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Série : Good Omens
Création : 02.01.2022 à 14h48
Auteur : choup37
Statut : Terminée
« 6000 ans de relation, d'amour, de disputes, de réconciliations, de peur, d'épreuves communes. Ils en auraient des choses à raconter, l'ange et le démon, s'ils écrivaient leurs Mémoires.. » choup37
Cette fanfic compte déjà 31 paragraphes
Égypte, 300 ans après JC
Du sable.
Du sable partout, à perte de vue.
Aziraphale grimaça, et recouvrit davantage son visage de son foulard, tentant de le protéger de la chaleur ardente.
Le travail du Seigneur était magnifique, et parfait, mais était-Elle vraiment obligée de créer cette chose ? Ces ... déserts, comme les humains les appelaient ?
Aziraphale devait l’admettre, avec toute l’humilité possible de celui qui n’a pas participé à la Création : il n’en comprenait pas l’utilité.
Oh, le sable pouvait être agréable, notamment sur les plages : il y formait un contrepoint agréable à l’océan, un lieu parfait pour se promener, manger, nager, pêcher ... Il existait une raison pour laquelle tant de ports s’étaient développés, après tout.
Mais le sable seul ? Des milliers et milliers et milliers de kilos de sable, à perte de vue ? Brûlant, volant, envahissant vos joues, bouches, nez, oreilles, se glissant sous vos vêtements, vous grattant avec une intensité qui vous rendait fou et vous forçait à vous recouvrir de ces énormes toges foncées ne laissant dépasser que vos yeux ?
Aziraphale était.. perplexe.
De toutes les découvertes qu’il avait pu mener depuis son établissement sur Terre, le sable demeurait un sujet ... brûlant.
Parfois au sens littéral.
Comme en cet instant, par exemple.
Le vent n’était pas suffisant pour provoquer une tempête, mais il soufflait malgré tout assez fort pour faire voleter le sable autour de son visage, agressant sa peau dissimulée désespérément sous un épais turban blanc.
Aziraphale roula des yeux, et remonta un peu plus le tissu sur son nez.
Juché sur son propre chameau, Crowley le fixait avec amusement.
Maudit serpent.
Lui était dans son élément, bien évidemment : du sable, de la chaleur, un soleil écrasant ... Quoi de mieux pour un animal à sang froid ?
Ses yeux jaunes pétillaient derrière ses lunettes noires, indiquant à Aziraphale que le démon était parfaitement conscient de son état d’esprit actuel.
Même dissimulé derrière son turban, il était impossible de manquer combien son visage venait brutalement de se renfermer.
Les sentiments d’Aziraphale envers ses enflures de patrons avaient toujours été.. complexes, pour rester simples.
Crowley savait -se doutait, devinait, ressentait, il n’avait jamais réellement pu en discuter franchement avec lui, mais c’était tellement évident, il suffisait de le regarder, l’ange portait son cœur sur sa main, et il était si sublime, et si pur, son cœur, si angélique ... - Crowley connaissait parfaitement les doutes, peurs et questions qui torturaient l’ange.
Il savait aussi combien Aziraphale était terrifié de commettre une erreur qui lui attirerait les foudres de ses supérieurs, et en particulier de Gabriel.
Bordel, il ne lui manquait pas, celui-là.
Si Crowley le revoyait..
Il s’enfuirait.
A toutes jambes.
Aziraphale n’avait pas cette possibilité.
Il n’avait pas tout grillé, hein ? Il n’avait pas fichu en l’air le timide début d’embryon d’amitié qui avait commencé à se développer ces derniers trois cents ans ? Pas après tout ce temps passé seul, désespérément seul, il n’avait plus revu l’ange après le désastre qu’avait été l’Arche de Noé, pas avant la mort de Jésus - et non, il ne partirait pas sur ce sujet, il fulminait toujours - puis dans ce bar quelques dizaines d’années plus tard.
Il avait été seul, si seul.
Il avait besoin de ... parler, échanger, avec quelqu’un de son acabit, quelqu’un qui comprenait ce que signifiait vivre coincé ici, en haut, au milieu des mortels, ces papillons, à la vie si courte, mais si passionnante, tant de possibilités contenues dans leurs âmes, ils étaient si extraordinaires ...
Mais leur vie était si brève .
A peine arrivés, déjà repartis.
Et Crowley se retrouverait seul, à chaque fois.
Tout comme Aziraphale.
Il ne devrait pas, vraiment. Il savait ce qu’il risquait, si l’on découvrait qu’il entretenait une relation avec un ange. Il ne recevrait pas une note, non, les choses seraient bien plus violentes, et Crowley n’avait aucun désir de flirter avec cette possibilité.
Mais il ne pouvait s’en empêcher. L’ange l’attirait, irrémédiablement, l’avait attiré dès leur première rencontre, sur ce mur, il y avait 4300 ans maintenant, au milieu des pierres et du vent et du sable, tant de sable, face au jardin d’Eden...
Et un sourire étincelant.
Une naïveté attendrissante.
Crowley était faible.
Il était addict, il le savait.
Pourquoi sinon avoir proposé à Aziraphale de se joindre à lui dans son voyage, alors qu’il était évident qu’il se serait déplacé bien plus rapidement seul ?
De l’ange, il ne pouvait apercevoir en cet instant que ses yeux, bleus, si bleus, un contrepoint parfait au sable étincelant qu’il détestait, un sable aussi jaune et lumineux que la couleur des cheveux de son vaisseau, bleu et jaune, les deux couleurs favorites du démon, depuis 6000 ans.
Une expression indéfinissable traversa les deux pupilles, avant qu’elles ne s’adoucissent, la main d’Aziraphale venant se poser à son tour sur celle de Crowley, la pressant un court instant.
