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Série : X-Files
Création : 10.03.2025 à 09h11
Auteur : sanct08
Statut : Terminée
« Partez à la découverte de l'immortalité aux côtés de Dana Scully et révélez avec elle les mystères de la vie éternelle » sanct08
Cette fanfic compte déjà 10 paragraphes
Scully se demandait encore pourquoi elle avait accepté cette invitation. Dans le taxi qui la conduisait au plus vieux pub d’Angleterre, The Old Trip to Jerusalem, fondé en 1189, elle ne pouvait s’empêcher de se demander si ce choix était judicieux. Certes sa toute nouvelle condition d’immortelle (enfin nouvelle pour elle car on lui avait récemment laissé entendre que, quand il s’agissait d’immortalité, tout était relatif) la poussait à aller à la rencontre de personnes victimes de cette malédiction mais elle avait l’horrible impression de sauter dans le vide sans avoir le filin le plus résistant du lot mis à sa disposition. Par ailleurs elle n’avait jamais rencontré les auteurs de l’invitation qu’elle avait reçue même si on lui avait certifié qu’ils étaient des gens respectables et qu’ils étaient des victimes au même titre qu’elle. Néanmoins, en dépit de ce désir presqu’ardent d’en savoir plus long sur eux mais aussi sur elle-même, elle craignait encore d’être victime d’une vaste supercherie. Et pourtant, elle avait déjà reçu une éducation dans le domaine de l’immortalité… Elle n’y pouvait rien : son côté rationnel ne pouvait ni ne voulait encore définitivement admettre que l’immortalité puisse réellement exister. C’était contraire aux règles de l’univers, de la Nature et de Dieu ! Pas qu’elle doutât qu’une forme d’immortalité existe, non !, mais l’immortalité physique ne pouvait pas être viable. L’art ou les actions d’une personne à un moment donné pouvaient, entre autres exemples, offrir à l’Homme un semblant d’immortalité mais le corps humain, tout chef d’oeuvre qu’il soit, ne pouvait exister à jamais. Nous sommes effectivement des cellules, se répétait-elle souvent quand elle sentait sa raison chavirer et se laissait aller à croire en la vie éternelle, et toute cellule est programmée pour se détériorer puis mourir. D’accord, pendant un long moment de notre existence, elles se renouvellent systématiquement ce qui explique pourquoi l’être humain continue de vivre et surtout de vieillir. Si nous vieillissons, avait-elle souvent asséné à ses élèves, c’est parce que nos cellules vieillissent elles aussi et s’harmonisent avec le temps qui passe. Plus nous vieillissons et moins nos cellules sont performantes et, inexorablement, nous nous rapprochons de notre fin. Tel était le cycle de la vie depuis la nuit des temps. C’est le sort qui nous attend tous. Ou presque. Si certains frôlent l’immortalité en entrant dans l’Histoire, Scully avait bien conscience que son cas était différent. Hors normes. Inhumain. Aujourd’hui encore, elle ignorait avec une certitude absolue quelle était la cause de son tourment. Pas faute que de nombreux arguments en faveur d’une hypothèse ou d’une autre était avancés à maintes reprises et ce par des experts de la question ! Ce pouvait aussi bien être les nombreuses expérimentations génétiques dont elle avait fait l’objet dans les années 1990 ou bien sa rencontre avec le troublant Alfred Felig. Ce pouvait aussi être une simple anomalie de naissance de son ADN. Peut-être était-elle un nouveau chaînon dans l’évolution humaine ? A dire vrai, elle ne savait pas mais, contre toute attente, elle penchait plutôt pour l’hypothèse Felig. Elle avait effectivement constaté des changements majeurs à compter de cette date. Elle avait rencontré le vieil homme en 1999 alors qu’il prétendait avoir 150 ans. Elle n’avait jamais cru en l’immortalité mais elle avait toujours dû reconnaître que cet étrange photographe était plus que mystérieux. Évidemment, elle n’avait pas cru aux propos de ce vieillard sénile ! Au départ… Les détails dont il lui avait fait part sur des époques qu’il ne pouvait pas connaître et les preuves matérielles qu’elle avait elle-même pu rassembler à son