sont remplies du vrombissement que produit le mouvement de balancier quand il écrase l'air, des hennissements nerveux des chevaux qui tirent les charrettes qui amènent les rocs, du vacarme des cris et des grincements de métal sur les remparts.

Derrière les créneaux, les hommes luttent pour repousser les échelles, frappant sans merci les vagues de soldats qui grimpent à l'assaut. Des marmites d'huile bouillante sont déversées par-dessus les pierres et une fumée épaisse, collante, s'élève avec les hurlements de douleur.

Une nuée de flèches tombe sur eux, sans relâche. Les pointes de fer ricochent sur les murs avec des étincelles. Elles se plantent dans les poutres de bois, lacèrent les chairs, tuent et blessent sans distinction les assiégeants et les assiégés. Les clameurs ne cessent pas. Dans la nuit résonnent des gargouillis des mourants et des grognements de douleur, des rugissements de guerre et des cris désespérés, des appels et des ordres, un fracas inhumain.

Numéro Quatre fait tournoyer son fléau d'armes d'une main, une torche de l'autre, courant sans relâche d'un côté à l'autre du chemin de ronde, renversant les ennemis comme de simples fétus de paille, fracassant des armures, des mâchoires qui craquent, enflammant les capes et les tresses de crins des soldats d'Odin.

Gwaine transperce la gorge d'un homme, tranche un bras à un autre, jette un coup de pied dans la poitrine d'un troisième, enfonce d'un coup d'épaule des boucliers, croche des jambes, tourne sur lui-même en se baissant pour éviter une masse et ébrèche son épée sur une cuirasse d'acier. Il halète, il a perdu son casque et ses cheveux bruns ondulés se plaquent sur son visage, mêlés de sang et de pluie.

Perceval est arcbouté derrière les grandes portes qui ferment l'accès à la ville basse, et à chaque fois que le bélier les cogne, une secousse puissante lui traverse le corps. Le visage crispé, les muscles gonflés et durs, il encourage d'une voix rauque les soldats massés avec lui contre les poutres qui consolident les battants cloutés. S'ils cèdent, s'ils échouent, l'ennemi entrera dans la ville basse et prendra le contrôle du premier cercle de protection, se rapprochant dangereusement de la citadelle accroupie comme une grosse poule sur le peuple réfugié dans ses caves.

Le visage d'Arthur est marbré de rouge, la blessure au front qui lui a arraché son casque délavée par l'eau qui ruisselle sur son armure noire de fumée et d'éclaboussures ensanglantées. Le roi continue de rallier ses troupes, infatigable, la voix cassée mais les yeux perçants, chargeant dans la masse grouillante qui se rue sur les remparts. Cela fait-il des heures ou des minutes ? Il n'en sait rien. Il ne sent ni la fatigue ni les bleus qui s'épanouissent sous sa cotte de mailles. Seule l'anime sa volonté farouche de ne pas céder, de ne pas abandonner, d'endiguer le flot rampant qui s'accroche à ses murailles comme une invasion de fourmis aux pattes crochues, ces formes sombres assoiffées de meurtre dont les glapissements se confondent avec les râles des soldats de Camelot.

Sir Léon fait des allers-retours, repérant les brèches, envoyant des renforts là où il y en a le plus besoin, surveillant les manœuvres des trébuchets sous une grêle de pierres et de ballots enflammés. Son cheval est blanc d'écume, écorché par le mors, le poil trempé et hirsute, les naseaux fumants et ses yeux globuleux dilatés de frayeur. Il se cabre quand un mur s'écroule près d'eux, bondit en s'arquant pour échapper au contrôle de son cavalier alors qu'un autre toit prend feu, le chaume mouillé crissant sous la pluie torrentielle. Sir Léon ne se laisse pas désarçonner, enfonce ses talons dans les flancs palpitants de la bête terrorisée, l'oblige à se calmer, claque la langue pour encourager sa monture qui souffle lourdement.

Ils n'ont pas le temps d'éteindre les incendies, se contentent d'empêcher qu'ils se propagent, bénissent à travers leurs jurons l'orage qui empêche que tout flambe d'un seul coup. La ville sera peut-être à moitié en ruines après cette nuit, mais tant que l'ennemi n'a pas franchi les portes, ses catapultes sont hors de portée du château.

Agravaine le sait et se tient avec les réserves au-delà du pont-levis, à l'abri d'une arche de pierre. La lumière d'une torche qui crachote jette des ombres fauves sur le pli de sa gorge, graissant ses cheveux noirs rabattus en arrière. Il a noué un ruban jaune à son bras gauche et dit à ceux qui l'interrogeaient à ce sujet qu'il s'agissait de la faveur d'une dame.

Les hommes ne voient pas son expression sarcastique, concentrés pour écouter les braillements de bataille et tenter de deviner aux lueurs dansantes ce qu'il advient du côté des murailles.

Lorsqu'ils voient arriver Merlin qui se hâte en boitant, ils écarquillent les yeux de surprise.

- Le roi ! Comment va le roi ? crie quelqu'un.

- Est-il mort ?

- Les dieux nous protègent !

- Ont-ils franchi les portes ?

- Parle, l'idiot ! aboie un dernier en voyant que le serviteur se contente de cligner des yeux bêtement en s'abritant sous un bouclier rond pour se protéger de la pluie.

Merlin les regarde d'un air un peu perdu.

- ça vient juste de commencer, proteste-t-il. "Ne soyez pas ridicules, Arthur ne va pas les laisser passer si facilement !"

- Ridicules ! répète un homme avec mépris, en expectorant quelque chose de gluant qui s'écrase aux pieds du jeune homme.

- ça fait des heures que ça dure, imbécile ! lance un autre.

- Oh, dit Merlin d'un air étonné.

Puis il se tourne avec inquiétude du côté des murs de la ville, oubliant le bouclier qui roule et tombe après avoir rencontré le coin d'une maison.

- Dépêche-toi de retourner à l'intérieur, Marvin, ordonne Agravaine sèchement. "Tu n'es pas à ta place, ici."

Le serviteur hoche gravement la tête, puis passe au milieu des soldats qui ne lui épargnent ni les commentaires, ni les bourrades. Quand il atteint la cour d'honneur silencieuse et vide, il s'arrête de nouveau, perplexe. La pluie crépite sur les pavés et sur ses épaules osseuses, plaquant sa chemise sur son torse maigre, scintillant dans ses cheveux sombres.

Il ne comprend pas. Il vient juste de laisser Arthur sur les remparts.

Il se faufile jusqu'aux cavernes et son arrivée fait sensation. On l'assaille de questions anxieuses – mon mari, mon frère, mon père, mon fiancé, mon fils ? – et il bredouille, submergé.

Guenièvre le sauve en dispersant la foule et le ramène près de son grand-père qui, en le voyant trempé, fronce aussitôt ses sourcils au point qu'ils dépassent presque de son large front ridé. Albion grimpe sur un tabouret pour lui sécher la tête avec un bout d'étoffe et s'exclame soudain, étonnée.

- Oh ! C'est tout rouge.

Gaius palpe le crâne de son petit-fils qui lâche un gémissement étouffé et se dérobe quand les doigts touchent une légère plaie à l'arrière de sa nuque.

- Comment tu t'es fait ça ? gronde le médecin de la cour.

- Euh…

Merlin réfléchit un instant, puis tout lui revient.

Il a dévalé les escaliers du chemin de ronde et couru en boitillant à travers la ville alors que l'orage éclatait et que la marée humaine se jetait à l'assaut des remparts sous un déluge de rochers et de balles de feu. Il se rappelle d'une explosion et d'avoir été soulevé dans les airs, puis plus rien. Il s'est réveillé dans un brouillard de fumée orange, est sorti en trébuchant du brasier, s'est dirigé vers le château avec les oreilles qui tintaient, plus très sûr de l'endroit où il était.

- Ah, se radoucit le médecin. "Je comprends. Tu n'as pas envie de vomir ?"

- Non, dit Merlin, presque penaud. "Je vais bien. Ça me pique juste un peu."

- Heureusement, s'écrie Guenièvre, soulagée. "Je vais désinfecter ça et te mettre un bandage, et tu seras comme neuf.

- Pas besoin de bandage, interrompt Gaius avec une esquisse de sourire. "C'est presque sec, Albion a juste essuyé les gouttes teintées de sang dans ses cheveux. Mon garçon, tu as une chance insolente. Maintenant, fais-moi le plaisir de cesser de te mettre dans ce genre de situations et tiens-toi tranquille ! Si tu veux absolument te rendre utile, reste à l'infirmerie."

- Oui, c'est insupportable, mon garçon, appuie Albion en agitant son doigt d'un air mécontent.

Les adultes rient, Merlin se fait pardonner d'un sourire et l'incident est clos. Depuis les caves, on entend à peine le son de la bataille et la petite fille ne doute absolument pas que son père risque sa vie pour les défendre, là-haut.

Les gens somnolent, engourdis par l'attente.

Morgane s'est assise sur une couverture damassée que lui a donnée Guenièvre. Mordred a posé la tête sur ses genoux et a fini par sombrer malgré son orgueil de garçon presque adolescent. Elle lui caresse la joue, ses yeux pâles perdus dans un rêve ou un souvenir. Tout contre son cœur, sous son châle, elle tient le livre en lambeaux qui raconte l'histoire de Tristan et Yseult.

La Dolma finit par attraper Albion et la coince dans ses jupes, jusqu'à ce que l'inactivité forcée rappelle à l'enfant qu'elle est fatiguée. La petite fille s'enroule comme un petit chat dans les longs bras de sa nourrice et s'endort avec son ours en tissu blotti sous son menton.

Guenièvre a fait le tour des réfugiés, rassuré les uns, empêché les autres de se quereller, trouvé une parole pour encourager et calmer chacun. Quand elle a eu ordonné aux écuyers de cesser de s'entraîner, elle est allée faire un tour au caveau juste au-dessus de la caverne, là où est installée l'infirmerie. Les blessés ne cessent d'y affluer et elle s'est empressée de donner un coup de main. Puis, en voyant Merlin vaciller de fatigue sur ses longues pattes, elle a su qu'il était temps d'aller prendre un peu de repos et a entraîné le serviteur hors de la salle remplie de gémissements de souffrances.

Merlin dort profondément, maintenant, sa tête appuyée contre l'épaule de son amie qui contemple la cassette qu'Arthur lui a confiée avant d'aller se battre.

Chacun a pris ce qu'il avait de plus précieux pour descendre dans le refuge et, parmi tous les trésors qu'il possède, le roi n'y a emmené une simple boite en bois de rose. La clé en est dehors, au cou d'Arthur, mais la reine n'a pas besoin de l'ouvrir pour savoir ce qu'elle contient.

Les lettres de Mithian et celles de Merlin.

Guenièvre joue doucement avec son alliance et avec l'anneau d'argent qu'elle a détaché du pommeau de l'épée et suspendu à son cou.

"Deux fois sera ton cœur brisé…" avait dit la vieille femme mystérieuse dans la forêt.

Guenièvre commence seulement à comprendre ce que ces mots voulaient dire.

Elle soupire, cale son bras sur une aspérité de rocher en essayant de ne pas trop remuer pour ne pas réveiller Merlin et ferme enfin les yeux.

Quelques heures – ou peut-être seulement quelques minutes – plus tard, les premiers rayons de l'aube percent les nuages au-dessus du château et la pluie se tarit, laissant une myriade de gouttelettes brillantes sur le champ de bataille.

Les murailles extérieures ont tenu bon, mais les pertes sont lourdes. Les corps des soldats en rouge et or jonchent les escaliers pêle-mêle avec les livrées jaunes de leurs ennemis, les toits de la ville basse dégagent de larges colonnes de fumée grise et épaisse, des lances brisées s'élèvent en vrac au pied des remparts, des cadavres surnagent dans les douves.

Odin cesse l'assaut alors que le soleil se lève et son armée dresse son campement hors de portée de tir mais tout autour de la ville meurtrie. Arthur rassemble ses hommes en comprenant que la chaleur torride de la journée leur accordera quelques heures de répit et les défenseurs de Camelot retournent péniblement à l'intérieur.

Tous ceux qui n'ont pas été appelés à se battre se précipitent vers eux. Ici une femme étouffe dans ses bras son frère dégoulinant d'eau et de sang ; là un père s'agenouille malgré sa plaie à la cuisse pour prendre dans ses bras un bambin aux boucles brunes et sa sœur qui renifle ; une jeune fille embrasse fougueusement son fiancé ; un vieillard serre la main de ses fils couverts de boue mais bien vivants et des larmes coulent dans sa barbe blanche.

Les paysans couvrent d'un regard admiratif les soldats qu'ils ont souvent critiqués pour leur solde gagnée à ne rien faire en ces temps de paix, les nobles font la révérence quand passent les chevaliers aux armures cabossées et aux capes déchirées.

Avant même que Guenièvre et Albion ne l'aperçoivent, Merlin s'est frayé en boitant un passage dans la foule et jeté au cou d'Arthur qui le serre brièvement contre lui avec un sourire soulagé. Le roi pose un baiser sur la joue de son épouse qui le scrute à la recherche de blessures, ébouriffe les cheveux blonds de sa fille qui l'examine avec curiosité.

- Vous êtes sale, Père, commente-t-elle. Puis elle touche avec précaution la boursouflure noirâtre sur son front et enlève vite sa main quand il tressaille malgré lui. "Pardon, Sire. Vous avez mal ?"

Merlin est déjà allé chercher un bassin, des linges propres et nettoie le visage de son maître après l'avoir obligé à s'asseoir sur un tabouret. Arthur se laisse faire sans protester, perclus et hébété de fatigue.

Gwaine et Perceval se présentent au rapport dès qu'ils ont fait soigner leurs propres égratignures. Sir Léon a dressé la liste des morts et l'apporte d'un air lugubre. Numéro Quatre ramène par la peau du cou Daegal qui ressemble à un afanc, recouvert de boue de la tête aux pieds, et le laisse tomber dans un coin où le jeune homme sombre aussitôt dans le sommeil.

Le roi leur ordonne de prendre quelques heures de repos pendant qu'Agravaine supervise les sentinelles qui les préviendront si l'assaut risque de reprendre. Les hommes s'effondrent sur des couchettes de fortune partout dans les cavernes, veillés par leurs familles. Les enfants se tiennent à peu près tranquilles, impressionnés par l'air grave des adultes. Albion fait de la broderie sous l'œil sévère de la Dolma, pendant que Guenièvre est à l'infirmerie où elle relaie Gaius. Le vieillard, exténué, a accepté à contrecœur d'aller s'étendre et Merlin le surveille, baignant le front ridé d'un linge humide.

Gwaine, cependant, ne va pas se coucher et s'attarde près du roi quand celui-ci, enfin seul, s'autorise à passer une main lasse sur son visage aux traits tirés.

- Je sais, dit Arthur sans lever les yeux vers le chevalier barbu. "La ville basse ne supportera pas un second assaut."

- Si vous le savez, alors pourquoi vous ne m'autorisez pas à prendre le Trou aux Vildorènes et à faire ce qui doit être fait ? riposte doucement Gwaine.

- Parce que j'ai besoin de toi ici. Parce que le premier poste doit être détruit et qu'il faudra aller au second pour lancer le signal et qu'un – ou même deux ! – cavaliers ont toutes les chances d'être pris avant d'y parvenir. Parce que c'est un pari trop dangereux et qu'on ne sait même pas si nos alliés répondront.

- Justement ! s'écrie le chevalier en étouffant sa voix pour ne pas attirer l'attention des dormeurs ou des paysans. "Tant qu'on n'aura pas essayé, on ne saura pas quelle est leur loyauté véritable envers Albion, s'ils ont simplement signé le traité et regarderont la curée de loin, ou s'ils se porteront au secours de Camelot."

Arthur soupire et cette fois il croise franchement le regard de son lieutenant et ami.

- Ne me tente pas, murmure-t-il.

Un grognement lui fait tourner la tête et il découvre Numéro Quatre qui lui offre son épée.

- Vous voyez, Derian ne sait pas de quoi je parle, mais il est volontaire pour aller chercher de l'aide, insiste Gwaine. "Et par ma foi, avec lui, je suis sûr d'y parvenir."

- Quoi ? Et perdre mes deux meilleurs hommes d'armes, commence le roi qui s'interrompt alors que Perceval et Sir Léon surgissent de l'ombre.

- Nous serons là, nous, dit le géant sans paraître offensé le moins du monde.

- Sire, écoutez-le, ajoute le commandant frisé avec gravité. "La ville basse tombera à la prochaine bataille, c'est certain. Nous tiendrons trois, peut-être quatre jours contre une telle armée, pas plus longtemps. La seule chance de Camelot repose sur la venue de ses alliés. Il faut que les feux sur les montagnes soient allumés."

Arthur se tait pendant un long moment, puis il avale sa salive avec difficulté, regarde tour à tour chacun des hommes avec qui il a traversé tant d'épreuves, puis hoche la tête.

- Très bien. Gwaine et Derian, vous emprunterez le Trou aux Vildorènes avec deux chevaux. Galopez à bride abattue et que les dieux soient avec vous.

- Où vont-ils ? demande une voix un peu voilée et ils se tournent vers Merlin dont les yeux bleus sont remplis de questions inquiètes. "Qu'est-ce que c'est, les villes-de-rênes ?"

- Vildorène, rectifie le roi machinalement, avant d'ajouter d'un ton extrêmement sérieux : "Merlin, c'est un secret absolu. Tu ne dois en parler à personne. Vraiment personne."

- Et Guenièvre ?

- A elle, je le dirais moi-même.

- Et votre oncle ?

Arthur hésite un instant.

- Non, pas même à lui.

- D'accord, répond simplement le jeune homme, et ils savent que rien ne pourrait le faire trahir le secret qu'ils vont lui confier.

Il l'a prouvé.

Les six hommes montent au château et préparent discrètement quelques provisions et deux montures habituées à parcourir de longues distances au triple galop puis, au lieu de redescendre dans les grottes, s'enfilent dans une galerie qui s'ouvre derrière une porte en apparence condamnée, à la hauteur de l'infirmerie. Sur le sol de terre battue, les sabots des chevaux ne font aucun bruit. Les torches jettent des ombres sur les piliers et les poutres qui soutiennent le passage.

Après le drame d'il y a dix ans, Arthur a fait condamner les tunnels sous Camelot. Ce que Gwaine désigne par le Trou aux Vildorèneset après qu'il l'ait surnommé ainsi, les quatre seuls au courant de ce passage secret ont pris l'habitude de l'appeler ainsi aussi – est un étroit labyrinthe sous le château, à peine assez grand pour laisser passer un cheval docile mené par la bride. Le chevalier barbu le compare aux terriers creusés par les bébés rats de légende qui hantent les contes d'horreur à la veillée.

En arrivant à l'endroit où une lourde porte de fer sépare la galerie de la cheminée en pente douce qui émerge derrière le rideau d'une cascade loin dans les bois, au-delà de l'armée campée à la surface, Arthur s'arrête et échange une poignée de bras chevaleresque avec les deux guerriers qui se sont portés volontaires pour cette chevauchée infernale.

- Merci, souffle-t-il.

- Merci à vous, Sire, riposte Gwaine avec un éclat ému dans ses yeux, derrière le sourire gouailleur qu'il affiche.

Merci de m'avoir donné ma chance.

Merci de m'avoir pris à votre service.

Merci de me confier le salut de Camelot.

Perceval étouffe à moitié son ami en lui souhaitant bonne chance et Sir Léon le salue militairement, ses yeux remplis d'un tas de recommandations de prudence qu'il retient par respect pour le courage du lieutenant.

Numéro Quatre adresse un signe de tête bref et discipliné à l'officier, serre la main du géant et s'agenouille devant Arthur qui le relève.

- Nous comptons sur vous, répète le roi. "Nos vies et celles du peuple sont entre vos mains."

Gwaine acquiesce, puis il s'approche de Merlin qui les contemple, frémissant de larmes contenues.

- Hé, lance-t-il doucement. "Pas de panique, d'accord ? On ne part que quelques jours."

Puis il serre très fort le jeune homme dans ses bras.

- A bientôt, mon pote.

Merci, Merlin.

Merci d'être ce que tu es.

Merci d'être devenu mon ami quand je n'étais rien.

Merci d'avoir cru en moi.

Il passe sa main dans les cheveux noirs du serviteur, les emmêle de son geste habituel, puis s'écarte et attrape son cheval par la bride tandis que Numéro Quatre s'approche de Merlin.

L'ancien meurtrier se penche et, sans faire de mouvements brusques, appuie son front contre celui du jeune homme. Celui-ci lève lentement ses mains et les pose sur le visage de Derian, dans un geste si digne, si simple, qu'il ressemble à une bénédiction.

L'Ombre Blanche rejoint ensuite le chevalier et tous deux s'apprêtent à franchir la porte lorsqu'une petite voix cristalline s'élève dans la pénombre.

- Oh. Qu'est-ce que vous faites là ?

Arthur sursaute et se retourne violemment.

Albion est en train de s'extirper d'un trou à peine assez large pour un renard.

- D'où tu sors ? cingle le roi.

La petite fille se trouble à son ton furieux, met les mains dans son dos et baisse les paupières pour ne pas croiser les yeux alarmés de Sir Léon et Perceval.

- Je… on jouait… je m'ai cachée… dans la grande salle secrète… et pis j'ai vu la lumière… la torche qui clignotait, comme ça, entre les rochers… je suis désolée… Père… Votre Majesté…

Merlin s'approche en trainant sa jambe raide.

- Tu ne devrais pas être là, dit-il gentiment avec une expression grave. "C'est un secret."

Albion se mord la lèvre.

- Je dirais rien à personne, promet-elle d'une toute petite voix.

Gwaine sourit et donne la bride de son cheval à Numéro Quatre pour s'approcher de la fillette. Il se penche et lui adresse son clin d'œil signature, faisant descendre de quelques crans la tension dans l'air.

- Est-ce que tu sais que tu es la plus jolie damoiselle des cinq royaumes ? dit-il de sa voix la plus séduisante, en s'accroupissant devant elle.

Albion glousse malgré elle, sans voir qu'Arthur s'est radouci et qu'il lève les yeux au ciel.

- Père a dit que si tu me fleurettes encore dans dix ans, il te fera pendre par les orteils à la plus haute tour du château, prévient-elle.

- Ton père est un barbare, dit le chevalier barbu d'un ton léger. "Je ne cherche pas à mal, en plus, c'est juste mon cœur qui s'exprime naturellement devant un tel déploiement de bonté et de beauté, princesse."

L'enfant se tortille de rire.

- Partez, mon seigneur, riposte-t-elle en battant des cils et faisant un geste négligent de la main comme elle l'a vu faire quantité de fois aux dames à qui l'homme faisait des avances. "Je ne soorais toolérer de telles parooles."

Gwaine pouffe de rire, puis redevient sérieux.

- Accordez-moi seulement un baiser, car je pars pour une longue quête où seule votre pensée me soutiendra.

Albion le scrute en fermant un œil à demi pour discerner le jeu de la vérité, puis noue spontanément ses bras au cou du chevalier et lui plante un gros bisou sur la joue.

- Reviens vite, Gwaine, dit-elle. "Les coutures de mon ours sont toutes défaites, tu dois les refaire."

Il se relève et tapote la petite tête blonde.

- A bientôt, princesse.

La porte tourne sur ses gonds en grinçant et les deux hommes disparaissent dans l'obscurité, la lumière de leur torche vite avalée par les ténèbres au premier détour de la galerie.

- Retournons aux caves, nous devons être en forme pour la bataille de ce soir, dit Arthur solennellement.

Perceval et Sir Léon acquiescent en silence.

Merlin prend la main d'Albion.

- Qu'est-ce que c'était, cette salle secrète dont tu parlais ? demande-t-il.

Les yeux de la petite fille s'illuminent et elle pointe du doigt le trou duquel elle est sortie.

- Elle est juste derrière le mur. Elle est TREEES grande, avec des tas de dessins gravés partout, et pis y'a l'épée.

- Quelle épée ? interroge Arthur en fronçant les sourcils.

- Une épée dorée toute emberlificotée dans des toiles d'araignée, explique l'enfant. "Et le soleil tombe juste dessus, c'est très joli. Elle est plantée dans une pierre, Père. Comme dans l'histoire."

 

 

A SUIVRE...

 

 


Listelia  (31.07.2015 à 10:37)

Basé sur les épisodes 5x13, 1x10, 4x12, 4x13, 5x04, 5x07, 5x08

 

33

L'ÉPÉE DANS LA PIERRE

 

 

Il règne dans la grande salle souterraine une odeur de lierre, de terre fraîche humide et de genévriers. Les massifs piliers sont noircis de traces de fumée, les gravures ouvragées recouvertes d'une fine couche de poussière brillante. De petites fleurs blanches et des fougères ont poussé dans les interstices sur le mur recouvert d'une fresque de pierre.

Au milieu, sous la douche de soleil qui tombe d'une trouée dans la voûte, se dresse un rocher.

Plantée dedans, comme un défi, comme une image surgie d'une légende, il y a une épée au pommeau doré, avec des inscriptions étranges sur la lame.

- Ce sont des runes anciennes, a dit Gaius en les examinant avec sa loupe, avant de se redresser en faisant grincer ses articulations. "Prenez-moi, jetez-moi. Pas de doute, Sire, c'est l'épée perdue."

Arthur a écarquillé les yeux, stupéfait.

- Dire qu'elle était là tout ce temps… cette caverne doit dater de l'époque où Camelot n'était qu'une forteresse en bois, ils devaient s'y réfugier en cas d'attaque.

Il s'est raclé la gorge, frotté la nuque.

- Bon. Ce sera une salle supplémentaire, les gens seront moins entassés, c'est déjà ça.

- Allez-vous vraiment les laisser entrer, Sire ? a protesté Geoffroy de Montmouth dont la mâchoire s'était enfin remise à fonctionner après être restée bloquée sur un –o- pendant un bon quart d'heure. "C'est un site d'une très haute importance historique ! Ces… ces incultes vont essayer de tirer l'épée du rocher !"