Crowley éclata de rire, avant de tapoter son épaule.
De leurs brèves mais toujours passionnantes rencontres, Crowley avait appris que le plus sûr moyen pour encourager - tenter, manipuler - la Principauté était de jouer sur sa plus grande faiblesse - la gourmandise.
Et sans surprise, les yeux de l’ange s’illuminèrent, avant qu’il ne gratte le long cou du dromadaire, l’encourageant avec enthousiasme à avancer plus rapidement.
Crowley étouffa un rire, avant de donner un coup de talons à son tour à sa propre monture.
Vivement qu’ils arrivent à l’oasis.
Quelque part dans la Méditerranée, 1694
Quelque part dans la coque, un morceau de bois craqua.
Aziraphale grimaça, agrippant sa cape pour la rapprocher de son corps en même temps qu’il luttait pour remonter le pont détrempé sans tomber.
Autour de lui, les marins hurlaient, s’accrochant aux cordes en même temps qu’ils se battaient contre les flots enragés.
Vraiment, l’ange ne leur enviait pas leur travail.
Ce n’est parce qu’il survivrait à une noyade qu’il appréciait la tempête en cours.
Et s’il employait quelques miracles anodins pour les empêcher de finir au fond de l’océan, hé bien, une désincarnation était toujours un désordre considérable, et Aziraphale était plutôt attaché à son vaisseau, après tant de millénaires passés à l’habiter.
Secouant la tête, il poussa la porte menant aux cabines, regardant inquiet autour de lui. Crowley n’avait pas donné signe de vie depuis plusieurs heures - le début de la tempête, très exactement - et l’ange pouvait sentir son angoisse augmenter d’instant en instant.
Où était-il ?
Comment allait-il ?
Ce n’était un secret pour personne - en cet instant, ‘personne’ signifiant Aziraphale - combien le démon haïssait toutes les perturbations maritimes - entendez, tout ce qui provoquait le moindre remous lors de ses voyages marins.
Il était un serpent, par l’Enfer.
Il appartenait à la Terre, pas l’eau !
D’un geste vif, Aziraphale repoussa sa capuche trempée, employant un miracle pour se sécher, avant de se diriger, inquiet, vers la cabine qu’ils partageaient.
Aziraphale roula des yeux, avant de le rapprocher de lui, logeant sa tête contre son torse avec gentillesse.
Gentil, toujours si gentil.
Crowley ne le méritait pas.
Crowley ne répondit pas, serrant les dents.
C’était stupide, vraiment.
Il ne devrait pas.. Il n’existait aucune raison logique..
Le tonnerre explosa de nouveau, et il frissonna, fermant les yeux.
De l’autre côté de la vitre, la pluie résonnait, violente, vibrante.
Brûlante.
Brûlerait-il, s’il se retrouvait en dessous ?
Serait-il puni, pour tous ses pêchés et sa trahison ?
Était-ce une manière de l’effrayer, lui, le démon ? Le traître, le parjure, le Serpent, l’ancien ange, qui s’était retourné contre la parole de Dieu ?
Combien de fois s’était-il retrouvé seul sous la pluie, courant désespérément pour trouver un abri ?
Ses amis reptiles n’avaient pas tous eu cette chance.
La pluie, l’eau, c’était bien connu, nettoyait la Terre de ses plaies, la purgeant des vermines vivant en son sein.
Crowley était un démon.
Il était la définition même du Mal.
Tentateur, Serpent, Seigneur des Tentations et fourberies en tout genre.
Qui d’autre que lui méritait davantage de finir noyé ?
(Une liste entière, en réalité. Hastur, et Dagon, et Lucifer le premier, cette enflure, ce menteur, il les avait abandonnés, lui aussi, après les avoir fait chuter, Crowley ne le lui pardonnerait jamais, de même qu’il ne pouvait oublier la violence qu’il avait subie, et la peur, la terreur, la souffrance, mal, si mal, il avait brûlé, le liquide était chaud, si chaud, sa peau bouillonnant de douleur..)
(Il n’avait pas voulu cela)
A sa grande honte, il fallut quelques instants à Aziraphale pour comprendre le sens des mots de son ami.
En un instant, son expression se transforma d’inquiète à dévastée.
Celui-ci frémit lorsque le bateau tressauta de nouveau, marmonnant quelque chose dans sa barbe dans une langue que l’ange ne reconnut pas immédiatement.
A sa défense, il n’avait pas entendu d’Enochian depuis des centaines d’années.
Son cœur se serra un peu plus à la pensée que Crowley se souvenait toujours du langage des anges, avant que sa gorge ne se contracte lorsqu’il reconnut enfin les mots.
Une prière, marmonnée instinctivement, mélangée à des jurons et une rage prompte à vous renverser un régiment céleste.
Cruelle ... Injuste... Pas peur ... Protéger.. Quelqu’un..
Le démon déglutit.
Les yeux jaunes de Crowley s’écarquillèrent brutalement, en même temps qu’une couleur rouge envahissaient les joues de l’ange. Celui-ci continua à le fixer de son regard bleu buté, cependant, ses lèvres plissées avec colère lorsqu’il ajouta, sa voix ferme :
Un faible sourire étira les lèvres de Crowley.
Un ange, en effet.
Un ange têtu, borné, et déterminé à modifier le monde selon sa vision très généreuse de la vie.
Le seul ange digne d’être connu.
Le seul ange qu’il désirait connaître.
Le seul ange qu’au fond, il avait potentiellement envie de prier.
(non pas qu’il admettrait jamais cette vérité)
Son flux de paroles soudain fut interrompu brusquement par une longue main pâle saisissant son bras, avant qu’il ne soit tiré sans ménagement vers le lit. Il y atterrit dans un petit cri, fusillant du regard Crowley qui lui sourit innocemment, avant d’envelopper sa taille avec possessivité.