propos avaient corroboré ses dires. Elle avait donc eu une conversation avec lui à propos de sa « particularité » et les choses avaient failli mal tourner pour elle. Il venait juste de terminer de lui expliquer comment il avait acquis la vie éternelle qu’ils avaient tous les deux été blessés par balles (involontairement en ce qui la concernait) par son équipier temporaire. Elle agonisait et perdait beaucoup de sang. Comme lui mais lui pouvait encore bouger. Elle non. Elle l’avait vu se traîner à elle, souffrant de sa blessure mais ne semblant absolument pas sur le point de rendre l’âme, et il l’avait enjointe à reproduire le geste qu’il avait lui-même fait plus de 100 ans auparavant. Fermer les yeux. Détourner le regard. Faire comprendre à la Faucheuse qu’elle refusait de la suivre alors même que son heure était venue. La convaincre de prendre une autre vie que la sienne. Et elle l’avait fait. L’avait-elle fait volontairement ou l’avait-elle fait parce que son corps au supplice réclamait plus de forces supplémentaires pour s’accrocher jusqu’à l’arrivée des secours appelés par son collègue ? Elle ne le saurait sans doute jamais. En tous les cas, elle avait fermé les yeux et l’énergie économisée par son corps, qui ne luttait plus pour les garder ouverts, l’avait sauvée. Peut-être… A moins que ce ne soit l’arrivée prompte des ambulanciers et leurs soins qui l’aient sauvée. Ou bien autre chose… Quoi qu’il soit, elle avait repris conscience à l’hôpital après s’être évanouie et, à la surprise générale, elle avait très vite recouvré la santé. Elle avait continué à vivre alors que Felig était mort.
A Mulder, elle avait bien sûr rapporté l’intégralité de l’histoire sans omettre un seul détail. Elle lui avait parlé de Felig, de sa véritable identité et de tous ses pseudonymes, de sa passion macabre qui le poussait à photographier les cadavres, de son don qui lui permettait de savoir si une personne allait mourir prochainement rien qu’en la regardant. Elle lui avait aussi raconté qu’il disait être décédé pendant l’épidémie de fièvre jaune qui avait touchée New-York au XIXeme siècle. Elle avait relaté ce que Felig avait expliqué être la raison de son immortalité : touché par l’épidémie et mourant, il avait été admis à l’hôpital. Sur son lit de mort et sentant sa dernière heure venir, il avait eu la certitude que la Mort elle-même était à son chevet. Refusant ce qui devait pourtant être inéluctable, il lui avait tourné le dos et s’était interdit de croiser son regard ou même de l’apercevoir en fermant les yeux. Le sort en avait alors été jeté. Il avait survécu et la Mort avait fait une autre victime. Une victime saine et innocente : son infirmière. Immédiatement après ce décès suspect, il s’était senti mieux et avait subitement et miraculeusement guéri. Les années passant, tous ceux qu’il connaissait et aimait avaient passé l’arme à gauche alors que lui avait son vieillissement ralentir de manière spectaculaire et avait rapidement atteint un âge canonique. Seuls les rhumatismes, apparus une vingtaine d’années seulement avant son décès, lui rappelaient qu’il prenait de l’âge mais restait indubitablement en vie. A un moment donné, désespéré, il avait tenté de mettre fin à ses jours mais chacun de ses essais s’était soldé immanquablement par un échec. Il en avait alors conclu que sa seule échappatoire était de prendre la Mort sur le fait. Il lui avait pour cela fallu attendre Scully. Si Mulder, évidemment, croyait en une telle fable, il ne croyait pas sérieusement que sa partenaire fût victime de cette malédiction. D’ailleurs il avait plusieurs arguments étayant sa théorie en sa possession :
le coup tiré sur Felig avait causé sa mort alors qu’elle avait survécu
le second appareil photo sur lequel ses empreintes avaient été retrouvées (l’autre ayant eu son objectif détruit par le tire de Ritter) ne contenait aucune photo de Scully
pour lui, Dana ne cherchant pas l’immortalité ne pouvait pas intéresser la Mort. Seuls ceux qui rêvaient de la vie éternelle pouvaient se trouver privés de leur mort.
