Entrez dans la grande bibliothèque d'Hypnoweb. De très nombreuses fanfics vous attendent. Bonne lecture ! - Inscris-toi gratuitement et surfe sans pub !
Série : Good Omens
Création : 02.01.2022 à 14h48
Auteur : choup37
Statut : Terminée
« 6000 ans de relation, d'amour, de disputes, de réconciliations, de peur, d'épreuves communes. Ils en auraient des choses à raconter, l'ange et le démon, s'ils écrivaient leurs Mémoires.. » choup37
Cette fanfic compte déjà 31 paragraphes
21.Torture
Crowley sentit une vague de chaleur le traverser de haut en bas, en même temps que sa main se crispait sur l’accoudoir de son fauteuil. Avec difficulté, il étouffa un grognement, ses pupilles jaunes se dilatant jusqu’à quasiment faire disparaitre le vert de ses iris.
Face à lui, Aziraphale huma, son expression concentrée alors qu’il dégustait son morceau de crêpe, ses yeux clos sous l’extase. Ses dents mâchaient avec concentration, dévorant avec lenteur et délectation le mélange de pâte et chocolat liquide.
Crowley grogna.
Il le regretta instantanément lorsque l’ange ouvrit les yeux pour le dévisager, surpris.
Aziraphale haussa un sourcil, notant son agitation.
Les joues du démon étaient rouges, et ses lèvres presque violettes à force d’avoir été mordues. La tension qui émanait de lui était palpable, mais il ne semblait pas blessé, ou en quelconque danger.
Mais ses yeux … Ses yeux étaient presque entièrement jaunes, comme à chaque fois qu’il était sous le coup d’une vive émotion. Aziraphale pouvait les apercevoir derrière les lunettes noires, la flamme brulant en eux le dévisageant comme s’il était un parfait morceau de porc prêt à être dévoré.
Autour d’eux, le reste des clients discutaient avec animation, le son des couverts se mêlant à celui des mots échangés. Auraient-ils été chez eux, à la librairie, Crowley aurait pu envisager certaines… solutions, mais ils étaient en public, et Aziraphale ne lui pardonnerait jamais s’ils se retrouvaient accusés d’exhibitionnisme.
Mais c’était une telle torture.
Et Crowley était un démon, il s’y connaissait sur le sujet, ne serait-ce que parce qu’il avait marché sur la Terre depuis 6000 ans.
Les humains s’étaient révélés particulièrement… créatifs.
Dagon elle-même avait pris des notes pendant l’Inquisition espagnole.
Et elle avait créé la torture.
Cela ne voulait pas dire que Crowley en appréciait l’emploi, non. Pas la torture physique, en tout cas, pouah, il fallait être un véritable barbare pour aimer cela, quelqu’un comme Hastur ou Ligur, de vrais porcs, ceux-là, pourquoi avaient-ils été choisis comme modèles pour enseigner aux jeunes générations, vraiment ? Sérieusement, Crowley aurait fait un bien meilleur boulot, tout dans le psychologique, et la tentation, une bonne tentation, il n’y avait que cela de vrai, sonder l’âme de l’humain pour trouver ce qu’il désirait, ce qui lui manquait, ce dont il rêvait.. Et le lui offrir, lui en présenter la possibilité, brillante, brûlante, excitante, oh, Crowley pouvait se sentir sourire juste à y penser.
Regarder quelqu’un manger n’était pas supposé être une torture !
Manger était supposé être banal, ennuyeux, répétitif, humain.
Mais Aziraphale, ce misérable petit ange, cette sublime Principauté, ce bourreau des cœurs (mais surtout de celui de Crowley), Aziraphale parvenait à transformer l’expérience en torture.
Crowley n’était qu’un pauvre démon, qui avait été passé à la broche de manière répétitive depuis 6000 ans.
Et il n’avait même pas le droit de se défendre !
Ce n’était pas.. C’était agréable, en fait. Extraordinaire, même, de pouvoir regarder son ange déguster chacune de ses bouchées comme s’il s’agissait d’une ode à Dieu (ce dont il s’agirait certainement si vous demandiez son avis à l’ange en question, mais Crowley n’était pas assez fou pour le lancer sur le sujet, il voulait vivre, merci, et mourir de rire en face d’un Aziraphale outré ne se terminait jamais bien).
Crowley était une victime volontaire.
Mais uniquement s’il pouvait se défendre !
Faire disparaitre une partie du plat, changer le vin…
Ou pas.
Personne ne touchait au repas de l’ange.
Aziraphale deviendrait fou de rage.
(Oui, ce fait avait été établi par expérience ; une expérience douloureuse, qui faisait toujours frémir le démon à son simple souvenir, et non, il n’en parlerait pas, certaines choses devaient demeurer silencieuses)
Comme sa douleur en cet instant.
Aziraphale, le traitre, venait de saisir sa main, le dévisageant avec inquiétude. Le démon secoua la tête, et recula.
Il était faible. Il était tellement faible. Il serait tellement simple de rendre la monnaie de sa pièce à l’ange, Crowley disposait de toute une batterie de possibilités, mais Aziraphale serait tellement déçu, et Crowley ne supporterait pas d’être la cible de ces yeux bleus malheureux …
Crowley s’étouffa dans son rire.
Crowley se figea, avant de se pencher davantage en avant, plongeant son regard serpentin dans le sien, en même temps qu’il recouvrait sa main de la sienne, la caressant lentement. Aziraphale déglutit, mais ne recula pas, gardant leurs regards rivés l’un dans l’autre alors qu’il reprenait une bouchée de son dessert.
Le sourire de Crowley augmenta, avant qu’il ne porte sa main à ses lèvres. Celles-ci étaient chaudes, si chaudes, aussi chaudes que l’Enfer, et Aziraphale se sentit frissonner. Le sentiment augmenta lorsque la langue du démon jaillit, serpentine, pour mieux caresser sa peau.
Camlann
C’était la plus grande bataille humaine que le duo avait connue, depuis plusieurs siècles.
Les forces en jeu était si colossales, que l’avenir de cette partie du monde en dépendait.
Arthur, face à Mordred.
Aziraphale, contre Crowley.
Il n’aurait pas dû être surpris, vraiment, de découvrir le chevalier noir aux côtés du déchu. N’était-ce pas la raison même de sa présence ? Détruire le règne de paix et prospérité instauré par Arthur Pendragon ?
Il était un démon, après tout ; c’était sa nature même.
Et pourtant…
Le regard du démon, alors qu’il révélait la bataille à venir à Aziraphale, le hantait toujours.
Le chevalier noir avait été envoyé comme messager par Mordred afin d’annoncer le défi : l’ultime bataille, celle qui réglerait, une bonne fois pour toute, le bain de sang déclenché par la trahison de Lancelot et Guenièvre.
Pauvres gens.
Vous ne choisissiez pas de qui vous tombiez amoureux.
Aziraphale le savait mieux que personne.
Non.
Non, il ne penserait pas à cela.
Tout, sauf penser à cela.
La bataille des cœurs pouvait se révéler aussi violente et désespérée que la bataille des armes.
C’était un fait qu’Aziraphale avait appris maintes et maintes fois depuis bientôt 4000 ans.
Crowley avait été hanté.
Il ne souhaitait pas davantage la bataille à venir que l’ange, mais comme lui, il devrait jouer son rôle. Comme lui, il devrait suivre ses ordres.
Et ses ordres étaient de soutenir le trouble, alors que ceux d’Aziraphale étaient de le stopper, quel qu’en soit le prix.
L’ère de prospérité et d’union créée grâce à Arthur Pendragon allait prendre fin, et Aziraphale était impuissant pour empêcher sa chute.
La seule chose qu’il pouvait faire était de se battre contre ceux qui l’avaient provoquée.
Et Crowley en faisait partie.
Le duo avait été dans des camps opposés depuis des millénaires – c’était leur nature même, ange contre démon, Paradis et Enfer - mais ils avaient réussi à trouver un sol neutre et commun au fur et à mesure de leurs interactions.
Une amitié en était même née.
Un respect, réel, entre lui et Crowley, bien que souvent encore nié par l’ange.
Une affection de plus en plus forte, qui déchiraient leurs cœurs alors qu’ils se retrouvaient l’un en face de l’autre.
Car cette fois, il n’existerait pas d’échappée.
Cette fois, aucun plan rusé ne pourrait les empêcher de se déchirer.
Aziraphale sentit son cœur se serrer.
A plusieurs centaines de mètres, au milieu de la monstrueuse armée leur faisant face, il pouvait apercevoir une armure noire, juchée sur une monture aux poils aussi sombres que l’Enfer.
Aux côtés de Crowley se tenait un jeune homme aux cheveux noirs bouclés, vêtu d’une armure traditionnelle sur laquelle avait été glissée une écharpe noire.
Aziraphale renifla.
Les yeux bleus de Mordred, autrefois réputés pour leur beauté et leur intelligence, brillaient à présent d’une fureur froide qui aurait rendue fière Dagon.