Aziraphale sourit doucement, ses doigts continuant avec tendresse le massage en cours de son crâne.
Le doute, affirmait-on, était humain.
Personne ne savait de quoi l’avenir serait fait, et ce qui l’influencerait. Pendant des millénaires, le monde les entourant était demeuré incompréhensible pour les humains, les poussant à créer de multiples divinités capables d’expliquer les évènements incompréhensibles de leur vie.
La foi, avait constaté Aziraphale, permettait aux Hommes de vivre apaisés.
Foi en la religion, en leur famille, ou en la science. Foi en eux-mêmes, en leurs capacités, et compétences. Foi en leurs connaissances, dans le savoir accumulé depuis des siècles, puis des millénaires.
Foi en les Hommes, et foi en Dieu.
Aziraphale avait toujours eu foi en Dieu.
Du moins, le pensait-il.
Du moins, l’affirmait-il.
Qu’était-il sensé dire d’autre ?
Comment était-il supposé expliquer ses incompréhensions, et ses doutes, à ses Frères et Sœurs restés au Paradis ?
Ils ne comprendraient pas.
Ils ne l’écouteraient pas.
Ils ne l’avaient pas écouté, pendant la Non-Apocalypse.
Aziraphale doutait, depuis si longtemps.
Comment Dieu, dans son immense bonté et son intelligence suprême, pouvait-Elle accepter de laisser l’humanité se massacrer ?
Pourquoi ses seules réponses consistaient-elles en l’emploi de la violence, et la vengeance ?
N’étaient-ils pas supposés être meilleurs que cela ?
N’étaient-ils pas supposés guider ?
Aider ?
Pardonner ?
Elle n’avait pas pardonné à Crowley.
Quelque soient ses fautes et ses erreurs, son ami ne méritait certainement pas d’avoir chuté.
Le cœur du démon roux était abîmé, usé, par des millénaires de violence et d’injustice. Mais son âme, elle, demeurait si douce, et si prompte à aimer.
Aziraphale la connaissait.
Il la connaissait mieux que tout, et peut-être même lui-même.
Il avait vu la bonté de Crowley à l’œuvre : sa fureur en apprenant le Déluge à venir, et la mort des innocents - Même les enfants ?! - son chagrin lors de l’exécution de Jésus, son deuil à peine dissimulé les mois suivants, à la taverne.
La manière dont il sourirait aux tous petits, et les amuserait avec des miracles stupides, faisant apparaître des pièces dans leurs cheveux, avant de les emmener manger, un enfant dans les bras et quatre autres autour de ses jambes.
L’âme des enfants était naturellement pure ; leur cœur les portait vers les êtres bons, prompts à les aimer et les protéger. Comment pourraient-ils se tromper ?
Crowley n’était pas naturellement mauvais.
Rusé, menteur, manipulateur, se prétendait-il.
Et peut-être l’était-il, en effet, parfois.
Aziraphale préférait employer taquin, astucieux, malicieux, subtil.
Peut-être était-il stupide, peut-être était-il naïf ? Peut-être refusait-il d’admettre la vérité, peut-être se leurrait-il sur la véritable nature du roux ?
Il était un démon, après tout.
Son travail était de mentir et manipuler, tenter.
Aziraphale avait-il tort de vouloir regarder au-delà des apparences ?
Trahissait-il le Paradis se faisant ?
Pendant longtemps, il avait craint, et douté.
Les actes de Crowley s’opposaient à sa nature démoniaque.
Sa culpabilité, après avoir fait chuter Adam et Eve.
Toutes les fois, où il était venu à son secours, sans que rien ne l’y oblige.
Son sourire, à chaque fois qu’ils se rencontreraient. Sa joie manifeste à l’idée de passer du temps avec lui, l’ange, son supposé ennemi, au lieu d’aller manigancer Dieu - Satan sait quel plan diabolique.
Crowley n’était pas si mauvais.
N’est-ce pas ?
Sa simple existence remettait en cause toutes les croyances d’Aziraphale.
Pendant des siècles, l’ange avait douté, la peur viscérale d’être manipulé et tenté se battant contre la tendresse qu’il ressentait vis-à-vis de son ami.
Il ne pouvait pas se tromper, n’est-ce pas ?
Il était un ange, il savait reconnaître le mal.
Mais Crowley était un démon.
N’était-il pas le mal incarné ?
Pendant des siècles, Aziraphale avait douté.
Il avait fallu attendre la Non-Apocalypse pour qu’il réalise, à quel point il avait été perdu dans l’éducation brutale et oppressive qu’il avait subie.
Crowley avait eu raison tout ce temps.
Il n’existait ni Mal, ni Bien, pas pour eux.
Ils étaient de leur propre côté.
Ils avaient créé leurs propres lois, et leurs propres règles, et ce, depuis des siècles.
Comme l’Humanité.
Aziraphale sursauta, relevant les yeux du roman qu’il ne lisait plus depuis plusieurs minutes déjà. Assis à ses côtés sur le canapé, Crowley le fixait, inquiet.
Un sourire amusé traça son chemin sur celles de l’ange.
Le sourire d’Aziraphale s’adoucit, avant qu’il ne tende la main, entrelaçant leurs doigts pour mieux les presser ensemble.
Mésopotamie, 3000 ans avant JC, un champ vide en surplomb d’une petite ville
- J’ai aidé à créer celle-là.
Aziraphale cligna des yeux, avant de se tourner vers le démon assis à ses côtés. Les yeux jaunes de celui-ci étaient rivés sur le ciel étoilé, la lumière des milliards de tâches multicolores se reflétant dans le doré de ses pupilles.