Dana avait alors, pendant les années qui avaient suivi, ri du fait qu’elle ait pu croire, même un court instant, que l’immortalité existe. Cependant, au plus profond d’elle-même, la pensée de Mulder n’avait jamais vraiment cessé de la troubler. Avait-elle pu fermer les yeux parce qu’elle voulait vivre ? Parce qu’elle voulait montrer à la Mort qu’elle se trompait à son propos et, de fait, lui avoir fait croire qu’elle aspirait à la vie éternelle ? Une telle méprise avait-elle pu être possible ? Pouvait-elle vivre éternellement sur Terre, en dépit des assertions scientifiques mentionnées plus haut, alors que sa Foi lui criait que la vie éternelle n’existait qu’après la mort ? Toutes ces questions n’avaient pas de réelles réponses et, chaque fois qu’elle se les posait, elle se rappelait également de ce que lui avait dit Clyde Bruckman quelques années seulement avant sa rencontre avec le photographe. Ce dernier était un voyant possédant la capacité d’annoncer à chaque personne qu’il rencontrait la manière exacte dont elle allait mourir, un pouvoir assez similaire à celui de Felig en somme. Bref… Bruckman lui avait affirmé qu’elle ne mourait pas. Sur le moment, elle avait interprété ses propos comme une simple indication qu’elle ne trouverait pas la mort au cours de l’enquête mais elle en doutait à présent. Certes elle avait échappé à la mort à de multiples reprises au cours de sa vie, dont certaines relevaient quasiment de l’impossible voire du miracle, mais était-ce une raison suffisante pour croire en l’existence de la vie éternelle ? Ne pouvait-on simplement pas parler de chance ? C’était ces questions qui tournaient et retournaient dans sa tête en ce moment même dans le taxi qui la conduisait vers son rendez-vous.
Cette invitation était une aubaine. Elle s’était crue seule au monde pendant tellement longtemps qu’elle avait finalement était bien contente de savoir que d’autres gens partageaient son sort. A supposer, bien sûr, qu’elle ne soit pas en train de se vendre à une secte quelconque dont les membres se prenaient pour des vampires ou autres êtres supposés immortels. A supposer que tout cela ne soit pas un plan gouvernemental émanant de quelqu’un ayant découvert son « état » et souhaitant faire d’elle son nouveau cobaye. Elle avait eu plus que son lot d’expériences hasardeuses et désastreuses conduites sur sa personne ! Elle secoua la tête pour chasser ces sinistres pensées. Elle avait le sentiment que sa vie allait être, une fois encore, chamboulée. Elle devait laisser ses craintes derrière elle et faire confiance à Helen. Continuer à croire en celle qui lui avait redonné l’espoir et l’avait initié à l’immortalité. Celle qui, depuis qu’elle la connaissait, ne lui avait jamais menti et lui avait ouvert les portes d’un nouveau monde...