Le roi a eu un petit sourire mi-las, mi-amusé.

- Eh bien, si quelqu'un y parvient, c'est que ce n'est pas le bon souverain qui règne sur Camelot, voilà tout.

- Ils vont l'abimer ! a piaulé le vieil homme chauve.

Arthur a levé une main pour exiger le silence.

- Cette salle salubre suffisamment grande pour accueillir mille personnes est une providence que nous n'aurions pu espérer, dit-il d'une voix sans réplique. "Elle nous permettra de mettre les blessés à l'abri si Odin franchit les remparts extérieurs et que ses catapultes commencent à pilonner le château. Peu m'importe ce qu'elle est, si les caveaux du trésor royal étaient assez commodes pour ça, j'y logerai du monde, en ces circonstances."

Il s'éloigne et distribue des ordres, et le pauvre historien éperdu se voit vite submergé par une foule curieuse, désespérée d'oublier la menace qui pèse sur Camelot.

Les enfants veulent toucher la lame émoussée, les ados essaient d'empoigner le pommeau richement travaillé, paysans et citadines se pressent autour du rocher, émerveillés.

Évidemment, l'épée ne bouge pas d'un pouce, même lorsqu'on s'y met à plusieurs pour la tirer du rocher.

Les chevaliers ne s'en approchent pas, de même que les soldats. Les hommes se sont recouchés et s'efforcent de se reposer. Les femmes installent de nouveaux grabats dans la grande salle confortablement sèche et aérée, puis s'assoient et pèlent des kilos de légumes. Quatre marmites énormes ont été pendues dans l'âtre pour préparer un ragout qui nourrira des dizaines de bouches à midi. Merlin et d'autres serviteurs apportent du bois, charrient des seaux d'eau, comptent des miches de pains et des roues de fromage, remplissent des pichets de vin, collectent les provisions pour les mettre en commun.

Au pied de la fresque de pierre, la Dolma s'est assise sur un tabouret et raconte une histoire à Albion, entourée d'une bonne cinquantaine de gamins, à genoux ou allongés sur le ventre, fils de nobles ou filles de manants confondus, tous passionnés par le récit épique que l'ancienne actrice met en scène avec moult bruitages et roulements des yeux.

- Il y â de celâ bien longtemps, âvant que n'existent les cinq rôyaumes, cette terre était râvâgée pâr lâ guerre et lâ ruine. Mais un homme était déterminé à mettre fin à tout celâ.

- Je sais, c'est Bruta, le premier roi de Camelot ! pépie Albion qui a déjà entendu cette histoire – sa préférée – des centaines de fois. "Et son épée s'appelait Excla… Esca… Escalibur."

La Dolma lui caresse la tête puis reprend son récit.

- Excâlibur. Il râssemblâ les anciens de châque tribu et divisâ le pays en plusieurs pârties. Châcun devrait respecter les frontières des autres et régner sur son domaine comme il le jugerait convenâble…

Les enfants écoutent attentivement, le menton dans les mains, la bouche entrouverte. Morgane aussi, depuis le mur contre lequel elle s'appuie, les bras croisés, ses longs cheveux de jais cascadant sur ses épaules. Un sourire ironique orne ses lèvres pâles et son regard de perle ne quitte pas la nourrice.

Mordred est assis en tailleur sur une couverture pliée et aiguise une épée avec soin, très droit dans la cotte de mailles un peu trop grande pour lui, ses boucles noires en désordre sur son front où brille un peu de sueur.

Il ne prête aucune attention au conte, ses étranges yeux bleus fixes comme s'il était en transe.

En face de lui, Agravaine est en train d'étudier un plan du château, penché sur une table.

- Lorsque Brutâ était sur le pôint de mourir, il demandâ à être emmené à un endrôit secret. Là, âvec les forces qui lui restaient, il enfonçâ son épée dans une pierre. Si un jour le pays était à nouveau divisé, celâ deviendrait une épreuve pour chôisir un nouveau souverain. Seul un véritâble rôi de Câmelot pourrait tirer Excâlibur du rocher.

Tous les yeux se tournent vers la lame scintillante à la lumière du soleil, sur son piédestal naturel au milieu de la salle immense. Les garçons soupirent, pensant à la gloire que leur apporterait cet exploit, les filles imaginent Bruta sous les traits d'un chevalier blond portant une cape rouge…

- Alors mon papa pourrait la sortir, lui ? dit Albion d'un air pensif, fronçant son arcade sourcilière exactement comme le fait Arthur au même moment, dans une autre caverne, tandis qu'il écoute le rapport des sentinelles.

- Ben oui, lance le fils de Sir Elyan. "Mais il n'a pas besoin de prouver qu'il est le roi, tout le monde le sait !"

La Dolma penche la tête de côté, un éclat mystérieux dans ses iris vert tilleul.

- Vôici lâ fin de l'histôire. Âvant de pârtir pour Âvâlon, Brutâ prononçâ ces mots : un jour, lorsque Camelot en aura le plus besoin, l'épée sera tirée du rocher par un homme qu'on appellera le "Roi Qui Fut Et Qui Sera". Il unira le pays de nouveau et régnera sur le plus grand royaume que le monde ait connu. Lâ légende râconte que ce héros viendrâ guidé pâr lâ main d'un enfant et qu'il n'y en aurâ pâs de pâreil à lui.

Dans les yeux des gamins pétillent des étoiles. Tous se voient déjà rencontrer le guerrier un soir en rentrant des champs ou en revenant du marché, ou mettant pied à terre dans la cour d'honneur avec un cliquetis de son armure.

Ils le prendraient par la main et l'emmèneraient au fond des caves, jusqu'à la caverne immense dont le plafond scintille comme la surface d'un lac pendant la nuit. Et là, devant eux, il tirerait l'épée de la pierre…

Albion contemple son père qui traverse lourdement la salle et s'assoit sur une paillasse au milieu de ses hommes, comme un simple soldat. Il a l'air fatigué, ses traits tirés dissimulent mal son inquiétude, il est sale et ses épaules se sont un peu voûtées.

La lèvre inférieure de la petite fille tremble un peu.

Puis Merlin rejoint le roi de son pas boitillant, un gros oreiller dans les bras, son large sourire remonté jusqu'aux oreilles, et taquine Arthur jusqu'à ce que celui-ci reprenne un air confiant.

Les yeux d'ambre s'éclairent à cette vision familière.

Son père n'est peut-être pas le colosse décrit par l'histoire, mais elle l'aime de tout son cœur. Oh oui. Et plus que tout, elle souhaite lui plaire et le servir. Elle décide qu'ils n'ont pas besoin d'un autre roi que lui, peu importe la gloire et les promesses d'Excalibur. Elle ne cherchera pas le chevalier mystérieux, elle choisit de croire en Arthur.

Elle détourne volontairement les yeux de l'épée et glisse des genoux de la Dolma qui la regarde s'éloigner d'un drôle d'air, un peu comme une mère oiseau s'enorgueillit de voir enfin ses petits s'envoler, puis enchaîne avec une autre histoire.

La jeune princesse, elle, trottine jusqu'à Guenièvre qui, un tablier noué à la taille, découpe d'épaisses tranches de lard. Elle grimpe sur un tabouret et lui propose son aide.

Tandis qu'Arthur s'endort enfin pour quelques heures sous la garde vigilante de son serviteur, Albion tartine de grosses noisettes de beurre sur du pain de seigle, à côté de la reine qui prépare le souper du peuple.

 

oOoOoOo

 

Quand le roi se réveille, l'épaule gentiment secouée par Perceval, il fait nettement plus sombre dans la grande salle et un parfum épais de viande bouillie et de chou a remplacé l'odeur légère et froide du sanctuaire.

Le feu brûle toujours dans la cheminée gigantesque, jetant des reflets rougeoyants sur les soldats de pierre qui arpentent la grande paroi.

- Il faut que vous mangiez, Sire, dit le géant en lui tendant un bol fumant et une cuillère.

- La bataille a-t-elle repris ? s'enquiert Arthur en frottant ses yeux ensablés et en faisant rouler ses épaules pour se dégourdir.

- Non, mais cela ne saurait tarder. La chaleur s'est atténuée et la nuit ne tardera guère.

Le roi avale rapidement son repas, puis se lève. Merlin lui apporte de l'eau mais il trébuche, s'emmêle sur ses longues pattes et le bassin, l'eau, le serviteur, tout se retrouve étalé par terre.

- Qu'est-ce que tu me fabriques ? grommelle Arthur en aidant son ami à se relever. "C'était quoi, ça ? Tu t'es fait un croche-pied à toi-même ? De mieux en mieux, Merlin."

- Désolé, bredouille le jeune homme, ses grands yeux bleus plus ahuris que jamais. "Je crois que j'ai perdu l'équilibre."

- Une bonne chose que tu ne te sois pas trouvé sur les remparts, avec une coordination aussi – splendide… Non, tu nettoieras ça tout à l'heure, pendant qu'on… bref. Va chercher mes armes et mon bouclier, plutôt.

Merlin se hâte et Perceval le suit d'un regard attendri.

- Il vous a trouvé un autre casque, Sire. Mais j'ai bien peur que votre tête ne soit trop grosse pour rentrer dedans.

Quelqu'un pouffe de rire et Arthur fait la moue.

- Oups. Une bien malencontreuse façon de formuler les choses, glousse Léon qui s'approche d'eux.

- Pendant un instant, j'ai cru que c'était Gwaine, soupire Arthur. "Il…"

Encore une fois, sa phrase reste en suspension, lourde de tout ce qui va – et pourrait – arriver cette nuit.

C'est le soir de la deuxième bataille.

A l'aube, quand résonne le souffle puissant du dragon, les combattants retournent à l'intérieur, épuisés et bien moins nombreux que lorsqu'ils ont quitté les grottes.

La ville basse a été prise.

Sous un déluge de feu et de flèches, ils ont lutté farouchement, ne reculant qu'un pas après l'autre, tassés derrière les portes jusqu'à ce que la gueule enflammée du bélier ne rompe les planches, les battants cloutés et les barres de fer. Beaucoup sont morts pour endiguer l'irruption des soldats ennemis.

Puis les barricades sont tombées une à une dans la ville qui empestait le souffre, le sang, l'agonie, la peur. Comme une coulée de lave, l'armée d'Odin s'est répandue entre les maisons, dévastant tout sur son passage.

- Retraite, retraite ! a hurlé Arthur d'une voix suraigüe, lorsqu'il a compris qu'il ne perdrait que davantage d'hommes s'il continuait cette lutte déjà perdue.

Ils se sont rapatriés derrière la seconde ligne de remparts, ont relevé le pont-levis alors que la première lueur de l'aurore glissait sur les tours encore intactes.

Le campement est maintenant installé sur la place du marché et les trébuchets sont tombés aux mains de l'ennemi. Figure maigre aux yeux hantés par les horreurs qu'il a vues, Daegal a réussi à se faufiler à l'intérieur juste à temps.

La fumée sombre qui s'élève au-dessus de Camelot cache presque le soleil dans ses volutes qui empestent la chair grillée, le chaume, le bois carbonisé.

 

oOoOoOo

 

Le nuage se voit de loin à travers la plaine, comme un vol d'oiseaux noirs dans la lumière dorée du matin.

- Ils sont encore en vie. Je le sais. Dépêchons-nous, marmonne Gwaine entre ses dents, et il talonne son cheval à bout de forces pour le pousser sur le chemin escarpé qui monte à travers la montagne.

Derrière lui, Numéro Quatre l'imite.

Le vent froid leur griffe la barbe, le nez, les yeux, se glissant avec un goût âpre au fond de leurs gorges. Leurs manteaux de laine grise s'envolent et les protègent mal des flocons qui tourbillonnent déjà à cette altitude.

Le premier avant-poste, à Stonewell, a été mis à sac comme Arthur l'avait prédit. Il s'en est fallu de peu que les deux cavaliers ne soient repérés par les hommes qui le gardaient.

La seule chance de Camelot les attend au col de Kemeray. S'ils peuvent allumer le bûcher là-bas, alors les feux se répandront de montagne en montagne. Mercia et Essetir seront prévenues en quelques heures par les relais et, par elles, la nouvelle ira à Nemeth au sud et en Gawant au nord.

Il suffira de deux jours pour que les armées alliées apparaissent sur les crêtes et Odin sera fou s'il croit qu'il peut combattre alors qu'il est assailli sur les flancs et par l'arrière.

Deux jours.

Il faut que Camelot tienne encore deux jours.

Gwaine pioche une pomme dans celles qu'il a bourrées dans sa sacoche avant de partir et croque dedans en se penchant en avant, les yeux plissés pour suivre le sentier étroit.

Il va les sauver.

Il va les sauver tous.

Des pierres roulent avec fracas derrière lui, un hennissement déchirant retentit, suivi d'un grognement de douleur.

- Derian ! crie-t-il en se retournant, tirant sur les rênes sans se soucier de blesser les gencives sanguinolentes de sa pauvre monture.

Numéro Quatre lui adresse un signe de tête pour le rassurer, tout en se relevant avec peine. Son cheval s'est écroulé et a glissé un peu dans la pente. Il s'est sûrement cassé une patte et, à la façon dont l'Ombre Blanche se déplace, Gwaine comprend que l'homme a dû se blesser dans la chute, lui aussi.

Les yeux dilatés, la pauvre bête halète, les naseaux blancs.

- Il va crever, dit le chevalier barbu. "Quelle pitié."

C'est tout, parce qu'ils n'ont pas le temps de pleurer la mort d'un animal alors que les vies de milliers de gens sont entre leurs mains.

Numéro Quatre s'accroupit à côté de son cheval, pose sa main sur l'encolure qui tremble de peur, de fatigue et de souffrance. Il ronronne doucement, flatte le poil mouillé de sueur, défait avec précaution les sangles de ses fontes qu'il charge sur son épaule. Puis il tire son couteau de sa ceinture et le plante dans le cœur de la bête, très vite.

Il se relève, essuie la lame rouge de sang bouillonnant sur sa cuisse et suit Gwaine sur le sentier.

 

oOoOoOo

 

Les femmes pleurent.

Arthur se refuse à contempler la salle qui s'étend devant lui, remplie de familles en deuil.

956 hommes.

956 âmes.

956 morts.

Le nombre horrible lui martèle le cœur, résonne contre ses tympans comme une migraine atroce, un glas, une accusation.

Les femmes pleurent, mais elles ne disent rien. Pas une ne lui a lancé de regard de reproche, pas une n'a hurlé ou ne s'est débattue en tombant dans les bras de ses amies, de ses parents, alors qu'on lui ramenait le cadavre de son fils, de son mari, de son fiancé, de son frère, de son père.

Deux batailles et déjà tant de pertes.

Comment espérer, comment croire qu'il est encore possible de survivre, comment imaginer rebâtir un monde où tant de gens manqueront ?

Arthur ne connaissait pas tous leurs visages ni tous leurs noms, mais il se sentait vibrer à l'unisson avec eux lorsqu'ils hurlaient le cri d'attaque en se jetant contre leurs ennemis.

Ce sont les siens.

Ses soldats, ses chevaliers, ses enfants.

Le visage enfoui dans ses mains, à l'écart dans la grande salle où les sanglots discrets le bercent comme le doux murmure de la mer, il n'ouvre pas les yeux, concentré sur la douleur.

Il les a perdus.

Tout est de sa faute.

De toutes ses forces, il voudrait être ailleurs, ne pas avoir cette responsabilité écrasante sur les épaules, revenir en arrière, faire un autre choix peut-être, changer le passé, ne pas être celui qui les conduit à leur mort.

Doucement, quelqu'un détache les mains qu'il presse contre son visage maculé de fumée et de sang et il voit les yeux de saphir de Merlin, remplis de larmes.

- Ce n'est pas vrai, chuchote le serviteur. "Ce n'est pas votre faute."

Quelqu'un se racle la gorge et il relève la tête, hébété.

Sir Léon est debout devant lui, avec un bandage en travers du visage qui cache le coup d'épée qui le laissera défiguré pour le reste de sa vie.

- Sire, dit-il de sa voix ferme et posée. "Nous voulions juste vous dire qu'il n'est pas un homme parmi nous qui ne soit prêt à mourir pour vous. Nous vous avons juré allégeance."

Perceval est là, lui, aussi, son bras en écharpe, son épaule nue luisante de l'onguent qu'on y a appliqué pour faire diminuer l'enflure rouge craquelée de bleue qui lui paralyse tout le côté gauche.

- Nous portons les armes des Pendragon avec fierté, ajoute-t-il avec un sourire bienveillant. "Hier, aujourd'hui, demain - nous combattons en votre nom, Sire. Pour rétablir liberté et justice dans ce pays."

Guenièvre s'agenouille aux pieds de son mari, entrelace ses doigts usés de servante avec ceux calleux de l'homme d'épée, ses yeux noisette humides et fervents.

- Nous pourrions affronter une armée mille fois plus nombreuse à mains nues pour vous, Sire. Vous n'êtes pas seul."

Merlin hoche le menton.

- Nous sommes ensemble.

Arthur les regarde un à un, bouleversé par leur fidélité, leur amitié, la simplicité avec laquelle ils viennent – encore une fois – le relever alors qu'il pense tout perdu.

Ses lèvres tremblent et il ravale ses larmes.

Il sent le courage de Lancelot flotter autour de lui, l'amour et l'espoir immense de Mithian qui l'enveloppent, il peut presque sentir la volonté farouche de Gwaine loin dans les montagnes.

Il se redresse, carre ses épaules courbaturées dans sa cotte de mailles déchiquetée et couverte d'éclaboussures écarlates, attrape le pommeau de l'épée plantée dans la terre à côté de lui.

Ses yeux de lin ont retrouvé leur clarté.

De l'autre côté de la salle, la Dolma serre Albion contre elle tandis que la petite fille émerveillée contemple son père qui se relève enfin.

- Voici notre roi, souffle la nourrice.

 

oOoOoOo

 

Accroupie dans un coin sombre, ses cheveux de jais défaits sur les épaules, Morgana, fascinée, fixe aussi Arthur de ses yeux de perle, tout en se balançant d'avant en arrière, le livre de l'histoire de Tristan et Yseult serré contre elle comme un petit enfant.

Agravaine lâche un reniflement de mépris et quitte la caverne comme une ombre, invisible, pressé, à longs pas agacés.

Il serre dans son poing un parchemin enroulé qui contient un plan du château.

Il erre un bon moment à l'étage de l'infirmerie, grinçant des dents et claquant la langue comme un chien qui a besoin d'être vermifugé, soulevant des boucliers et écartant des haies de hallebardes, jusqu'à ce qu'il sente une présence derrière lui.

- Qu'est-ce que vous cherchez, mon seigneur ?

Il se retourne lentement, un air complaisant peint sur ses traits un peu lourds. Une mèche grasse s'est détachée de ses cheveux soigneusement rabattus en arrière et tombe sur un de ses yeux noirs calculateurs.

- Pourquoi donc cette faveur jaune à votre bras ? Ne savez-vous pas que ce sont les couleurs de notre ennemi ? continue la voix amusée et froide. "Seriez-vous… un traître ?"

Agravaine fait la moue et soupire.

- Ce que pense un enfant tel que toi m'importe peu, répond-t-il. "Tu ne sais rien. J'agis toujours pour le bien de ce royaume."

Les yeux d'azur limpide de Mordred le mettent mal à l'aise, comme chaque fois qu'il les regarde en face. Il y a trop de vide dans ces prunelles éthérées, trop de profondeur, trop de questions sans réponses, trop d'accusations.

Le garçon lâche un rire sans joie.

- Votre armure est si propre, Lord Agravaine, commente-t-il. "Ce ne peut être l'infirmerie ou les lavoirs que vous cherchez à cet étage."

- Tais-toi et va-t'en.

- Oh, mais pourquoi vous montrer si peu avenant ? Alors que je venais vous dire où est la porte que vous cherchez...

L'homme se raidit.

- C-comment ? souffle-t-il.

Mordred sourit et passe la langue sur ses dents blanches. Ses yeux sont si clairs dans son visage de craie, sous ses boucles si sombres.

- Ma cousine, mon seigneur, est une enfant bien turbulente. Il se pourrait que… par jeu… elle ait découvert… cet endroit… ce dernier tunnel pour lequel vous vous êtes usé les yeux sur les cartes et les plans de Camelot en prétextant les renforcer.

Sa voix devient glaciale.

- Ce passage dont vous réclamiez la clé à ma mère.

Agravaine fait un pas en avant et agrippe le bras de l'enfant avec violence.

- Où est-il ? siffle-t-il. "Tu dois me le dire ! Il en va de l'avenir de Camelot, du trône !"

Mordred fixe la main qui lui écrase la peau, jusqu'à ce que l'homme la retire comme si ce regard le brûlait.

- Très bien, dit le garçon. "Je vous y conduirais."

Il jette un rapide coup d'œil autour de lui, puis guide l'oncle du roi jusqu'à la porte condamnée, cachée au plus profond des caveaux.

Gaius les voit traverser l'infirmerie, mais ne se pose pas de questions. La fatigue l'abrutit, ses cheveux blancs sont collés sur ses joues ridées et il essuie ses lunettes pour la millième fois, au chevet d'un blessé qui se meurt.

- C'est ici, dit enfin Mordred en faisant un pas de côté pour qu'Agravaine puisse se glisser par l'entrée du souterrain.

- Ce n'est même pas verrouillé ! ricane l'homme en s'enfonçant dans l'obscurité, attrapant une torche qui brûle contre le mur.

L'haleine fraîche de la terre l'accueille et il l'inhale profondément, gonflant le torse.

- Il y a une autre porte, avertit Mordred. "Plus loin."

Agravaine lève un sourcil, puis se décide et suit la courbe du couloir secret, examinant les traces de sabots laissées par les cavaliers qui ont quitté la citadelle la veille.

- Alors il a déjà envoyé quelqu'un, marmonne-t-il. "Arthur n'est pas aussi bête que je ne le pensais…"

La lueur enfumée danse avec son ombre sur les murs tandis qu'il marche devant Mordred.

Le garçon avance lentement, sans bruit, dans le dos de l'homme qui ne s'est pas rendu compte qu'il l'avait suivi, ses yeux au reflet surnaturel écarquillés, une goutte de sang vermeille perlant à sa lèvre tandis qu'il serre son poing sur la courte épée qu'il porte à la ceinture.

 

 

A SUIVRE...

 


Listelia  (01.08.2015 à 22:25)

Basé sur les épisodes 5x13, 1x10, 4x12, 4x13, 5x04, 5x07

 

 34

DESTINÉE

 

 

L'une après l'autre, des gouttes d'eau suintent au plafond, lentement, puis tombent dans une flaque brunâtre.

Ploc. Ploc. Ploc.

Le bruit simple et creux se répercute dans toute la galerie.

Assis par terre près de la torche qui crachote une fumée jaune et sale, Mordred essaie de reprendre son souffle. Son cœur cogne violemment sous ses côtes et ses mains tremblent irrépressiblement.

Il lâche un petit rire cassé.

Puis vomit.

A côté de lui, dans une mare de sang noir, Agravaine a les yeux ouverts et fixes.

Il l'a tué.

Au moment où l'homme s'est retourné après avoir examiné la porte cachée au fond du souterrain, l'enfant lui a enfoncé son épée au défaut de l'armure de toute la force de ses bras. Une gerbe rouge a giclé avec un bruit atroce de chairs déchirées et Agravaine s'est écroulé d'un air surpris, un cri de douleur étranglé dans la gorge.

Mordred sent quelque chose de visqueux et tiède couler le long de sa joue et il n'est pas trop sûr que ce soit du sang ou des larmes.

Non, pas des larmes.

Surtout pas des larmes.

Il se redresse en chancelant, ses doigts raclent la terre molle du mur pour s'y raccrocher. Ses jambes flageolent et l'arrière-goût de bile au fond de sa bouche lui donne la nausée.

Il ramasse la torche, les tempes battantes.

C'est fait.

Le corps le nargue, étendu sur le sol ferrugineux, immobile. La peau du visage est blême, les joues si flasques. La lumière vacillante fait glisser des reflets dans les cheveux noirs du mort et dans ses yeux vitreux.

Il était très bavard dans le passage secret. Se parlait à lui-même d'un avenir parfait si proche, d'un château loin des falaises austères de Meredor, de femmes aux seins moelleux et aux cheveux somptueux, d'une cascade de pièces d'or et d'une place attitrée à la cour. D'une vengeance enfin obtenue – le père tue la sœur, l'oncle tue le fils – et il gloussait d'une façon tellement contente, tellement vaine, tellement détestable que Mordred en avait mal aux dents.

Il n'a pas prononcé le nom de Morgane une seule fois.

Quand il est tombé, il a eu à peine le temps de dire quelques mots avant que l'enfant, en retirant brutalement la lame, ne l'achève.

- Fou ! Je t'aurais mis sur le trône. Tu étais mon…

Mordred a sifflé comme un serpent, retroussant ses lèvres sur ses jeunes crocs.

- Non, a-t-il grondé d'une voix basse et rauque. "Non, je ne l'étais pas. Ma mère a aimé Alvarr et vous l'avez tué. Vous n'êtes rien pour moi. Je ne veux rien de vous."

Pendant un instant, l'homme l'a fixé intensément – pas un regard de trahison, non, mais un regard de surprise presque amusée – puis il s'est affaissé avec un gargouillis.

Mordred a senti ses forces se dissoudre comme une poignée de sable et il s'est retrouvé à genoux dans l'étroit passage secret rempli d'une odeur âcre et chaude, si forte qu'il en avait le vertige.

Il l'a fait.

Il a tué l'oncle qui offrait à sa nièce de jolies parures et l'écoutait raconter ses malheurs, qui savait la calmer d'une phrase affectueuse quand elle était submergée par une colère proche de la folie, qui a su se rendre indispensable au point que sans lui Morgane ne sait plus prendre de décisions.