Crowley secoua la main, pointant du doigt un énorme point blanc, dont la lumière étincelait plus fortement que les autres.
L’Etoile du Nord.
Alpha Ursae Minoris.
L’Etoile polaire.
L’Etoile des voyageurs, marins et âmes perdues.
Les yeux de l’ange s’écarquillèrent, le choc le laissant pantois quelques instants avant qu’il ne bredouille :
La voix d’Aziraphale mourut dans le vide.
Avant la Chute, bien évidemment.
Aziraphale grimaça en entendant le nom du Déchu, mais décida de laisser passer, l’esprit envahi d’émotions contradictoires.
Crowley ne parlait jamais de son passé.
Crowley ne parlait jamais de sa vie avant la Chute.
Aziraphale ne le blâmait pas, vraiment.
Se souvenir devait être si douloureux.
Il n’avait jamais osé l’interroger sur le sujet, par politesse, mais aussi par inquiétude d’être rejeté – et vraiment, cela aurait été mérité, qui apprécierait de répondre à des questions aussi indiscrètes, vraiment ?
Ce n’était pas comme s’ils se connaissaient vraiment.
Quelques rencontres dues au hasard, en à peine mille ans, ne signifiaient rien.
Ils ne savaient quasiment rien de l’autre, et c’était tout à fait normal. Un ange et un démon n’étaient pas supposés échanger, de toute manière, c’était une évidence, et vraiment, Aziraphale se montrait juste poli.
Il n’appréciait pas Crowley, non. Ils n’étaient absolument pas amis, et Aziraphale n’avait absolument aucun intérêt à en apprendre davantage sur lui.
Il était juste curieux.
Il n’avait jamais cessé de se demander, depuis leur rencontre, en haut du mur, qui était exactement Crowley.
Ou plutôt, qui il avait été.
Un constructeur, apparemment.
Un architecte.
Un faiseur d’étoiles.
La gorge d’Aziraphale s’assécha à cette pensée, en même temps qu’il luttait pour ne pas se tordre les mains.
Crowley avait participé à la Création.
Avait-il été avec Elle ?
La connaissait-il plus personnellement que l’ange ne l’avait pensé ?
L’avait-il déjà vue ?
A quel point avait-il été puissant ?
Quand était-il né exactement ?
La Création avait été menée par la première génération des anges.
Aziraphale n’était pas né, et jusqu’à présent, il pensait que Crowley non plus.
Le blond cligna des yeux, tiré de ses pensées. Il secoua la tête, fixant avec désir le ciel étoilé. Crowley haussa les sourcils, le dévisageant, surpris.
L’ange roula des yeux, avant de finir par sourire.
Crowley porta la main à son cœur, faussement blessé.
Crowley sentit quelque chose se figer en lui.
Merde.
Il n’avait pas réalisé.. Il avait été si perdu dans l’admiration du ciel, et des étoiles, ses souvenirs aussi clairs qu’hier. Il n’avait pas pris garde à ses paroles, et maintenant, Aziraphale le dévisageait comme un gamin dont on venait d’exaucer tous les vœux les plus fous.
Crowley grimaça, détournant la tête.
Aziraphale balbutiait, se tordant les mains sous la gêne. Crowley ne répondit pas immédiatement, perdu dans ses pensées.
Est-ce que cela le gênait ?
La réponse logique serait oui, évidemment. Crowley détestait penser à son passé, à avant. Il avait beau prétendre le contraire, il n’était absolument pas remis du traumatisme provoqué par sa Chute, et les mois cauchemardesques qui avaient suivi.
Il détestait penser à son passé.
Sauf les étoiles.
Parfois.
Lorsqu’il était seul.
Pourquoi, alors, en avait-il parlé sans réfléchir devant Aziraphale ?
Stupidité, naïveté, instinct ?
Confiance ?
Crowley ne faisait confiance à personne, et certainement pas aux anges.
Mais Aziraphale n’était pas n’importe quel ange, n’est-ce pas ?
Il était.. qu’était-il ?
Un allié de circonstance ? Un camarade d’infortune ? Un potentiel compagnon de voyage ?
Certainement pas un ami, non.
Absolument pas.
Jamais.
Enfin !
Crowley soupira, et détourna les yeux. Aziraphale se mordit la lèvre, froissant le tissu de sa robe avec anxiété.
Et son visage était si doux, si innocent, empli de curiosité et fascination et vraiment, il ne devrait pas être permis d’être aussi beau.
Crowley grimaça, se détournant alors qu’un rire sans joie lui échappait.
La main de l’ange se posa sur son poignet, serrant gentiment.
La voix de Crowley mourut dans sa gorge.
Ses étoiles étaient toujours présentes.
Ses étoiles, et ses planètes, et ses galaxies.
La Lune, l’Etoile du Nord, Alpha Centuri, toutes ses créations brillaient toujours dans le plafond noir de l’univers.
Pourquoi les avoir conservées, alors qu’Elle l’avait fait chuter ?
Il ne comprenait pas.
Différenciait-Elle son travail de lui-même ?
Etait-ce une manière de le provoquer, le narguer ? Le punir, en lui exposant ses œuvres sans lui en permettre l’accès ?
Ce n’est pas comme si Elle le lui expliquerait, n’est-ce pas ?
Crowley soupira, secouant la tête.
Crowley roula des yeux, frustré. Il n’allait vraiment pas lâcher le morceau, hein ? Ce petit teigneux d’ange, avec son visage béat d’admiration et ses yeux bleus trop innocents pour son propre bien, et ...
Le démon soupira, fermant les yeux.
Ce n’était pas sa faute.
S’il devait blâmer quelqu’un, ce n’était pas certainement Aziraphale.
Celui-ci continuait à fixer le ciel, son expression rêveuse, ses mains posées sur ses genoux comme un enfant sage.