Il n’existait aucun moyen pour que le garçon monte au Paradis.
Si ses précédents crimes n’avaient pas suffi, son alliance avec un démon avait signé son sort.
Aziraphale sentit une onde de culpabilité le saisir.
Mordred avait pensé bien faire en révélant la liaison entre la reine et le meilleur ami du roi.
Il avait pensé être loyal, et fidèle, et protéger le roi des traitres l’entourant. Du moins, c’est ce qu’il affirmait. Mais il avait aussi été jaloux, et orgueilleux, et cruel, et manipulateur, et ce bien avant sa trahison. Crowley l’avait défendu, rappelant qu’il était né d’une union interdite et donc honteuse, entre Arthur et celle qui n’aurait dû être que sa demi-sœur. Peu importait qu’il ignorait alors l’identité de la jeune femme, le crime avait été commis, et Mordred était né.
Mordred, qui avait été tourmenté toute sa vie par ses origines, et n’avait jamais eu la sensation d’être réellement intégré.
Mordred, qui dissimulait son mal-être derrière ses remarques acides.
Mordred, qui s’était rapidement senti mis à part et rejeté, même par les autres chevaliers.
Mordred, qui avait exprimé tout haut, ce que tout le monde savait déjà tout bas.
Une langue de serpent, derrière un visage d’ange.
A tellement d’égards, Mordred et Crowley étaient si semblables que cela en donnait la nausée à Aziraphale.
Le démon serait-il devenu similaire sans l’influence positive de l’ange ? Non, son cœur avait toujours été bon, bien que tourmenté et rageur. Du moins, c’est ce que la Principauté s’était toujours répétée, ne serait-ce que pour justifier son alliance contre-nature avec lui.
Mais Mordred..
Quelque chose avait été brisé en l’enfant dès sa naissance.
Le crime incestueux de ses parents avait terni à jamais son âme.
Et le diable y était entré les portes grandes ouvertes.
Mordred… Mordred était une menace, réelle, physique, imminente. Il devait être stoppé, quel qu’en soit le prix.
Aziraphale pouvait seulement prier pour que Crowley lui pardonne.
*-*
Le sang, la mort et la violence, partout autour de lui.
Crowley aurait dû exulter, mais il avait trop mal pour y penser.
Il n’avait pas pensé que ses fourberies provoqueraient une telle catastrophe.
Il s’était retrouvé en Mordred. Il s’était reconnu en lui, si, si facilement. L’enfant brillant, brisé par une famille qui l’avait trahie, au lieu de l’aimer. Une âme désespérée de comprendre, et d’apprendre, rejetée dans la poussière et les larmes.
Mordred était orgueilleux.
Mordred était ambitieux.
Mordred était amoureux.
Tous les péchés préférés de Crowley, vraiment.
L’influencer avait été si simple, et si rapide. La graine déjà présente avait germé, se développant avec une facilité qui aurait dû alarmer le démon.
Mais il était déjà trop tard lorsqu’il avait reconnu la folie du garçon pour ce qu’elle était : la trahison avait été effectuée, la Table ronde autrefois prospère brisée.
Il était temps d’en finir.
Il n’était plus temps de fuir.
Crowley avait déjà reçu les félicitations des Bas-Fonds pour avoir influencé avec succès le fils bâtard d’Arthur Pendragon vers la destruction du royaume.
Car quoi qu’il arriverait à présent, il en était fini de la Table ronde.
Crowley aurait réussi à étouffer son malaise à cette pensée, si Aziraphale n’avait pas fait partie de l’assemblée.
L’ange avait été dévasté.
Cette union des royaumes l’avait tant fait rêver.
Il y avait tellement travaillé.
Et voilà que Crowley, indirectement, la détruisait.
Il pouvait apercevoir l’ange, à l’autre bout du champ, vêtu de son éternelle armure blanche, identique à la couleur des poils de sa monture. Crowley aurait presque pu croire qu’il s’agissait d’une licorne, s’il n’avait pas manqué la corne, et que, bien sûr, les licornes n’avaient pas été éteintes depuis des milliers d’années (une autre catastrophe, à une autre époque – Crowley n’y était absolument pour rien cette fois, mais il avait été là aussi impuissant à l’empêcher, et pourquoi fallait-il qu’il pense à cela maintenant, vraiment ?!).
Aziraphale aimait Arthur comme son propre fils.
Il avait été présent depuis le début de son ascension, présent à chaque étape, chaque victoire, chaque échec.
Il était autant une part de la Table ronde que son illustre souverain.
Sa présence et sa sagesse avaient permis au jeune roi inexpérimenté de rassembler autour de lui une foule plus variée que Crowley n’en avait jamais vu depuis des siècles– depuis la tour de Babel, et les heures de gloire de Rome.
Aziraphale avait dédié les dernières décennies de sa vie à Camelot.
Sans aucun doute, l’ange devait le détester.
Il ne pouvait qu’espérer qu’un jour, il lui pardonnerait.
*-*
La bataille faisait rage, mais aucun combat n’était plus violent que celui opposant les deux entités.
Autour d’eux, un large fossé s’était créé, alors que leurs épées s’entrechoquaient, la violence des coups empirés par la nature magique des combattants.
La bataille n’était pas que professionnelle.
Elle était aussi personnelle.
Les coups échangés parlaient de loyauté, de rage et de chagrin.
La douleur, d’être encore une fois opposés.
La douleur, de ne pas avoir su s’écouter.
La douleur, de s’être trahis, mutuellement.
La douleur de devoir se battre l’un contre l’autre, tout le temps.
Je suis désolé.
Un instant de répit, pour mieux respirer. Crowley souffla, haletant, avant de remonter la visière de son heaume. Il n’avait jamais été un aussi bon combattant qu’Aziraphale, qui, malgré sa nature généreuse, demeurait une Principauté.
Se battre pour protéger était la raison pour laquelle il avait été créé.
Protéger qui, protéger quoi, Crowley aurait pu en débattre des heures. Il avait un avis assez poussé sur la question, en réalité, mais ce n’était définitivement pas le moment pour en parler, pas alors que l’ange en question abattait furieusement son épée sur lui à chaque instant.
Le dit-ange s’immobilisa à son tour, avant de redresser aussi sa visière. Yeux bleus contre yeux jaunes, la beauté du Ciel face à la violence de l’Enfer. Crowley inspira profondément, avant de tousser, épuisé :
Oh, le sujet était beaucoup trop familier.
Et que dire de la peine dans le regard de Crowley.
Non, Aziraphale n’était pas surpris, qu’il se soit rangé aux côtés des chevaliers rejetés.
Comme toujours, Crowley exprimait le fond de sa pensée.
Et malheureusement, comme toujours, une part silencieuse d’Aziraphale ne pouvait s’empêcher d’écouter, et approuver.
Le démon le dévisagea, avant de lâcher un rire purement infernal. Levant le bras, il pointa de sa lame le champ de bataille.
Un hurlement plus fort que les autres les figea sur place.
Un autre suivit, aussi violent.
Le silence, brutal, insupportable, cruel, envahit la plaine, alors qu’autour d’eux, les combattants survivants s’immobilisaient.
Un froid soudain envahit les veines du duo.
*-*
Dans les années suivantes jaillirait un débat entre les chevaliers survivants de la bataille.
Certains affirmeraient qu’une explosion avait retenti, alors que le roi et son fils s’effondraient ensemble au sol.
D’autres expliqueraient que cette explosion avait été causée par l’apparition soudaine d’un ange et d’un démon, traversant le ciel à une vitesse dépassant toute imagination pour mieux se poser aux côtés des deux mourants.
Certains, plus rares, affirmaient que l’un d’eux était Messire Aziraphale.
Tous s’accorderaient sur le fait que leurs sanglots avaient résonné sur l’ensemble du champ de bataille, stoppant pour de bon les combats restants.
Si l’ange tenait en ses bras le roi Arthur, le démon serrait contre lui son fils maudit.
Crowley ne pleurait jamais.
Du moins, c’est ce qu’il affirmait.
Mais cette fois, il n’avait même pas essayé de le dissimuler.
Mordred lui adressa un sourire fatigué.
Le visage du roi était tout aussi épuisé, mais son expression se fit déterminée, alors qu’il levait la main en direction du plus jeune. Mordred cligna des yeux, et recula instinctivement.
Le regard de Crowley croisa celui de l’ange.
Soupirant, il enterra sa rancœur, et enveloppa la main du banni de la sienne, la dirigeant vers celle du roi.
Crowley vit l’exact instant où l’ange ferma les yeux à son tour, pressant ses paupières désespérément.
C’était l’instant où il sentit l’âme d’Arthur Pendragon quitter l’astre physique à tout jamais.
Un hurlement de douleur terrifiant explosa sur la plaine.
Crowley eut à peine le temps de se téléporter avec le corps de Mordred avant que l’onde de choc ne le frappe, ravageant tout sur son passage.
Lorsque les chevaliers osèrent enfin rouvrir les yeux, ce fut pour découvrir un cratère fumant, là où quelques instants auparavant, s’étaient tenus un ange, un démon, et deux humains maudits par la vie.