Il a tué le seigneur qui a fait condamner à mort un traine-misère aux cheveux bouclés dont le seul crime avait été de lire un roman d'amour sur une plage, un jour où s'y promenait une princesse désespérée de trouver quelqu'un qui comprenne sa peine.

Il a tué l'ombre qui se glissait parfois dans la chambre de sa mère et dont les halètements rauques se mêlaient aux secousses sourdes du sommier et aux sanglots gémissants de la jeune femme.

Il a tué Lord Agravaine.

C'est fini.

Il est debout et son pire ennemi est là, au sol, vaincu.

Il a vengé sa mère.

Il les a libérés tous les deux de leur geôlier.

C'est fini.

Il est resté longtemps absent, sa mère doit s'inquiéter. Il faut qu'il y retourne, elle a besoin de lui.

Ses yeux bleus éthérés sont secs, inexpressifs, froids, même si son menton tremble comme celui d'un enfant qui va pleurer.

- C'est fini, Mordred, dit-il à voix haute pour reprendre le contrôle de ses nerfs. "Tu as fait ce qu'il fallait faire. C'est bien."

Il crispe ses doigts sur le manche de la torche, essuie d'un revers de manche le sang qui a éclaboussé son visage, puis s'en va d'un pas vacillant.

Il a laissé l'épée souillée sur le sol et l'obscurité, très vite, engloutit le dernier reflet de la lame.

 

oOoOoOo

 

Tout n'est que fumée grise et épaisse, cris et clashs de métal, partout. Des flèches vrombissent et percent les outres remplies de graisse, de résine et de salpêtre que l'ennemi a jeté contre les murailles. Une flamme gonfle avec un rugissement, s'engouffre entre les créneaux et dans les meurtrières, consumant tout sur son passage comme un lion de feu. Des palissades et des poutres explosent, projetant des centaines de petits bouts de bois éclaté.

Daegal en a reçu un dans la joue et cette écharde le brûle plus que sa jambe écorchée en tombant dans les escaliers ou son poignet foulé. Il continue inlassablement de courir en suivant les ordres, la tête baissée, les cheveux dégoulinants de transpiration, sa chemise collée au dos. Il ramène des carquois pleins aux archers, transporte des marmites d'huile bouillie, s'accroupit entre deux soldats quand une volée de traits noirs tranchants traverse l'air, se relève et se dépêche de rejoindre l'autre bout du chemin de ronde avec le message de Sir Elyan pour Sir Léon. Sa gorge est sèche, ses yeux pleurent dans cette fumée qui les irrite, quelques fois tous les sons s'évanouissent de ses oreilles tellement il est épuisé.

Il ne sait plus depuis combien de temps ils se battent. Sûrement, l'aube ne devrait plus tarder – et avec elle, un peu de répit.

Daegal a à peine dormi la nuit dernière, hanté par les gémissements des mourants, les hurlements de douleur, les claquements du trébuchet et des visions d'yeux béants, de mains tendues, de corps déchiquetés.

Si seulement tout ça pouvait s'arrêter.

S'arrêter.

S'arrêter…

En face de lui, Arthur se bat comme un forcené. Son casque a été enfoncé par un coup et son nez sanguinolent a maculé de traces sombres le reste de son visage. On ne voit que ses yeux bleus brillants à la lueur suffocante des explosions.

Il sait que s'ils perdent les remparts cette nuit, il n'y aura plus que les murs du château et quelques portes à peine entre les réfugiés et l'ennemi. Ce sera un massacre.

Il faut qu'ils tiennent bon, encore une nuit.

Demain, peut-être… demain l'aube verra peut-être arriver les secours.

Si Gwaine et Numéro Quatre ont pu lancer le signal de détresse depuis le premier avant-poste à Stonewell, alors…

Il sait que c'est impossible, alors il se bat avec encore plus d'acharnement.

Ils tiendront.

Une autre nuit, deux, trois même s'il le faut.

Jusqu'à ce que l'aide arrive.

Il ne laissera pas les femmes et les enfants périr aux mains des soldats d'Odin – même s'il faut pour cela que tous prennent une épée, y compris les paysans, les serviteurs et les jeunes écuyers.

Son surcot est déchiré et des mailles ont sauté sur son épaule, là où il a pris un coup de masse d'armes tout à l'heure. Il trébuche quand une nouvelle explosion fait trembler le chemin de ronde, croise un bras en protection devant son visage en tombant sur un genou.

Cette fois le feu grégeois tout droit jailli de l'enfer a frappé vraiment près, illuminant la nuit, envoyant par-dessus les créneaux une demi-douzaine de soldats. La palissade est éventrée, des cendres virevoltent de tous côtés, des flammes lèchent les débris et le mur suintant d'huile.

Il attrape un seau d'eau, se le vide sur la tête, court à travers la fumée pour prêter main forte à ceux qui se relèvent tant bien que mal, sonnés et à peu près indemnes. Des crochets ondulent dans l'obscurité comme des serpents de métal, s'agrippent à la pierre, et des braillements barbares annoncent un nouvel assaut.

Daegal, figé, regarde le roi se précipiter vers la brèche. Il a l'impression d'être sous l'eau.

Plus un bruit, tous les mouvements sont ralentis, comme si la bataille se déroulait dans la vase d'un étang.

Il voit le beffroi poussé au bord des douves, les archers en joue avec les pointes de leurs flèches comme des feux-follets, leur chef qui baisse le bras, la balle de cuir lourde de sève visqueuse que vient de lancer le trébuchet…

Et il sait que le roi va mourir, là, maintenant.

Alors il lâche tout ce qu'il tenait, il oublie ses blessures et ses contusions. Il grimpe sur le plus proche créneau et il court de pierre en pierre, léger comme un elfe, comme lorsqu'il dansait sur la corde raide de ses quatorze ans.

Les soldats, les flammes, les hurlements, les étincelles bleues, tout ne devient qu'un brouillard comme une foule de belles dames et de seigneurs dans leurs atours de fêtes. Il respire le fumet des rôtis et il entend la mélodie des vielles, les voix mélancoliques des ménestrels. Il cabriole dans les airs, les clochettes de son costume tintent légèrement…

… et il dégringole avec Arthur à travers la rampe de bois qui soutenait le chemin de ronde, tandis qu'un souffle d'or rugissant les enveloppe de sa chaleur infernale.

Pendant un instant, tout devient blanc et la voix joyeuse de Merlin l'appelle.

"Reste à Camelot !"

Il aurait pu, oui. Faire le bon choix et vivre comme un être humain…

Mais il ne l'a pas fait.

"Je t'en supplie, Daegal ! Sauve Arthur… ne les laisse pas lui faire de mal…"

Il quitte la cellule en tournant le dos au serviteur qui sanglote de peur et de douleur, pendu au plafond en attendant que la torture recommence, et qui ne pense qu'à son roi.

Il est lâche.

Mais plus maintenant.

Pas aujourd'hui.

"Regarde-moi, Merlin. Je te demande pardon... je ne me tromperai plus de chemin. Je te le promets. Je vais faire ce que je dois faire. Je vais faire quelque chose de bien de ma vie."

Il aperçoit les yeux bleus pleins de larmes…

Puis un puits de souffrance l'engloutit et il ne sait plus rien.

Arthur roule sur le sol et se relève en titubant, étourdi par la chute, l'épaule démise par le choc. Il était sur les remparts, il est maintenant en bas. Il ne comprend pas.

Quelqu'un court vers lui et il cligne des yeux, hébété.

- Sire !

C'est Sir Léon et il est plus pâle qu'un mort.

Il palpe le roi, s'assure qu'il n'est pas blessé ni brûlé en bredouillant des mots incohérents au sujet d'une explosion, puis il le lâche et s'agenouille au milieu des planches brisées et du tas de détritus qui a amorti la chute de son souverain.

Fébrile, il retourne un corps maigre et Arthur refoule une brusque nausée. Ce n'est qu'un amas de chairs carbonisées, et pourtant les dents y paraissent très blanches, comme celles d'un enfant, quand la bouche s'entrouvre pour gémir.

- R…r'r…oi…

- Tu l'as sauvé, petit, chuchote le chevalier très ému. "Tu as réussi. Tu es un héros."

Arthur s'agenouille avec difficulté. Il voudrait poser sa main sur l'épaule de son sauveur, mais il a peur de lui faire mal.

- Merci, chuchote-t-il.

Les yeux ne voient plus, mais quelque chose passe sur ce masque horrible de peau à vif, presque comme un sourire ou un soupir de soulagement, et s'y fige.

- Qui était-ce ? demande le roi à voix basse quand il comprend que le jeune homme qui vient de lui sauver la vie est mort. "Pourquoi un gamin comme lui est-il au combat ? J'avais ordonné que les écuyers restent à l'intérieur."

Sir Léon inspire profondément.

- Ce n'était pas un écuyer, Sire. C'était Daegal.

Arthur avale sa salive.

- Il a payé sa dette, murmure-t-il.

Il dégrafe ce qui reste de sa cape cramoisie déchirée et en couvre le corps d'un geste solennel. Puis il ramasse son épée et se relève.

- Retournons-y, ordonne-t-il.

Il reste encore quelques heures avant l'aube et, à travers les volutes de fumée et les ombres des flammes, on distingue quelques étoiles brillantes sur la voûte d'encre, comme des paillettes sur le manteau d'un troubadour.

 

oOoOoOo

 

Gwaine entortille la bride du cheval autour d'un arbuste et musèle l'animal d'un foulard, avant de suivre Numéro Quatre qui a commencé l'escalade de la paroi.

Les aspérités des rochers égratignent leurs doigts gourds. Ils ont enlevé leurs gants pour avoir de meilleures prises, mais le froid les transperce.

La nuit est glaciale, immobile. Pas un bruissement d'insecte, pas un cri d'oiseau. Pas un flocon ne tourbillonne et même la lune semble figée comme une goutte de mercure.

Quelques gravillons roulent sous la botte du chevalier et l'Ombre Blanche lui lance un regard de reproche par-dessous son bras, en se hissant sur une plateforme étroite.

"Je sais", riposte Gwaine silencieusement. "Je fais de mon mieux ! Je ne suis pas un ancien assassin formé à agir dans la plus grande discrétion !"

"Ça se voit", répondent les yeux noirs de Numéro Quatre, narquois. "Vous êtes plutôt du genre à foncer dans le tas comme un sanglier lourdaud."

"C'est ça. Non, pas du tout. Je peux être subtil – parfois."

Gwaine souffle par les narines, rejetant en arrière ses cheveux bruns ondulés, et accepte la main que lui tend Derian pour se hisser à sa hauteur.

"Et maintenant ?"

Les doigts de Numéro Quatre voltigent, expliquant la stratégie. Gwaine approuve d'un hochement de tête. Puis il tire doucement son épée, glisse son pouce le long de la lame.

Peu importe ce qui se passera.

Il faut que le bûcher soit enflammé cette nuit pour que Camelot reçoive de l'aide.

Il croise le regard de l'Ombre Blanche, dans lequel se reflète la lune pâle, et un sourire s'esquisse dans sa barbe hirsute.

Spontanément il serre le bras de l'homme qu'il a longtemps tenu pour responsable de la mort de Lancelot.

"Ensemble ? Pour Camelot."

"Ensemble", acquiesce Numéro Quatre. "Pour Merlin."

Ils escaladent les derniers mètres jusqu'au sentier escarpé qui mène à l'avant-poste, se glissent derrière la tour de pierres en haut de laquelle se dresse le bûcher, s'accroupissent pour écouter.

"Un soldat."

"Non, deux. Un troisième à l'intérieur."

"Ce n'est pas l'accent de Camelot."

"Des tombes fraiches, là-bas, à droite."

"Odin a pris Kemeray aussi, alors. Le chien ! Il avait tout prévu !"

Les sourcils froncés, Gwaine serre les poings et amorce un mouvement pour s'élancer sur la sentinelle dont ils voient l'haleine comme un petit nuage de vapeur dans le rectangle de lumière qui se découpe devant la tour.

Numéro Quatre le retient.

"Si on le tue, l'autre va sonner la cloche et déclencher l'alerte."

"Et alors ? S'ils viennent, il suffira de tous les tuer. Et ensuite, le bûcher !"

Le front de Derian se plisse.

"Crétin ! Ils l'inonderont…"

Gwaine rigole.

- Tu sais, je comprends parfaitement quand tu me traites de crétin.

Les yeux de l'Ombre Blanche s'agrandissent, alarmés, mais le chevalier s'est déjà redressé et s'approche de la sentinelle d'un pas nonchalant, son épée à la main.

- Hé ! Salut à toi, camarade.

Le soldat en livrée jaune le fixe d'un air stupéfait, puis cherche fébrilement le cor qu'il a autour du cou tout en pointant sa lance sur l'intrus.

- Sans rancune, mais t'as pas choisi le bon roi, continue le chevalier qui fait tourner sa lame sur son poignet d'un souple moulinet.

Il redevient sérieux une fraction de seconde et frappe sans hésiter. Puis il enjambe le blessé et entre dans la tour, suivi par Numéro Quatre qui lève les yeux au ciel d'un air exaspéré.

Ils montent rapidement les marches, leurs épées à la main, abattant les soldats qu'ils rencontrent sans s'y reprendre à plusieurs fois, aussi meurtriers et efficaces que deux faucons.

En haut de la tour, ils s'arrêtent de part et d'autre de la porte et se consultent du regard avant de l'enfoncer ensemble et de se ruer sur le toit.

Vingt hommes les y attendent, rangés en plusieurs demi-cercles, leur barrant l'accès au bûcher. Leurs armures luisent sous la lune.

- Tch, lance Gwaine. "Mauvais joueurs."

Numéro Quatre se redresse et fait rouler ses épaules.

- Qu'est-ce que tu en dis ? C'est l'occasion de prouver à Arthur qu'un chevalier de Camelot vaut largement dix hommes au-delà de n'importe quelle frontière.

L'Ombre Blanche retrousse ses lèvres comme un loup qui sourit et un sourd grondement monte de sa gorge.

Et après cela, le toit devient un tourbillon de gouttelettes de sang, un théâtre de râles et de gémissements étouffés, un maelström d'éclairs de métal et de capes sombres qui tournoient.

Le rire insolent de Gwaine résonne dans la nuit glaciale et l'haleine de Numéro Quatre se mêle aux souffles de leurs ennemis. Ils sont couverts de sang mais ils ne cèdent pas, ils ne plient pas, ils se relèvent toujours. Le fantassin s'appuie sur l'épaule du chevalier pour balayer un groupe, l'ancien ivrogne bondit en s'aidant du genou de l'ancien assassin pour tomber sur ceux qui les attaquent.

Ils sont partout – ils ne sont que deux – et les soldats d'Odin reculent malgré eux, dépassés par ce nombre formidable, par cette force désespérée.

Dos à dos, ils luttent sans faiblir, comme si aucune blessure ne comptait.

Et lorsque l'aube commence à poindre, au loin, comme une douce lumière qui se répand sur la plaine et se moire sur les montagnes blanches, un chemin d'or qui traverse la terre et fait reculer l'ombre, ils sont les seuls encore debout.

- C'est fini, hoquette Gwaine avec un gloussement étranglé.

"On a réussi."

Le chevalier titube jusqu'au bûcher, s'agrippe aux barreaux de l'échelle pour grimper jusqu'à l'arche au-dessus du tas de bois. Il pousse un cri de rage lorsqu'il y parvient.

- Ils ont tout vidé !

Numéro Quatre le rejoint d'un saut et serre les poings en voyant qu'ils n'ont aucun moyen d'allumer le feu qui sauvera Camelot.

Le soleil se lève en les éblouissant et, très loin tout en bas, ils aperçoivent un nuage de fumée macabre.

- Non, gémit Gwaine. "NON !"

Numéro Quatre réfléchit à toute vitesse.

"Le cheval ! C'est suffisamment de graisse. Une des torches… On peut encore y arriver !"

Ils dévalent les escaliers de la tour, se précipitent le long du sentier jusqu'à l'endroit où ils ont caché la monture. Gwaine détache le hongre et l'animal s'ébroue, agite ses oreilles et donne un coup de tête amical à son cavalier.

- Désolé, mon vieux, murmure le chevalier en appuyant son front contre la joue du cheval. "Mais tu seras un héros. Grâce à toi, Camelot sera sauvée…"

Il fait un pas de côté et soudain la montagne caressée par les rayons roses de l'aurore devient un brouillard gris.

Une main se pose sur son épaule.

Il cligne des yeux et distingue le visage grave de Numéro Quatre.

- Je suis blessé, c'est ça ?

Il baisse le regard et lâche un petit rire amer.

- Ah.

En s'enfuyant, l'adrénaline lui donne un coup en traître derrière les genoux et il vacille. Il lâche la bride du cheval et sa main vient inconsciemment se presser contre le trou béant dans son flanc.

- C'est vraiment pas le moment…

Il coule sur le sol, rattrapé juste à temps par Derian qui s'agenouille à côté de lui. La douleur arrive, sournoise, enflant avec chaque respiration maintenant qu'il sait qu'elle devrait être là.

Il sent ses chausses trempées, le vent glacé qui effleure la plaie et joue dans les fils déchirés de sa tunique, les anneaux froids de sa cotte de mailles sur sa peau fiévreuse.

Son cerveau s'obscurcit et il lutte pour ne pas perdre connaissance.

- Dépêche-toi, balbutie-t-il, repoussant la main de Numéro Quatre qui veut examiner la blessure. "Vite… Camelot… le bûcher…"

La crinière du cheval lui frôle le visage quand l'animal se penche vers lui. Il lui embrasse les naseaux, puis agrippe le licol, cherche son compagnon de voyage et lui fourre les rênes dans les doigts.

- Le peuple… Arthur… Merlin…

Derian hésite. Puis, très vite, il presse le bras de l'homme à terre et s'éloigne en entraînant le hongre.

Dans la lumière si claire et si pure, Gwaine écoute les sons en essayant de calmer sa respiration sifflante et difficile.

Le clapotis des sabots dans la tour résonne étrangement dans le silence immaculé de la montagne. Il n'entend pas le râle d'agonie du cheval et devine plutôt qu'il ne distingue le claquement des pierres pour obtenir l'étincelle.

Il renverse la tête en arrière, aperçoit entre les brindilles de l'arbuste la fumée qui s'élève, épaisse et huileuse, guette les flammes mais elles ne viennent pas.

Il est si épuisé que des larmes de frustration perlent à ses yeux.

Ce bûcher va-t-il s'allumer un jour ?

Il sent ses forces diminuer si vite.

Verra-t-il l'espoir s'allumer de montagne en montagne ?

Saura-t-il s'il a accompli sa mission ?

Va-t-il mourir ici, bêtement, en ayant échoué absolument tout dans sa vie ?

Un feu crépite près de lui, il y a longtemps, pendant une nuit où tout semblait perdu.

Un sourire plie ses lèvres décolorées et il esquisse son geste habituel du menton pour rejeter ses cheveux bruns en arrière.

"Nul ne peut changer sa destinée."

Il est aux pieds d'une tour en ruines et des yeux translucides regardent jusqu'au fond de son âme.

Il glousse d'un rire ironique.

"Ce qui était écrit sera, mais c'est de ton courage dont on se souviendra."

Il tousse, entrouvre les yeux.

- Qu'est-ce qu'elle en savait, cette vieille folle ? marmonne-t-il.

Il fait grand jour, maintenant.

Le pays tout entier est baigné de lumière.

"Lorsque viendra la dernière aurore, ne crains pas, tu n'as pas échoué."

Lorsque Numéro Quatre revient, Gwaine est toujours assis sous l'arbuste. Les paupières closes, il semble dormir, les mains croisées sur le ventre, un sourire flottant sur son visage.

Il est mort.

De montagne en montagne, les feux s'allument pour aller réclamer de l'aide pour Camelot.

 

oOoOoOo

 

"Est-ce que j'ai fait quelque chose de bien, pour une fois ?" murmure une voix.

"Oui. C'est fini. Tu as réussi."

 

Merlin tressaille, comme s'il s'éveillait d'un rêve. Désorienté, il lève ses yeux bleus vers son grand-père qui vient de lui secouer l'épaule.

- Ils m'appellent… murmure-t-il.

Gaius jette un coup d'œil las autour de lui. Il y a tant de blessés qui gémissent et supplient autour d'eux. Il ébouriffe gentiment les cheveux noirs de son petit-fils.

- Tu ne peux pas les sauver tous, mon garçon, dit-il doucement. "Allez, va te reposer… et lave-toi un peu, tu as du sang jusqu'aux oreilles."

Le jeune homme hoche le menton, mais il ne bouge pas.

Une larme coule le long de sa joue et Gaius se penche, la cueille du bout des doigts.

- Merlin ?

Le serviteur a de nouveau les yeux perdus dans le vide.

Le médecin de la cour lui tâte le front machinalement, puis s'assoit péniblement sur le lit qui vient d'être vidé – on amènera bientôt un autre blessé pour remplacer le mort qui a été évacué.

- Va dormir un peu, veux-tu. Tu as bien travaillé. Tu n'en peux plus, regarde…

Merlin secoue la tête et essuie les autres larmes qui débordent sur ses joues, silencieuses, sans qu'il les comprenne ou puisse les enrayer.

- Ils m'attendent…

Gaius plie son sourcil.

- Tu les attends, rectifie-t-il. "Je sais. Mais tu seras plus utile si tu es en forme quand Arthur reviendra, tu sais. Écoute, je…"

Un brouhaha soudain à la porte de l'infirmerie attire leur attention et Merlin se dresse d'un bond en apercevant le roi que Sir Léon et Sir Elyan soutiennent.

- Arthur !

Il court à travers les paillasses, se précipite et se fige soudain sans oser toucher l'armure cabossée et maculée de sang. Son ami lui adresse un sourire las sous ses cheveux blonds aux mèches brûlées et il ouvre les bras.

Merlin s'y jette aussitôt.

- Vous êtes sauf !

- Je le suis, souffle le roi en le serrant contre lui. "Je le suis. La citadelle aussi."

L'aube se glisse par un soupirail, comme un voile ruisselant d'or.

Camelot est jonché de morts et de décombres, mais les remparts ont tenu.

Ils ont gagné un jour de plus.

 

 

A SUIVRE...

 

 


Listelia  (01.08.2015 à 23:26)

Basé sur les épisodes 5x13, 1x10, 4x12, 4x13, 5x04, 5x07

 

 35

POUR L'AMOUR DES NÔTRES

 

 

C'est le dernier jour du monde.

Cette nuit, ils livreront leur quatrième bataille et si personne ne vient à l'aube, alors ils mourront tous.

Odin a fait lancer des cadavres par-dessus les remparts et proclamé qu'il n'épargnerait personne si le roi ne se livrait pas.

Arthur a hésité, un instant, puis a décidé de ne pas accepter. La parole du roi de Cornouailles n'a aucune valeur : son sacrifice ne garantirait pas les vies de la reine, de la princesse et des milliers de sujets terrés dans les caves.

Non, il vaut mieux lutter, jusqu'au bout. Il reste encore une chance que Gwaine et Numéro Quatre aient pu accomplir leur mission, que Mercia et Essetir volent au secours de leur allié, que toute la situation soit retournée.

Une dernière chance.

Et s'il faut mourir, alors autant que cela soit l'épée à la main.

Il ne s'y attendait pas, mais son peuple partage son avis. Certains ont entendu parler du marché que proposait Odin et beaucoup sont venus supplier Arthur de ne pas se rendre.

Les gens de Camelot connaissent leur souverain : ils ont foi en lui. Les promesses de l'ennemi sonnent comme des menaces aux oreilles des paysans et des nobles qui ont vu en dix ans changer leur pays et s'accroître leurs frontières sous la houlette ferme et aimante d'Arthur Pendragon.

Maintenant qu'ils ont goûté à cette liberté, ils ne veulent pas d'autre roi.

Même si cela veut dire qu'ils devront protéger cette terre avec leurs propres forces.

Les soldats ont distribué des lances et des cottes de mailles. A ceux qui ne savent pas manier l'épée, on a donné des fourches, des haches, des gourdins. Les chevaliers ont répartis les hommes en groupes en fonction de leurs âges et de leur expérience.

Le plus jeune compte à peine douze printemps, le plus vieux a vu plus de soixante-dix hivers. Ils sont paysans, rétameurs, orfèvres, marmitons, drapiers. Il y a de la peur dans leurs yeux, mais aussi une volonté farouche de survivre. Quelques femmes ont insisté pour se joindre à eux : des veuves qui n'ont plus rien à perdre, de solides filles qui n'ont pas froid aux yeux, l'épouse de Perceval, la cuisinière.

Arthur a donné son accord malgré les mouvements de tête désapprobateurs de ses conseillers et de plusieurs capitaines : il sait que rien ne donne davantage de force qu'une conviction et qu'ils auront besoin d'autant de volontaires qu'ils pourront en trouver.

Dans la grande salle aux massifs piliers gravés, tout est calme, maintenant.

L'après-midi s'achève, étendant un rayon de soleil fauve jusqu'à la pierre dans laquelle se dresse l'épée de légende. Des particules de poussière tombent en scintillant du trou dans le plafond.

Inlassables, les tambours résonnent dehors et leur rythme sourd s'entend dans les cavernes comme les battements d'un cœur.

Quelque part, dans un coin, un ménestrel pince doucement les cordes de son instrument et sa voix monotone, solitaire, s'élève comme un oiseau qui survole les réfugiés.

- "Ami, entends-tu l'appel du dragon souffler sur nos plaines ?"

Arthur traverse les salles, s'arrête près des uns et des autres pour leur sourire, donner quelques mots d'encouragement, tapoter une épaule – observant le cœur serré la résignation digne dont tous sont revêtus.

Un vieillard prend dans ses mains noueuses les doigts déformés par les rhumatismes d'une très vieille paysanne dont les cheveux sont aussi blancs que des fils d'ange.