Damn.
Aziraphale le dévisagea, fasciné.
Un sourire réel aux lèvres, Crowley tendit le doigt vers des rochers, utilisant un miracle pour les soulever, avant de les faire tourner en cercle, illustrant ses propos.
- Des.. vacances ?
Crowley fixa Aziraphale, ahuri. Celui-ci hocha la tête, déterminé.
Aziraphale ne daigna pas lui répondre, continuant sur sa lancée :
Les joues d’Aziraphale prirent une teinte rosie adorable.
L’ange lui lança un regard indigné, avant de pivoter sur ses pieds, courant enthousiaste vers le tiroir d’un bureau pour en tirer plusieurs prospectus.
Aziraphale se tendit.
Aziraphale ouvrit de grands yeux.
Crowley soupira. Si, il ne comprenait que trop bien.
Pour la première fois de toute sa vie, Aziraphale pouvait choisir ce qu’il voulait faire, quand et où il voulait le faire.
Et il voulait le faire bien.
Les épaules d’Aziraphale s’affaissèrent.
Crowley lui tapota le dos, un peu perdu, mais heureux quand même.
Ce fut le tour de Crowley de perdre ses mots. Il secoua la tête, fronçant les sourcils.
Les mains de Crowley s’enroulèrent un peu plus autour de lui.
Ils iraient en Egypte. Et ils testeraient tous les restaurants existants, et même plusieurs fois, si cela pouvait faire plaisir à Aziraphale. Ils visiteraient tous les musées, se promèneraient sur le dos de chameau, et prendraient des photos devant la pyramide, comme deux touristes lambdas. Et si Crowley devait subir des lectures entières sur l’évolution sociétale et religieuse égyptienne, et les liens avec le développement interne de la littérature depuis la chute des Pharaons, hé bien, il connaissait des Enfers bien pires que ceux-là.
Il était toujours heureux, tant que son ange était présent.
Peut-être même accepterait-il de porter un stupide chapeau, tiens. Tant qu’il était noir.
Quels sacrifices n’était-il donc pas prêt à faire, pour rendre son ange heureux.
Cher Crowley,
Je sais. Pourquoi t’écrire une lettre, alors que je pourrais te parler directement ? Ce serait plus simple, n’est-ce pas, et beaucoup plus rapide. Après tout, il me suffit de t’appeler, et tu passes la majorité de tes journées à la librairie, à présent.
Je sais, je sais.
Mais tu me connais : je n’ai jamais été doué pour m’exprimer ; je sais lire, et je sais écrire, et je sais traduire, dans autant de langages que tu le souhaites. Je pense même pouvoir affirmer sans faire preuve d’orgueil que je connais tous les langages passés et présents de cette planète.
Parler à voix haute, cependant, est un problème d’une toute autre ampleur.
Je sais, je sais, je dois te donner la sensation d’être si mélodramatique. Quelle est la difficulté à parler à voix haute, l’ange, me dirais-tu, on le fait tous les jours, il te suffit d’ouvrir la bouche.
Parler n’est pas le problème, Crowley. C’est m’exprimer.
M’exprimer, sans me tromper.
M’exprimer, sans être terrifié.
M’exprimer, sans m’empêtrer dans mes pensées.
M’exprimer, sans te blesser.
Ce n’est pas si compliqué, l’ange, me dirais-tu. Un mot après l’autre, et pas un plus haut que l’autre. Ou serait-ce plutôt Gabriel ? Oh, je te vois déjà, t’outrer à l’idée de lui être comparé. Je sais, je sais, vous n’êtes en rien semblables. Bien au contraire. Tu vois, même à l’écrit, mes pensées s’emmêlent.
Comment suis-je supposé ne pas me tromper à voix haute ?
J’ai tant à te dire.
Merci.
Je suis désolé.
Pardonne-moi.
Pardonne-moi mes peurs, mes lâchetés, et mes mesquineries. Pardonne-moi toutes les fois où je ne t’ai pas écouté, où je t’ai abandonné. Pardonne-moi de ne pas avoir compris, écouté, réalisé, que tu me demandais cette maudite eau bénite, car tu craignais pour ta sécurité. Car tu avais compris, admis, bien avant moi, que nos camps respectifs découvriraient la vérité, et que ce jour-là, nous devrions être préparés.
Je sais, je sais, tout cela était d’une évidence, n’est-ce pas ?
Et sans aucun doute, je le savais.
Et sans aucun doute, cela me terrifiait.
Nous n’avons jamais réellement ... échangé sur le sujet de nos responsables respectifs. Mais il m’a toujours semblé évident, qu’aucun d’eux n’était réellement recommandable.
Gabriel..
Le simple fait d’écrire son prénom me terrifie.
Je sais, je sais, tu me dirais, ce n’était que quelques notes désagréables, l’ange, attend donc de savoir ce que mes supérieurs auraient fait.
Sans aucun doute, je ne souhaite pas le savoir.
Et peut-être, suis-je de nouveau lâche.
Je n’ai jamais été un guerrier, de toute manière.
Je n’ai jamais su me défendre.
Quelle ironie, pour une Principauté, n’est-ce pas ?
Peut-être, ne t’ai-je pas tout raconté concernant Gabriel.
Peut-être suis-je simplement trop doux, trop mou, pour être un bon ange.
Ou peut-être est-ce encore Gabriel qui parle.
Tu ne l’as jamais approuvé.
Je n’ai jamais réussi à réellement t’écouter.
Ce qui compte, ce que j’essaie de te dire, ce que je tente d’exprimer, Crowley, mon cher, mon très tendre, c’est que je suis désolé.
Je t’ai blessé, bien trop de fois pour pouvoir les compter.
Je t’ai abandonné, alors que tu m’appelais.