Mulder était au crépuscule de sa vie. Aussi longtemps qu’il l’avait voulu, c’est-à-dire pour le reste de ses jours, elle était restée à ses côtés. Depuis ce fameux jour de 2016 où Tad O’Malley avait provoqué leurs retrouvailles, ils ne s’étaient plus jamais quittés. Dana avait vu mourir tant de gens au cours des dernières décennies qu’elle avait fini par espérer qu’elle s’y ferait. Elle avait eu tort. Au chevet de Mulder, elle en prenait conscience. Tous ceux qu’elle connaissait et avait aimé étaient morts. Après sa mère et sa sœur, ça avait été au tour des Lone Gunmen puis ses amis agents fédéraux de quitter ce monde. Skinner et Monica avaient payé de leurs vies leurs engagements à ses côtés. John était mort en mission seulement 1 an après eux. Puis c’est sa famille qui l’avait laissée derrière. Ses frères, ses belles-sœurs et ses neveux étaient décédés dans un accident de train alors qu’ils étaient en route pour venir célébrer son 55eme anniversaire. Ce drame l’avait presque anéantie et seule la présence de Mulder et William l’avait gardée connectée au monde. La lignée Scully était désormais quasiment éteinte ! Chuck, une de leur connaissance commune, et Tad avec lequel ils avaient gardé quelques liens étaient quant à eux morts dans un attentat terroriste perpétré à Washington 10 ans après ce tragique accident de train. Mulder et elle s’étaient alors retrouvés seuls. Et puis, plus rapidement qu’elle ne l’avait voulu, elle avait dû se faire à l’idée qu’elle serait bientôt définitivement seule. Mulder était tombé malade et William… Elle ne voulait pas y penser. Penser à la maladie de Fox la déprimait déjà assez. L’Alzheimer ne pardonnait pas. Elle l’avait épaulé pendant 2 décennies suite à l’annonce de la maladie mais, à l’aube de ses 85 ans, Mulder était mourant. Elle avait conscience qu’elle ne pouvait rien faire pour l’en empêcher mais elle était amère. Avec lui s’effacerait un large pan de son existence.
« Scully »
La quinte de toux qui s’ensuivit la tira de ses pensées. Elle s’empressa de l’aider à se redresser, s’assura qu’il ne s’étouffe pas puis l’aida à se repositionner convenablement sur ses coussins qu’elle avait au préalable retapés.
« Scully, tu es toujours aussi belle. »
Elle lui sourit avec indulgence. Elle ne s’était jamais trouvée belle. Tout au plus s’était trouvée jolie dans sa jeunesse. Elle n’avait jamais eu de réels problèmes d’acceptation de soi mais quand on avait eu une sœur comme la sienne...Mélissa avait été belle. La Mort avait eu la gentillesse de la faucher dans la fleur de l’âge. Elle resterait belle à jamais. Penser à Mélissa, même après plus de 50 ans, lui était encore douloureux.
« Scully, reprit Mulder, tu dois me promettre de ne jamais arrêter de croire.
- Croire en quoi ?
- En la vie. En la possibilité d’une fin pour ton tourment. En toi. »
Il tendit sa main, toute ridée, vers la joue sans rides de sa partenaire pour la caresser. Elle était prête à croire en n’importe quoi si cela lui permettait de prolonger ce contact pour toujours. Elle ferma les yeux pour graver la douceur de sa main sur sa joue dans sa mémoire. Pour graver l’amour qu’il lui transmettait par ce geste. Plus que jamais elle avait conscience de la fragilité et de l’éphémérité des instants passés avec ceux qui nous sont chers.
« Tu dois retrouver William.
- William ? Il y a bien 25 ans que je ne l’ai pas vu.
- Mais il vit. Tu le sens.
- Difficile de faire autrement vu que nous sommes psychiquement liés l’un à l’autre mais il y a longtemps qu’il a appris à se cacher de moi.
- Peu importe. Notre fils est ce qu’il y a de plus important. Il est tout ce qui te reste. Tout ce qui restera de moi sur Terre. Tout ce qui restera de moi pour toi. »
Jamais Mulder n’avait été aussi pessimiste. Par ailleurs, il oubliait là que William n’était pas (comme ils l’avaient pourtant cru) son fils mais son demi-frère...Comme chaque fois qu’elle repensait à cette affaire, elle sentait la colère et la migraine se faire une place dans sa tête. Elle décida de les écarter et de se concentrer sur ce qui était vraiment important : soulager l’homme qu’elle aimait de ses angoisses.