Un potier au visage crevassé de cicatrices par la petite vérole suçote sa pipe de noisetier, les yeux perdus dans un songe. A côté de lui, un garde en livrée rouge et or fait sauter un jeu de dés dans sa paume, plongé dans de sombres pensées.

Sous les yeux de son épouse qui peine à retenir ses larmes et des deux petites filles aux boucles crépues pressées dans ses jupes, Sir Elyan ajuste les courroies du plastron d'acier qui protègera le torse de son fils et l'enfant se tient très droit, très grave. Son casque un peu trop grand lui tombe sur le nez.

Le troubadour module les paroles comme une berceuse lointaine.

- "… vois-tu au loin brûler les tours blanches…"

Perceval, assis en tailleur, a cessé un instant d'aiguiser son épée pour poser un regard plein d'amour sur sa toute petite femme qui termine de brosser ses longs cheveux qui lui font comme un manteau doré. Ses fins sourcils sont arqués pendant qu'elle se concentre pour tordre les lourdes tresses et les attacher pour ne pas être gênée pendant les combats.

La marchande de chandelles qui a donné naissance hier à son bébé le berce en murmurant des promesses. Elle est coiffée d'un turban de futaine bleue dont s'échappe une mèche ondulée. Une larme coule sur sa joue, sans bruit.

Georges cire ses bottes avec application, comme si c'était la chose la plus importante du monde à ce moment précis. Un épi s'est retroussé dans ses cheveux roux d'ordinaire soigneusement peignés. Ses taches de rousseur ressortent encore plus que d'habitude sur son visage très pâle.

Les notes de musique s'égrènent comme la pluie.

- "… j'ai trouvé un roi digne en vérité…"

Will râle en serrant sa ceinture. Personne ne comprend ce qu'il dit, avec le morceau de viande séchée qu'il mâchouille. Le jeune écuyer a répandu toutes ses affaires autour de lui, comme un adolescent boudeur. Il déborde d'énergie, mais il y a un peu de crainte au fond de ses yeux ombrageux.

Un guerrier coiffé d'une queue de cheval est assis avec deux de ses enfants sur les genoux, une fillette d'une dizaine d'année appuyée contre son bras. Il leur parle et sa femme à côté de lui tricote en reniflant malgré le sourire qu'elle lui adresse.

- "… une damoiselle qui a pour nom foyer…"

Tyr, le palefrenier aux bonnes joues et au collier de barbe noir, a le menton qui tremble tout en se glissant dans une armure un peu étroite pour son ventre replet. Il n'a pas mangé, trop barbouillé, et ne cesse de jeter des coups d'œil timides autour de lui, tout en crispant les lèvres pour rassembler son courage.

Geoffroy de Montmouth est assis à une table, empêtré dans ses longues robes brunes, et relève sa tête chenue de temps à autre, trempant au passage sa longue plume d'oie dans l'encrier. Concentré, solennel, il rédige avec une émotion respectueuse l'Histoire qui s'écrit devant ses yeux, aujourd'hui, ce soir.

La complainte du ménestrel flotte sous les voûtes de pierre.

- "… dans les étoiles, j'ai lancé une pièce d'or…"

Avec une lanière de cuir et quelques-unes des fleurs blanches qui poussent dans les aspérités de la paroi rocheuse, une jeune fille a confectionné une couronne de mariage. Accrochée au bras de son fiancé, vêtue d'une robe de toile rose très simple sur laquelle est encore noué son tablier, elle se tient devant le chef de leur village qui se racle la gorge avant de leur faire prononcer leurs vœux.

Une couverture drapée pudiquement autour de son corps sec et musclé, les mains sur les genoux et ses bouclettes vénitiennes rebroussées par le pansement qui lui barre le visage, Sir Léon attend que la Dolma ait terminé de repriser sa chemise. Il bavarde avec animation, intarissable au sujet de ses trois filles, tellement reconnaissant qu'elles soient en sécurité à la campagne avec leur mère. La nourrice l'écoute avec patience tout en tirant sur son aiguille.

- "… ma mie, attends, ô espère encore…"

Guenièvre, vêtue d'une chemise de lin blanc, la fourrure moirée d'un lièvre jetée en travers des épaules, répète les mouvements de base en faisant tournoyer son épée. La lame étincelle un instant, jetant des paillettes dans ses cheveux frisés si sombres et des reflets sur sa peau satinée tandis qu'elle plie la cuisse et tend le bras, tourne sur elle-même avec force et souplesse. Albion l'imite, gracieuse comme une libellule, avec sa dague miniature. De petites mèches d'un blond duveteux se sont échappées sur sa nuque et effleurent le col brodé de sa tunique bleue. Ses mains potelées serrent très fort le manche incrusté d'or et ses yeux d'ambre remplis d'admiration ne perdent pas un seul des mouvements de la femme courageuse et belle qui retrouve peu à peu son adresse d'autrefois.

- "… pour la gloire, pour la mort, pour Albion…"

Tout en les observant, le barbier de la cour range ses outils avec délicatesse dans leur étui de cuir usé par les années. Un tonnelier passe sa paume calleuse sur les fûts poussiéreux rangés le long du mur, puis remplit avec soin des chopes et des timbales de cidre mousseux. Il distribue sans éclats cette dernière tournée après avoir reçu un signe de tête d'assentiment de l'intendant du château, aidé par le tavernier de l'auberge du Soleil Levant et des filles de joie qui ont le cœur gros.

Un homme maigre, au long nez blafard et aux cheveux épars, fait danser des marionnettes aux costumes défraîchis devant les yeux éblouis d'un garçonnet qui s'enfonce un doigt dans la narine et de sa sœur qui tête son pouce en penchant la tête de côté, des grappes de boucles châtains en désordre sur ses joues rondes.

- "… je me battrais jusqu'aux rivages d'Avalon…"

Gaius est assis au bout d'un banc sur lequel est étendu Merlin. Le très vieux médecin caresse doucement le visage pâle de son petit-fils qui dort et, de temps à autre, un long soupir lui échappe. Ses yeux embués par l'âge ne voient pas vraiment la grande salle souterraine. Il marche dans ses souvenirs, accompagné de ses regrets, incapable de laisser le passé de côté, émerveillé par le cadeau qu'il n'a pas mérité et que lui ont fait un fils qu'il a trahi et une jeune femme qu'il n'a jamais rencontrée…

- Gaius ?

Le vieillard relève sa tête lasse.

- Sire. Que puis-je faire pour vous ?

Arthur s'accroupit en secouant le menton.

- Rien, répond-t-il. "Je voulais juste m'assurer que vous aviez tout ce dont vous aviez besoin."

Il écarte une mèche noire sur le front de son serviteur, sourit sans s'en rendre compte, les bras croisés sur ses cuisses.

- Il dort, marmonne-t-il. "Ce soir, on se bat jusqu'à la mort et lui, il dort comme un bébé… montrez-moi un homme plus en paix avec sa conscience, je ne vous croirai pas. C'est vraiment le plus courageux de nous tous..."

Gaius acquiesce sans rien dire. Il ne veut pas inquiéter le roi en lui avouant que Merlin a vomi le peu qu'il avait avalé aujourd'hui, bouleversé et épuisé par la bataille qui s'est livrée à l'infirmerie pour sauver les patients gravement brûlés.

C'est une chose de soigner les blessures habituelles, ç'en est une autre de voir arriver ces corps aux chairs noircies et purulentes, de supporter les sanglots des hommes habitués à serrer les dents quand on recoud leurs plaies.

Merlin ne pleurait plus, à la fin de la nuit. Ses traits anguleux avaient pris une expression amère, marquée d'une douleur sourde et contenue, que Gaius trouve insupportable.

Aucun enfant ne devrait avoir à vivre cela, à voir son innocence arrachée par cette guerre qui brise les adultes – et Merlin, qui ne comprend pas la méchanceté des humains, encore plus que n'importe qui.

Arthur se relève, presse un instant l'épaule du vieux médecin.

- Quand il se réveillera, dites-lui que j'ai besoin de lui pour enfiler mon armure.

Le vieillard le retient par la manche, presque involontairement.

- Sire… ne le laissez pas monter sur les remparts, je vous en prie. Ce n'est pas sa place, il…

- C'est ce qu'il souhaite, Gaius, interrompt doucement le roi en dégageant son bras. "C'est la dernière chose que je peux faire pour lui. Le laisser combattre à mes côtés, comme un égal – comme un frère. Lui montrer que j'ai confiance en lui, que je vois sa valeur. L'autoriser à mourir à mes côtés."

Quelque chose s'étrangle dans la gorge de Gaius et ses bajoues ridées tremblotent tandis que ses yeux âgés, si clairs, supplient le roi.

- Ne le laissez pas mourir, souffle-t-il. "Je vous en prie, Sire. Ne permettez pas qu'on me le prenne… vous avez Guenièvre et Albion, mais il est tout ce qu'il me reste… s'il lui arrivait quelque chose… s'il revenait encore comme ce jour-là… je ne me pourrais jamais me le pardonner…"

Arthur détourne la tête pour cacher son émotion.

- Ce que cette bataille prendra, Gaius, nul n'en est responsable, répond-t-il d'une voix rauque. "Mais je vous promets que je le protègerai aussi longtemps qu'il me restera un souffle de vie."

Il s'éloigne rapidement, respire profondément plusieurs fois, aide une grand-mère bossue à regagner sa place auprès de l'âtre, discute quelques instants avec deux chevaliers, jette un coup d'œil au cône de soleil qui tombe au milieu de la salle.

La lumière baisse et des insectes virevoltent en bruissant, éparpillant les grains de poussière brillants autour du pommeau ancien de l'épée dressée dans le roc.

La chanson du troubadour est terminée.

Il fera bientôt nuit.

Il sent le regard intense de quelqu'un entre ses omoplates et se retourne, sourit en découvrant Mordred mussé dans un tas de couvertures comme s'il avait froid. Il s'approche de son neveu, s'assoit au pied d'un large pilier, à côté de lui.

- Hé, dit-il gentiment. "Qu'est-ce que tu fais, caché là ?

- Je ne me cache pas, répond sèchement le garçon.

Il y a des traces de terre sur ses joues, sa cornée est rouge et enflée, il s'est mordu la lèvre et ses vêtements dégagent une vague odeur de rance.

Le cœur d'Arthur se serre.

- Je suis désolé… murmure-t-il.

L'enfant hausse un fin sourcil noir comme un coup de pinceau et ses étranges yeux bleu pâle reflètent son incompréhension.

- Pourquoi ?

Le roi n'essaie pas d'éviter ce regard qui le perce.

- Pour tout ça. Le siège, les combats, la peur que tu dois ressentir… tu ne devrais pas avoir à vivre tout ça. Je pensais que ce serait une bonne chose pour Morgane de rentrer à la maison et… voilà que je ne fais que la jeter à nouveau au milieu d'une guerre. Ma pauvre sœur…

Mordred le fixe sans rien dire pendant quelques instants.

- Vous l'aimez, en fait, dit-il soudain d'un ton abrupt.

Arthur a le souffle coupé pendant quelques secondes.

- Bien sûr, riposte-t-il enfin.

- Mais vous avez tué ma tante Morgause.

Le roi fronce les sourcils à son tour.

- Oui, parce qu'elle a tenté d'assassiner notre père et causé la ruine de Camelot. Je ne l'ai pas condamnée parce que j'en avais envie, mais parce que c'était la seule solution. Elle était folle de rage et ne cherchait qu'à causer davantage de destruction. Et elle empoisonnait l'esprit de Morgane. C'était la seule façon de l'arrêter.

- Pas parce que vous en aviez envie, répète distraitement l'enfant.

- Non, confirme Arthur sourdement.

Mordred hoche lentement le menton.

- Vous êtes un bon roi, dit-il d'un ton brusque.

- Je te remercie, répond son oncle un peu estomaqué.

Il sourit, se penche et ébouriffe les cheveux poisseux de sueur du garçon.

- Et toi, tu es très courageux. Je suis content de t'avoir rencontré, jeune homme.

Dans les yeux d'azur de Mordred palpite quelque chose qui ressemble à l'aile d'un oiseau.

- Sire, ce sera un honneur de se battre à vos côtés, dit-il maladroitement, en se redressant.

Arthur incline la tête.

- Ce sera un honneur pour moi aussi.

Dans le silence qui suit, le roi se perd dans des pensées dont il est soudain tiré par les piaillements courroucés de Morgane. Il se lève vivement, imité par Mordred, se hâte en direction du tohu-bohu, tranche à travers la foule pour savoir ce qui se passe.

- Ils ont pris mon livre ! hurle sa sœur, ses yeux de perle lançant des éclairs.

- S'pas vrai, Vo'te Maj'sté, proteste une grosse femme en face d'elle, les poings sur ses hanches volumineuses, les joues rouges de colère sous sa coiffe sale. "J'sa même pô lire, pou'quoi qu'j'ferai ça ?"

- J'exige que vous le rendiez ! Vous n'êtes qu'une voleuse !

- Allons, allons, du calme, toutes les deux, réclame le roi en faisant reculer Morgane qui se hausse sur la pointe des pieds, le visage convulsé de rage. "De quel livre parlez-vous, ma Dame ?"

Quelqu'un tire sur sa manche.

- Celui-là, Sire, dit une petite voix timide.

Il baisse les yeux, découvre Albion qui se mord les lèvres et se balance d'un pied sur l'autre, l'air terriblement honteux, un bouquin en lambeaux dans les bras.

- Mon livre ! crie Morgane qui se précipite et le lui arrache.

Elle l'examine de tous côtés, puis se laisse tomber à genoux devant la petite fille, tend une main délicate vers elle, comme une mendiante.

- Pourquoi l'aviez-vous pris, Morgause ? gémit-elle d'un ton de reproche. "Oh, comme c'est cruel de votre part…"

Albion glisse un coup d'œil vers son père qui n'a pas bougé, puis s'approche de sa tante en entortillant un pli de sa tunique.

- Je suis désolée, murmure-t-elle avec effort, les yeux pleins de larmes. "Je voulais juste… je vous demande pardon… je voulais le montrer à Mère…"

Guenièvre se fraye un passage au milieu des gens et son regard passe rapidement de son mari stupéfait et contrarié, à Mordred qui contemple sa cousine d'un air mauvais, puis aux spectateurs qui les entourent et chuchotent entre eux.

- Dispersez-vous, ordonne-t-elle. "Audrey, je suis désolée que vous ayez été accusée à tort. C'est un affreux malentendu et j'espère que vous pardonnerez à la princesse."

La grosse femme s'en va en bougonnant, essuyant ses mains moites sur son tablier en marmonnant qu'il n'y a pas plus de princesse dans cette histoire qu'il n'y en a dans l'arrière-cour d'un asile.

Mordred la foudroie des yeux et Arthur lui pose une main sur l'épaule pour l'apaiser, avant de mettre un genou en terre et de sourire à sa sœur.

- Je suis navré que vous ayez eu si peur, Morgane, dit-il doucement. "Qu'est-ce donc que ce livre ? Est-il si important pour vous ? Je ne l'ai jamais vu. C'est un cadeau qu'on vous a fait ?"

Albion se penche vers son père et lui parle à l'oreille, dans le creux de sa main.

- C'est un cadeau de son amoureux, chuchote-t-elle. "Mais il ne faut pas le dire."

Guenièvre s'accroupit à côté de la fillette et secoue la tête d'un air de reproche.

- Albion. Ce qui est un secret doit rester un secret. Vous trahissez la confiance de celui qui vous l'a confié quand vous le répétez.

L'enfant rougit et se trouble.

- Pardon, souffle-t-elle.

- Ce n'est pas à moi qui vous devez des excuses, dit la reine avec sévérité. "Vous avez pris sans demander quelque chose qui ne vous appartenait pas et causé de la peine. C'est à la personne que vous avez offensée que vous devez vous adresser."

Mordred approuve d'un vif mouvement de tête furieux et Arthur acquiesce très sérieusement aux paroles de son épouse tout en aidant Morgane à se relever.

Albion est dévastée à l'idée de la déception qu'elle a causé à ses parents – et encore plus triste d'avoir fait pleurer son étrange tante.

- Je suis désolée, ma Dame, murmure-t-elle, le cœur gonflé. "Je ne voulais pas vous faire de la peine... Je n'aurais pas dû."

Morgane ne parait pas l'entendre. Elle chantonne à mi-voix en époussetant la couverture du vieux livre.

Arthur, atterré, fait signe à Albion de s'en aller sans se rendre compte qu'elle espérait un regard de sa part, quelque chose qui lui dise que le roi ne lui en veut plus.

La fillette serre ses petits poings et des larmes lui perlent aux yeux. Elle jette un coup d'œil déchirant à Mordred toujours debout à côté du roi, puis s'enfuit sans un mot.

Guenièvre, elle, a pris le bras de la jeune femme.

- Venez, ma Dame, dit-elle avec affection. "Retournons nous reposer. Il y aura sûrement beaucoup à faire cette nuit et je suis sûre que vous voudrez vous rendre utile. Je sais que vous n'hésitez jamais à prendre soin des pauvres et des malades."

- Y-a-t-il de nouveau une épidémie, Guenièvre ? s'enquiert Morgane distraitement.

Arthur passe une main lasse sur son visage, comme pour chasser un cauchemar et sursaute quand sa sœur s'arrête soudain et fait volte-face.

- Où est Lord Agravaine ? demande-t-elle d'un ton cassant, avant de frissonner et d'ajouter d'une voix un peu étouffée : "A-t-il vu ? Sait-il pour le livre ?"

- Non, dit froidement Mordred. "Il ne sait pas et il ne viendra pas pour vous le prendre non plus. Il est mort."

Arthur le dévisage, stupéfait.

- Il est mort ? Comment ça ? Pourquoi n'ai-je pas eu de rapport ? Je pensais qu'il était sur les remparts au nord…

- Il n'y était pas, interrompt l'enfant. "Il est mort hier. Je l'ai tué."

Guenièvre plaque les mains devant sa bouche, horrifiée, et Arthur sent tout son corps se glacer.

- Tu l'as tué ? répète-t-il d'un ton stupide. "Comment ça ? Où est-il ?"

- Dans un trou, là où il le mérite, répond le garçon sans baisser ses yeux d'un bleu surnaturel. "Il allait tous nous trahir. C'était la seule façon de l'arrêter."

Le roi déglutit, épouvanté, en recevant ses propres mots en plein visage, comme une gifle.

- Il est mort ? répète Morgane d'un ton égaré.

Elle fait quelques pas, se tord les mains. Ses yeux de perle se remplissent de buée, puis des larmes coulent sur ses joues pâles et un sourire crispe ses lèvres délicates.

- C'est fini, Mère, lui dit son fils d'un ton presque suppliant. "Vous êtes libre."

Morgane hoquette.

Puis elle éclate de rire, un son cristallin qui réveille en Arthur un souvenir qu'il aurait voulu oublier.

- C'est fini, répète la jeune femme d'une voix musicale, légère.

Puis elle se met à sangloter.

- Oh, mon seigneur Agravaine… ramenez-le moi…

Mordred secoue la tête, les dents serrées, implacable, repousse les caresses mais n'essaie pas de se dégager quand sa mère lui saisit les bras et gronde, crie, ordonne qu'il obéisse avant de s'accroupir sur le sol comme une gamine, sa robe noire répandue autour d'elle, en gloussant à travers ses larmes, le livre serré contre elle.

- C'est fini, fini….

Et soudain Arthur porte une main à sa bouche et titube, sur le point de vomir.

Il vient de comprendre.

Il vient de tout comprendre.

Il croise les yeux sombres de Guenièvre et il sait qu'elle sait, elle aussi.

Il se raidit, jette un coup d'œil circulaire. Oh, les gens les regardent, mais personne n'est assez près pour avoir entendu. On supposera qu'il ne s'agit que d'une crise de "la folle" comme il sait très bien que l'on surnomme sa sœur dans les couloirs du château et les rues de la ville.

Il inspire profondément et se tourne vers Mordred qui attend d'un air impassible.

- Viens, ordonne-t-il. "Montre-moi où il est."

Guenièvre est déjà en train de se pencher pour relever Morgane.

Arthur serre les poings, sans savoir à quel point il ressemble à sa fille à ce moment précis où il décide de ne pas se laisser engloutir par le chagrin et la révolte.

Le soleil a disparu et la pâle lumière du soir tombe seule sur l'épée environnée d'obscurité et de papillons gris.

 

oOoOoOo

 

Au sommet de la montagne, les flocons de neige légers comme des plumes se déposent sur le cairn érigé par Numéro Quatre à côté du tas de terre fraichement retourné.

Le feu brûle encore en haut de la tour, mais les traces de pas qui s'éloignent seront bientôt complètement effacées par le vent qui souffle en rafales.

 

oOoOoOo

 

Les réfugiés ont allumé des bougies partout, sans se soucier d'économiser.

L'air grave malgré leur peur, les hommes attendent le moment de monter au château.

Certains ont les mains jointes, d'autres les doigts entrelacés avec leurs femmes, ou leurs enfants dans les bras. Personne ne se moque, personne ne râle, personne n'ose dire tout haut adieu, mais des larmes coulent silencieusement sur beaucoup de visages.

Arthur les contemple tout en passant les spallières par-dessus sa tête. Quand Merlin s'approche pour les ajuster, il l'arrête gentiment.

- Pas aujourd'hui, dit-il.

Le serviteur le regarde d'un air un peu étonné, puis sourit jusqu'à la pointe de ses oreilles décollées quand Arthur ramasse un canon et l'enfile sur le bras de son ami.

- Equipe-toi, Merlin.

Les deux hommes s'entraident pour boucler les sangles et finissent par se regarder dans les yeux, une fois prêts.

- Tu ressemblerais presque à un vrai chevalier, dit le roi avec sa moue de prince moqueur.

- Vous faites ça presque aussi bien qu'un serviteur, riposte Merlin en tirant un peu sur sa cotte de mailles trop serrée au cou.

Arthur rit un instant, puis se rembrunit.

- Tu n'as pas peur, Merlin ? demande-t-il presque timidement.

- Oh si, j'ai peur, répond son serviteur en le regardant droit dans les yeux. "Mais je crois en vous."

Son ami secoue la tête, incapable de soutenir ce regard rempli d'adoration confiante et aveugle.

Il se tourne vers son peuple qui semble tenir une longue veille, avec ces centaines de bougies.

- Je voudrais pouvoir faire quelque chose pour eux, murmure-t-il. "Avoir un véritable espoir à leur donner, pas seulement la promesse qu'ils mourront en faisant ce qui est juste. Mais je ne le peux pas. Si nos alliés ne viennent pas demain, Camelot tombera à l'aube. Il faudrait un miracle…"

- Un miracle, vous en avez un sous la main, dit Merlin d'une drôle de voix, amusée et très sérieuse à la fois.

- Qu'est-ce que tu racontes, encore ? demande Arthur en se tournant vers lui. Il fronce les sourcils brièvement quand il aperçoit la grimace qui crispe les traits de son serviteur. "Ça va ?"

- J'ai mal à la tête, grogne Merlin en massant ses tempes.

Le roi acquiesce en se détendant un peu.

- Je sais. Moi aussi. C'est à cause des tambours.

Il pose sa main gantée de fer sur l'épaule de son ami.

- Viens. Je dois leur parler avant la bataille.

Il se fraye un passage au milieu de la foule, marche jusqu'au rocher dans lequel est planté l'épée de légende et se racle la gorge.

- Ce soir, nous allons combattre, commence-t-il en promenant ses yeux de lin sincères sur les visages craintifs des civils et ceux résignés des soldats, sur son peuple terrifié qui s'efforce de se montrer digne.

Il voudrait leur communiquer la foi de Merlin, mais il peine à y croire lui-même, alors il puise dans ce qu'il a d'honnêteté, de courage et d'amour pour eux.

- Ce soir, nous mettrons fin à cette guerre, une guerre aussi vieille que notre terre elle-même. Une guerre contre la tyrannie, la convoitise et le mépris. Nous ne verrons pas tous l'aube se lever. Certains d'entre nous vivront, d'autres mourront. Mais je sais que chacun d'entre vous se sera battu avec honneur et avec fierté. Regardez autour de vous : dans ce cercle, nous sommes tous égaux.

Un murmure court sur la foule, fugace comme une ondulation sur un lac. Il se redresse, s'efforce de leur insuffler la force née de la reconnaissance qu'il ressent envers eux.

Ils n'ont jamais essayé de changer de roi. Ils l'ont accepté comme il était, un prince maladroit et égoïste, et ils ont fait de lui ce qu'il est maintenant.

- Vous ne vous battez pas parce que quelqu'un vous l'ordonne, vous vous battez pour beaucoup plus que cela. Vous vous battez pour vos foyers. Vous vous battez pour vos amis. Vous vous battez pour le droit de moissonner vos champs en paix. Vous vous battez pour que chacun ait le droit de se tenir debout dans ce pays, peu importe d'où il vient ou ce à quoi il ressemble.

Il tremble, mais ne s'en aperçoit pas.

Au fond de lui brûle une flamme, une conviction profonde, enracinée comme un chêne, comme si elle avait été là depuis la nuit des temps. Sa voix vibre dans la grande salle souterraine – forte, chaude, aimante.

- Nous ne nous battons pas seulement pour nos vies, mais aussi pour notre futur. Le futur de Camelot. Le futur des royaumes unis. Le futur de nos enfants. Et quand vous aurez les cheveux blancs, vous regarderez en arrière et vous saurez que vous avez gagné le droit de vivre chaque jour qui s'est écoulé depuis !

Il porte la main à son épée pour la lever et terminer son discours, mais une voix l'interpelle.

- Excalibur, Sire !

Et des centaines d'autres viennent se joindre à la première.

- Longue vie au roi !

- Le roi présent et à venir !

- Excalibur ! Excalibur !

Arthur tressaille, baigné de sueur. Dans le rayon de lune qui tombe sur le roc, soyeux comme les cheveux d'une fée, l'épée l'attend, scintillante.

Il hésite.