23. Lit
Crowley aimait dormir.
C’était un fait qu’Aziraphale avait découvert très rapidement au début de leur relation, ou plutôt, comme ils l’auraient davantage appelée à l’époque, leur accointance.
Crowley aimait dormir, et Crowley aimait dormir au chaud.
Il était un serpent, après tout, il n’était pas fait pour rester trop longtemps dans une zone froide et humide.
Malheureusement, le démon n’avait pas toujours eu l’opportunité de satisfaire à ses besoins.
Dormir au chaud était un luxe auquel il n’avait pu longtemps accéder que pendant la journée, dans une zone déserte, et encore plus rarement, s’il était chanceux, sous un arbre, ou n’importe quelle zone fraiche végétale disponible.
Cela faisait l’affaire. C’était agréable, de dormir à l’ombre d’un arbre, ou dans un arbre, et encore plus si une source d’eau fraiche se trouvait à coté – Crowley était très rapidement devenu fan des oasis.
Mais vraiment, le fun disparaissait complètement à la nuit tombée.
Ce n’était parce que le corps du démon était par définition celui d’un animal à sang froid, étant un reptile, qu’il appréciait de dormir dans des températures glaciales !
Même terré sous le sol, ou dans un buisson épais, Crowley était impuissant pour empêcher sa température interne de chuter aussi vite que celle de l’environnement l’entourant.
La température du corps d’un serpent, avait-il rapidement appris à ses dépens, dépendait de celle de l’air ou du sol. C’est pourquoi Crowley détestait le froid : il avait besoin de chaleur pour accumuler de l’énergie et être actif. Il n’y avait aucun moyen pour lui d’être au top de sa forme dans une région froide ou humide, voire les deux ! Pouah !
Malheureusement, à moins de mettre le feu à son environnement, le démon ne disposait d’aucune manière de se réchauffer. Alors il avait appris à fuir les zones les plus déplaisantes, et à se terrer sous le sol la nuit, dans une vaine tentative d’échapper au froid.
Crowley avait été fou de joie lorsque les humains avaient commencé à construire des abris, qui étaient rapidement de plus en plus complexes.
Il faisait chaud dedans : des couches épaisses de pierre ou terre séchée étaient rassemblées pour construire des murs, empêchant le froid de rentrer. Des peaux de bêtes recouvriraient le sol, et dans un coin sécurisé de la pièce, un feu ardent brulerait dans un foyer de pierres.
Crowley avait décidé que cette invention – la maison – était une des meilleures idées de l’humanité.
C’était jusqu’à ce qu’il découvre ce qu’était un lit.
Le lit était la tentation incarnée.
Les lits étaient chauds, et solides, et surélevés.
Loin, loin du sol froid, et sale, et humide.
Crowley adorait les lits.
Il en avait essayé des millions depuis leur invention.
Mais aucun d’eux n’arrivait à la hauteur de son lit actuel.
Ce lit avait une particularité unique.
C’était le lit qu’il partageait avec Aziraphale.
Et Crowley n’en aurait changé pour rien au monde.
Qu’il y dorme seul, enveloppé de l’odeur de l’ange, ou avec celui-ci, lové entre ses bras, son visage posé sur son torse ou niché sous son cou, qu’ils y paressent ensemble pendant des heures, ou se perdent passionnément dans le corps de l’autre ….
Le lit demeurerait chaud, fort et solide.
Le bois pouvait trembler sous leurs assauts, mais jamais il ne se briserait.
Les oreillers rougiraient, et le matelas couinerait, mais jamais ils ne faibliraient.
Peut-être un miracle, et beaucoup de menaces, avaient été employés pour s’assurer de leur efficacité.
Peut-être, ou peut-être pas.
Peut-être était-ce simplement un lit de qualité, choisi ensemble par un couple d’êtres éternels après l’Apocalypse-qui-aurait-dû-mais-n’avait-pas-eu-lieu.
Domestique, dites-vous ?
Prenez garde, Crowley vous brulerait la langue.
Mais Aziraphale sourirait, et rougirait adorablement.
Aziraphale avait promptement décidé, lorsque le démon avait finalement officialisé son installation dans son appartement, que son lit actuel ne convenait plus.
Ce n’était pas une question de taille, non, l’ange possédait un lit large et confortable, et il pouvait toujours l’agrandir d’un claquement de doigts, si besoin.
Mais il ne l’avait jamais réellement employé, à vrai dire : Aziraphale n’arborait aucune passion pour le sommeil, voyez-vous, contrairement à un certain démon, et la seule raison pour laquelle il avait acheté ce lit, voilà plusieurs décennies, était par principe.
Mais maintenant que Crowley avait officiellement emménagé, Aziraphale ne pouvait s’empêcher de le percevoir encore davantage comme un simple objet froid et sans âme.
Le lit ne lui convenait plus.
Crowley méritait mieux.
Crowley et lui méritaient mieux.
Et puisque rien n’était trop beau pour son serpent, Aziraphale avait décidé de lui offrir le meilleur.
Et comme il n’était lui-même qu’un incurable romantique, il n’avait pu s’empêcher de choisir un lit bien particulier.
Crowley l’avait dévisagé, les joues recouvertes de larmes alors qu’il riait, non, ricanait derrière son poing.
Aziraphale l’avait fixé, boudeur.
La manière dont l’ange avait prononcé ‘moderne’ avait provoqué une nouvelle crise de fou rire chez le démon, avant qu’il ne saisisse les mains d’Aziraphale, les serrant tendrement entre les siennes.
Un incurable romantique.
Il était tombé amoureux d’un abruti de romantique.
Damn.
Et il adorait cela, en plus.
Aziraphale avait haussé les épaules, mais il n’avait pas retiré ses mains des siennes.
Le démon l’avait embrassé une nouvelle fois passionnément, et le sujet avait été clos.
*-*
Crowley adorait leur nouveau lit.
Aziraphale adorait y passer du temps avec lui.
L’ange avait découvert les plaisirs de la lecture au lit, dans un pyjama rayé, une tasse de thé posée sur sa table de nuit et un serpent enroulé autour de son cou.
Ou bien de sa taille.
Ou de ses jambes.
Crowley avait décidé que leur matelas était certes confortable et agréable, mais que rien n’égalait un Aziraphale sur lequel dormir.
Son visage posé sur le ventre de celui-ci, son bras enroulé autour de sa taille, le démon ronflait, la peau dorée de son dos illuminée par un rayon de soleil. Ses mèches rousses en bataille recouvraient son front, dissimulant en partie ses yeux.
Aziraphale sentit une vague de tendresse le submerger.
Son terrible démon, endormi comme un nouveau-né.
Le symbole même de la tentation.
Aziraphale sourit, et tendit la main, caressant gentiment ses cheveux.
Le démon ronronna, et l’ange rit doucement.
Ce lit avait été une idée merveilleuse.
Peut-être devrait-il céder à la demande de Crowley, et acheter davantage de coussins.
Le démon en serait certainement extatique.
Et ce n’était pas comme si Aziraphale pouvait lui refuser quoi que ce soit, n’est-ce pas ?
24.Epée
- Tu as quoi ?!
- Je l’ai donnée !
Un abruti. Il était tombé sur un abruti. Un abruti généreux, et déterminé, et au regard bleu comme le ciel et…
Il l’avait donnée.
Aux humains.
Pour les protéger ?
Quelle sorte d’ange faisait cela ?!
Certainement pas ceux qui avaient projeté Crawley hors du Paradis.
Mais comme il l’apprendrait dans les six mille ans à venir, Aziraphale ne ressemblait en rien à ses frères et sœurs.
*-*
Dissimulé derrière un buisson, Crawley regardait l’ange – Aizraphale – entrainer l’humain mâle – Adam.
Son expression était douce et bienveillante, mais concentrée.
Adam lui avait demandé de lui apprendre à employer l’arme qu’il lui avait fournie, et la Principauté avait immédiatement accepté, enthousiaste.
Crawley n’était vraiment pas surpris.
La nature même de l’ange était de protéger et guider.
Alors pourquoi Crawley était-il si fasciné ?
Il aurait dû être écœuré, dégouté par sa présence, et irrité de le voir apprendre à sa cible à se défendre.
Mais il ne pouvait s’empêcher de l’observer.
Il devait l’admettre, une part de lui-même qu’il n’aimait guère écouter se sentait soulagée. Il avait toujours un brin culpabilisé depuis la chute des humains : il n’avait vraiment pas pensé qu’Elle en arriverait à de telles extrémités, ils étaient ses nouveaux favoris, après tout, mais vraiment, il n’aurait pas dû être surpris.
Certaines choses ne changeraient jamais.
Au moins, l’ange – Aziraphale – apprenait aux humains à se protéger.
Crawley espérait qu’il ne leur viendrait pas l’idée de l’utiliser pour s’entrainer.
Malheureusement, avec sa chance, c’est exactement ce qui était arrivé.