Je t’ai demandé des preuves de confiance, encore et encore, alors que tu étais celui qui en procurais le plus, et moi le moins.
Je me suis caché derrière ma nature angélique, pour justifier mes peurs, et mes attaques cruelles.
J’ai été si cruel, tu ne peux imaginer la violence de ma honte.
Je sais, je sais.
M’excuser n’effacera pas le passé.
Encore moins à l’écrit, dans une lettre qui ne te sera certainement jamais donnée.
Je sais. Lâche.
Peut-être, ai-je peur de ta réaction. Peut-être, ai-je peur que tu ne confirmes mes sentiments envers moi-même.
Peut-être, ai-je peur d’être abandonné.
Je sais, je sais. Je ne le saurai jamais, si je ne te donne pas cette lettre.
Mais vois-tu, Crowley, mon cher, mon tendre, je suis égoïste. Je t’aime trop profondément pour prendre le risque de te perdre. Vivre sans toi, après ces six mille ans passés ensemble, me serait insupportable. Je sais, je sais. Ces mots semblent tout droit extraits d’un roman romantique de basse qualité. Mais sont-ils stupides, s’ils sont sincères ?
J’espère trouver un jour la force de les prononcer à voix haute, et être à la hauteur de tout ce que tu mérites.
A toi, mon tendre,
Aziraphale
*-*
Aziraphale cligna des yeux, relevant le nez du roman dans lequel il était plongé. Il fronça les sourcils en découvrant un parchemin dans la main de Crowley. Celui-ci le dévisageait de ses yeux jaunes, sa peau d’ordinairement déjà pale blême.
L’ange fronça un peu plus les sourcils, saisissant le feuillet pour mieux le lire. La couleur disparut à son tour de ses joues alors qu’il en découvrait le contenu.
Ses mots moururent dans sa gorge lorsque le démon s’assit à côté de lui sur le canapé, le dévisageant de son regard jaune intense. Il détourna les yeux, mais Crowley tendit la main, enveloppant gentiment sa joue pour le forcer à le regarder.
Aziraphale déglutit, liant instinctivement leurs doigts.
Il ne savait pas à quoi s’attendre, mais certainement pas au regard empli de tristesse du démon. Celui-ci secoua la tête, se penchant pour l’embrasser doucement.
Aziraphale ferma les yeux, se rapprochant automatiquement de Crowley qui approfondit le baiser, son expression intense.
L’ange enveloppa ses bras autour de son cou, se collant à lui désespérément.
Aziraphale enfonça ses mains dans ses boucles, leurs corps se pressant l’un contre l’autre alors qu’il sentait son cœur se remplir d’un nouveau sentiment.
Un sentiment à la fois nouveau, et terriblement familier. Un sentiment qu’il n’avait ressenti que dans un seul type d’occasion, au cours des 6000 dernières années.
Lorsqu’il était avec Crowley.
Le sentiment d’appartenance.
Un hoquet lui échappa.
Londres, 1616
Crowley contint un soupir.
Dieu .. Satan, il détestait les enterrements.
Il avait détesté le premier – Abel, pauvre gosse – et cela n’était jamais allé en s’améliorant depuis.
Il avait envie de boire.
Aziraphale allait être inconsolable pendant des années.
Au rythme où l’ange contenait ses émotions, son visage absolument blanc de tous sentiments alors qu’ils marchaient derrière la procession, les choses allaient encore être explosives.
Mais c’était William.
Aziraphale en avait été fou depuis Hamlet.
Crowley n’était pas réellement fan de ses tragédies, mais là encore, il n’aimait guère les tragédies en général : il en avait suffisamment vécu lui-même pour ne pas avoir envie d’en écouter davantage sur scène, merci bien. Celles de Shakespeare étaient excellentes, brillantes, même, et il n’avait aucun doute que ses œuvres survivraient à sa postérité. Si Aziraphale avait un mot à dire, elles resteraient éternelles.
A côté de lui, l’ange demeurait silencieux, ses mains jointes en une prière silencieuse alors qu’il marchait lentement.
Crowley soupira, et posa sa main sur son bras, le serrant maladroitement.
Aziraphale cligna des yeux, le fixant de son regard rougi.
Toujours aussi poli, même consumé par le deuil.
Crowley secoua la tête, et marmonna, indiquant le cortège de la main :
L’ange ne répondit pas immédiatement, ses yeux refusant obstinément de regarder autre chose que le cercueil à quelques mètres devant lui. Trois femmes l’entouraient, leurs robes noires abimées par la boue constellant la rue. Une foule silencieuse les accompagnait, les comédiens habituellement si gais gardant la tête basse alors qu’ils avançaient en directement du cimetière.
Crowley haussa les épaules, cherchant en vain quelque chose de réconfortant et échouant lamentablement.
Crowley lui jeta un regard, le début d’une idée naissant dans son esprit.
Crowley le suivit plus tranquillement, sa voix résonnant dans les oreilles de son ami lorsqu’il chuchota :
Crowley aurait tué pour ce sourire.
Tendant la main, il pressa son épaule, tentant de convoyer ses sentiments compliqués dans le geste. Aziraphale déglutit, mais continua à lui sourire, se rapprochant de lui en même temps qu’ils reprenaient leur marche.
Crowley secoua la tête, contenant avec difficulté ses insultes à l’égard du supérieur de l’ange.
Et après, on s’étonnait qu’Aziraphale avait des difficultés à s’exprimer, et à faire confiance.
Vraiment, Crowley ne serait pas tenu pour responsable s’il arrivait un jour quelque chose à l’Archange.
Les mouches de Belzébuth en feraient une danse de la joie, tiens.