« Tu as tort. J’aurai mes souvenirs.
- On ne vit pas avec des souvenirs. On vit au travers des souvenirs. »
Mulder philosophait maintenant ! Si, à leurs débuts, elle n’appréciait pas vraiment cette facette de sa personnalité, elle avait changé d’avis au fil du temps. Par ses réflexions, il avait ouvert le champ des possibles de leurs enquêtes ; il était parvenu à la pousser à se remettre en question, l’avait poussée à voir toujours plus loin, à chercher la vérité ailleurs. C’était cette partie de lui qui lui manquait le plus depuis « qu’Al », comme Mulder avait surnommé sa maladie, s’était invité dans leurs vies. Avec le temps, les pertes de mémoire avaient modifié sa personnalité et creusé un fossé entre l’homme qu’il était, celui qu’il devenait et celui qu’il serait à sa mort. Une mort qu’il espérait recevoir dans l’un de ses moments de lucidité car, disait-il à Dana, il voulait mourir en sachant qui il était et qui était le dernier visage qu’il verrait. C’était pour cette raison qu’il refusait d’aller en centre. Il ne voulait pas mourir avec des inconnus. Il voulait mourir avec Scully. Passer le plus de temps possible avec elle afin de graver chacun des traits de son visage dans sa mémoire. Oui, il voulait être égoïste une ultime fois même si cela impliquait d’imposer cette souffrance à la femme qu’il aimait. Même si cela créait un souvenir désagréable et qui perdurerait longtemps dans sa mémoire.
« Si c’est vraiment ce que tu veux…
- Je sais que tu doutes et que tu t’en veux de ne pas avoir renoué avec William depuis ce jour funeste mais il est ce que tu as de plus précieux. Et il t’aime.
- Mulder, nous avons déjà eu cette conversation un petit trillion de fois ! soupira-t-elle, désireuse d’échapper à un énième discours moralisateur.
- Eh bien, nous l’aurons encore une fois ! Peut-être pour la dernière fois. Je sens mes forces décliner et l’ombre de l’absence éternelle peser sur moi. C’est pour bientôt donc je tiens à profiter de ce qui pourrait être mes derniers instants de lucidité pour te rappeler ce qui a de la valeur et qu’il ne faut jamais renoncer à l’idée d’un miracle. »
Elle frissonna. Les paroles de Mulder avaient fait leur petit effet. En tant que médecin et proche du patient, elle avait vu son état de santé se dégrader de manière alarmante ces dernières 48h sans qu’un seul traitement évoque une amélioration. La pneumonie qu’il avait contractée 1 semaine plus tôt avait empiré une situation déjà peu glorieuse et elle avait conscience que ses chances de survie étaient maigres. D’autant plus qu’il persistait dans son refus d’aller à l’hôpital et n’avait accepté de prendre des médicaments que pour lui faire plaisir.
« Je t’aime Scully et je refuse de m’en aller avec l’idée que tu restes seule. Ce n’est pas parce que nous ne sommes pas parvenus à localiser d’autres êtres comme toi qu’il n’y en a pas. Alfred Felig était très secret et solitaire. Sans doute le sont-ils aussi. Je refuse que tu finisses comme lui : une âme errante à la recherche du macabre. Tu vaux mieux que ça. Tu mérites mieux que ça.
- Oui mais être libre implique de faire peser ce fardeau sur d’autres épaules. Ce que je refuse. Pour l’instant du moins.
- Je sais et je te comprends. C’est pour ça que, pour commencer, tu DOIS retrouver William.
- Et comment ?! Nous avons déjà essayé tant de choses ensemble pour y parvenir ! Avec quoi comme résultat ? Rien ! Nada ! Il a VOULU disparaître et je doute qu’il me laisse de nouveau le trouver. La seule chose que je sais, grâce aux manipulations génétiques dont nous avons été victimes grâce à ton Fumeur de père, c’est qu’il est toujours en vie.