*-*
Mésopotamie, 4000 ans avant JC
- Toujours pas d’épée ?
Aziraphale sursauta, tous ses sens angéliques en alerte alors que la voix démoniaque retentissait derrière lui. Dans un mouvement supposé être menaçant, mais qui se révéla surtout embarrassant, il se retourna sur lui-même, pour découvrir un démon amusé.
Adossé au mur en face de lui, Crawley le dévisageait, les bras croisés.
Ses cheveux roux tombaient en cascade dans son dos, créant une mer rouge sur sa longue tunique noire.
Aziraphale fronça les sourcils, et tira instinctivement sur sa manche, se redressant dans une tentative d’arborer une posture menaçante.
Pas du tout vexé par son hostilité, le démon lui adressa un clin d’œil, avant d’hausser un sourcil. Aziraphale se rappela soudainement qu’il lui avait posé une question, et secoua la tête.
Un long sourire apparut sur les lèvres du démon, et il se redressa, se rapprochant lentement. Aziraphale se tendit.
Crawley fit un geste vague de la main.
Aziraphale fronça les sourcils.
Crawley renifla.
Avant qu’Aziraphale ait eu le temps de répliquer qu’il n’avait pas besoin d’obtenir quoi que ce soit, le démon avait pivoté sur ses pieds, disparaissant dans l’ombre des ruelles alentour.
*-*
Fidèle à sa parole, Aziraphale avait continué de refuser de porter une épée pendant plusieurs millénaires.
Bien que celle-ci soit un symbole évident de pouvoir dans le monde en développement, la Principauté estimait ne pas en avoir l’utilité. Son pouvoir lui venait des Cieux, et lui conférait de fait une prestance naturelle : son aura bienveillante et généreuse attirait les foules, lui permettant de les guider et encourager pacifiquement vers la bonne voie. Et si par malheur un humain se révélait hostile, Aziraphale n’avait besoin que d’hausser un sourcil pour l’effrayer, ou, dans le pire des cas, de claquer des doigts pour murmurer dans son oreille.
L’épée d’Aziraphale était sa voix.
Crowley avait transformé la sienne en arme de séduction et tentation, ce qui était finalement presque la même chose, mais pas non plus tout à fait. Ses mots lui permettaient de convaincre, séduire, tenter, travailler. Ils lui permettaient aussi de survivre en Enfer, jusqu’à ce qu’ils ne soient plus suffisants, et c’était là que les lames intervenaient.
Crowley avait appris contre son gré à être toujours armé, en toutes circonstances.
*-*
Cour du roi Arthur, Camelot
Les lames frappaient si fort l’une contre l’autre que les murs de la cour en tremblaient.
Dissimulés plus ou moins efficacement derrière les piliers, la foule observait le duo s’entrainer.
Le populaire chevalier blanc, contre le mystérieux inconnu ayant sauvé messire Mordred d’une attaque impromptue dans les bois.
Autant dire que la cour était fascinée.
L’homme n’avait toujours pas retiré son heaume, mais les rumeurs couraient déjà bon train.
Était-ce un prince dissimulé ? Un ange venu les tester ? Un lointain ami de Messire Aziraphale ?
Le sourire du chevalier en entendant l’inconnu parler avait été éclatant.
Et l’embrassade qu’il lui avait donnée en avait fait rougir plus d’un.
Crowley, l’avait-il appelé.
Crowley maniait l’épée à la perfection, mais se battait comme un homme habitué à défendre sa vie.
Son style était rude, mais aussi fin et rusé ; sauvage, et manipulateur.
Messire Aziraphale n’en semblait ni surpris, ni gêné.
Au contraire, il apparaissait même amusé.
Certains pensaient même qu’il s’y attendait.
Leurs rires résonnaient alors qu’ils se battaient, leur affection évidente.
L’échange apparaissait moins comme un combat que comme une danse.
Les plus ouverts d’esprits et plus intelligents des observateurs souriaient, hochant silencieusement la tête alors qu’ils reconnaissaient la danse pour ce qu’elle était.
Après tout, les Saxons pratiquaient la même pour séduire leurs épouses.
Un murmure traversa la foule lorsque l’épée d’Aziraphale traversa l’air le séparant de Crowley d’une vive courbe, surprenant celui-ci et le faisant tomber à terre. Le démon s’étala de tout son long dans l’herbe, haletant. Il se figea un instant, avant qu’un rire ne lui échappe, et augmente lorsque l’ange posa son épée sur son torse.
Crowley grogna, faisant craquer son dos.
Les yeux d’Aziraphale s’illuminèrent, alors qu’il sentait le reste de son offense disparaitre à la perspective d’un repas avec son ami.
Crowley lui lança un clin d’œil, même s’il ne pouvait pas le voir.
Le fou rire du démon résonna dans toute la cour, faisant frémir la foule.
Le rire se transforma en ricanement, et continua tout le temps que prit le duo pour remonter vers les balustrades. Pendant tout ce temps, l’expression d’Aziraphale passa de gênée à irritée à amusée à attendrie à absolument innocente, ce qui était un miracle en soi-même et un qui donnerait lieu à de nombreux débats dans la cour du roi.
L’ange haussa un sourcil, le défiant silencieusement du regard. Le démon secoua la tête, mais il n’avait jamais été aussi heureux de porter son heaume.
De cette manière, personne ne pouvait voir le sourire stupidement tendre qu’il arborait.
2900 avant JC, Memphis, Egypte
Aziraphale se figea en découvrant son ami… ennemi… allié ? … compagnon en train de se frotter désespérément le dos contre le mur de son salon, des grognements bestiaux tombant de ses lèvres.
Le démon grogna et siffla lorsqu’il attrapa son bras, l’éloignant du mur, mais l’ange ne recula pas, déterminé à le protéger. Finalement, le roux le repoussa, avant de s’éloigner, son expression boudeuse et irritée.
Aziraphale fronça les sourcils en découvrant l’état de son dos : Crawlay ne portait que le pagne traditionnel, laissant son dos et ses épaules à l’air libre. Leur couleur ordinairement magnifiquement bronzée était abimée par de longues traces rouges – les marques des frottements furieux du démon.
Celui-ci avait saisi un pichet et un gobelet, se servant une longue rasade de la boisson, avant de reposer le gobelet sèchement sur la table. Après un instant de doute, il en saisit un second, le remplissant à ras-bord avant de se tourner vers Aziraphale pour le lui offrir silencieusement. L’ange le prit avec un sourire, et Crawley sembla se détendre légèrement. Aziraphale garda ses yeux rivés sur lui alors qu’il portait le gobelet à ses lèvres : un grognement de plaisir lui échappa en découvrant la fraicheur de la boisson.
Celui-ci haussa les épaules.
Crawley sourit de nouveau, levant son gobelet miraculeusement rempli en sa direction.
L’expression du démon se renferma sur elle-même, et il se détourna.
Un couinement effrayé lui échappa lorsque le blond saisit son bras, l’immobilisant, avant de tracer la peau de son dos du bout de ses doigts. Crawley frissonna en sentant une onde de chaleur soudaine le traverser – ladite chaleur n’étant pas uniquement provoquée par la guérison miraculeuse de ses plaies.
Crawley se mordit la lèvre, une rougeur soudaine envahissant ses joues en même temps que son embarras et sa honte faisaient leur réapparition.
Il ne pouvait pas lui dire.
C’était trop…
Honteux. Intime. Personnel.
Mais l’ange le fixait de son regard bleu, ces mêmes yeux aussi bleus que le ciel, et il y brillait tant d’inquiétude, et de gentillesse, et Crawley n’avait jamais su leur résister, surement, l’ange ne se moquerait pas ? Ce n’était pas comme si c’était la faute de Crawley, n’est-ce pas ?
Crawley le fusilla du regard, avant de grogner très bas :
Sa question mourut dans sa gorge, en même temps que la réponse apparaissait dans son esprit.
A qui donc le démon était-il supposé demander de l’aide ?
Les ailes étaient un sujet des plus intimes parmi les anges, et celui de leur nettoyage et entretien était encore plus privé. Demander de l’aide requérait une confiance élevée en la personne et ses capacités, mais aussi une certaine intimité.
Vous ne montriez pas vos ailes à n’importe qui.
A qui Crawley était-il supposé demander de l’aide ?
Vers qui était-il supposé se tourner ?
Aziraphale pouvait toujours retourner au Paradis, même si la perspective ne l’enthousiasmait pas. Mais Crawley ?
Crawley n’avait personne.
Avait-il seulement pu réellement les entretenir depuis sa chute ?!
Aziraphale sentit la nausée lui monter au nez.
La proposition avait jailli sans réfléchir de ses lèvres, et il se sentit rougir immédiatement. Crawley le dévisagea, ahuri, avant qu’une couleur rouge similaire ne recouvre son visage et son cou.
Et il semblait si bouleversé, réellement bouleversé, à l’idée que Crawley n’ait pas pu obtenir d’aide pour réaliser quelque chose d’aussi essentiel, d’aussi simple, que le démon sentit quelque chose en lui se tordre.