Les épaules d’Aziraphale s’affaissèrent un peu plus. Crowley se rapprocha de lui, l’envolant de sa cape noire. L’ange cligna des yeux, son corps se raidissant instinctivement, avant qu’il ne se laisse tomber contre lui, se laissant mener par le démon. Celui-ci continua à parler pendant toute la durée de la marche, de choses et d’autres, sa voix douce coulant comme un vin chaud dans les oreilles d’Aziraphale.
Celui-ci sentit quelque chose se rompre en lui.
Il ne réalisa qu’il pleurait que lorsque des doigts rugueux vinrent sécher gentiment ses joues, le regard jaune emplis d’une compassion qui fit déglutir l’ange.
Face à eux, la foule s’était immobilisée, le demi-cercle rassemblé autour de ce qu’Aziraphale reconnut comme la tombe de son ami.
Ils étaient déjà arrivés ? Il n’avait pas… Combien de temps était-il resté dans un état second ? Est-ce que Crowley l’avait transporté tout le long du chemin ?
Aziraphale hoqueta, hésitant entre pleurer et rire.
La première option finit par gagner, ses sanglots silencieux mourant dans le torse du démon alors qu’il se laissait enfin aller, le son des prières résonnant derrière eux.
Crowley soupira, l’un de ses bras serrés autour de lui alors que l’autre enveloppait sa tête, le dissimulant de la vue du public.
Satan, il détestait les enterrements.
- Non pas que je n’apprécie pas une belle promenade dans St-James Park, mon ange, mais il y a une raison particulière pour être venu ici ? Tu as été.. tendu, toute la journée. Tout va bien ?
Aziraphale sursauta, ses mains se crispant. Un ballon passa juste à côté de son oreille à cet instant, provoquant un juron chez le démon dont les yeux jaunes étincelèrent derrière ses lunettes noires. Le ballon alla terminer sa course quelques mètres plus loin, contre un arbre, un ‘pschiiiiiii’ se faisant entendre alors que le jouet se dégonflait. Des cris déçus résonnèrent derrière eux, avant qu’une horde de gamins ne passe en courant, geignant en cœur autour de leur trésor cassé.
Crowley secoua la main, claquant sa langue contre son palais.
Des sons de joie résonnèrent devant l’arbre, lorsque les parents parvinrent miraculeusement à réparer le ballon. Crowley roula des yeux, et plia discrètement ses doigts, faisant tomber le gamin qui avait manqué de décapiter son compagnon.
Il en était certain, à présent. Aziraphale n’avait pas simplement proposé cette promenade pour le plaisir de la marche. L’ange se tordit les mains, apparaissant soudainement nerveux.
Aziraphale lui sourit faiblement, avant d’hocher la tête. Le démon le dévisagea, sceptique, mais le suivit jusqu’à un banc, face à l’immense bassin dans lequel jacassaient les canards. Il repoussa le souvenir de leur même présence ici, sur un banc, face à un bassin, deux siècles auparavant, et la dispute qui avait suivi. Ce temps était terminé. Ils n’avaient plus à se cacher. Plus personne ne les dirigeait.
Ils étaient libres.
Personne ne viendrait les attaquer.
Pas tout de suite, en tout cas.
Crowley n’avait perçu aucune présence angélique ou démoniaque dans les environs, mais peut-être se trompait-il ?
Une angoisse soudaine le saisit.
Aziraphale avait-il pressenti un danger qui lui aurait échappé ?
Ses mains se crispèrent, en même temps qu’il réveillait ses sens démoniaques, à la recherche de tout signe anormal.
Le démon fronça les sourcils, le fixant, en même temps qu’il continuait à analyser ses environs.
Crowley le fixa, perdu.
Ce fut le tour du blond de le dévisager, ébahi.
Le cœur du démon se mit à battre à tout rompre, son sang résonnant sans contrôle dans ses oreilles.
Un cadeau.
Pour lui.
Aziraphale lui offrait un cadeau.
Un cadeau.
Un cadeau.
Il n’avait jamais reçu de cadeau.
Est-ce que l’eau bénite comptait ?
Non, assurément pas. C’était une aide de circonstance, entre deux alliés, rien qui..
Est-ce que son dernier cadeau avait été l’eau bénite ?
Est-ce que son premier cadeau avait été l’eau bénite ?
Etait-ce en soi-même un cadeau ?
Tenait-il son premier cadeau entre ses mains ?
La main de l’ange se posa sur sa joue, la séchant doucement. Est-ce qu’il pleurait ? Crowley n’avait rien senti couler. Peut-être était-ce dû au choc : ses sens semblaient soudainement diffus, sa vue trouble alors qu’il s’agrippait au petit paquet.
Ce fut le tour de Crowley de poser sa main sur sa joue, l’enveloppant délicatement alors qu’il se penchait, l’embrassant profondément. Les paupières de l’ange se fermèrent d’elles-mêmes, une rougeur adorable envahissant ses joues en même temps qu’il se rapprochait du démon. Celui-ci se rapprocha davantage, accentuant l’échange, son autre main fermée protectivement autour du petit paquet. Le temps semblait s’étirer autour d’eux, les sons de la foule se faisant distants alors qu’ils se perdaient dans l’échange.
Lorsque Crowley recula enfin, c’était avec une nouvelle lueur dans le regard, un feu d’un type qui fit frissonner l’ange.
Aziraphale sourit, le regardant faire : les gestes du démon étaient lents et emplis de précaution, son émerveillement évident. Avec douceur, ses doigts se glissèrent dans le paquet, en tirant une broche.
La bouche du démon tomba au sol.
Le souffle court, Crowley leva le doigt, traçant avec crainte le contour de la broche.
Un serpent, pas plus long que son pouce.
Un serpent noir, recouvert de minuscules saphirs rouges reproduisant les écailles de son ventre.