- Alors fais-en ton cheval de bataille.
- C’est ça et ça finira comme dans ce roman de Matt Haig, How to stop time. J’oublierai de vivre et donc de tenir la promesse que tu voudrais m’arracher. Je t’accorde que vivre sans lui est une torture quotidienne mais savoir qu’il se coupe volontairement de moi est pire.
- S’il est comme toi, il viendra vers toi. Rien ne prouve que ta « condition » n’est pas héréditaire.
- S’il l’était, il serait probablement déjà là. Il a 46 ans, ça doit se voir si son vieillissement se ralentit ou a cessé. Regarde-moi ! J’ai presque 83 ans et j’en parais encore 50 !
- Peut-être qu’il ignore que tu es comme lui. Et même s’il n’avait pas hérité de ta particularité, tu DOIS le retrouver ou alors tu passeras le restant de tes jours à te maudire pour ne pas l’avoir fait. »
Il s’interrompit, secoué par une nouvelle quinte de toux.
« Promets-le-moi. Promets-moi de ne jamais rester seule. »
Se remémorer son ultime conversation avec Mulder était toujours un souvenir douloureux. Elle avait promis, bien sûr qu’elle avait promis et elle avait sincèrement essayé (au départ du moins), mais elle se demandait combien de temps encore elle aurait la force de tenir cette promesse. « Le temps efface toutes les peines, même les plus amères » lui avait un jour confié sa grand-mère. On se réveillait un beau matin en découvrant qu’on allait mieux que la veille et que la vie continuait. On oubliait pas mais on faisait avec. En souvenir de Mulder et pour honorer la vision de sa grand-mère, elle devait continuer.
La mort de Mulder avait au moins eu un effet positif : elle lui avait permis de renouer avec William. Averti par les avis d’obsèques, qu’il consultait régulièrement, il avait immédiatement rejoint sa mère à Washington pour l’épauler. Bien sûr, leurs décennies de querelles ne s’étaient pas effacées d’un coup de baguette magique mais ils s’étaient fait violence pour l’occasion. Et c’est ensemble qu’ils avaient affronté les funérailles et préparé l’après. Devant le physique de sa mère, William n’avait pu que constater que quelque chose clochait. Pour donner le change et éviter les commérages au cimetière, elle avait vieilli ses traits. Même s’il y avait peu de monde aux funérailles, elle ne voulait pas que le dernier souvenir que Fox laisserait officiellement aux vivants soit teinté de commérages médisants concernant sa liaison avec une femme bien plus jeune que lui ! Cette précaution n’avait pourtant pas suffi à leurrer William. Elle avait donc bien été forcée de lui révéler la vérité à son propos et c’est ensemble qu’ils avaient décidé de bâtir leur nouvel avenir. Et la proposition avait émané de William, ce qui avait réconforté son coeur de mère. La présence de son fils avait été pour elle un réel réconfort mais elle ne pouvait et ne voulait pas s’immiscer dans son quotidien. Un quotidien stable pour lequel il s’était âprement battu. Elle ne voulait pas lui imposer ce fardeau. William avait essayé de la convaincre du contraire en lui assurant qu’il voulait d’elle dans sa vie. Qu’il voulait qu’elle connaisse sa famille mais elle avait refusé de faire plus que le nécessaire. Rencontrer ses petits-enfants était une évidence pour elle. Épauler William pour qu’il fasse face au décès de son père, d’accord, mais se voir tous les jours jusqu’à la fin de sa vie, non. Elle s’était montrée ferme sur ce point. Garder le contact oui, se fréquenter régulièrement au risque d’attirer l’attention sur lui et les siens, non. Elle savait bien trop que les différences d’une personne pouvaient attirer à elle le malheur et que celui-ci rejaillissait généralement sur ses proches. Personne d’autre qu’elle ne devait payer le prix de sa condition ! Et puis, le seul fait de savoir son enfant désormais en paix suffisait à Dana. Cependant, après sa rencontre avec sa descendance, elle avait cédé : elle était restée plus présente qu’elle ne l’avait souhaité. Elle avait ainsi profité d’instants de bonheurs qu’elle avait cru inaccessibles pendant longtemps à cause de la rupture familiale qu’avait initiée William. Certes, elle avait dû transformer ses traits, sa démarche, simuler la vieillesse mais cela en avait valu la peine. Ne serait-ce que pour connaître ce fils dont la vie l’avait privée. Quand elle s’était faite « trop vieille » pour rester dans les parages, William et elle avaient simulé sa mort. En réalité, elle avait simplement déménagé et changé de nom. Seul son fils connaissait la vérité. Une vérité, qu’à la demande de sa mère, il avait emportée avec lui dans la tombe à l’âge de 92 ans. Perdre William avait été l’une des pires épreuves de sa vie, arrivant juste après son abandon et juste avant les décès d’Emily et Mulder.