Aziraphale avait toujours été trop gentil.
Mais c’était ce qui ne cessait d’attirer le démon vers lui.
Crawley haussa les épaules, tentant d’afficher une expression nonchalante.
Crawley haussa un sourcil, mais le laissa l’entrainer vers la table, avant de se laisser tomber sur le tabouret. Il prit soin de grogner, grommeler et pester, affirmant haut et fort qu’il s’en sortait très bien tout seul, merci bien, il était un démon, par Satan, il n’avait pas besoin d’aide, mais sa voix mourut dans sa gorge lorsqu’Aziraphale fit apparaitre une fiole d’huile.
Un tremblement soudain le saisit, et il détourna la tête, son visage brulant sous la gêne.
Il allait réellement le faire. Il allait réellement nettoyer ses ailes. Cet abruti, cette andouille, cet angelot beaucoup trop gentil pour être vrai..
Un couinement désespéré lui échappa, et dans un claquement sec, ses ailes apparurent, noires, énormes et abimées.
Et si, si noires.
Noires comme le démon qu’il était.
Noires comme le mal qu’il incarnait.
Aziraphale ne les avait plus vues depuis le Déluge, et avant cela, leur première rencontre, il y avait bien longtemps maintenant, sur le mur du jardin d’Eden. Il n’avait jamais eu, ou pris, le temps de les examiner réellement, et une part de lui qui n’aurait vraiment pas dû exister commença à se tortiller d’enthousiasme à l’idée de pouvoir les découvrir en détail.
Avec fascination, il se rapprocha, fixant avide les deux énormes ailes.
Crawley demeura silencieux, lui tournant déterminé le dos.
Ses ailes étaient si hideuses.
Il n’y avait plus moyen de le cacher, à présent.
Aziraphale allait fuir, l’insulter, se moquer, le…
Crawley ne pensait réellement pas qu’il était possible de mourir d’avoir trop rougi.
Mais il était en très bonne voie de le faire.
Pourquoi est-ce que sa gorge le serrait autant ? Il devait être sous l’effet d’un sort, car il pouvait aussi sentir ses yeux commencer à s’humidifier contre son gré.
Aziraphale ignora sa menace, ouvrant le flacon d’huile avant de s’en recouvrir généreusement les mains. Prenant une profonde inspiration, il tendit la main vers Crawley, la posant lentement sur son aile. Le démon grogna, se tendant instinctivement, et Aziraphale huma, la caressant gentiment, avec une révérence qu’il ne montrait d’ordinairement que pour les choses les plus sacrées.
Un tremblement violent saisit Crawley, ses mains saisissant le bord de la table.
Il n’avait pas pu se retenir. Le gémissement était sorti naturellement alors qu’Aziraphale commençait à masser gentiment une de ses plumes.
Satan, cela allait être gênant.
Crawley inspira profondément, se résignant à sa perte de dignité en cours, alors que son compagnon continuait son travail, entreprenant la tâche dantesque de nettoyer ses ailes.
*-*
C’était comme être de retour au Paradis.
Pendant quelques heures, Crawley se laissa bercer de cette illusion alors que les doigts d’Aziraphale s’activaient, caressant, grattant, tournant, nettoyant, recouvrant d’huile, chaque millimètre carré de ses plumes.
Dessus, dessous, de haut en bas, puis de bas en haut, jusqu’à ce que toute trace de sueur, saleté, poussière, impureté quelconque disparaisse, remplacée par deux ailes luisantes sous le soleil.
Les doigts de l’ange étaient plus doux qu’une rivière de soie, leurs mouvements tendres et emplis de précaution alors qu’ils bougeaient, prenant soin de limiter au maximum la gêne rencontrée par le démon.
Il n’aurait vraiment pas dû s’inquiéter.
Crawley était au Paradis.
(Même si, bien évidemment, il le nierait haut et fort si vous lui demandiez, mais comme ce n’était pas le cas, il demeurerait silencieux, merci bien)
Et non, il n’avait en aucun cas perdu le contrôle de ses émotions.
Il avait simplement été pris par surprise.
Un démon n’était pas habitué à ce qu’on lui montre de la gentillesse, du soin, ou de la tendresse.
Les tremblements et hoquets étouffés ou autres gémissements dont était victime son vaisseau n’étaient dû qu’à ce manque d’habitude.
Absolument rien d’autre, et il l’avait exprimé clairement à Aziraphale.
Celui-ci avait roulé des yeux, avant d’humer et caresser une de ses plumes.
Aziraphale ne répondit pas, mais une ombre d’orgueil apparut sur ses lèvres.
Celui-ci sourit, son expression se faisant tendre, et replaça gentiment une plume à sa place.
26. Femme
Homme ou femme, les anges n’avaient par définition aucun sexe.
Ils étaient des êtres éthérés par essence, après tout.
Cette vérité s’appliquait aussi aux démons.
Ou du moins, aux premiers démons, ceux tombés du Paradis, après la Guerre.
Les démons comme Crowley.
Lui et Aziraphale devaient employer des vaisseaux afin de pouvoir se déplacer sur Terre. Les architectes ne disposant originellement que de deux modèles, la majorité de ces vaisseaux étaient exclusivement masculins, ou féminins.
(Il faudrait attendre plusieurs siècles, et un stade suffisamment développé de l’humanité, pour que l’architecte en chef puisse enfin développer des modèles aux origines plus variées)
(Le concept de race était totalement absent au Paradis, mais les anges étaient des êtres scrupuleux, et il s’agissait d’un des rares rapports envoyés par Aziraphale à être réellement lu)
(L’Enfer avait rapidement suivi, lorsque Crowley leur avait révélé l’avance prise par les emplumés sur le sujet brulant de l’infiltration)
Au fil des millénaires, l’ange et le démon s’étaient attachés à leur vaisseaux, et l’apparence qu’ils leur conféraient.
Une différence notoire était rapidement apparue entre eux, cependant.
Là où Aziraphale mettait toute son énergie à respecter le vaisseau originellement confié – Eurasien, blond, des yeux bleus et de jolies rondeurs qui feraient bientôt tourner la tête d’un certain démon – Crowley semblait s’amuser à modifier son apparence au fur et à mesure de l’évolution des modes.
C’était une question d’infiltration, avait-il un jour affirmé à Aziraphale, un point nécessaire pour pouvoir se fondre dans la foule et les différentes cultures rencontrées.
L’un de ces points consistait notamment à adapter sa coupe de cheveux.
Un autre, plus rare, était de modifier son sexe.
Le vaisseau de Crowley était par définition même androgyne.
Une taille fine, de longs cheveux, un corps mince et taillé pour la danse … Aux yeux de nombreuses civilisations, le démon possédait davantage d’agréments féminins que masculins.
Une certaine petite fille du XXIème siècle, qui deviendrait amie avec un petit garçon destiné à devenir l’Antéchrist (mais qui sauverait en réalité le monde) estimerait ce fait sexiste.
Crowley l’appelait utile.
Cette apparence située entre deux mondes, comme il aimait l’expliquer, lui avait permis de réussir avec succès de nombreuses missions – entendez, séduire avec facilité rois, généraux, et autres puissants (ou puissantes, Crowley était un démon, il n’avait pas de préjugés, du désir était du désir).
(Il était le créateur de la tentation, damnit)
Au cours des millénaires, il avait créé de nombreuses identités féminines selon ses besoins ou envies du moment. Son identité était fluctuante, et non pas écrite dans la roche. Pourquoi se limiter à une seule personnalité alors que des dizaines de variations possibles étaient à sa disposition ?
Bien qu’il ne l’admettrait jamais à voix haute, une de ses identités favorites avait été Nanny Ashtoreth.
L’une des raisons était qu’elle lui avait permis de vivre sans interruption aux côtés d’Aziraphale, pendant six ans.
Crowley avait adoré ces six années.
Eduquer Warlock avait été épuisant, angoissant et frustrant, mais passionnant.
Sous son apparence féminine, personne ne s’étonnait de le voir délivrer autant d’affection à un enfant. Et il pouvait échanger librement avec Aziraphale, sous le prétexte qu’il ignorait qu’il s’agissait d’un agent du Paradis.
Aziraphale – Frère Francis – avait été fasciné par son apparence féminine.
Crowley devait l’admettre, il en avait été particulièrement fier.
Ashtoreth était sombre, manipulatrice, et acide.
Elle était aussi profondément aimante et plus maternelle que Crowley n’aurait aimé l’admettre, mais Aziraphale – Frère Francis – semblait prendre un malin plaisir à le lui rappeler.
Ashtoreth haussa les épaules.
Frère Francis plissa le nez, sa frustration évidente.
Crowley avait toujours adoré les enfants, et les enfants avaient toujours adoré Crowley.
Sous cette identité, rien ne l’empêchait de laisser libre cours à cette part de sa personnalité.
Warlock connaitrait plus de mauvais tours que tous ses futurs camarades de classe réunis.
Certaines choses ne changeraient jamais.