Ne va-t-il pas ruiner tous ses efforts ? Cette unité de cœurs qu'il ressent, comme une vague qui remplit les cavernes, ne va-t-elle pas disparaitre, s'évaporer d'un coup lorsqu'il échouera à retirer ce bout de ferraille symbolique de son caillou ?

Il croise les yeux d'azur éthéré de Mordred, en face de lui.

"Non. Ça ne changera rien. C'est vous qu'ils suivront, Sire. Ce sont vos paroles qui ont tout changé."

Les mots résonnent en lui aussi clairement que s'il les entendait.

Soudain il sait qui a crié en premier.

Il tourne la tête et rencontre les visages émus de Perceval et Sir Léon, les hochements de tête approbateurs de Gaius et la Dolma, les iris noisette remplis d'amour de Guenièvre, le regard d'ambre émerveillé d'Albion et celui, étonné et simple comme celui d'un enfant qui s'éveille après un long cauchemar, de Morgane.

Le peuple autour d'eux bruisse d'espoir.

Alors il attrape le pommeau de l'épée et ferme les paupières un instant.

Il respire lentement, puis rouvre les yeux.

Et sourit.

Merlin est là, au milieu des autres – et seul avec lui, comme s'ils étaient au bout du monde.

"Je crois en vous. J'ai toujours cru en vous."

Arthur resserre ses doigts autour du manche incrusté d'or et il déplie son bras, lentement, comme pour saluer la foule devant lui, sans cesser de regarder Merlin.

Il y a de la magie dans ces yeux bleus comme des saphirs.

Une magie éternelle, indestructible, spontanée.

Une magie qui se nomme foi, amour, confiance, abandon total.

Une force immense, aussi légère et fragile qu'un battement de cœur.

Peut-être est-ce cela – peut-être seulement le fait qu'au lieu de tirer brusquement, il a fait glisser la lame en l'inclinant – peut-être le sceau des Pendragon gravé dans son gantelet qui s'adaptait parfaitement à la poignée finement ouvragée.

Peut-être rien de tout cela.

Peut-être juste un miracle.

Parce que les miracles ne s'expliquent pas, ils s'offrent, c'est tout.

L'épée quitte la pierre dans un frôlement et le rayon de lune ondoie le long de la lame, éblouissant, dans le silence.

Arthur la contemple, la soupèse, lui fait face et voit son reflet dans l'acier.

Il n'est qu'un homme.

Mais il est roi.

C'est son rôle de les guider – vers la gloire ou vers la mort.

Alors il pointe Excalibur vers le ciel et crie de toute la force de ses poumons.

- Pour Camelot ! Pour le futur ! Pour l'amour des nôtres !

Toutes les voix se joignent à la sienne, comme la furie d'un océan.

- POUR L'AMOUR DES NÔTRES !

Et à ce moment-là, le dragon rugit, les appelant à la bataille d'une longue sonnerie de cor sourde comme un souffle.

C'est l'heure.

La dernière bataille va commencer.

 

 

A SUIVRE...

 

 


Listelia  (02.08.2015 à 12:46)

Basé sur les épisodes 5x13, 1x10, 4x12, 4x13, 5x04, 5x07


 

36

FEMMES & FILLES, MÈRES & SŒURS

 

 

Il est debout dans la neige, seul.

Des pas crissent derrière lui, quelqu'un lui pose la main sur l'épaule. Il se retourne, aperçoit une tête balayée de cheveux bruns et une barbe hirsute.

- MERLIN !

La voix éraillée d'Arthur le fait sursauter et il cligne des yeux, perdu.

Il ne sait plus où il est, ni pourquoi.

Ses oreilles se débouchent soudain et le vacarme de la bataille s'y rue, assourdissant, tandis que les hautes flammes qui embrasent les palissades crépitent dans la nuit, effaçant toute trace de la montagne blanche dont il rêvait. Des hommes se battent autour de lui, des épées s'entrechoquent avec des éclats de métal brillants dans l'obscurité. Des gens éructent de douleur et de rage, partout.

Ah. C'est vrai. Camelot est assiégé et il doit veiller sur Arthur.

Il oscille un instant sur ses longues jambes, tend la main pour s'appuyer contre le mur de pierres étrangement froid dans cette fournaise.

- Réveille-toi, pour l'amour du ciel ! gronde le roi hors d'haleine en le secouant par l'épaule. "Si tu ne restes pas concentré, tu vas te faire tuer ! Merlin ! Merlin, tu m'écoutes ? Tu es trop fatigué, retourne aux caves !"

Le serviteur secoue immédiatement la tête pour protester, mais sa vision se brouille de nouveau. Ses tempes battent, il a le cœur au bord des lèvres, l'impression qu'il va s'évanouir.

- Merlin ! hurle Arthur à côté de son oreille. "C'est un ordre ! Redescends à l'infirmerie !"

Les yeux bleus se lèvent vers lui, suppliants, mais le roi ne cède pas. Il a eu trop peur en voyant son ami rester parfaitement immobile, apathique, tandis qu'une grêle de boulets et de flèches s'abattait en sifflant sur les remparts.

- File ! Tu me seras plus utile en bas, c'est promis !

Merlin se fraye un passage à travers les combattants le long des escaliers, après un dernier regard vers son maître, et Arthur le regarde disparaître dans la fumée épaisse, le cœur serré.

Ç'en est fini des beaux discours, des résolutions héroïques. A ce moment précis, il est prêt à tout pour sauver ceux qu'il aime, quitte à trahir les promesses qu'il leur a faites.

Il ne laissera pas Merlin mourir. Jamais.

Une autre explosion retentit, un souffle brûlant ravage les remparts et Arthur, le visage baigné de sueur, le front maculé de traces noirâtres, crispe la main sur son épée et retourne au combat.

La nuit est étouffante et toutes les étoiles ont été avalées par la fumée épaisse qui s'élève de partout, chargée de suif.

Le pont-levis a été pris, il y a des heures.

Des boulets fracassent les tours, répandant une pluie de gravats et de poussière. Les flèches déchirent les rideaux, s'encochent dans les aspérités des murs, fendillent les vitraux. De temps à autre une fenêtre éclate et une envolée de morceaux de verre scintillants ruisselle sur les combattants. Les communs flambent malgré les efforts d'un groupe qui charrie des seaux d'eau en s'abritant sous des boucliers et des bouts de planches. On se bat de tous côtés. La cour des gardes est jonchée de morts et de blessés des deux camps.

Merlin se fraye un passage au milieu des combattants, son épée au bout de ses longs bras maigres. Les lèvres serrées, son menton anguleux fièrement levé et ses oreilles décollées dépassant comiquement sous le casque un peu trop grand, il frappe sans relâche les livrées jaunes et noires. Sa haute silhouette mince évite les coups des ennemis par chance ou par souplesse, mais ce n'est pas avec maladresse qu'il les attaque.

Gwaine y a veillé, Merlin sait manier une épée, presque aussi bien qu'un chevalier.

- A moi !

La voix de Sir Léon domine le tumulte et le serviteur se hâte en boitant en direction des écuries dans lesquelles rougeoie un autre incendie. Les poutres calcinées menacent de s'écrouler sur les chevaux qui hennissent de terreur, cabrés, tirant sur leurs longes, et des étincelles craquent dans un brouillard jaune irrespirable. Tyr, le palefrenier aux joues rondes et au collier de barbe noire, écarquille les yeux avec stupéfaction et tombe à genoux en lâchant sa fourche, les mains pressées sur la plaie béante dans son ventre, au moment où le serviteur le rejoint. Merlin se débarrasse du soldat qui l'a tué, mais n'a pas le temps de s'arrêter : Sir Léon est seul pour contenir un groupe d'hommes à la poterne.

D'autres ont vu le péril et se précipitent pour les aider. Parmi eux il y a Will, le jeune écuyer frondeur, rouge et hors d'haleine, dont la lame mouline dans les airs plus qu'elle ne se montre efficace, mais qui n'hésite pas à se jeter en hurlant sur ses adversaires.

- A la grand' porte, ils ont besoin d'aide ! ordonne Sir Léon quand ils ont tué les soldats d'Odin qui avaient repéré ce point faible, et laissé le plafond des écuries s'écrouler devant l'entrée de service.

Merlin termine de détacher les chevaux que Will claque sur la croupe pour les disperser dans la cour des gardes, puis ils s'élancent tous les deux en direction de la grande arche blanche. Des gémissements s'élèvent partout autour d'eux, des bras se tendent dans les lueurs orangées des flammes, sur le fond du décor horrible de barricades brisées.

Merlin entend siffler une flèche qui lui frôle la joue, coupante comme un rasoir, et se jette à terre tandis qu'un cri de douleur retentit.

- Will !

Sir Léon hésite, mais l'écuyer haletant lui fait signe de continuer.

- La grand' porte, vite, mon commandant !

Will est tombé sur un genou. Il oscille et s'écroule, les doigts crispés sur la flèche qui dépasse de sa poitrine. Merlin se redresse et rampe jusqu'à lui, le tire à l'abri sous une charrette renversée tandis que le chevalier disparait dans le brouillard de fumée et de poussière en direction des coups de bélier qui ébranlent le château.

Le serviteur passe son bras sous les épaules de l'écuyer qui crachote une écume rougeâtre.

- J'… j'aurais… j-jamais… cru qu'j… m'battrais… 'vec toi… un jour…

L'adolescent se cambre, des larmes dégoulinent sur ses joues sales tandis qu'il lutte contre la douleur.

- T-t'es… plutôt bon… 'vec une – épée – j'ai m-mal… oh, Merlin… ça fait… mal

Il tousse et gémit, ses ongles s'enfoncent dans le bras du jeune homme qui le tient contre lui comme un petit frère.

- Si… ce gosse… M-mordred… s'en sort… d-dis-lui… qu'ça… vaut… la peine… v-vivre à… Camelot…

Ses yeux ombrageux se voilent et sa voix gargouille.

- J'étais c-content… d'le r-rencon-trer… dis-lui… c'est p-pas d'être… bâtards… q-qui nous… défin…

Son corps s'affaisse et Merlin lui ferme les paupières, le visage ruisselant de larmes, avant de l'allonger avec précaution sur les pavés et de s'élancer de nouveau vers la cour d'honneur.

Si la Grande Porte est défoncée, le gros des troupes pénétrera dans l'enceinte du château et la bataille pourrait bien s'achever là, alors que l'aube est encore loin.

Perceval charrie des poutres dans un capharnaüm de combats et d'appels, Sir Léon est parmi ceux qui défendent le groupe massé derrière les battants, clouant des planches et calant des barres de fer pour les consolider.

Les murs vibrent à chaque secousse du bélier et les bras des travailleurs sont douloureux, leurs muscles noués par l'onde de choc. La petite femme de Perceval s'agite au milieu d'eux avec un baquet de clous et des marteaux, sa courte dague passée à la ceinture de son surcot de laine céruléenne, les encourageant sans relâche.

Merlin traverse la place sans s'arrêter, grimpe les grands escaliers blancs quatre à quatre, son épée au bout du bras. Il se retourne au moment d'entrer dans la citadelle, jette un regard en arrière.

Et soudain le monde entier semble se ralentir.

Dans la cour bleuie par la nuit, une énorme flamme se gonfle et les portes de bois explosent, projetant des débris de tous côtés, une tempête de chaleur et de destruction qui engloutit la voûte blanche.

L'épouse de Perceval se tourne vers lui et lui adresse un sourire plein d'amour, pendant un instant suspendu dans le temps.

Tous les sons reviennent d'un coup et le corps souple de la jeune femme est lancé dans les airs, avec les dizaines d'autres qui travaillaient à ses côtés. Ses longues tresses d'or se défont dans un poudroiement de soie, puis elle retombe brutalement sur les dalles de la cour, comme un pantin brisé, sous les yeux exorbités d'horreur de son mari.

Merlin titube alors que la gueule du bélier s'engouffre par la brèche avec des dizaines de soldats. Il secoue la tête pour se débarrasser du vertige qui lui retourne l'estomac, essuie d'un mouvement vif le sang ou les larmes qui coulent dans son cou et se rue dans les escaliers qui mènent aux caves avec une seule idée en tête, avertir Guenièvre : ils arrivent !

Il fait irruption dans l'infirmerie où Gaius recouvre d'un drap Sir Elyan étendu sur une table. A côté de lui, le fils du chevalier est secoué de gros sanglots, les mains crispées sur l'épée de son père.

- Ils seront là d'une minute à l'autre ! Enfermez-vous ! Ne laissez personne entrer !

Georges échange un bref regard avec son rival, puis le laisse ressortir avant de tirer sur les lourdes portes du caveau et de les verrouiller. Puis, le front inondé d'une sueur glacée, il ramasse une masse d'armes et se campe derrière, bientôt rejoint par quelques hommes en état de se lever, bras en écharpe ou tête bandée.

- Ne fais pâs cette tronche, pôil-de-cârotte. On pourrait crôire que tu âs peur, lance une voix haut-perchée un peu moqueuse.

Le serviteur parfait, dont les aisselles trempées auréolent la chemise, jette un regard furibond à la Dolma qui vient de se placer à côté de lui, une fourche à la main.

La nourrice a un air féroce et ridicule, avec les mèches d'un blond grisonnant échappées de sa guimpe et le tablier noué haut sous sa poitrine tombante, son menton en galoche et sa silhouette un peu bossue vêtue de noir.

- Ils vont s'enfuir rien qu'en vous voyant, riposte Georges, les sourcils froncés sous son bob de cheveux roux. "Ce sera une victoire écrasante."

La femme plisse ses yeux vert tilleul et ses lèvres se retroussent en un sourire amusé sur ses dents abimées.

- J'ai toujours bien joué les rôles des sorcières aux chaudrons bouillonnants, dit-elle. "Voyons ce que je vaux dans lâ vraie vie. Probâblement pâs grand'chose, j'imâgine."

Gaius les rejoint, du pas lourd et hésitant de son grand âge, ses doigts noueux enroulés autour d'une lance.

- Ne dites pas cela, marmonne-t-il en repoussant d'un mouvement de tête ses cheveux blancs qui lui gênent la vue. "Vous êtes importante. Chacun d'entre nous l'est."

- Alors tâchez de ne pâs mourir non plus, vieil hibou ventripotent, réplique-t-elle.

Georges s'humecte les lèvres.

- Il y aura vraiment beaucoup de ménage à faire, demain, dit-il d'un ton lugubre.

 

oOoOoOo

 

En bas, la dernière explosion a fait trembler les murs et provoqué des cris d'effroi dans la foule des femmes et des enfants terrés dans les cavernes.

Guenièvre essuie l'une après l'autre ses paumes moites sur ses cuisses, puis serre de nouveau son épée à deux mains. Ses yeux noisette surveillent anxieusement les escaliers étroits qui descendent dans les cavernes.

Merlin s'est posté derrière elle avec Mordred dont les yeux bleu éthéré semblent luire dans l'obscurité.

Les clameurs et les clashs de métal résonnent en haut.

Ils se rapprochent.

Sous le plafond de pierre noire scintillante, les réfugiés sont blottis les uns contre les autres, terrifiés. La femme du guerrier à queue de cheval presse ses lèvres contre le front du bambin qu'elle tient dans ses bras. Un vieux lancier embrasse une amulette puis la glisse de nouveau dans son col.

L'escalier s'éclaire soudain de lueurs noires dansantes, comme si des démons s'animaient et jaillissaient des pierres. Avec un tintamarre de ferraille cabossée, un chevalier roule en bas des marches, la gorge tranchée.

Et soudain les soldats d'Odin déferlent dans les caves en une marée hurlante.

Tout le monde s'éparpille en criant et il n'y a plus rien d'organisé, plus rien de beau ou de compréhensible.

Guenièvre se bat comme une furie, comme si elle pouvait protéger tout le monde, mais elle ne le peut pas.

Sans aucune pitié, les hommes en uniforme jaune massacrent indifféremment ceux qui essaient de résister et ceux qui tombent à genoux pour les supplier.

Les jambes encore flageolantes de son récent accouchement, la marchande de chandelles se dresse entre son bébé et un soldat qui la transperce de son épée sans hésiter. Elle s'effondre et le nourrisson se met à vagir sur un ton aigu.

Un vieil homme branlant essaie vainement de défendre une petite mémé ridée et, son visage ratatiné tout blanc, tombe sans un cri sous les coups violents de l'ennemi.

Le ménestrel s'est écroulé sur la pierre dans laquelle était plantée l'épée de légende. Un filet pourpre se glisse dans les aspérités du rocher, tombant goutte à goutte sur l'instrument brisé, à ses pieds.

Mordred essuie d'un revers de manche le sang qui dégouline le long de sa tempe, un peu hébété. Il y a plus aucune trace de l'enfant de dix ans sur son visage durci et pâle comme de la craie.

Les soldats ne cessent d'arriver et Guenièvre, désespérée, repousse au fond de son cerveau l'idée qu'il n'y a plus personne pour les retenir, là-haut.

Arthur et les autres sont-ils tous morts ?

Non. Non, non, non.

Il y avait des milliers d'hommes sous les remparts, c'est normal qu'on ne puisse tous les empêcher de passer…

Arthur est encore en vie. Elle le sait au plus profond de son cœur, comme la lueur d'une bougie, comme la présence douce et chaude d'un oiseau blotti dans sa poitrine.

Oui, mais elle n'a pas senti lorsque Lancelot est mort, alors peut-être n'est-ce que son imagination, un stupide tour qu'elle se joue à elle-même pour entretenir son courage, pour se donner la force de continuer à lutter.

Elle se mord les lèvres et continue de lever son épée en criant.

La fourrure de lapin est gorgée de sang et de sueur, ses manches de lin crème sont devenues rosâtres, ses longs cheveux sombres sont emmêlés et une coupure traverse sa joue satinée.

- Guenièvre !

Elle tourne la tête, cherche la voix.

Merlin lui fait signe du fond de la salle et elle comprend après quelques secondes de stupeur épuisée ce qu'il essaie de dire.

Il faut fuir.

Quitter la salle souterraine, se répandre dans les couloirs du château, jouer sur le terrain qu'ils connaissent pour échapper à leurs bourreaux. Ils étaient dans les caves pour se protéger de la grêle de boulets et de flèches, mais qu'importe à présent.

Mourir terrés ou mourir en voyant le soleil se lever sur les tours blanches de Camelot…

Elle arrache un de ses gants et fourre deux doigts dans sa bouche pour siffler de façon stridente.

Les chefs qu'elle a désignés pour protéger les différentes salles se transmettent le signal et les combats s'enroulent imperceptiblement pour faciliter la fuite des plus faibles.

Guenièvre presse des femmes et des enfants à travers le trou dans lequel s'était faufilée Albion, puis se fraye un passage au milieu d'eux pour les guider vers les escaliers. Dans le dédale des caveaux, elle court à perdre haleine, s'arrête à peine pour frapper les soldats qui se dressent soudain devant elle.

Merlin la suit en tenant Albion par la main, Mordred entraîne Morgane en surveillant leurs arrières.

Quand ils débouchent à la surface, la reine chancelle devant le spectacle apocalyptique. Le château flambe dans la nuit. Il y a des gravats partout, des bouts de verre brillants qui se reflètent comme des étoiles sur les décombres noirs, des morts et des combats, des capes rouges qui claquent et des gémissements étranglés, des lances plantées dans les coffres et les buffets, des rideaux dévorés par le feu, des dalles brisées, des meubles renversés, de la vaisselle en morceaux, du sang en rivière dans les escaliers immaculés et les couloirs remplis de fumée.

Arthur est dans la cour avec une centaine de chevaliers et se bat comme un fou, les reflets des flammes dansant sur son armure, ses cheveux blonds en vrac sur son visage tendu – beau, terrifiant, majestueux – le roi qui fut et qui sera, son ami et son mari.

Le cœur de Guenièvre fait un bond de soulagement et elle sourit malgré elle pendant un quart de seconde.

Il est vivant.

Elle reprend courage, se retourne et disperse les gens qui la suivent.

Que chacun s'efforce de vivre jusqu'au matin, en échappant à l'armée d'Odin.

Merlin dévale les escaliers en l'oubliant, son épée à la main, pour aller rejoindre le roi. La jeune femme avise un des couloirs de service et calcule rapidement qu'il la conduira jusqu'à la tour de la cloche.

Si elle…

Un cri perçant interrompt le cours de ses pensées et elle se glace.

Debout devant la grande porte, Albion contemple la cour d'honneur, tétanisée. Ses cheveux blonds duveteux forment un halo autour de son petit visage horrifié. Ses yeux d'ambre écarquillés, le menton tremblant, elle fait face à la guerre qui ravage son monde d'enfant et à son père qui tue.

Elle tient d'une main sa minuscule dague et de l'autre son ours en tissu.

Le vent de la nuit agite l'ourlet de sa tunique de laine bleue.

Elle veut être la princesse courageuse qui porte le nom d'un pays et d'un rêve. Elle voudrait être aussi brave que le roi, lui faire honneur, le rendre fier, se battre comme un lion et défendre le peuple sur lequel elle règnera un jour.

Mais elle n'a que sept ans.

Elle n'est qu'une petite fille avec une dent de lait qui bouge, qui croit aux contes de fées et aime s'habiller de soie rose, à qui son chat manque et qui a peur de l'orage.

Alors elle lâche la dague qui tombe avec un bruit sonore et elle serre fort son ours contre elle, sans bouger alors que des soldats se ruent sur elle.

- Maman ! hurle-t-elle de toutes ses forces, de grosses larmes claires débordant sur ses joues potelées. "Maman ! Maman, viens me sauver !"

Guenièvre frissonne de tout son corps et se jette dans la mêlée, fait tournoyer son épée et ramasse l'enfant, l'installe sur sa hanche tout en reculant pour faire face à l'ennemi.

Albion fourre son nez contre l'épaule de la jeune femme, cache sa peur dans l'odeur douce de sa peau, nouant ses petits bras autour du cou de la reine.

- Maman, maman, maman, sanglote-t-elle.

- Je suis là, souffle Guenièvre dans le vacarme de la bataille. "Je suis là, tout va bien…"

Mordred a sauté devant elles pour les protéger et les pousse maintenant vers le couloir de service, avec Morgane qui promène un regard désorienté sur le château en flammes.

Ils courent dans le couloir en évitant les débris, haletants, grimpent quatre à quatre l'escalier en spirale. Les soldats d'Odin sont sur leurs talons, comme une bête assoiffée de tuerie.

Ils se barricadent dans la pièce sous la cloche, tout en haut. Guenièvre dépose Albion sur une chaise en paille et aide Mordred à placer la lourde barre de fer devant la porte. Puis, hors d'haleine, elle considère leur refuge.

- Nous ne tiendrons pas longtemps, dit sourdement l'enfant aux yeux bleus éthérés.

- Je sais.

Elle s'approche de la fenêtre en ogive, plisse les paupières pour examiner l'horizon à travers les volutes de fumée sombre qui remplissent la nuit, cherchant désespérément une lueur d'argent dans l'obscurité.

- Si nous pouvions seulement rester en vie jusqu'au matin… si l'aube pouvait venir plus vite…

- ça ne changera rien, jappe Mordred.

Elle repousse une mèche frisée derrière son oreille, tressaille quand sa manche effleure la coupure dans sa joue, lui sourit tristement.

- ça changera tout, au contraire, dit-elle. " Les pleurs de la nuit s'effacent à l'aurore. L'espoir revient toujours quand le soleil se lève. Les hommes sont ainsi faits, Mordred. Ils ont besoin de lumière pour croire aux miracles."

Il lâche un grognement incrédule.

Albion s'est rapprochée, a attrapé un pli de la tunique de la reine. Elle renifle doucement, son ours blotti contre son cœur.

- C'est vrai ? demande-t-elle d'une petite voix tremblante. "Quand ça sera le matin, ça sera fini ?"

Guenièvre s'agenouille et lui sourit, lui caresse les cheveux et les joues, lui donne une pichenette affectueuse sur le nez.

- Oui, promet-elle. "A l'aube, ce sera fini. On n'aura plus peur. Il n'y aura plus de méchants, plus de cris. On entendra gazouiller les rossignols dans le jardin de roses et il y aura des gouttes de rosée sur les feuilles pour le petit déjeuner des fées."

Albion se pelotonne dans les bras qui s'ouvrent pour elle et bâille en posant sa tête sur l'épaule de la reine.

- J'aimerais bien qu'on y soit déjà… est-ce que Sir Pellinore reviendra ?

- Oui, murmure Guenièvre en la berçant. "Oui. Il boudait, mais il aura faim et viendra sûrement réclamer un bout de ton bacon en ronronnant comme un soufflet de forge. Et ton père le grondera, mais il sera le premier à lui donner un morceau de pain beurré, comme d'habitude."

- Comme d'habitude, soupire l'enfant à moitié endormie.

Guenièvre enfouit son menton dans les légères boucles blondes et ferme les yeux pour écraser les larmes qui remplissent ses yeux noisette.

- Dors, ma chérie. Maman est là.

Mordred les regarde, les lèvres serrées, son épée à la main. Morgane penche la tête de côté, dans l'étrange silence qui absorbe la clameur lointaine de la bataille, les cliquetis d'acier et les pas lourds qui montent l'escalier, le bruissement des flammes qui consument Camelot.

C'est l'heure la plus sombre.

Il fait un peu froid.

La brise nocturne vient comme un souffle rafraichir leurs fronts.

Des coups de hache s'attaquent soudain à la porte et Albion se réveille en sursaut, avec un cri de terreur aigu. Elle s'agrippe à Guenièvre, mais celle-ci la pose sur le sol.

- Protège-la, dit-elle à Mordred. "Je compte sur toi, chevalier de Camelot."

Le garçon hoche gravement le menton, attrape la main de sa cousine et la fait passer derrière lui.

- Vous avez ma parole, ma reine, répond-t-il.

Guenièvre sourit, puis elle va se placer face aux portes, prête à affronter les soldats qui ne tarderont pas à se ruer à l'intérieur.

Elle respire profondément.