Les années qui avaient suivi ce drame étaient aujourd’hui toujours floues dans sa mémoire. Les jours s’étaient succédés, identiques les uns aux autres et elle avait sombré dans une profonde mélancolie. Pour la première fois de sa vie, elle s’était retrouvée seule. Personne à qui parler, personne avec qui échanger des souvenirs, personne à connaître. Elle avait renoncé à se métamorphoser pour plaire aux autres et être comme tout le monde. Cela la fatiguait. Pour s’épargner des ennuis, elle préférait changer régulièrement d’endroit. De toute manière, elle avait vite saisi que rester plus de 5 ou 7 ans au même endroit entraînait d’énormes soucis. Parfois ceux-ci se présentaient même avant cette « date limite ». Elle se rappelait d’une fois, alors qu’elle habitait pourtant à New-York, où elle avait été chassée de chez elle à coups de pierres car ses voisins avaient remarqué qu’elle ne vieillissait pas. Elle était à peine restée 3 ans dans la ville qui ne dort jamais ! 3 ans dans l’une des plus grandes villes du monde ! Une ville où personne ne connaît son voisin ! Traumatisée par cette mésaventure, elle avait quitté le pays et s’était établie en France. Après quoi, elle avait pris l’habitude de voyager régulièrement, s’offrant ainsi le luxe de découvrir le monde en devenant notamment bénévole dans de nombreuses associations humanitaires. Elle s’était donc rendue dans divers pays nécessiteux où son physique était le cadet des soucis des habitants.
Aujourd’hui néanmoins, elle était fatiguée. Fatiguée de courir, fatiguée de mentir, fatiguée d’être seule (difficile en effet de se lier d’amitié quand on bouge sans cesse pour ne pas être démasquée et qu’il est impossible de garder contact avec les personnes rencontrées). Fatiguée de vivre. Elle maudissait quotidiennement le jour où son destin avait basculé. Comme Felig avant elle, elle avait tout tenté pour se donner la mort. Du banal accident domestique au drame médiatisé en passant par une morsure de vipère, elle avait tout essayé. Sans succès. Aussi graves que soient ses blessures, elle s’en remettait toujours. Rien ne la tuait. Aujourd’hui âgée de 280 ans, elle ne savait plus que faire de sa vie, de son temps, de son argent. Elle vivait dans un 2 pièces, n’avait pas de biens matériels à l’exception de quelques photos qu’elle gardait précieusement dans son portefeuille et de sa chaîne, travaillait 8h par jour pour s’occuper et limiter le temps qu’elle accordait à penser à sa condition et rentrait seule le soir. Cette routine serait pourtant prochainement bousculée…
Dana cherchait un nouveau job. Forcée de déménager pour la énième fois, elle devait encore changer d’emploi. Si elle n’était pas obsédée par l’argent, à l’instar de ce qu’avait pu l’être son petite-frère, elle en avait besoin pour continuer à végéter. Quel autre mot que celui-ci pour désigner son état de léthargie actuel ? Quoi qu’il en soit, elle devait travailler. Son CV s’était beaucoup étoffé au cours des 2 derniers siècles et à chaque fois elle devait choisir quelles capacités elle souhaitait mettre en avant. Une fois encore (les habitudes ont la vie dure!) c’est la médecine qui avait eu ses faveurs et c’est son nom de naissance qu’elle avait communiqué. Elle avait préparé ses CV et lettres de motivation avec