Francis rit doucement en regardant la rousse courir comme une furie vers le petit garçon.
Aziraphale ne pouvait décemment pas rester insensible devant une telle scène de torture.
Aziraphale riait trop fort pour le voir.
Ashtoreth fit semblant d’y réfléchir pendant quelques instants. Warlock en profita pour échapper à sa prise, et s’assoir sur ses épaules, ses deux petites jambes pendant de chaque côté du visage du démon. Un petit cri lui échappa lorsque la rousse tourna la tête à la vitesse de l’éclair, faisant semblant de mordre son mollet.
Aziraphale ouvrit la bouche pour accepter avec enthousiasme, mais ses mots moururent dans sa gorge lorsque Ashtoreth battit légèrement des cils, son expression se faisant mutine.
Maudit soit Crowley et ses ridicules tentatives de séduction ! Son ami était déjà d’une efficacité insultante en temps ordinaire, mais sous cette apparence féminine ?
Personne ne saurait lui dire non.
Aziraphale n’avait pas le choix, il se devait de le surveiller, pour protéger les âmes environnantes, et encore plus celle du jeune Warlock.
Du moins, c’est ce qu’il affirmerait à ses supérieurs si on lui posait la question.
Mais comme ce n’était pas le cas, il se contenta de lier galamment son bras à celui d’Ashtoreth, avant de tapoter le mollet de Warlock.
A ce stade de leur vie, Crowley et Aziraphale ne pouvaient pas encore afficher librement leur affection l’un pour l’autre.
Frère Francis et Nanny Ashtoreth, cependant, n’avaient aucun problème pour filer le parfait amour.
27.Explosion
L’explosion avait retenti si vite qu’il n’avait pas eu le temps de l’anticiper.
Crowley avait été projeté sur le trottoir, plusieurs mètres en arrière.
Il s’était redressé, hébété, pour découvrir la librairie en feu.
Le feu, cruel, moqueur, violent, le feu grondait, dévorant la librairie.
La librairie de son meilleur ami.
La librairie de…
Il avait couru, couru plus vite qu’il ne l’aurait cru possible. Couru en hurlant, en appelant, mais il n’y avait personne, personne à secourir, la librairie était vide, Aziraphale était parti, ils le lui avaient pris…
Où était-il ? Il devait être là, il ne pouvait qu’être là, où était-il ?!
Le démon pivota sur lui-même, regardant paniqué autour de lui.
*-*
Le démon se redressa dans un cri, ses yeux jaunes emplis de flammes alors qu’il saisissait le col de l’ange. Celui-ci fronça les sourcils, et posa la main sur la sienne, l’appelant plus doucement.
Le démon lui jeta un regard vide, les flammes disparaissant pour laisser place à des iris verts épuisés.
Un autre cauchemar. D’autres cris, d’autres pleurs.
Et toujours, son prénom sur les lèvres du roux.
La scène s’était répétée quotidiennement ces dernières semaines.
A chaque fois, le scenario serait le même : Crowley, épuisé après avoir refusé de dormir pendant plusieurs jours, finirait par s’effondrer, sur le lit dans le meilleur des cas, ou la table si c’était la surface plane la plus proche. Les différents canapés et fauteuils de l’appartement et de la librairie avaient aussi tous été testés, ainsi que – pour la plus grande détresse d’Aziraphale – le sol.
Et à chaque fois, il retrouverait le démon en train d’hurler, s’agitant désespérément dans le vide.
Dans le cas présent, Crowley s’était endormi sur le canapé de cuir placé à l’arrière de la librairie.
Fort heureusement, c’était un dimanche, les lieux étaient donc fermés.
Aziraphale avait autre chose à faire que de s’occuper de clients inquiets.
Et de nouveau, cette même litanie.
Il n’était pas difficile d’imaginer qui était le sujet des cauchemars du démon.
Le problème était qu’il refusait d’en parler.
Et Aziraphale avait essayé.
Ce qui avait donné lieu à de nombreuses disputes, créant un Crowley encore plus énervé, refusant une nouvelle fois de dormir.
Le cercle néfaste semblait sans fin.
L’ange se mordit la lèvre.
Il existait bien une solution, évidemment, mais il n’était pas certain de l’avis de son ami, et…
Oh, au diable.
Crowley souffrait.
Aziraphale devait l’aider.
Et il ne ferait qu’effleurer.
Inspirant profondément, il tendit la main, caressant du bout du doigt la tempe du démon.
Presque aussitôt, un flash le saisit.
Crowley conduisait.
La panique le rongeait.
Une rue, puis une autre. A l’angle de l’avenue, la librairie.
Aziraphale. Aziraphale était là, il devait le prévenir, il devait le mettre à l’abri, ils étaient en danger, si Hastur et Ligur savaient, alors qu’en était-il du Paradis ?
Dans un crissement sauvage, le démon se gara dans l’angle juste en face de la librairie. Il sortit en trombe de sa voiture, courant à toute allure vers la porte.
BOUM.
Crowley hurla, en même temps que son corps allait s’écraser au sol, une dizaine de mètres en arrière. Ses yeux jaunes s’écarquillèrent en découvrant des flammes gigantesques à la place des vitres anciennes.
Le feu, cruel, moqueur, violent, le feu grondait, dévorant la librairie.
La librairie de son meilleur ami.
La librairie de…
*-*
L’ange émargea dans un sursaut, le souffle court. Pris d’une vague de panique, il regarda autour de lui, persuadé d’entendre le feu gronder, mais le calme régnait.
Un cri lui échappa lorsqu’une main saisit son poignet.
Crowley le fixait.
Aziraphale ouvrit la bouche, mais le seul son qui réussit à en sortir fut un hoquet de terreur.
Sa librairie.
Sa librairie, en feu.
Crowley l’avait mentionné, bien évidemment, mais le jeune Adam l’avait réparée avec le reste du monde, et il avait juste été si soulagé, qu’il avait oublié..
Mais pas Crowley.
Crowley se souvenait.
Crowley avait été présent.
Crowley aurait pu mourir.
Et tout cela, parce que Aziraphale ne l’avait pas écouté.
Parce qu’il avait été obstiné.
Entêté.
Sa librairie était sauve, et le monde à l’abri, mais Crowley était hanté.
Il hoqueta lorsque le démon releva sa main, la posant de nouveau sur sa tempe. Avant qu’il n’ait pu protester, un nouveau flash le frappa, submergeant ses sens.
*-*
L’odeur du feu, et de la mort.
Chaud, si chaud.
La fumée, et le noir.
Des explosions, partout.
Une étagère qui venait de s’effondrer, tous les beaux livres déchirés, éparpillés.
Partout, l’œuvre de son ami, détruite à jamais.
Des siècles de travail dévastés.
Il avait couru, couru plus vite qu’il ne l’aurait cru possible. Couru en hurlant, en appelant, mais il n’y avait personne, personne à secourir, la librairie était vide, Aziraphale était parti, ils le lui avaient pris…
Un nouveau hurlement lui échappa alors qu’une autre explosion retentissait, le projetant au sol.
Ses vêtements brulaient.
Ses yeux le brulaient.
Jamais il n’avait été aussi terrifié.
Crowley sentit un sanglot monter dans sa gorge.
Aziraphale était mort.
Mort en le haïssant.
Il n’avait jamais pu lui dire…
Le démon se redressa dans un cri, ses yeux épuisés s’écarquillant pour découvrir l’ange, debout face à lui. Le blond s’accroupit à ses côtés, avant de caresser sa joue.
*-*
Reviens-moi.
Reviens-moi.
Cette fois, l’ange était préparé.
Crowley se retrouva enfermé dans une paire de bras angéliques déterminés.
Des lèvres se posèrent sur son front, et il hoqueta, enfonçant son visage dans le torse chaud familier.
Le duo resta immobile pendant ce qui leur apparut des heures, mais n’était peut-être en réalité que quelques minutes.
Lorsque l’ange constata que le démon demeurait silencieux, il soupira, caressant ses cheveux.
Aziraphale fronça les sourcils, avant de lever la main, le stoppant une nouvelle fois dans son élan.
Aziraphale le fusilla de nouveau du regard, mais obtempéra.
*-*
Aziraphale soupira, avant d’hocher la tête. Il laissa Crowley se replacer plus confortablement contre lui, remontant la couverture jusqu’à son menton, avant de placer ses doigts sur sa tempe.
Presque immédiatement, le corps du démon s’effondra contre le sien, le son de sa respiration profonde envahissant la pièce.
Aziraphale sourit, caressant ses cheveux.
D’un claquement de doigts, il fit apparaitre un livre, ainsi qu’une tasse de thé.
A l’extérieur de la librairie, le panneau se tourna seul, indiquant ‘fermé’.
28.Or
- Ils sont magnifiques.
- Tu es trop gentil, l’ange.
- Ils le sont ! On dirait de l’or !
- De l’or ?
*-*
C’était comme se plonger dans les fosses bouillantes de l’Enfer.
Crowley détestait ses yeux, et ce qu’ils étaient devenus. Jaunes, figés, avec un long trait vert vertical au milieu.