Lancelot, Mithian, Arthur… prêtez-moi votre force…

Le bois éclate, des échardes giclent, un éclat de métal étincelle dans l'obscurité, des voix rauques s'interpellent de l'autre côté.

Une goutte de sueur coule lentement, tiède, le long de sa colonne vertébrale.

Puis la porte cède et quatre hommes font irruption, haletants et grognant comme des animaux. Guenièvre en abat un du premier coup, fait reculer un deuxième et surveille le troisième tout en parant les coups d'estoc.

Le quatrième la blesse à la hanche, l'envoie bouler au sol quand elle crie de douleur, déséquilibrée. Aveuglée par la transpiration et la peur, elle lâche son épée, entend hurler Albion et lutte contre l'inconscience dans un brouillard gris qui absorbe tous les sons.

De longues boucles de jais voltigent devant ses yeux, une robe noire se gonfle en tournoyant, un éclair d'acier cingle la nuit.

Un homme tombe à sa droite, un autre recule et se heurte à la chaise empaillée.

Guenièvre cligne des paupières et réussit à se concentrer assez pour comprendre la scène.

Morgane a ramassé son épée et elle se bat seule contre les soldats.

Une goutte de sang perle sur ses lèvres décolorées et un peu de rose s'épanouit sur ses joues pâles. Ses yeux scintillent et un rire ironique bulle dans sa gorge.

Elle danse.

Souple et féline, elle ondule en faisant glisser son épée comme un ruban tranchant dans la nuit, creuse le dos et s'arque, tourbillonne sans cesser de sourire d'un air narquois, et Guenièvre se souvient de la jeune fille adroite qui pouvait désarmer Arthur, il y a des années.

Mordred contemple sa mère, la bouche entrouverte, les yeux écarquillés d'admiration et de stupéfaction.

Elle est belle, elle est jeune et elle est libre, enfin, de sa prison.

Elle se bat pour son fils, pour le pays qui l'a vue naître, pour le droit de mourir debout.

Elle est Morgane, princesse de Camelot, fille d'Uther Pendragon.

Ses longues boucles noires cascadent sur ses épaules et luisent à la lueur des flammes qui dévorent le château.

Quand le dernier homme tombe, elle se dresse en face de la porte avec son épée cramoisie et essuie d'un revers de manche son visage éclaboussé de sang, dans un geste qui la fait ressembler à son fils plus que jamais.

- Pas mal, pour une fille, n'est-ce pas ? lance-t-elle en se retournant vers eux.

Les coins de sa bouche frémissent d'un rire élégant contenu, mais ses yeux étincellent de sauvagerie.

Puis sa respiration se bloque, elle étouffe un gargouillis et s'écroule.

Mordred se précipite vers sa mère.

Guenièvre se traine vers eux, crispant les lèvres pour réprimer un gémissement. Sa blessure à la hanche imbibe sa tunique, trempe ses chausses et fait vaciller la pièce devant ses yeux à chaque mouvement.

- Mère, bredouille Mordred sans oser la toucher. "Mère, êtes-vous blessée ? Mère, je vous en prie…"

Guenièvre parvient jusqu'à lui et se laisse lourdement tomber sur les dalles. Elle palpe le corset, les plis de satin noir, cherchant un accroc, et finit par trouver la blessure sur laquelle elle presse la robe chiffonnée.

- Morgane, bégaye-t-elle. "Morgane, revenez à vous. Ne vous endormez pas. Allons, il faut lutter !"

Sa voix s'enroue.

- Ma Dame ! S'il vous plait !

Albion lui effleure l'épaule, puis s'agenouille entre son cousin et sa belle-mère.

- Ma Dame, appelle-t-elle doucement.

Les cils de Morgane volètent, puis elle ouvre les yeux et sourit. Son regard se pose sur sa nièce, un peu brouillé.

- Morgause… murmure-t-elle.

- Non, dit la petite fille, gentiment mais fermement. "Je suis Albion."

Morgane sourit encore. Sa main glisse faiblement jusqu'au visage de l'enfant et lui caresse la joue.

- Je vous ai sauvée, dit-elle. "Etes-vous fière de moi ?"

Albion hoche le menton gravement.

- Vous n'aviez pas besoin de prouver quoi que ce soit, siffle Mordred. "J'étais là pour veiller sur vous, Mère !"

Ses yeux ont pris une teinte d'un bleu d'encre.

- Non, souffle la jeune femme. "C'était à moi de veiller sur toi. Mordred. Toutes ces années…"

Une moue tord la bouche du garçon.

- Taisez-vous, souffle-t-il.

Morgane rit, puis ses yeux reviennent sur Guenièvre.

- Tu es là, toi aussi, dit-elle pensivement.

- Je suis là, ma Dame, répond l'ancienne servante.

Morgane étouffe un gémissement de douleur et cherche une position plus confortable. Albion court chercher son ours en tissu et le glisse sous la nuque de sa tante, puis s'agenouille à côté de son cousin et lui prend la main sans rien dire.

Il ne la retire pas, tendu et furieux, les yeux fixés sur sa mère.

- Guenièvre…

- Oui, ma Dame ?

- Les choses auraient pu être différentes, n'est-ce pas ?

Guenièvre incline la tête, la gorge nouée.

Pendant quelques instants, il n'y a plus dans cette pièce jonchée de débris, au sommet d'une tour, que deux fillettes qui faisaient des couronnes de bleuets et se les mettaient sur la tête en jouant, qui gloussaient de rire en se déguisant avec des voiles et des paillettes, qui se confiaient des secrets et se tenaient par le cou quand le tonnerre grondait, qui s'aimaient comme deux sœurs en dépit de leurs rangs.

- Je l'ai haï, souffle Morgane. "Il pleurait et ne disait rien."

Ses yeux de perle se voilent et sa respiration s'affaiblit.

- Guenièvre ?

Sa voix n'est plus qu'un souffle.

- Tu crois qu'il me tendra les bras ?

Guenièvre se penche et pose un baiser sur le front de la princesse.

- Votre père vous attend, ma Dame. Il vous a pardonné depuis longtemps.

Un sourire effleure les lèvres pâles de Morgane, puis elle soupire.

- Merci, Guenièvre…

Ses yeux se ferment lentement, une goutte transparente glisse sur sa pommette et tombe sur les dalles, puis elle ne bouge plus.

- NON ! crie Mordred en se pliant en deux, les bras serrés sur son estomac. "Non, maman… maman… je vous en prie…"

Albion lui attrape le bras et s'y pend malgré les mouvements qu'il fait pour se débarrasser d'elle. Des larmes ruissellent sur les joues de la petite fille, mais le visage du garçon est parfaitement sec.

Guenièvre pleure silencieusement.

Dehors, la bataille fait toujours rage, mais ils sont seuls en haut de la tour, sous la bouche noire de la cloche.

Mordred finit par se calmer et ne bouge plus, les yeux fixés sur sa mère.

Albion ne l'a pas lâché et finit par somnoler contre son épaule.

Guenièvre enlève sa fourrure de lapin et soulève sa tunique pour nettoyer un peu sa blessure et confectionner un pansement de fortune.

Il fait un peu plus clair et la fumée ne les suffoque plus autant. Un vent frais se faufile sous le toit pointu.

Mordred défait délicatement les mains de sa cousine qui ne proteste pas, ensommeillée, se redresse lentement et marche jusqu'à la fenêtre en ogive. Pendant un instant il reste immobile, le visage impassible, puis il fait soudain volte-face et se précipite dehors.

Ses pas s'évanouissent très vite dans l'escalier en spirale. Guenièvre n'a pas eu le temps de faire un geste pour l'arrêter.

Albion se lève en titubant un peu et cahote jusqu'au rebord de pierre.

- Oh, s'écrie-t-elle.

Elle tourne la tête et le cœur de la reine se gonfle d'espoir en voyant la joie enfantine dans les yeux d'ambre de la princesse. Elle se hisse péniblement sur ses jambes flageolantes, s'aide de son épée pour claudiquer jusqu'à la fenêtre et se fige, le souffle coupé.

Sur les collines qui environnent la grande plaine de Camelot, dans la brume fugace qui se dissipe comme une mousseline dorée, des centaines de cavaliers sont apparus. La rosée scintille sur leurs casques et leurs lances en myriades de gouttelettes aussi brillantes que des diamants. On y voit les oriflammes bleu et argent de Mercia, les panaches blonds et les bannières d'un vert profond de Nemeth, les étendards noirs et rouges d'Essetir.

- Ils sont venus, hoquette Guenièvre avec un sourire qui tremble sur son visage maculé de sang et de traces de fumée, repoussant en arrière ses longs cheveux frisés emmêlés.

Une clameur retentit, plus forte que le fracas des boucliers et le roulement des sabots qui se ruent dans la pente, un cri puissant comme le rugissement de milliers de cœurs unis.

- POUR L'AMOUR D'ALBION !

Guenièvre rit et sanglote, serrant contre elle l'enfant émerveillée qui contemple la charge venue de tous côtés, magnifique et terrifiante, encerclant l'armée d'Odin prise au piège.

- Ils crient mon nom ! dit la petite fille excitée.

Vibrant, balayant tous les autres sons, le souffle du dragon remplit soudain le ciel écarlate, résonnant jusqu'aux confins de la terre.

- Mordred, souffle la reine.

L'aube glisse ses rayons d'or dans les décombres blancs et ourle le visage inerte de Morgane.

- C'est fini, maman ? demande Albion.

- Oui, balbutie Guenièvre en se penchant pour lui embrasser le front à travers ses larmes. "Oui, c'est fini."

Dans la plaine remplie de lumière, de mort et de gloire, ses alliés déferlent au secours de Camelot.

 

 

A SUIVRE...

 


Listelia  (02.08.2015 à 19:54)

Basé sur les épisodes 5x13, 1x10, 4x12, 4x13, 5x04, 5x07

 

37

DES FLEURS AUX TIGES TROP COURTES

 

 

Arthur fait un pas en arrière, chancelant. Un rire soulagé se chiffonne sur son visage épuisé, il lève son épée pour se protéger du soleil qui se lève, éblouissant.

Il est debout.

Il est vivant.

C'est l'aube et il est là, dans les ruines de son château, entouré de cadavres que la chaleur commence à faire gonfler, sous les oriflammes cramoisies et déchirées flottant à la brise matinale au-dessus des tours qui fument.

C'est fini.

Il tourne lentement sur lui-même, promène son regard sur les hommes vaillants qui ont combattu à ses côtés, soldats et civils en train de se redresser d'un air hébété, leurs armes souillées au bout de leurs bras exténués.

Des clairons retentissent et les rois alliés font leur entrée dans une cavalcade fière sur les pavés luisants de sang et de larmes.

Bayard, sa tête blanche couronnée et sévère, pousse au bout d'une lance Odin qui trébuche, poings liés. L'homme à la barbe poivre et sel toise son ennemi sans un remord au fond des yeux. Le loup noir hurlant sur son surcot jaune pissenlit a l'air d'un chien qui bave.

Lot arbore une moue cruelle, le roi de Nemeth observe ses aînés avec intérêt.

La nuque d'Arthur est raide, et il n'y a pas un seul endroit de son corps qui ne lui fasse pas mal. Il s'approche d'un pas lourd et fait face à son ennemi.

Il est là, le roi de Cornouailles qui a ordonné à un assassin de le tuer, qui a fait enlever et torturer Merlin, qui a envoyé des milliers d'hommes à l'assaut de Camelot et causé plus de pertes en un siège de quatre jours qu'une guerre de trois mois n'aurait pu n'en coûter.

Il est là, l'homme dont Arthur a tué le fils en duel, il y a de cela des années, quand il n'était qu'un jeune chevalier impétueux.

Le roi de Camelot secoue la tête, las.

- Cela aurait dû prendre fin il y a longtemps, murmure-t-il.

Odin le fusille des yeux et crache au sol.

- Allez-vous me faire l'affront de votre pardon, Pendragon ? Je vous en prie, ne salissez pas mon nom avec cette bienveillance répugnante dont vous vous êtes fait la réputation !

Les traits tirés d'Arthur se creusent douloureusement et sa gorge se serre.

- Je vous en prie ? répète-t-il dans un souffle. "Merlin a eu beau implorer, vos bourreaux ne l'ont pas épargné. Vous avez fait tant de mal, pour venger un fils qui est mort en homme d'honneur..."

Il passe une main sur son front, sans se douter qu'il y laisse une trainée brunâtre.

- Je ne vous tendrais pas cette main que vous refusez, dit-il doucement. "Mais je l'offrirai à votre royaume. Il ne s'agit pas de bienveillance, Odin. Il s'agit de justice, d'équité… et d'apprendre à comprendre ce qui anime le cœur des autres."

Il adresse un signe de tête aux trois rois qui l'écoutent sans rien dire, le visage imperturbable.

- Qu'on l'emmène et que son sang ne souille pas la terre de Camelot.

Odin se raidit, outragé, mais Bayard hoche le menton gravement. Lot lâche un petit reniflement en faisant faire demi-tour à son cheval, le neveu de Rodor sourit avec admiration.

Quelques instants plus tard, ils ont quitté la cour d'honneur.

C'est fini.

C'est vraiment fini.

Plus tard, il y aura des réunions, des conseils, un banquet à tenir pour les alliés venus les sauver, de nouveaux traités à écrire, mais pour l'instant, c'est l'heure de compter les morts, de panser les blessures, de se retrouver.

Le soleil monte lentement au-dessus des toits d'ardoises troués, dans le grand ciel bleu où s'effilochent des nuages blancs.

Arthur tourne lentement sur lui-même en remettant son épée au fourreau. Ses épaules tremblent de fatigue. Il lève les yeux vers les grands escaliers et son visage s'éclaire.

- Guenièvre !

Il court vers elle et elle saute de marche en marche, en se hâtant vers lui malgré sa blessure. Il l'attrape dans ses bras, la serre fort contre lui et l'embrasse à pleine bouche.

- Tu es vivante !

Elle écarte les mèches blondes qui lui tombent sur la figure, rit à travers ses larmes. Elle est si belle, malgré ses cheveux frisés en broussaille et ses cernes, la coupure noirâtre dans sa joue.

- Arthur… oh, Arthur, je vous aime tant, glousse-t-elle avant de lui rendre son baiser passionnément.

Dans la cour d'honneur, le guerrier à la queue de cheval s'accroupit pour recevoir dans ses bras ouverts ses trois enfants. Les jeunes mariés de la veille tourbillonnent dans les rayons de l'aurore. Deux soldats pleurent en se tapant sur l'épaule. Le potier rallume sa pipe en hochant le menton, ses larmes traçant des chemins clairs dans son visage maculé de fumée.

Des brancards passent, certains recouverts d'un drap, d'autres accompagnés de quelqu'un qui serre la main d'un blessé.

Des gens éteignent les incendies, d'autres sont simplement debout, la tête renversée pour contempler l'aube miraculeuse. Le vent agite les rideaux en lambeaux de l'étage royal.

Des enfants jouent avec des cailloux dans une flaque aux reflets d'arc-en-ciel, à côté de la fontaine.

Sous les arcades, Perceval est assis, la tête entre les mains, accablé de douleur. Sir Léon s'approche de lui et s'installe sur le rebord de pierre. Sans rien dire, il passe son bras autour des épaules de son ami et ils restent ainsi, sans bouger.

Un palefrenier rassemble les chevaux éparpillés, une gamine en tablier rappelle les oies et les poules. Une vieille femme traie sa chèvre et tend un bol de lait crémeux à un chevalier harassé. Un clébard aboie quelque part.

Les uniformes bleu-et-argent de Mercia, ceux vert-et-or de Nemeth et ceux noir-et-rouge d'Essetir fleurissent la cour d'honneur comme un parterre de tulipes.

Sur les terrasses, des coccinelles ourlent le lierre du jardin de la reine. Le banc de pierre est brisé et un boulet écrase la pelouse. Des merles picorent dans la terre brune retournée, mais les massifs verdoyants et les grappes de roses sont intacts et la brise les fait ondoyer doucement.

Georges balaye en haut des Escaliers du Griffon. Il s'arrête un instant, redresse une chaise, l'époussette. Un soupir de soulagement soulève sa poitrine et il continue à faire le ménage dans le couloir baigné de lumière parcheminée.

La Dolma et Albion soulèvent ensemble la dalle à côté de l'armoire et la petite fille, les yeux brillants, sort de leur cachette les deux dragons de bois. Sa nourrice lui caresse les cheveux et Sir Pellinore, le gros chat blanc ventru, se frotte contre ses jambes en ronronnant.

En haut de la tour de la cloche, Gaius se recueille devant le corps de Morgane, les mains jointes sur ses longues robes de laine bordeaux. Les yeux pleins de larmes, Merlin s'approche de Mordred et l'entoure de ses bras. Pendant un instant l'enfant se raidit, puis il détourne le regard de sa mère, enfouit son visage dans les plis de la tunique du serviteur et sanglote en silence, pauvre petite chose secouée de hoquets désespérés.

Le soleil glisse sur le dragon de pierre qui s'enroule le long de la tour du cor, nacrant les écailles rugueuses.

Dans les champs alentours, les tentes des alliés font place à celles de l'armée d'Odin et des colonnes de prisonniers se forment, comme des anneaux gris sur la plaine dévastée.

Un corbeau se pose sur une lance brisée et croasse d'un ton rauque.

Les bottes d'Odin se balancent sous le chêne centenaire.

C'est fini.

 

oOoOoOo

 

Arthur pose ses mains sur les créneaux et contemple ses terres, heureux de savoir que les fumées qui montent vers le ciel enflammé du soleil couchant ne sont que celles des foyers. Il se sent vidé mais étrangement apaisé. Il a présidé des conseils et des funérailles sans relâche depuis deux jours et il est enfin temps de prendre un peu de repos.

Camelot se remettra de ses blessures, comme il l'a toujours fait, lentement, courageusement, avec patience. Le peuple est plus uni que jamais après les souffrances traversées ensemble.

Tout ira bien.

Des gravillons roulent sous les semelles de son serviteur qui vient le rejoindre.

- Il va y avoir un orage, dit-il.

Arthur acquiesce.

- Oui. La pluie nous fera du bien. Il fera moins chaud.

Merlin se frotte les yeux du poing, comme un enfant qui a sommeil. Le roi sourit, attendri.

- Tu es fatigué ? Moi aussi. Je crois qu'on a tous mérité une bonne nuit de repos.

- Oui, murmure le jeune homme. "Je suis fatigué, Arthur…"

Quelque chose dans sa voix fait lever un sourcil à son ami.

- ça va ? Ce n'est pas encore une histoire de vache qui ne donne plus de lait, j'espère… commence-t-il de façon bourrue. "Je t'ai dit que ce n'était pas du ressort du médecin de la cour et que tu n'avais pas besoin de…"

Il pâlit soudain.

Un filet de sang coule du nez de son serviteur qui le touche et regarde le bout de ses doigts d'un air un peu étonné.

- Oh, souffle-t-il.

Puis il s'écroule.

Le roi n'a que le temps de le rattraper avant que sa tête n'aille heurter le mur.

- Merlin !

Il le soulève, jetant les longues jambes maigres par-dessus son bras, appuyant la tête brune contre son épaule, et se rue dans les escaliers, épouvanté.

Quelque chose de terriblement résigné et de coupable passe sur le visage de Gaius quand il ouvre la porte. Il s'efface, désigne le lit sur lequel déposer Merlin, puis s'approche à pas lents, comme s'il n'était pas pressé.

- Que se passe-t-il ? suffoque Arthur. "Il s'est évanoui comme ça, sans prévenir ! Il allait bien !"

Le vieil homme secoue la tête tristement.

- Non, Sire, répond-t-il d'une voix à peine audible. "Il se meurt depuis le début de la bataille."

Il passe sa main sur le front de son petit-fils, une caresse plutôt qu'un geste précis pour sentir la fièvre.

- Vous vous rappelez de cette chute qu'il a faite en revenant des remparts, le premier soir ? Il s'est plaint de maux de tête, il a vomi, il saignait souvent des oreilles. Je… je n'ai pas fait attention, c'était des symptômes pris séparés, il y avait toujours une autre raison possible… mais hier, il était assis là, sur les dalles. Il a levé ses yeux bleus, m'a demandé si je savais où était sa mère."

Sa gorge se bloque, à ce souvenir comme devant le regard frappé d'horreur d'Arthur.

- ça n'a duré que quelques instants. Ensuite il s'est relevé et il était de nouveau comme avant. Il y a un écoulement de sang dans sa tête, Votre Majesté. Encore quelques heures et il ne s'agira plus d'une simple désorientation ou d'une apathie passagère. Il perdra conscience et il ne se réveillera plus.

Le roi vacille, blanc comme un linge.

Gaius le saisit par le bras, tire un tabouret vers lui et l'y assoit.

- Merlin va mourir ? répète Arthur d'une voix sans timbre.

Le vieil homme avale sa salive et toutes ses rides se crispent douloureusement.

- Oui, Sire.

Au loin le tonnerre gronde et une première goutte tiède s'écrase sur les tourelles de Camelot qui se découpent sur le crépuscule cramoisi.

Tout est silencieux.

Tout est si normal.

Les fioles sur les étagères, la marmite pendue au clou dans la cheminée, les livres sur les marches d'escalier en bois, les bouquets d'aubépine et de sauge pendus aux solives, le tissu rêche rayé sur la paillasse, les encres et les parchemins sur la table avec les pots d'onguents, une pile de draps frais dans une corbeille d'osier, l'usure des ferronneries d'un coffre ancien près de la fenêtre.

La pluie se met à crépiter contre la vitre et une lueur d'orage, blanche et mauve, remplit la pièce familière.

Le roi tressaille avec le premier éclair.

- Non, souffle-t-il.

Il se tourne vers le lit et rencontre les yeux bleus de Merlin, grands ouverts.

- Arthur…

Le sourire qui monte jusqu'aux oreilles décollées fait place à un froncement de narine un peu perplexe.

- Oh. Je suis tombé ?

- Oui, mon garçon, dit Gaius en lui tendant un bout de tissu humide pour qu'il nettoie les traces rouges qui mâchurent son visage. "Non, ne te lève pas. Reste allongé encore un moment."

- D'accord, dit docilement Merlin.

Sa poitrine soulève doucement sa tunique fine. Il avale sa salive et sa pomme d'Adam ondule sous sa peau. Le tic habituel froisse le coin de son œil, il remonte un genou et tapote sa jambe handicapée. Un de ses ongles est violet d'un coup qu'il a dû recevoir pendant la bataille ou en plantant des clous pour réparer une porte dans le château. Ses boucles noires ont besoin d'être un peu taillées et tombent en désordre sur son front.

La respiration d'Arthur se bloque soudain à l'idée de tous ces petits détails qui le rendent si vivant et il voit danser des mouches devant ses yeux.

- Sire, sire ! Votre Majesté ! ARTHUR !

Il revient à lui la tête entre ses genoux et le sang battant avec furie contre ses tempes.

- ça va ? demande Merlin avec inquiétude, assis au bord du lit.

Le sourcil de Gaius est plié avec compassion et sévérité.

- ça va, marmonne le roi.

Il se redresse lentement, respire profondément jusqu'à ce que la pièce se soit stabilisée et accepte avec gratitude la timbale d'eau que lui tend le vieux médecin.

- Vous avez mal quelque part ? interroge son serviteur d'un ton pressant. "Il ne faut rien cacher, c'est stupide. Oh. Je parie que vous avez passé la nuit sur le traité au lieu de vous reposer, Tête de Cuillère que vous êtes. Voilà pourquoi vous êtes à deux doigts de vous évanouir comme une fille ! Je vais le dire à messire Geoffroy et il l'écrira dans ses chroniques : ah, il est beau, le roi de Camelot ! Et quel gros malin !"

Arthur étouffe un rire qui ressemble à un sanglot.

- Tais-toi, Merlin.

Pendant quelques instants, il n'y a que le bruit de la pluie dans la chambre, puis les yeux de saphir s'accrochent aux yeux de lin, sincères et remplis d'amitié.

- Tout ira bien, Arthur.

Gaius tressaille et le roi se raidit.

- Tout le monde doit mourir un jour, vous savez, ajoute Merlin en penchant la tête de côté, très sérieux. "Certains naissent pour labourer les champs, d'autres deviennent de grands médecins, d'autres encore de grands rois. Et puis, un jour, ils meurent, c'est comme ça. Moi, je suis né pour être votre serviteur. Et j'en suis fier. Je ne voudrais rien n'y changer. Mais maintenant je dois partir et vous ne devez pas dire non, parce que c'est normal."

- Il n'y a jamais rien eu de normal avec toi, bredouille Arthur. "Tête de bois."

Merlin pouffe de rire.

- ça, c'est mon mot, proteste-t-il avec espièglerie.

Après ça, il n'y a plus rien à dire, sinon des adieux et c'est ce que chacun vient faire, tour à tour.

C'est la chose la plus étrange du monde que ces gens si différents qui défilent dans la chambre et que Merlin salue avec sa joie simple habituelle, comme s'il ne partait que pour quelques jours.

Sir Léon lui serre le bras comme à un chevalier, puis lui ébouriffe les cheveux avec affection.

- Tu vas me manquer, mon ami, dit-il gravement.

Perceval se laisse envelopper dans les bras du serviteur qui ressent sa peine.

- C'était un honneur de te connaître, p'tit bonhomme, murmure-t-il.

La Dolma lui pose un baiser sur le front, sans rien dire. Georges se balance d'un pied sur l'autre en tortillant le bord de sa tunique, un pli imprimé au-dessus du nez, les lèvres pincées et les joues rouges, puis cafouille quelque chose qui ressemble à tuétaismeilleuramiqueserviteuretjet'aimaisbien. Geoffroy de Montmouth le contemple longtemps, puis quitte la pièce après avoir brièvement serré l'épaule de Gaius.

Mordred ne dit rien, les yeux baissés, le front sombre.

- Je voudrais que Sir Gwaine soit là, marmonne-t-il au bout d'un moment, d'un ton buté.