Deux pierres précieuses jaunes semblant lire l’intérieur de son âme.
Un large sourire étira le visage du démon.
Aziraphale roula des yeux, avant de sourire timidement.
Aziraphale secoua la tête.
Le démon se mordit la lèvre.
La Principauté le fixait, son expression déterminée.
Un ange créé pour protéger les autres.
Crowley inspira profondément, avant de lever la main, saisissant sa veste pour y placer la broche.
La gorge sèche, Crowley le regarda faire, tout son corps tendu comme une branche prête à rompre. Il ferma les yeux lorsque le blond caressa la broche, se laissant attirer dans une nouvelle étreinte.
L’ange le fit taire d’un nouveau baiser.
- Tu as quoi ?!
- Ce n’est pas.. Je ne pensais pas.. Ce n’est pas ce que je voulais !
- Tu as provoqué cette guerre éternelle ? siffla Aziraphale, furieux.
Crowley secoua frénétiquement la tête en déni, avant de s’immobiliser et se laisser tomber tête en avant contre la table de la taverne, un grognement désespéré lui échappant.
L’ange le dévisagea, partagé entre ahurissement, rage et une incapacité complète à enregistrer ce qu’il venait d’entendre.
Pourtant, les oreilles de son vaisseau fonctionnaient parfaitement.
Mais ce que Crowley venait de dire était tellement ... absurde !
Le démon avait été lié à bon nombre d’évènements catastrophiques au fil des millénaires, une guerre n’était même pas surprenante dans la liste de ses réalisations.
Mais celle-ci, vraiment ?
Cette guerre absurde, atroce, qui avait vu plusieurs générations d’Hommes se massacrer, au nom d’un héritage ensanglanté ?
Cette guerre que bientôt, on surnommerait Guerre de cent ans.
Crowley y était-il lié ?
En était-il responsable ?
Comment était-ce possible ?
Aziraphale roula des yeux, et reprit une gorgée de sa bière, grimaçant devant son goût amer.
La qualité de l’alcool n’avait cessé de diminuer ces dernières décennies.
Comment étiez-vous supposé produire une boisson de qualité lorsque vos champs étaient rasés à tout bout de champ ?
Et ce n’était que la conséquence la moins grave de tout cet enfer.
Celui-ci l’ignora, vidant son verre d’un coup sec, avant de le remplir de nouveau d’un claquement de doigt. Fort heureusement, le duo était installé dans un coin peu fréquenté de la taverne – hasard ? Je ne crois pas – leur évitant d’être accusé de sorcellerie – une affirmation absurde, bien évidemment, mais que voulez-vous, les mortels n’étaient pas de cet avis, et pouvoir s’en sortir sans miracle serait chose impossible, or les deux êtres avaient ordre d’éviter toute interférence inutile..
Enfin, Aziraphale.
Les ordres de Crowley étaient de tout mettre en œuvre pour augmenter le joyeux bazar meurtrier en cours.
Une bagarre ensanglantée provoquée par l’apparition d’un démon ? L’Enfer ne le punirait pas, non, au contraire, il recevrait même certainement des félicitations.
En parlant de félicitations…
Aziraphale grimaça, et termina son verre, avant de le reposer plus brutalement qu’habituellement.
Aziraphale lutta désespérément contre l’envie de se pincer le nez.
Serait-ce vraiment considéré comme une faute par Gabriel s’il employait la magie pour les téléporter ? Après tout, on ne pouvait pas le blâmer pour éloigner un démon d’âmes innocentes, n’est-ce pas ? Et si le dit-démon parvenait à s’enfuir dans le combat qui s’en suivait, hé bien, Aziraphale ne pourrait réellement en être tenu pour responsable, puisqu’il n’était pas supposé employer sa magie trop puissamment en public.
N’est-ce pas ?
10.Parfum
Parc de Versailles, 1673
- Well, hello, my Lord Aziraphale, j’ignorais que vous visitiez notre sublime château. Est-ce un nouveau parfum que je sens sur votre peau ?
L’ange sentit une rougeur soudaine envahir ses joues.
Tournant la tête, il sentit sa rougeur augmenter en découvrant le sourire narquois de Crowley. Celui-ci était sublime, comme toujours, vêtu d’un ensemble noir et rouge purement diabolique. Sa longue veste noire tombait avec perfection autour de sa taille pour mieux la mouler, mettant en valeur son justaucorps noir décoré de fils de soie rouge et le pourpoint à la rougeur écarlate.
Aziraphale se mordit la lèvre, détaillant du regard les collants recouverts d’un rhingrave noir et rouge - des hauts-de-chausses en forme de jupe, et vraiment, c’était ridicule, Aziraphale n’avait jamais compris cette nouvelle mode, peut-être Crowley en était-il à l’origine ?
Des souliers à rubans dorés et un immense chapeau orné de plumes rouges complétaient l’ensemble, ainsi qu’une longue épée encastrée dans un épais fourreau. Une paire de lunettes noires dissimulaient ses yeux jaunes – quel dommage, vraiment, que Crowley ne puisse plus les afficher comme autrefois … Aziraphale ne put s’empêcher de remarquer l’absence de perruque – ah, il n’était donc pas le seul à ne pas apprécier cette nouvelle idée.
(Ridicule, vraiment, se dissimuler ainsi le crâne, ce n’était pas seulement inélégant, mais aussi fortement désagréable, surtout en été, c’était bien un détail qui ne lui avait pas manqué depuis la disparition des Pharaons, contrairement aux dattes, ah, quel sublime fruit..)
Crowley haussa un sourcil, en même temps que les deux hommes reprenaient leur marche, côte à côte.
Aziraphale lui jeta un regard écœuré.
Les yeux de l’ange s’illuminèrent devant la tentation.