Serpent il avait été, serpent il était devenu.
Crowley détestait ses yeux. Ils étaient la preuve irréfutable de sa chute, le seul élément qu’il ne pouvait cacher, dissimuler, modifier. Le corps hideusement déformé du démon pouvait être remplacé par celui de son vaisseau, ses ailes brisées pouvaient être rendues invisibles… Mais ses yeux restaient.
Cruels et inaltérables.
Une punition éternelle, pour un crime qui n’en valait franchement pas la peine.
Crowley n’avait pas voulu chuter !
Il s’était simplement interrogé.
Mais apparemment, ce simple fait était passible d’une peine pire que la mort.
Crowley détestait ses yeux.
Eve les avait aimés, les appelant magnifiques, mais Adam avait sifflé, le traitant de serpent, et monstre, et manipulateur…
Le fait que ces qualificatifs soient en large partie vrais ne les rendaient pour autant pas moins douloureux.
Crawley, comme il s’appelait alors, avait rapidement découvert que les gênes d’Adam avaient pris le pas sur ceux de sa femme chez leurs descendants.
Monstre, démon, sorcier.
Menteur, voleur, manipulateur, tueur.
Anormal.
Etrange.
Différent.
Crawley avait découvert avec amertume en avant-première la définition du préjugé.
Certaines époques étaient meilleures que d’autres. Personne n’avait été choqué par son regard à Babel : il était certes unique, mais la diversité était de mise dans la ville, et pour la première fois depuis des siècles, Crawley s’était senti accepté.
Au pire, ses yeux provoqueraient de la curiosité, au mieux, de l’admiration (unique, magnifique, spécial, extraordinaire, était-ce un dieu tombé sur Terre ?).
Crowley ne l’admettrait jamais à voix haute, étant un démon, mais il avait été heureux.
Après le Déluge, ses yeux transportaient tellement de peine et de rage, qu’il avait fui l’humanité pour les trois cents prochaines années, sombrant dans un profond sommeil empli de larmes et cauchemars.
Démon il était, démon il resterait.
Crawley avait caché ses yeux.
Des capuches, et, dès qu’il avait pu, ce que l’humanité appellerait bientôt lunettes.
Mieux valait se dissimuler, plutôt que de pouvoir être étudié, deviné, manipulé, tenté.
Les enfants avaient adoré les yeux de Crawley.
Le démon en avait crié.
*-*
Aziraphale ne l’avait jamais blâmé pour ses yeux.
Aziraphale l’avait blâmé pour beaucoup de choses, et toutes n’étaient pas justes, et le duo s’était déchiré plusieurs fois au fil des millénaires, mais la question de son regard n’avait jamais été posée.
Crowley avait attendu, le jour de leur rencontre en haut du mur, à Eden.
Mais aucun commentaire n’avait jamais été prononcé.
Et aucun n’était jamais apparu les six mille années suivantes.
Crawley était passé d’inquiet et tendu à surpris, et curieux.
Aziraphale était-il simplement poli, ce qui était parfaitement crédible considérant le caractère doux de la Principauté, ou se moquait-il réellement de l’apparence des yeux de Crawley ?
La question était demeurée au fond de l’esprit de celui-ci, alors que les millénaires allaient et passaient.
Au fur et à mesure que sa relation avec l’ange s’était développée, et solidifiée, devenant une présence réelle et tangible alors que les siècles s’écoulaient, lents et éternels, le démon avait senti un nouveau sentiment se développer.
C’était ce sentiment qui l’avait poussé à revenir vers la Principauté, encore et encore, malgré le danger encouru, et les réactions plus ou moins stables que son apparition provoquerait.
C’était ce même sentiment qui l’avait poussé à sauver cet abruti plus de fois qu’il n’aurait pu les compter.
Ce même sentiment, encore, qui le guiderait un jour pendant l’Apocalypse-qui-devait-être-mais-n’aurait-pas-lieu.
Pour l’heure, il le poussait à rester assis sur un fauteuil de lin tressé, dans la Rome de César, et à accepter la coupe en verre soufflé offerte par Aziraphale.
C’était une belle journée d’été, une de celles où Crawley aimait à se prélasser, allongé sur un toit de la ville. Le toit en question s’était révélé être celui de l’immeuble où logeait Aziraphale, ce qui avait bien évidemment poussé l’ange à lui offrir l’hospitalité, là où n’importe quel ange aurait tenté de l’assassiner.
Mais Aziraphale n’était pas comme les autres anges, n’est-ce pas ?
L’intéressé se figea, avant de porter la main à ses lunettes, les rapprochant instinctivement de son visage.
Aziraphale haussa les épaules, arborant une petite moue alternant entre pensive et contrite.
Crawley cligna des yeux.
Une fois.
Deux fois.
Aziraphale fronça les sourcils.
Et il semblait si confus à cette idée que Crawley sentit quelque chose se tordre en lui.
Un silence tendu tomba dans la pièce.
Il était devenu très doué pour cela au fil des siècles. C’était une compétence indispensable pour survivre lorsque vous étiez un démon, en particulier lorsque vous échangiez directement avec des Ducs des Enfers.
Et ces mots n’auraient pas dû le faire réagir ainsi, non, vraiment pas, alors pourquoi Crawley sentit-il une soudaine rougeur envahir son visage ?
Aziraphale hocha la tête avec détermination.
Crawley sentit sa gorge s’assécher brutalement, alors même que son verre était quasiment vide.
Aziraphale se tortilla sur son siège, une rougeur soudaine envahissant ses joues.
La faute au vin, assurément.
Quoi d’autre ?
Immédiatement, le vin réapparut, montant jusqu’au bord de la coupe.
Crawley inspira brutalement, avant de reprendre une nouvelle gorgée.
Celui-ci haussa les épaules, son expression chagrinée.
Crawley soupira.
Même si aucun autre ange n’est comme toi.
Aziraphale lui adressa un sourire éclatant.
Crawley n’avait vraiment pas faim, mais il n’avait pas envie de voir ce sourire disparaitre.
Et puis, tenter un ange dans le péché de la gloutonnerie n’était-il pas purement démoniaque ?
Aziraphale se leva aussitôt, enthousiaste, avant de se diriger vers la cuisine. Crawley le regarda faire, pensif. Il laissa l’ange lui offrir un bol empli de fruits – hum, des kiwis, il adorait cela, et, oh, était-ce des framboises ? Une combinaison purement démoniaque- et se rassoir, son propre bol empli à ras-bord sur les genoux.
Aziraphale haussa un sourcil.
Crawley hocha la tête, la gorge sèche. Le cœur de son vaisseau battait à toute allure alors qu’il levait la main, retirant lentement ses lunettes.
Aziraphale sentit sa respiration se couper.
Le regard du démon était plus beau que jamais.
Une rivière d’or, avec une simple feuille posée dessus, dansant au fil de l’eau et des mouvements du roux.
Celui-ci le fixait, son expression déterminée ne dissimulant pas la soudaine fragilité au fond de ses yeux jaunes.
Les lunettes de Crawley étaient sa muraille contre l’univers.
Les retirer l’exposait au regard de tous.
Avec lenteur, Aziraphale se leva, se dirigeant vers le fauteuil d’où le dévisageait son compagnon. Le démon se tendit, jusqu’à ce qu’Aziraphale s’assoit sur le bord du fauteuil, un fin sourire apparaissant sur ses lèvres.
Crawley esquissa un sourire dissimulant à grand-peine sa nervosité et ses mains soudainement moites.
*-*
Absolument… parfait.
De nos jours, trois mois après la non-Apocalypse, dans une certaine librairie de Soho
Le souvenir datait de près deux mille ans, mais il était aussi clair qu’hier dans l’esprit de Crowley alors qu’Aziraphale retirait lentement ses lunettes, les posant avec délicatesse sur la table en face du canapé avant de murmurer :
Le démon se mordit la lèvre, mais ne se détourna pas, laissant l’ange l’examiner du regard.
Celui-ci tendit la main, caressant tendrement ses pommettes alors qu’il plongeait son regard dans le sien.
L’ange grogna.
Crowley rit, et l’attira à lui, l’embrassement goulument. Aziraphale fronça les sourcils, mais ne le repoussa pas.
Crowley continua de rire, mais ses joues étaient rouges.
Aziraphale caressa gentiment le coin de ses yeux.
Avec lenteur, Aziraphale embrassa chacune de ses paupières.
Crowley renifla.
Crowley roula des yeux, avant de sourire sournoisement.
L’ange en question renifla, avant de caresser ses hanches du bout des doigts.
Une respiration brusque quitta les poumons du démon.
Juste assez un bâtard pour être digne d’être connu, en effet.
Aziraphale haussa avec élégance son sourcil, avant de porter sa propre tasse de thé à ses lèvres.