- Je suis désolé, souffle Merlin.

- Will est mort, ajoute le garçon. "Ma mère aussi."

- Je sais, dit simplement le serviteur.

Mordred relève la tête et ses yeux bleu éthéré sont brillants de larmes.

- Je suis tout seul ! tempête-t-il.

- Non, proteste le jeune homme tristement. "Non, ce n'est pas vrai."

- Alors reste pour me montrer ! crie l'enfant avec colère.

- Je ne peux pas, dit Merlin d'une toute petite voix. "Je suis désolé. Je ne peux pas."

Mordred s'en va en claquant la porte et Gaius console son petit-fils bouleversé.

Albion et Guenièvre viennent peu après. La petite fille grimpe sur la paillasse et se blottit contre son ami, la reine s'assoit au bord du lit et passe son bras autour des épaules du serviteur.

- Merci pour tout ce que tu as fait, Merlin, dit-elle d'une voix enrouée, en s'efforçant de sourire. "Merci de ce que tu es."

Albion pousse un gros soupir.

- Ton dragon, je le garde pour moi et je vais donner celui de Père à mon petit frère quand j'en auras un, annonce-t-elle. "Je lui ferai des bisous tous les jours et pis aussi je vais avoir un faucon qui s'appelle comme toi. Quand est-ce que tu reviens ? C'est loin, Avalon. Ne va pas là-bas, Merlin."

Merlin rit.

- Je dirais à Mithian comme tu es devenue jolie et aussi que tu sais bien lire, maintenant. Mais n'échange pas les dragons, Albion. Arthur aura besoin que tu l'aimes très fort et que tu le lui montres.

- Il gronde, chuchote la petite fille presque malgré elle.

Guenièvre ne dit rien mais son sourire est triste.

Merlin tapote le nez en trompette de l'enfant.

- Il gronde mais c'est pour cacher qu'il est malheureux, explique-t-il. "Il fait le méchant quand il a peur et il fanfaronne quand il est perdu. C'est pour ça qu'Arthur ne doit pas être tout seul. Tu dois bien t'occuper de lui, lui rappeler qu'il faut rire et le faire courir après les chats pour qu'il ne prenne pas trop de poids."

La reine pouffe de rire, mais des larmes sont accrochées à ses cils.

- Nous prendrons soin de lui pour toi, Merlin. Je te le promets.

- Je te le promets, répète Albion avec gravité.

Puis elle plante un baiser sur la joue du serviteur et se laisse glisser du lit.

- A bientôt, Merlin, lance-t-elle en agitant sa petite main gracieuse avant de quitter la pièce. "Bonne nuit."

- Bonne nuit, princesse, répond le jeune homme avec tendresse.

- Adieu, Merlin, souffle Guenièvre en se penchant pour embrasser son ami sur le front. "Je ne t'oublierai jamais."

Quand tout le monde est venu, la nuit est bien avancée et il fait sombre, malgré les bougies que Gaius a allumées partout.

Il s'assoit sur le tabouret à côté du lit et examine son petit-fils.

- Tu n'es pas trop fatigué ?

- Non, dit Merlin en bâillant. "Peut-être que je ne vais pas mourir aujourd'hui, en fait."

Le vieux médecin lui adresse un sourire affectueux.

- Il n'y a personne comme toi dans le monde entier, tu le sais ? Tu serais tombé de la lune, que ça ne m'étonnerait pas.

Le jeune homme lui fait un clin d'œil.

- Mais la lune ne s'appelle pas Hunith ! Je vais être content de la voir… et Balinor aussi – mon père, je veux dire. Je pourrais l'appeler papa, il n'y aura plus de roi pour m'en empêcher. Et puis je vais voir Lancelot, et Freya, aussi. Je me demande si je leur ai manqué !

- Ils t'attendent avec impatience, j'en suis sûr, dit Gaius, la gorge serrée.

- J'aurais bien voulu que Derian revienne, avant que je m'en aille…

- Et Gwaine ?

Merlin sourit mystérieusement.

- Je crois qu'il a pris un peu d'avance sur moi. Est-ce qu'il y a des pintes d'hydromel en Avalon, Gaius ?

- Sûrement, croasse le médecin qui a de plus en plus de mal à cacher son émotion.

- Il ne faut pas pleurer, avertit son petit-fils. "Sinon Arthur aura trop de peine…"

- Tu as raison, bafouille le vieil homme.

Ses mains noueuses disposent mieux les coussins derrière la tête du jeune homme. Il y a des étoiles cramoisies sur le lin blanc et les boucles noires qui s'enroulent près de ses oreilles sont poisseuses. Merlin se s'est pas aperçu qu'il était davantage couché qu'assis, maintenant.

- J'ai mal à la tête, dit-il avec une grimace involontaire.

Gaius se lève pesamment pour préparer une potion dont il sait très bien qu'elle ne changera rien.

La porte grince et Arthur se glisse à l'intérieur.

- Ils sont tous partis ? demande-t-il d'un ton irrité.

- Oui, répond le médecin avec patience. "Merci de leur avoir permis de venir, Sire. C'était très important pour lui."

Le roi se racle la gorge.

- Bien, grommelle-t-il. "Bien."

Il s'avance dans la pièce, retrouve sa place sur le tabouret à côté du lit, là où il a passé tant d'heures après le drame de Daobeth.

- Hé, lance-t-il.

- Vous allez me dire des trucs, aussi ? demande le serviteur avec intérêt.

Le roi a un petit reniflement amusé.

- Des trucs ? Non, Merlin.

Il redevient sérieux.

- Mais je vais rester là. Je serais avec toi, jusqu'à… jusqu'à ce que ce soit l'heure de partir.

- Est-ce que je peux dire quelque chose, moi, alors ? demande le jeune homme en jouant avec les lacets de la manche du roi.

Arthur sourit.

- Quoi, que je chante comme une casserole ? plaisante-t-il maladroitement. "Tu me l'as déjà dit la dernière fois que tu as demandé la permission de parler."

Merlin glousse de rire.

- Nan. Quoique, c'est vrai, alors si quelqu'un vous dit le contraire, méfiez-vous en. Ce n'est pas un ami !

- Mais toi, tu l'es, gémit Arthur dont l'expression se craquelle.

Il attrape la main de son serviteur et la serre dans les siennes.

- Qu'est-ce que je vais faire sans toi, Merlin ? souffle-t-il.

- Vous allez être roi de Camelot, comme vous l'étiez. Le roi le plus grand que cette terre ait porté. Le roi présent et à venir. Vous allez continuer de bâtir Albion, jusqu'à ce que d'autres pays au-delà de la mer et jusqu'aux confins du monde veuillent avoir le même rêve que vous. Vous allez continuer à dire aux gens qu'il y a de la place pour chacun, tant qu'on se pousse un peu. Vous allez leur montrer comme votre cœur est grand : si grand que vous aviez de la place pour moi, pour Numéro Quatre, pour les bâtards et pour les idiots, pour les ivrognes et pour les vagabonds.

Les yeux bleus de Merlin sont brillants de ferveur.

- C'est cela que vous êtes, Arthur. C'est pour cela que vous êtes né.

Il s'aide de ses coudes pour se relever et ses bras viennent entourer le roi qui ne recule pas.

- J'aurais voulu pouvoir vous le dire quand vous aviez l'âge d'Albion, chuchote-t-il en posant sa main sur la nuque blonde comme il le ferait pour un enfant. "Je vous aime. Je suis désolé de tout le mal qu'on vous a fait. Vous n'êtes pas tout seul, Sire. Vous n'avez pas besoin d'être meilleur ou d'être différent. Je suis fier de vous."

Arthur ferme les yeux. Il tremble de tout son corps tandis que les mots coulent sur lui en lavant des années de souffrance et d'amertume, des années à essayer de jouer un rôle sans jamais obtenir de reconnaissance. Ses bras se referment autour de son ami et il le serre fort contre lui, en réponse, parce que sa gorge est trop nouée pour laisser passer le moindre mot.

- Ne cessez pas d'avancer, murmure Merlin. "Ne cessez pas de vous battre pour ce en quoi vous croyez, Arthur Pendragon. Ne renoncez jamais."

Il parle du nez sans se rendre compte qu'un filet de sang serpente de nouveau sur sa lèvre supérieure, tachant la chemise crème du roi.

- Mer.. ci… Mer.. lin… merci… pour… tout…

- Ne pleurez pas, dit le serviteur d'une toute petite voix. "Sinon, je vais pleurer aussi."

Le roi se contente de resserrer son étreinte.

- Ce n'est pas grave, lâche-t-il d'une voix éraillée. "On a le droit de pleurer... c'est toi qui me l'a appris…"

Parce qu'il y a des choses plus dures qu'une bataille : comme d'être au chevet d'un frère qui se meurt, comme de devoir dire adieu au compagnon qui a partagé tous nos voyages, comme de savoir qu'on laisse derrière soi son meilleur ami.

Alors Merlin pleure aussi, le visage blotti contre l'épaule très large d'Arthur qui renifle sans honte.

Gaius s'est reculé au fond de la pièce pour dissimuler ses propres larmes.

La pluie crépite sur l'appui de la fenêtre. La ville dort et les gouttières la bercent de leur mélodie aigreline.

Arthur a reposé doucement Merlin sur ses oreillers et se tient penché sur lui, écoutant avec affection le babillage familier.

- Il pleut. Messire Geoffroy aura mal dans ses rhumatismes.

- Georges lui portera des couvertures et fera un bon feu dans sa cheminée, ne t'inquiète pas.

- Sir Pellinore devient gras.

- C'est parce qu'il vole mes tartines. Merlin, dans quelle sorte de royaume vivons-nous où les chats mangent dans l'assiette du roi ? Je savais que j'aurais dû garder ces chiens...

- Ce sera bientôt l'anniversaire de Guenièvre. Elle aimerait bien avoir une robe en velours rouge avec des broderies sur le col.

- Je la ferai faire par la plus habile des couturières.

- Albion s'est entraînée avec son arbalète pour vous faire une surprise. Emmenez-la chasser avec vous quand l'automne commencera.

- Ce n'est plus une surprise si tu me le dis, Merlin. Tu ne sais vraiment pas garder un secret !

- Ma tête me fait mal…

- Je sais. Je suis désolé…

- Est-ce que ça veut dire que vous allez me donner un jour de congé ?

- Non. Deux, plutôt.

Le dos d'Arthur se creuse douloureusement avec les heures, mais il ne le sent pas. Il continue de tenir la main de son ami, comme si c'était tout ce qui comptait.

Et ça l'est.

Derrière la fenêtre, la pluie tombe toujours avec un bruit délicat et discret. La nuit fait place à l'aube, de nouveau, et le ciel se remplit de couleurs délavées comme une peinture qui se dissout.

- On a eu de bons moments, hein…

- Les meilleurs moments.

Le jeune homme sourit, très doucement. Puis ses paupières se ferment et sa tête s'enfonce légèrement dans l'oreiller, comme s'il s'endormait.

- Merlin ?

La voix étranglée du roi réveille en sursaut Gaius qui s'était aussi assis au chevet de son petit-fils.

- Est-ce qu'il… est-ce qu'il est…

Le vieil homme se redresse, prend le pouls de son patient, soulève une paupière, place son oreille sur le torse maigre. Puis il se laisse tomber lourdement sur la chaise de l'autre côté de la paillasse et passe une main très lasse sur son visage. Ses bajoues tremblotent et ses lèvres se pincent.

- Gaius, hoquète Arthur. "Gaius, est-ce qu'il est… je vous en prie…"

Le médecin de la cour hoche lentement la tête.

- Oui, souffle-t-il. "Il est mort. Notre Merlin est parti."

Le roi se fige.

Puis il se penche de nouveau sur son serviteur, reprend la main qu'il tenait jusque-là et la serre gentiment. Ses yeux de lin s'embuent et ses mâchoires vibrent comme si elles allaient se briser, mais il sourit.

- Dors, Merlin. Tu as bien gagné ton jour de congé.

Dehors, le ciel pleure des larmes d'or et de sang.

 

oOoOoOo

 

Les branches des saules ploient au-dessus du lac. La brise les soulève doucement. L'eau se ride en une caresse brillante. De temps à autre, un poisson fait clapoter la surface dans laquelle le ciel bleu se reflète. Des insectes s'agitent en tourbillon doré dans le rayon de soleil. Il fait frais sous les ombrages.

Arthur marche dans le sous-bois, habillé de pied en cap en armure, sa longue cape rouge flottant sur le tapis d'herbe verte épaisse. De temps à autre il s'arrête, s'accroupit et cueille une fleur qu'il ajoute à son bouquet.

- Père, j'ai trouvé une fleur qui a des ailes !

Albion court vers lui en soulevant d'une main sa robe de soie bleue, ses cheveux blonds si clairs dansants autour de son visage rond.

Elle lui présente fièrement le dent-de-lion et fait la moue en voyant qu'il est dépouillé. Arthur rit à sa déconfiture, puis lui en tend un autre. La petite fille lui fait un grand sourire. Elle gonfle les joues, souffle avec lui pour éparpiller les légères plumes duveteuses.

- Au-revoir, au-revoir ! lance-t-elle à la ronde.

- Est-ce que ton bouquet est prêt ? demande le roi.

- Oui, Sire, dit Albion en le sortant de derrière son dos.

Elle le tient très serré et les fleurs sont un peu froissées, mais Arthur approuve d'un geste de menton avant de lui montrer le sien.

- Oh, comme il est joli, s'écrie l'enfant.

L'homme blond se relève, lui tend la main. Ils marchent ensemble vers la crique, à pas lents.

- Merlin ne va pas revenir, n'est-ce pas ? dit la petite fille au bout d'un moment, en levant la tête vers son père.

- Non, en effet, répond Arthur. "Mais ce qu'il nous a appris restera pour toujours avec nous. C'est comme ça que nous nous souviendrons de lui et que nous supporterons son absence."

- Qu'est-ce qu'il vous a appris, Père ?

Le roi s'arrête un instant, regardant à travers les arbres la foule rassemblée sur les bords du lac, puis il incline la tête pour sourire à sa fille.

- A t'aimer, Albion.

Elle sourit de toutes ses perles blanches, avec un trou dans la rangée du haut, là où manque sa dernière dent de lait.

Ils vont jusqu'à la barque et les gens s'écartent pour les laisser passer. Presque tout Camelot est rassemblé : des serviteurs qui pleurent silencieusement, des chevaliers aux bras en écharpe ou appuyés sur leurs béquilles, des paysans endimanchés et des villageois avec leurs familles.

- Nous voici, Gaius, dit le roi. "Merci de nous avoir attendus."

Albion dispose les deux bouquets au milieu des joncs, du lierre et des roses qui tapissent le fond de la barque. Personne ne dit tout haut que les fleurs ont des tiges trop courtes, comme si des enfants à qui l'on n'a jamais appris à le faire les avaient ramassées.

Puis Arthur sort Excalibur de sa ceinture et glisse le pommeau de l'épée sous les mains croisées de Merlin.

- Garde ça pour moi, veux-tu… murmure-t-il.

Il contemple une dernière fois son ami, la gorge serrée. Sa main ébouriffe les souples boucles noires, ses doigts effleurent une pommette haute et pâle. Il donne une pichenette légère au menton anguleux sur lequel quelques brins sombres se hérissent.

- On se rase, pour se présenter devant son roi, Merlin, souffle-t-il avec un sourire qui tremble.

Le serviteur ne riposte pas, pour une fois.

Il semble si vivant, seulement endormi, vêtu de sa plus jolie chemise de lin cobalt, avec ses bottes bien cirées – Georges y a veillé. Gaius et Guenièvre l'ont lavé et habillé avec soin, ont peigné ses cheveux et glissé des sachets d'aubépine et de romarin dans ses poches.

- C'est l'heure, Sire, dit doucement Léon en posant sa main sur l'épaule du roi.

Arthur se redresse lentement. Sa cape rouge traine dans l'eau agréablement froide par cette chaude journée de fin d'été. Il aide Perceval à pousser la barque vers le centre du lac, puis remonte sur la berge et se place à côté de Guenièvre qui entrelace ses doigts avec les siens.

Gaius est debout, très digne et très vieux dans ses longues robes de cérémonie, ses cheveux blancs séparé par une raie et la peau marbrée par trop de nuits de veille. Son sourcil broussailleux est plié et des larmes roulent le long de ses vieilles joues. A côté de lui, la Dolma et Geoffroy de Montmouth sont silencieux. Georges est là, aussi, ainsi que Mordred dont le visage de craie est parfaitement sec et qui est vêtu tout de noir.

Numéro Quatre est en retrait, sous un arbre, les vêtements poussiéreux et les bottes éculées, l'air épuisé. Il est rentré tout à l'heure et a apporté la nouvelle de la mort de Gwaine au col de Kemeray à Sir Léon qui s'habillait pour les funérailles de Merlin.

Le roi lui fait signe et il s'approche en hésitant, accepte l'arc, puis la flèche que lui tend Perceval.

La barque s'éloigne et la brise leur caresse le front.

- Nous sommes ici pour Merlin d'Ealdor, fils d'Hunith et Balinor, dit le roi d'une voix forte qui ne tremble pas. "Il a vécu parmi nous en mettant tout son cœur dans chaque tâche qui lui était confiée. Il nous a montré un exemple et redonné espoir dans les moments les plus sombres, sans jamais rien réclamer pour lui-même. Il était plus qu'un serviteur. C'était l'ami et le frère de tous les hommes."

Numéro Quatre tend la corde et lève l'arc. La flèche enflammée traverse le ciel lumineux avec une courbe gracieuse, comme un oiseau, et va se planter dans la barque.

Un grand garçon maigre aux oreilles décollées se retourne et son visage anguleux s'éclaire d'un large sourire. Il y a quelque chose de magique dans ses yeux bleus sincères.

Un cadeau précieux, irremplaçable.

Une amitié qui ne juge pas, qui ne trahit pas, qui s'offre sans rien demander en retour.

Une main tendue, trois mots si simples qui ont le pouvoir de transformer une vie.

Des larmes coulent sans interruption sur son visage, mais Arthur sourit d'un air apaisé en contemplant le brasier qui se reflète sur la surface du lac.

- Adieu, Merlin, murmure-t-il. "Merci."

Guenièvre se pelotonne contre lui et il resserre l'étreinte de son bras autour des épaules de sa femme.

- Tout ira bien, chuchote-t-elle.

Albion appuie sa tête contre la hanche de son père, sa menotte blottie dans la grande main du roi.

- Tout ira bien, pépie-t-elle doucement.

Arthur hoche le menton.

- Je sais.

 

 

A SUIVRE...

 


Listelia  (03.08.2015 à 09:07)

Basé sur les épisodes : 5x13, 5x11

 

 38

C'EST AINSI QUE L'HISTOIRE SE TERMINE

 

 

- Idiot, idiot, idiot, scandent les enfants dans la rue boueuse.

Arthur s'arrête, un peu ébloui. Il met sa main en visière pour les observer et son cœur se serre en voyant leurs formes dansantes dans la lumière. Ils sautillent en rond autour d'un garçon maigre aux oreilles décollées, qui tourne sur lui-même pour leur sourire...

- Sire ?

Arthur tressaille et revient au présent. Il adresse un signe du menton à Sir Léon qui l'observe d'un air un peu inquiet et se remet en marche.

La mélopée s'estompe. Les enfants ont disparus, évaporés au milieu des étals du marché.

Le roi descend la grand' rue de Camelot, sa longue cape rouge ondulant derrière lui, le soleil accroché dans ses cheveux blonds, et il se sent plus seul que jamais.

 

C'était il y a tellement d'années, déjà.

 

Des guirlandes de fleurs, des rubans et des drapeaux aux couleurs éclatantes pendent aux fils tendus entre les maisons blanchies à la chaux.

Un boulanger sort de son échoppe des galettes de miel et de gingembre aux alléchantes croûtes épaisses. Plus loin, une femme coiffée d'un turban orangé installe des fromages sur des claies de bois. Sa voisine déploie de riches étoffes aux teintes vives, hélant le chaland d'une voix forte et joyeuse. Le tenancier de l'auberge du Soleil Levant goûte le cidre frais et doré que lui verse un tonnelier dont le rire froufroute dans ses épaisses moustaches grises. Deux paysannes aux hanches larges se disputent au-dessus de leurs paniers de laitues. Un vieux scribe dodeline sur le dos d'un âne placide tiré par la bride par un gavroche qui mâchouille un épi de blé.

La brise ensoleillée tintinnabule dans les flacons de verre pendus sous l'auvent de l'apothicaire. Une jeune fille en robe claire chantonne au coin d'un balcon lacé de roses trémières, sur la mélodie d'une vielle dont un ménestrel assis près de la fontaine pince les cordes avec mélancolie. Le maréchal-ferrant, son dos cuivré ruisselant de sueur, simplement vêtu d'un tablier de peau sur ses braies, tape son marteau à grands coups réguliers pour ferrer le cheval alezan d'un chevalier qui sifflote. Des dames montées sur des semelles compensées minaudent en admirant des perles et des chaînettes d'argent présentées sur des coussins de velours rouge. Trois lavandières se frayent un passage dans la foule, chargées de brassées de draps blancs crissant de propreté et fleurant bon le savon.

Un épagneul aux longues oreilles pelucheuses s'étire en bâillant sur un seuil de pierre. Un homme au visage buriné, protégé par un chapeau de feutre patiné par l'âge, charrie sur son épaule une corbeille remplie à ras-bord de gros raisins noirs et sucrés. L'odeur chaude du safran se mêle à celle des bouquets de thym et des grappes d'oignons, au fumet des poulets dorant sur une broche. A la porte du château, le cuisinier bedonnant surveille le déchargement de sacs de farine dans un poudroiement blanc étincelant. Les gardes font leur relève, échangeant des plaisanteries grivoises et les lourdes clés cliquetant à leurs ceintures.

Il y a toujours beaucoup d'animation dans la ville basse. Il y règne en continu le bourdonnement d'une vie simple, avec ses joies et ses peines, dans une contrée en paix.

Il s'est écoulé sept ans depuis le siège de Camelot. Il reste des cicatrices de cette terrible épreuve sur le paysage : des endroits où la plaine est encore pelée, des échafaudages accolés aux tours qui ont été le plus bombardées, des hachures noires indélébiles sur les murs au-dessus des fossés.

Les troubadours ont trouvé matière à chansons dans les souvenirs des uns et des autres : la chevauchée héroïque de Sir Gwaine, Excalibur retrouvée et brandie par le roi, le peuple combattant avec les chevaliers jusqu'au dernier matin, l'arrivée glorieuse des armées alliées sur les collines.

Le nom de Merlin a aussi sa place dans les poèmes épiques. Mais les légendes sont ainsi faites que la vérité devient un conte de fée. On raconte qu'il était un ange ayant pris la forme d'un jeune garçon, certains croient qu'il s'agissait d'un vieux magicien avec une longue barbe blanche, des histoires prétendent qu'il n'était autre qu'un dragon enchaîné dans les caveaux du château, qui murmurait des conseils au souverain d'Albion.

Seul Arthur et un petit nombre de personnes se rappellent de l'idiot maladroit qui aima si fort un prince que cela changea le monde.

Après le siège, Numéro Quatre est venu habiter dans les appartements du médecin de la cour. Il a veillé sur lui comme un fils, arrangeant les couvertures autour de son corps courbé par l'âge et le chagrin, réapprovisionnant la réserve de bois, préparant le gruau aux champignons qu'aimait le grand-père de Merlin et balayant l'atelier rempli de grimoires, de fioles et d'herbes médicinales. Quand le vieil homme s'est éteint, un soir au printemps suivant, le guerrier silencieux lui a fermé les yeux et a embrassé son front ridé. Puis il a fait son sac et il est parti avec la permission du roi. Il est mort quelques années plus tard, après avoir obtenu la soumission des Territoires du Nord, complétant avec ce traité l'unification d'Albion. Son corps repose sous un cairn au sommet d'une montagne couverte de neige, comme celui de Gwaine.

Perceval ne s'est pas remarié.

Geoffroy de Montmouth travaille toujours à ses chroniques, mais pique plus souvent du nez sur ses vélins que ce qu'il ne remplit de parchemins. Le fils de Sir Elyan mélange ses encres et le sert comme apprenti.

Georges seconde l'intendant du château et compte bien un jour lui succéder. En attendant, ses blagues sur le cuivre continuent de rendre chèvre les autres serviteurs.

La renommée de la reine s'est accrue, sa sagesse et sa bonté sont louées jusqu'au-delà des frontières. Guenièvre n'en tire pas orgueil, mais s'applique au contraire davantage. Elle cache au fond de son cœur les paroles prononcées autrefois par une très vieille femme et redoute le jour où une autre des prédictions deviendra vraie.

Mordred grandit, mais il ne trouve pas la paix. Avec les années, les désirs qui s'agitent en lui, désespérés de s'échapper comme des rats en cage, ne cessent de le ronger, de s'amplifier.

Il n'y a plus Gwaine pour soulager ses accès de colère d'une blague affectueuse, parce que l'ancien ivrogne comprenait bien plus que n'importe qui le tourment intérieur de l'enfant, sa soif de prouver qu'il a le droit d'exister.

Il a perdu Will et rien n'a changé dans ses relations avec les autres écuyers. Il est toujours "le bâtard", la tique, celui qui ne devrait pas être là, ne pas souper chez le roi, ne pas lever la tête.

Arthur se montre bon envers lui – peut-être trop indulgent souvent, comme s'il ne pouvait se résoudre à confronter Mordred aux conséquences des choix que l'on fait – mais il ne s'est plus jamais assis avec le garçon comme il l'avait fait dans la caverne, il ne l'a plus jamais touché, comme s'il ne pouvait effacer de sa mémoire ce que Mordred a fait – ou peut-être ce qu'il est.

