Assise sur un banc face à la librairie, Ruthie malmenait son esprit au sujet de Vincent. Avait-elle eu raison de rompre ainsi, sans lui donner d’autre explication que son amour pour un autre ? Après tout, Martin avait 2 ans de plus qu’elle et ne ressentirait probablement jamais rien à son égard ; il s’intéressait certainement déjà à une minette de 18 ans, coquette et coquine, avec une expérience dépassant toute imagination. Comment une adolescente de 16 ans, n’affichant qu’un nombre restreint de petits amis à son tableau de chasse, pourrait-elle faire le poids ? Elle poussa un soupir lourd de tristesse et laissa ses yeux se perdre dans le vague. Les passants défilaient sous son regard mais aucun d’eux ne semblait lui prêter la moindre intention, elle avait toujours su dissimuler sa douleur au monde entier et paraissait sans doute actuellement une jeune fille un peu lasse. La vie était vide, dépourvue de sens et en songeant que son prince charmant ne l’aimerait sans doute jamais et qu’elle avait peut être commis une erreur en rompant si facilement avec Vincent, elle se sentait sombrer dans un gouffre infini. Un magnifique regard océan vint pourtant, en se fixant résolument sur elle, la tirer de son abîme. Elle sourit en notant la démarche nonchalante du garçon qui s’approchait d’elle et à ce moment même, elle sut qu’elle avait effectué le bon choix. Il ne pouvait en être autrement… Elle aimait tout de Martin : ses prunelles claires, sa peau matte, ses canines pointues qui lui conféraient parfois un aspect profondément attirant de vampire, son sourire ravageur et ses lèvres… Elle se sentit frémir.
Lorsqu’il arriva à sa hauteur, son air amusé la fit fondre ; ses sentiments et son âme se tournaient vers lui, Vincent n’aurait rien pu faire pour changer cet état de fait.
Martin (feignant de ne jamais avoir surpris la conversation entre Lucy et sa sœur) : Tu as l’air sur un petit nuage, dois-je en conclure que cette balade avec ton petit ami s’est bien déroulée ?
Ruthie (grimaçant) : Pas vraiment, je viens de rompre avec lui.
Le beau brun sentit son cœur bondir dans sa poitrine mais il préféra dissimuler cet excès de joie afin de ne pas renfoncer le couteau dans la plaie. Après tout, Ruthie n’avait-elle pas dit à sa sœur qu’elle était éprise d’un autre garçon ?
Martin : Oh, désolé. Je suppose que c’est pour cette raison que je dois venir te récupérer…
Ruthie : Oui, Vincent avait la voiture et m’a abandonnée précipitamment quand je lui ai dit ce que j’avais sur le cœur.
Martin : Je suppose que tu aurais préféré que Lucy vienne te chercher. Tu aurais pu parler de tout cela avec elle et…
Ruthie (le coupant) : Non, ça me va très bien que tu sois là. Je préfère même que ce soit toi…
Second bond dans la poitrine du jeune homme. Il savait qu’elle appréciait fortement sa compagnie, mais tout de même… Jamais il n’aurait songé qu’elle puisse être heureuse de sa présence à un tel moment. Sa gorge se serra et son pouls s’accéléra ; décidément, cette fille le rendrait fou et il comprit qu’il ne la considérait pas uniquement comme une petite sœur. Il secoua brusquement la tête afin de se redonner une contenance : « Non, songea-t-il, je n’ai pas le droit d’éprouver ce genre de sentiment envers elle. Nous sommes presque de la même famille et envisager une relation avec elle relèverait pratiquement de l’inceste… » Et pourtant, tous ces signes physiques semblaient lui prouver le contraire. Tiraillé depuis trop longtemps entre son cœur et sa raison, il avait décidé qu’il devait parler à l’adolescente, lui faire part de cette situation qui le tourmentait. Mais ce n'était pas le moment venu...
Ruthie : Tu vas bien ?
Martin : Oui, pourquoi ?
Ruthie : Je ne sais pas, tu m’as paru ailleurs l’espace d’un instant.
Martin : Je suis comme toi, j’ai besoin de me changer les idées.
Ruthie (appréhendant la réponse) : Une fille ?
Martin : Je crois que ce n’est pas le moment pour évoquer ce sujet. Tu viens de rompre avec ton petit ami alors…
Ruthie : Je ne vois pas le rapport.
Martin : Je n’ai pas à t’en parler maintenant, c’est tout !
Le ton sec qu’il avait pris blessa l’adolescente au plus profond d’elle-même. Estimait-il qu’elle était trop jeune pour entendre les propos qu’il aurait voulu tenir ? La prenait-il pour une enfant ou tentait-il seulement de ne pas l’ennuyer avec ses problèmes ? De son côté, le beau brun regretta immédiatement ses paroles… S’il lui répondait de cette façon à chaque fois qu’elle tentait une approche de sa vie privée, il la perdrait ou se la mettrait à dos.
Martin : Excuse-moi, c’est juste que…
Ruthie : Tu n’as pas à te justifier, c’est ta vie après tout et libre à toi de ne pas souhaiter m’en parler.
Martin : Ce n’est pas ça, ce n’est pas le moment, voilà tout. Peut être qu’un jour, je t’expliquerais…
Une tension semblait s’installer entre les 2 jeunes gens et Martin ne supportait pas cette situation. Pourquoi se sentirait-il gêné en présence de sa meilleure amie, de sa petite sœur, de celle… Non, ce genre de sentiment ne devait pas l’envahir ! D’accord, la fille qui se tenait devant lui était devenue une adolescente ravissante, dotée d’un charme et d’une sensualité qu’elle ignorait, d’une malice qui en aurait fait fondre plus d’un. D’accord, elle était intelligente, délurée, drôle et parfois sensible. D’accord elle n’était pas comme les autres en se parant d’allures de femmes. Son esprit capitula brusquement : elle lui plaisait et il ne pourrait rien faire contre cela, combattre ses sentiments semblait vain.
Martin : Je t’emmène manger une glace pour te changer les idées ?
Ruthie : Non merci, je crois que j’ai assez vu cette promenade pour aujourd’hui. En revanche si tu pouvais me ramener à la maison… J’ai besoin de réfléchir un peu.
La douleur qu’il lut dans ses yeux était intolérable, était-ce vraiment sa rupture qui la mettait dans pareil état ? Ou bien le garçon dont il l’avait entendu parler avec Lucy ? Martin (démuni) : Bien, comme tu veux, mais si je peux t’aider…
Ruthie : Peut être qu’un jour, tu pourras…