C’était un simple dimanche après-midi, un de ceux lors duquel vous ne faisiez absolument rien, à part discuter et boire. Dans le cas de notre duo favori, les tasses étaient remplies de thé – Aziraphale était tellement anglais – et le cadre de cette discussion était, bien évidemment, la librairie, ou plutôt, pour être parfaitement précis, le petit salon que l’ange avait installé à l’arrière, derrière les énormes étagères emplies de livres et parchemins anciens.
Crowley haussa les épaules, et reposa sa tasse sur la petite table couverte de ramequins blancs. Des petites ailes bleu pâle avaient été cousues dans les quatre coins de ces derniers, le travail si fin et délicat qu’Aziraphale s’était extasié dessus une heure avant de les acheter, laissant la couturière rougissante alors que Crowley étouffait à grand-peine son rire.
Il avait ri, à peine étaient-ils sortis de la boutique.
Pendant une heure.
Sans s’arrêter.
Aziraphale l’avait frappé répétitivement au bras, le traitant de noms censés être offensants mais qui n’avaient fait qu’entretenir le fou rire du démon.
C’était en 1805.
Crowley sentit un sourire étirer ses lèvres à ce souvenir. Il se pencha en arrière, croisant ses jambes dans une position à la fois élégante et provocante, avant de retirer ses lunettes, révélant son regard jaune et vert.
Sans surprise, les yeux d’Aziraphale s’illuminèrent, ses joues prenant une teinte rosée qu’il n’arborait que lorsqu’il était particulièrement excité à la perspective d’une nouvelle découverte.
Crowley se pencha en avant, souriant.
Aziraphale sentit son cœur se serrer soudainement.
Crowley voulait voyager avec lui.
Mais il n’osait pas le lui demander.
Avec précaution, il posa sa tasse de thé sur son propre ramequin, avant de se lever, se dirigeant vers le démon. Celui-ci l’observa faire en silence, se détendant lorsqu’Aziraphale s’assit sur le bord du fauteuil, à ses côtés. Avec gentillesse, l’ange plongea ses doigts dans ses mèches rousses, les caressant doucement. Crowley soupira, fermant les yeux.
Crowley se figea sur place, ses paupières s’ouvrant brutalement avant qu’il ne tourne un regard écarquillé vers l’ange. Celui-ci le fixa, souriant.
Crowley sentit une vague de chaleur soudaine envahir son visage, avant de se répandre dans le reste de son corps.
Satan, il était peut-être le Serpent, mais son ange n’avait besoin de l’aide de personne pour le séduire.
Aziraphale hocha la tête.
Un rire empli de hoquets quitta les lèvres de Crowley. L’instant d’après, l’ange se sentit poussé sur ses genoux, avant qu’une longue paire de bras ne s’enroule autour de son cou, l’attirant vers un démon aux lèvres passionnées.
Crétin d’ange, à l’esprit envahi de récits romantiques.
Crowley lui en donnerait, des nouveaux horizons.
Un sourire absolument stupide étira ses lèvres.
Alpha Centuri était absolument magnifique à cette période de l’année, et il avait rêvé de faire découvrir à l’ange sa création depuis des millénaires.
Aziraphale le connaissait si bien.
L’ange sourit, caressant son visage, son expression intense.
Crowley sentit une vague d’amour incontrôlable l’envahir.
Abruti d’ange.
Son abruti personnel.
30.Chat
Dans un mouvement digne des plus grands guerriers, Aziraphale apparut en haut de l’escalier dominant la librairie, son regard bleu d’ordinaire si gentil étincelant de colère.
Crowley sentit sa bouche se refermer d’elle-même dans un ‘pop’ sonore, le choc d’entendre l’ange hausser le ton prenant un instant le dessus, avant que son naturel bavard ne revienne au galop.
Le visage de l’ange prit une teinte suspicieusement rouge.
Crowley plissa les yeux.
Celui-ci soupira, et se frotta l’arrière du crâne, gêné.
Avec une agilité et un silence surprenants, Crowley monta les marches les séparant, avant de presser gentiment son bras.
Ce dernier coupa court aux protestations à venir en plaquant un baiser sur sa joue.
Crowley se contenta de jouer de ses sourcils, amusé.
Maintenant qu’il était certain que la fin du monde n’était pas de retour, il ne pouvait s’empêcher de se demander dans quel pétrin son abruti d’emplumé personnel s’était encore fourré.
Il devait l’admettre, il ne s’attendait pas à cela.
Dans un coin du salon de l’appartement qu’occupait Aziraphale, une marée de boules de poils parsemés de roux et moustaches dormait dans un panier, lotie contre une mère à la toison définitivement rousse.
La dite-mère le fusilla du regard, son irritation évidente.
Le message était évident.
Mes bébés dorment, tu ne peux pas être plus discret ? Qu’est-ce que tu fais là, de toute manière ?
La bouche du démon tomba sur le sol.
Aziraphale se tordit les mains.
Les épaules de son ami se détendirent, avant qu’il ne soupire, murmurant :
Des chats. Aziraphale avait adopté des chats. Quelle était la dernière fois qu’il s’était entiché de boules de poils, déjà ? Ah oui, 1992. Et 1994. Et 1999... 2002.. Encore 2002.. 2003.. 2007..
Crowley soupira, avant de s’accroupir avec lenteur devant la dernière héritière d’une longue lignée de boules de poils sauvés des crocs de l’humanité.
Non, Crowley ne ronronnait pas.
Absolument pas.
Il composait avec l’ennemi, absolument !
Un expert en manipulation qu’il était, tout à fait !
Il était un démon, il ne gagatisait pas devant des chats !
L’ange haussa les épaules, son expression innocente lorsqu’il répondit :
Merde.
Il était fichu, il le savait.
Il n’avait jamais su résister à ces yeux, et Aziraphale le savait, et il l’employait, cette enflure, ce rusé, ce petit félon, ses yeux azur le dévisageaient, emplis d’espoir, et de douceur, et..
Le visage d’Aziraphale s’illumina.
Crowley sentit son cœur effectuer un salto.
Il se faisait vraiment vieux.
***
Le rire de Crowley résonnait dans le salon, vibrant et libre de toute retenue.
Aziraphale sentit son cœur se gonfler d’un sentiment à la puissance inattendue.
Un large sourire étira ses lèvres, en même temps qu’il remontait le couloir le séparant de la porte d’entrée.
Un autre rire résonna, suivi d’une exclamation et d’un caquètement.
Le sourire de l’ange augmenta, en même temps qu’il entrouvrait lentement le battant de bois, prenant soin de ne pas être aperçu.
Une décision fielleuse, peut-être, indigne d’un ange, mais nécessaire s’il désirait pouvoir observer son compagnon sans aucun filtre - malgré le changement récent de leur situation, Crowley présentait toujours des difficultés à s’exprimer entièrement naturellement autour de lui, sans barrière aucune.
Un constat doux-amer, mais dont l’ange ne lui tenait pas rigueur - lui-même n’était pas nécessairement plus apte à exprimer ses propres sentiments, après 6000 ans soumis au traitement brutal du Paradis.
Oh, il y travaillait. Pour rien au monde Aziraphale ne laisserait leurs peurs et traumatismes s’insérer entre eux - plus jamais.
Et vraiment, était-ce si mal que de regarder l’être aimé s’épancher naturellement, toute angoisse oubliée ?
Il n’espionnait pas, non, absolument pas.
Il ne s’abaisserait jamais à une pratique aussi indigne, vraiment !
De l’autre côté de la porte, Crowley riait, assis sur le tapis bleu marine recouvrant une partie du sol. Deux des chatons jouaient sur ses genoux, l’un d’eux cherchant à attraper un long fil avec ses petites pattes avec lequel le taquinait le démon. Le second -la seconde, rousse comme le feu -tournait sur elle-même, courant après sa propre queue pour mieux retomber sur ses fesses. Le troisième - un petit chat de gouttière gris- se nettoyait consciencieusement, sa patte arrière droite levée, sous le regard attentif de sa mère.
Le chaton le fixa de ses grands yeux bleus, avant de se laisser tomber sur son dos - et les jambes du démon - le fil toujours coincé entre ses dents, et de l’attaquer furieusement avec ses pattes arrières, arrachant un nouveau rire à Crowley. Celui-ci tendit un peu plus le fil, s’amusant à provoquer le chaton, avant de renifler lorsque la petite créature réussit à le lui arracher.
Loin d’être touchée par le commentaire, la roussette commença à miauler, exprimant son indignation à être traitée comme une peluche.
Ce fut le moment que choisit Aziraphale pour apparaître, un large sourire aux lèvres.
Le dit-démon roula des yeux, un masque tombant sur son visage alors qu’il lui rendait son sourire, susurrant :
Aziraphale haussa un sourcil. Loin de répondre à la provocation, il s’accroupit à côté du roux, posant gentiment sa main sur son bras.
Sa respiration se fit sifflante lorsque l’ange caressa son bras de son doigt, ses paupières se fermant d’elles-mêmes.
Avec innocence, il commenta, ses mains pressant toujours celles du démon entre les siennes :
Un sourire étira enfin les lèvres du démon, avant qu’il ne pose sa main libre sur les leurs, liant leurs doigts.