Quand le petit prince nait, trois ans après le siège, la douleur de Mordred se décuple au point qu'il disparait plusieurs jours et revient crotté comme s'il avait erré dans tout le pays. Arthur ne dit rien, Léon non plus. Perceval l'a suivi et leur a expliqué que l'adolescent avait passé ces trois jours à la tombe de sa mère, prostré au pied du tertre couvert d'un épais tapis d'émeraude parsemé de scilles.

Mordred le sait : il ne sera jamais cet enfant qui est chéri, aimé, accueilli, désiré. Il voudrait haïr le bébé qui obtient des sourires d'Arthur, que Guenièvre berce dans ses bras, qu'Albion couvre de baisers, que le peuple en liesse a fêté pendant plus d'une semaine – mais il n'y parvient pas. Au contraire, un irrésistible besoin de le protéger se lève en lui comme une tempête. Il rôde près de la nurserie et la Dolma le chasse comme un grand cabot qui s'approcherait d'un panier de chatons.

Finalement, c'est Arthur qui le lui amène, un soir d'été où les criquets chantent dans le jardin rempli de roses, en haut sur la terrasse. Dans l'obscurité, le feuillage des arbres frissonne doucement à la brise nocturne, sous la voûte sombre piquetée de milliers d'étoiles.

Le roi ne s'attendait pas à trouver son neveu sur le banc, mais il le retient quand l'adolescent fait mine de s'en aller, la tête basse.

- Tu veux le prendre dans tes bras ? demande-t-il avec un geste de menton vers le nourrisson.

Il y a tellement de douceur dans ses mots, comme s'ils étaient tapissés d'une lointaine douleur, que Mordred accepte d'un hochement de tête, impressionné.

Pendant quelques minutes, il contemple l'enfant qui dort contre lui, inconscient du monde qui l'entoure et du futur qu'il l'attend, des enjeux et des décisions qui reposeront sur lui. Puis il relève la tête et croise le regard d'Arthur.

- Tu fais partie de la famille, toi aussi, murmure l'homme blond dans la nuit feutrée. "Tu le sais, n'est-ce pas, Mordred ?"

La gorge de l'adolescent se serre.

Oh, si seulement c'était vrai.

Il est près d'éclater en sanglots, de céder, d'abandonner sa colère, de tout oublier.

Si seulement Arthur voulait juste tendre la main et lui ébouriffer les cheveux, comme autrefois…

Mais le roi se contente de reprendre le prince et de le caler contre son épaule. La tendresse qu'il y a dans le moindre de ses gestes déchire le cœur de Mordred.

Il a tué le père qu'il haïssait.

N'est-il pas juste qu'il n'obtienne jamais l'amour du père qu'il désire tant avoir ?

Alors il cherche ailleurs ce qu'il ne peut recevoir de Camelot, fuit les dîners avec la famille royale, prétend qu'il préfère sa liberté – et Arthur la lui accorde, un pli soucieux au front.

Il est seul.

Si seul.

Personne ne se rend sur la tombe de Morgane, à part Guenièvre et Albion – et pour cela Mordred les met à part de tous les autres.

Les gens crachent au sol, ils disent que le chemin qui mène au tertre sous lequel la princesse demeure est maudit. Les rumeurs vont bon train à la taverne, les histoires s'enrichissent de détails chaque année, devenant de plus en plus insensées, de plus en plus cruelles. On parle de la folle en disant "la sorcière", on raconte que lorsqu'elle a combattu sur la tour, ce n'était pas ses grands cheveux de jais qui flottaient autour d'elle, mais les ailes d'un corbeau, déployées tandis qu'elle arrachait des lambeaux de chair sanglants à ses adversaires.

Mordred s'enivre et se bat, se réveille avec des migraines atroces, sans une larme.

Chaque jour à l'entrainement il se rue sur ses adversaires sans se retenir, trouvant un soulagement fugace dans l'épuisement, dans l'adrénaline qui pulse sous ses tempes.

Il nourrit ses pensées amères, s'enfonce de plus en plus dans l'obscurité. Guenièvre a beau sonder ses yeux d'azur, elle ne voit qu'une paroi de verre infranchissable. Albion essaie aussi, mais elle sent bien que son affection fait souffrir son cousin, alors elle s'écarte aussi.

Un soir où il rumine devant sa chope d'hydromel dans la salle aux solives basses de l'auberge du Soleil Levant, un groupe de jeunes gens s'assoit à sa table : ils viennent de loin, leurs manteaux sont poussiéreux et leur accent roule sous la langue, comme le son d'anciens mots magiques. Parmi eux, il y a une jeune fille du nom de Kara et Mordred est fasciné par son insolente beauté. Il a seize ans et il crève d'envie d'être aimé. Dans les bras veloutés de la fille, épuisé mais comblé, il se sent enfin à sa place. Sa joue transpirante posée contre les seins blancs, il fait couler entre ses doigts les cheveux fins de Kara et l'écoute distraitement parler, sans se rendre compte qu'elle l'empoisonne de ses idées, lentement, sûrement.

Camelot est un pays riche où tout homme est accepté, mais le pouvoir appartient toujours à la noblesse…

Si le peuple était libre de se commander lui-même…

S'il n'y avait plus de roi…

Un sursaut arrête Mordred sur la pente dangereuse où l'entrainaient les anarchistes.

"Non, pas Arthur."

Kara est furieuse, menace de rompre tout lien avec lui, l'appelle traître et lâche, et dans sa fureur hurle : "bâtard royal, c'est bien tout ce que tu es !"

Mordred devient livide, ramasse ses vêtements et sort en claquant la porte derrière lui.

Quelques jours plus tard, Kara et ses amis tentent d'assassiner Arthur – pour délivrer le pays de l'oppresseur, comme ils disent.

Ils sont tous capturés, condamnés à être pendus, et Mordred ne peut s'empêcher de se mordre les lèvres jusqu'au sang lorsque la corde étrangle brutalement la gorge délicate qu'il couvrait de baisers. Il quitte la cour d'honneur aussitôt qu'il le peut et se réfugie dans les latrines des gardes où il vomit jusqu'à ce qu'il ne crache plus qu'un filet de bile.

Arthur le trouve dans la tour de la cloche, ce soir-là. Le roi a remarqué l'agitation de son neveu pendant l'exécution – Guenièvre aussi, c'est elle qui l'a pressé de ne pas remettre au lendemain la confrontation avec le jeune homme.

Arthur ne sait pas par où commencer, alors il cherche dans ses souvenirs ce qu'il était à seize ans. Il se lance dans le récit de sa première amourette à tout hasard et, de fil en aiguille, en vient à parler de son mariage arrangé avec Lady Elena, puis de son père, des mensonges de celui-ci, de ses doutes et de l'immense déception qu'il a ressentie à l'époque.

Mordred l'écoute passionnément.

Dans l'obscurité de la tour, assis contre le mur baigné d'un pâle rayon de lune, le garçon se décide enfin à parler, d'une voix étranglée. Il déballe tout en vrac – sans prendre de gants, comme un enfant à bout de souffle ou comme un jeune soldat assis près du feu avec un vétéran.

Il y a si longtemps qu'il se retient.

Le roi l'écoute en silence, ses yeux de lin attentifs, sans l'ombre d'un jugement.

Pendant que Mordred met à nu ses angoisses et ses erreurs, il cesse de voir la peau laiteuse de sa sœur et ses boucles de jais, il oublie la forme du nez et les contours du visage qui lui rappellent tant Lord Agravaine. Il n'y a plus qu'une paire de yeux bleus éperdus, solitaires et tellement désireux de faire leurs preuves, d'entendre un mot d'amour et de fierté.

Des yeux exactement comme l'étaient les siens, il y a de cela des années, quand ils ont croisé ceux de Merlin.

Alors il se souvient du cadeau qui lui a été fait.

Lorsque l'aube se glisse dans la pièce qui a vu mourir Morgane et que le garçon se tait, exténué, vidé, Arthur tend la main à son neveu pour l'aider à se relever.

- La nuit nous quitte, il est temps de prendre un peu de repos, dit-il. "Viens, fils."

Et en quittant la pièce, il passe sans y penser une main dans les cheveux de l'adolescent, les ébouriffant affectueusement.

Mordred tressaille, puis lève la tête.

- Pas question de trainer au lit, cependant. Je t'attends tout à l'heure sur le terrain d'entrainement, dit Arthur d'une voix bourrue. "Tu m'affronteras."

- Oui, Sire ! répond promptement le garçon en claquant les talons.

Puis il hésite, sourit.

- Merci, souffle-t-il.

- Hum, lâche le roi en détournant la tête et en s'engageant dans les escaliers.

Il entend un autre merci qu'il ne méritait pas et cette pensée lui réchauffe étrangement le cœur, même si sa gorge s'enroue.

Si Merlin était là, il serait fier de lui.

 

Les sabots des chevaux clapotent sur les pavés quand une patrouille passe à côté d'eux et le roi rend leur salut aux chevaliers qui reviennent. Il s'arrête près du poste de garde et échange quelques mots avec les deux hommes qui jouent aux dés sur un tonneau, à l'ombre fraiche de l'arche blanche.

Sir Léon s'enquiert du capitaine unijambiste qui a pris sa retraite la semaine précédente et, pendant ce temps, Arthur ferme les yeux pour respirer l'odeur familière des vieilles pierres.

Il est de retour sept ans en arrière et tout va bien.

La sensation étrange, comme une épingle oubliée au pli d'un vêtement de luxe ou un grumeau dans une soupe savoureuse, disparait.

Sous les étoiles, une pièce d'or avec deux faces parfaitement ciselées voltige gracieusement.

Camelot a changé et Arthur ne parvient plus à ressentir cette parfaite paix et sécurité que donne un foyer.

Ce n'est pas seulement parce que les tapisseries ont été changées, que les meubles sont neufs ou que les étables ont dû être entièrement reconstruites et que certains étages ont été réaménagés autrement, ou parce que beaucoup de ses conseillers ne sont plus ceux qui l'ont accompagné au début de son règne.

Même lorsqu'il combat dans la lice avec ses chevaliers, ses frères d'armes, et se relève couvert de poussière, courbaturé et endolori de cette bonne façon qui vous envoie dormir sans rêves.

Même lorsqu'il se promène avec Guenièvre, main dans la main, et qu'ils parlent de lorsqu'ils auront des cheveux blancs et qu'ils se retireront du pouvoir pour vivre des jours simples dans une chaumière au fond des bois.

Même lorsqu'il se roule sur le tapis en se bagarrant pour rire avec son fils qui glousse de joie. Même lorsqu'il écoute, amusé quoique vaguement inquiet, Albion qui déclame des vers en prenant des attitudes un peu trop dolma-esques.

Même lorsqu'il contemple son royaume baigné de lumière, à l'aube, au sommet des remparts.

Il ne se sent plus jamais tout à fait chez lui.

Il manque toujours quelque chose.

Quelqu'un touche sa manche et il revient dans le présent.

- Sire ?

Cela fait deux fois aujourd'hui que Sir Léon doit sortir son souverain d'un rêve éveillé et le chevalier fronce les sourcils. La cicatrice en travers de son visage est rose et boursouflée à la chaleur, mais malgré l'air effrayant qu'elle lui donne, Arthur discerne le souci que se fait son bras droit.

- Tout bien, Sir Léon, dit-il légèrement.

Il repart en frottant machinalement la barbe blonde soyeuse qui adoucit la ligne carrée de sa mâchoire.

Il écarte ses souvenirs et se concentre sur la menace qui pèse sur son royaume : les Saxons. Ils font route vers Camelot, selon les rapports, mais cette fois-ci Arthur est bien décidé à ne pas les laisser s'approcher et à aller les combattre.

Sept ans de paix.

Il ne permettra pas que cela s'arrête ici.

Dans la cour d'honneur, ils tombent sur une nuée de jeunes filles qui caquettent avec entrain, avec leur troupeau de haquenées aux crinières soigneusement peignées et aux magnifiques harnois de velours brodés d'or. Au milieu du groupe, quatre des cinq filles de Sir Léon secouent leurs frisettes vénitiennes en riant : leur petite sœur qui sait à peine marcher est dans les bras de leur mère, à côté de la Dolma qui, elle, est encombrée du vieux Sir Pellinore, ventru et ronronnant. La nourrice surveille ce déploiement de gaité et d'insouciance d'un œil de duègne. Il y a bien longtemps que la femme ne nourrit plus de poupon, mais elle ne semble pas avoir pris une ride depuis le jour où elle s'est présentée de façon théâtrale dans la salle du trône.

Albion se hisse sur sa selle sans l'aide du palefrenier, souple et agile comme une amazone chasseresse, et dispose sa longue robe de brocart vert émeraude d'un geste rapide mais artistique. Elle a quatorze ans, une silhouette fine et cambrée, des pieds trop grands à son goût qu'elle cache dans des bottes de cavalier, une chevelure de miel abondante, les yeux doux de sa mère et les canines un peu pointues de son père.

Elle adresse un signe joyeux au roi, puis récupère son arbalète qu'elle accroche dans son dos d'un mouvement vif plein de grâce et d'indépendance. Une poignée de carreaux est glissée dans sa ceinture de cuir et elle a enfilé son gant de fauconnerie. Elle claque la langue et lance son cheval au galop sans se soucier que le reste de sa cour la suive.

Depuis le balcon, Guenièvre, somptueuse dans sa robe pourpre, regarde partir la princesse en secouant la tête d'un air amusé. Puis elle retourne à l'intérieur après avoir lancé un baiser au roi qui l'attrape sans se soucier des regards pétillants des gamines et des soupirs de la gent masculine obligée d'accompagner ces damoiselles dans les bois, où leurs gloussements vont certainement alerter jusqu'à la dernière souris des champs.

- Papa !

Arthur tourne la tête, se penche et cueille le bambin de quatre ans qui court vers lui au moment où celui-ci se jette dans ses bras.

Son fils a ses yeux bleus, les boucles brunes et le teint mat de Guenièvre, la gouaille de Gwaine, le courage de Lancelot et le cœur de Merlin.

- Comment s'est passée ta journée, Emrys ? demande le roi tandis que le petit garçon fait gambader son dragon de bois sur la tête de son père.

- Je m'ai battu avec Perceval et j'ai gagné ! babille l'enfant. "Mon poney a mangé une carotte. I m'obéit pas, i veut que voir Mo."

Le jeune homme est en train de descendre les escaliers, les coudes au corps, suivi plus lentement par le géant qui sourit avec bienveillance.

- Le prince s'est encore échappé de la nurserie, explique Mordred, l'air penaud. "Nous l'avons cherché partout et puis… après… ce n'était pas très difficile de mener à bien nos tâches même s'il était là."

- Ce n'est pas une nourrice qu'il lui faut, mais dix gardes, soupire Arthur. "Messieurs, je vous présente toutes mes excuses. Je donnerai des ordres pour qu'on ligote le petit monstre."

- Ah non ! proteste l'enfant dont les yeux intelligents ont parfaitement suivi l'échange et la plaisanterie sous-entendue. "Je veux pas. Je veux voir mon poney et manger du pain d'épice !"

Le roi fronce les sourcils, mais Emrys ne s'y trompe pas et ses petits doigts potelés lissent les rides aux coins des yeux qui trahissent son père.

- Avant de donner des ordres, tu dois apprendre à obéir, dit Arthur. "Un prince montre l'exemple."

- Oui, Sire, grogne le petit garçon en baissant les yeux mais en regardant à travers ses longs cils sombres.

Le roi le pose par terre et l'enfant sautille jusqu'à Mordred qui l'attrape et le charge sur son dos.

- Les éclaireurs sont-ils de retour ?

- Oui, Sire, répond Perceval.

- Alors allons à la Table Ronde, dit Arthur, en adressant un sourire à son coquin de fils qui se cache derrière la nuque du jeune homme qui est son meilleur compagnon de jeux et son professeur préféré. "Emrys, je te veux de retour dans la nurserie avant que ta mère ne te réclame. Mordred, rejoins-nous dans une heure. J'aurais un message pour les écuyers."

Il s'arrête un instant pour ébouriffer les cheveux noirs de son neveu, donne une pichenette affectueuse au nez de son fils, puis grimpe les grands escaliers blancs avec le géant.

- Où sont rassemblés nos ennemis, Perceval ?

- A Camlann, Sire, répond son vieil ami.

- A Camlann, ce sera, donc.

La cour est baignée de soleil et l'eau ruisselle à la fontaine, scintillante. Mordred et Emrys jouent à s'éclabousser et rient aux éclats en se poursuivant.

 

C'est comme ça que l'histoire se termine.

 

L'histoire d'un souverain puissant conduit par la main d'un enfant.

L'histoire de deux hommes, deux amis, deux frères.

L'histoire d'Arthur Pendragon, roi de Camelot, étendu sur les rives d'un lac, le matin après la bataille de Camlann, ses cheveux blonds maculés de sang et sa cotte de mailles pesant lourdement sur son corps qui s'affaiblit.

Il a été blessé à mort en se jetant entre l'ennemi et son neveu qui allait être frappé en traître par un saxon. Le garçon a tué le meurtrier, puis il a trainé Arthur à l'écart et s'est agenouillé à côté de lui. Le roi a réussi à lui sourire malgré la douleur qui convulsait ses traits. Il a levé son bras dans un dernier effort de volonté et avec sa bonne vieille épée, que Merlin aimait tant aiguiser et qui est restée au fourreau pendant sept ans de paix, il a fait Mordred chevalier de Camelot.

La lumière du soleil joue à travers l'épais feuillage des arbres. L'air froid est craquant, avec un goût acidulé. Le ciel bleu se déploie au-dessus de lui et de pâles nuages bordés d'un liseré champagne s'y effilochent comme des morceaux de coton. La prairie est perlée de rosée nacrée.

Les paupières d'Arthur se ferment lentement et la douleur sur son visage crispé disparait peu à peu. Il n'entend plus les sanglots du garçon à côté de lui.

Il s'est bien battu – jusqu'à la fin. Il n'a jamais abandonné, s'est toujours tenu debout, fort et courageux.

Il est temps de partir, maintenant.

Le vent bruisse dans les branches verdoyantes des chênes.

- Arthur…

Il est debout dans une brume lumineuse. Il sent sur sa joue une brise qui apporte un parfum de fleurs de cerisier et de fraiche herbe verte.

Il regarde autour de lui – et soudain il est là.

Grand, maigre, tout en jambes, avec sa tignasse de cheveux noirs, ses yeux bleus sincères et son large sourire.

- Merlin !

- Je vous attendais, dit son serviteur qui ne boite plus.

D'autres silhouettes arrivent derrière lui.

La gentille fille aux yeux de chat qui est morte dans les bras de Merlin, il y a très longtemps, le salue d'un signe de tête timide, les mains croisées sagement devant sa robe de satin indigo – une toilette comme celles que portait Morgane autrefois. Freya, il lui semble qu'elle s'appelait.

Balinor n'a plus son affreuse veste de cuir, mais il n'a pas changé depuis les jours où il bavardait avec passion jusque tard dans la nuit, ouvrant les yeux naïfs d'un prince qui le voyait comme un frère aîné. Sous son bras est blottie une petite femme aux cheveux rassemblés sous un fichu, l'air doux et réservé. Elle a de grands yeux pervenche et son sourire plein d'amour est celui de la mère qu'Arthur n'a jamais eu : ce doit être Hunith.

Uther s'avance et la gorge d'Arthur se serre en voyant son père. Sa silhouette altière aux courts cheveux grisonnants est celle du roi qu'il a connu, respecté, haï et pleuré, mais il y a une demande de pardon au fond de ses yeux. Près de lui vient Morgane, de longues torsades de jais cascadant sur sa robe élégante, son regard clair aussi innocent et heureux qu'avant que leur monde ne vole en éclats à cause du défi de Morgause, serrant dans ses bras le livre et le manuscrit avec lesquels ils l'ont ensevelie.

Gaius est là aussi et hoche le menton avec approbation, les bras noués dans le dos. Ses vieilles joues sont pleines, sa silhouette bedonnante éclatante de santé, comme il y a quinze ou vingt ans en arrière. Son sourcil magistral n'est pas plié et ses yeux bienveillants accueillent Arthur comme un fils.

Le roi étouffe un sanglot et sourit à travers ses larmes lorsqu'ils s'écartent pour laisser Mithian, vêtue d'une envolée de soie crème. Elle range une mèche châtaine derrière son oreille et lui adresse un clin d'œil malicieux, les joues roses. "Merci" articule-t-elle silencieusement et il n'a qu'une envie, courir vers elle et la serrer fort, très fort, lui raconter combien leur fille est merveilleuse et rattraper tout ce temps qui leur a échappé.

Puis Gwaine apparait, avec une pâquerette au coin de la bouche, son sourire gouailleur et sa barbe brune, et rejette en arrière ses cheveux d'un geste nonchalant, accoudé sur l'épaule de Lancelot en armure qui regarde son ami et souverain d'un air incroyablement fier.

Enfin Numéro Quatre s'avance, met un genou en terre et lui présente Excalibur.

- Mon roi, dit-il.

Il a la voix douce et grave d'un homme capable d'un grand courage et d'une grande bonté.

Arthur accepte l'épée, la fait tourner sur son poignet. Elle est lourde et froide, si réelle.

Son regard va des uns aux autres puis revient vers son serviteur.

- Sommes-nous à Avalon ? demande-t-il. "Tous ces lacs se ressemblent."

Merlin hausse les épaules.

- Est-ce que c'est important ?

- Est-ce que ça t'arrive parfois de répondre aux questions qu'on te pose, Merlin ? Bon. Est-ce que je suis mort ?

Le jeune homme penche la tête de côté.

- Ils vous appellent le "Roi Qui Fut et Qui Sera". Il fallait bien que vous partiez à un moment, si vous deviez revenir un jour.

Les pensées d'Arthur tourbillonnent, lui donnant le vertige, et son estomac se noue.

- Camelot… Guenièvre… Emrys et Albion….

- Perceval et Sir Léon veilleront sur eux, assure gentiment Merlin. "La Dolma aussi, et puis Mordred, à qui vous avez offert une page blanche pour écrire sa propre vie..."

Il fait un pas en avant. Sa main effleure la manche du roi et Arthur frissonne de tout son corps.

Il regarde les doigts calleux, puis relève la tête et ses yeux de lin rencontrent les yeux de saphir ourlés de cils sombres.

Son cœur se serre si brusquement qu'il en perd le souffle.

- Tu m'as manqué, murmure-t-il d'une voix rauque, en attrapant le bras de son serviteur, de son ami, de son frère.

- Je suis là, chuchote Merlin.

Son sourire enveloppe le roi de paix et de chaleur.

- Je ne vous quitterai plus jamais.

Une goutte de rosée tombe sur le lac et des cercles ondulent à l'infini sur la surface moirée dans laquelle se reflètent les montagnes enneigées.

Arthur sait, maintenant, ce que ce sourire signifie depuis le début.

Il est rentré à la maison.

 

 

FIN

 

 


Listelia  (03.08.2015 à 21:34)

Ne manque pas...

Alternative Awards : À vos nominés
Alternative Awards | On compte sur vous !

Activité récente
Dernières audiences
Logo de la chaîne TF1

La recrue, S01E02
Lundi 6 mai à 22:15
3.51m / 22.8% (Part)

Logo de la chaîne TF1

La recrue, S01E01
Lundi 6 mai à 21:10
4.29m / 21.9% (Part)

Logo de la chaîne France 2

Un si grand Soleil, S06E166
Lundi 6 mai à 20:45
3.06m / 15.2% (Part)

Logo de la chaîne TF1

Demain nous appartient, S07E180
Lundi 6 mai à 19:15
2.78m / 16.8% (Part)

Logo de la chaîne France 3

Hudson & Rex, S05E20
Dimanche 5 mai à 23:15
1.07m / 12.5% (Part)

Logo de la chaîne France 3

Hudson & Rex, S05E19
Dimanche 5 mai à 22:30
1.33m / 9.2% (Part)

Logo de la chaîne France 3

Hudson & Rex, S05E18
Dimanche 5 mai à 21:50
1.82m / 9.7% (Part)

Logo de la chaîne France 3

Hudson & Rex, S05E17
Dimanche 5 mai à 21:10
2.19m / 11.0% (Part)

Toutes les audiences

Actualités
Audiences US - Bilan du 27 avril au 3 mai

Audiences US - Bilan du 27 avril au 3 mai
Dimanche, la rediffusion de The Simpsons à 20h provoque des remous. Les trois comédies de la FOX qui...

Au programme de ce mardi

Au programme de ce mardi
Une soirée au théâtre, une nuit de camping, un mariage, des disputes, des disparitions et des...

Crutch, un spin-off de la comédie The Neighborhood, commandé par Paramount+

Crutch, un spin-off de la comédie The Neighborhood, commandé par Paramount+
On ne l'attendait pas, tout du moins on ne l'attendait plus, pourtant, un spin-off de The...

CTV accorde une 4e saison à Children Ruin Everything

CTV accorde une 4e saison à Children Ruin Everything
Les fans de Children Ruin Everything seront ravis d'apprendre que non seulement la comédie reviendra...

Au programme de ce lundi

Au programme de ce lundi
Mai est souvent signe de fins de saison sur nos écrans et ce lundi 6 mai ne fait pas exception. Deux...

HypnoRooms

sossodu42, 04.05.2024 à 18:06

Bonsoir, une nouvelle bannière pour le quartier HPI attend vos votes merci

ShanInXYZ, 04.05.2024 à 18:09

Doctor Who ? C'est le nouveau jeu du quartier, un docteur à retrouver, à vous de jouer

choup37, 04.05.2024 à 21:22

Nouveau design sur Kaamelott, on attend vos avis

langedu74, Hier à 21:15

Hello ! Une nouvelle session du ciné-émojis vient d'être lancée, rendez-vous sur HypnoClap pour deviner le film

Sonmi451, Aujourd'hui à 13:33

Nouveau design' dans Gilmore Girls, hésitez pas à donner votre avis!

Viens chatter !

Newsletter

Les nouveautés des séries et de notre site une fois par mois dans ta boîte mail ?

Inscris-toi maintenant

Sondage