soin et les avait envoyés à de nombreux recruteurs mais elle n’avait encore reçu aucune réponse jusqu’à présent. Cela faisait pourtant déjà 5 semaines qu’elle multipliait les candidatures ! Elle trouvait la manie des recruteurs de ne pas répondre très osée et outrageante pour les postulants. Elle avait toujours estimé qu’envoyer un e-mail ou rédiger un courrier officiel, même indiquant un refus, était la moindre des politesses et ne représentait pas une perte de temps. Et après il fallait plaindre les recruteurs qui soit se plaignaient de ne pas trouver d’employé soit qui criaient à qui voulait l’entendre qu’ils était harcelés d’appels de candidats réclamant une réponse à un de leur courrier ! Elle commençait à s’énerver quand la puce dans son bras se mit à vibrer. L’habituel clavier qui apparaissait à la surface de son épiderme dès qu’elle recevait un appel ou un message s’illumina. Elle détestait le fait d’être soumise à la technologie mais elle avait dû s’adapter à l’ère du temps. Le numéro qui s’affichait provenait du Canada et lui était inconnu. Intriguée, mais pensant à une erreur de destinataire, elle accepta la communication.
« Allô ?
- Docteur Scully ? demanda une voix féminine
- C’est bien moi.
- Bonjour, je suis le Dr Helen Magnus. Je me permets de vous appeler par rapport à un CV que l’une de mes connaissances m’a transmis.
- Un CV que l’on vous aurait transmis ? répéta-t-elle soudainement méfiante
- Oui. Vous avez récemment adressé une candidature à la Morgue de New-York, l’OCME. Vous n’avez malheureusement pas été retenue (tiens, première nouvelle! pensa Dana) mais votre demande a néanmoins retenu l’attention du médecin-chef, le Dr Henry Morgan. Il se trouve que nous sommes des amis de longue date et il a pensé qu’il pourrait m’intéresser. Après étude de votre dossier, je ne peux qu’approuver sa démarche et l’en féliciter. C’est d’ailleurs la raison de mon appel : j’aimerais vous proposer un entretien d’embauche. »
Scully était abasourdie. Le Dr Morgan était une sommité dans son domaine ! Elle avait eu l’occasion de lire certains de ses travaux et d’assister à l’une de ses trop rares conférences (en réalité, un bref speech prononcé au cours d’un congrès sur la médecine légale) et avait été éblouie par ses connaissances et admirative de son approche du métier. Il traitait les défunts avec respect et aucun indice n’échappait à ses yeux acérés. En un mot comme en cent, ce speech avait été brillant. Avoir été recommandée par un tel personnage était plus flatteur et valait bien d’avoir attendu 5 longues semaines sans réponse ! Elle décida donc de saisir cette opportunité.
« Quand voulez-vous que nous mettions en place une visio ?
- Je suis bien plus traditionnelle ! Je préfère vous proposer de vous rencontrer dans mon Sanctuaire, au Canada. Cela sera plus simple et plus agréable. Si le voyage vous posait un quelconque problème, je peux vous le financer ou alors me déplacer jusqu’à vous. »
Sa manière de poser sa voix et sa proposition surprirent Dana. Quel recruteur était prêt à débourser le prix d’un billet d’avion, même si celui-ci était bien moins onéreux que par le passé, ou à payer un voyage par STA (un Système de Téléportation Agrée dont le prix était bien plus exorbitant!) pour un simple entretien d’embauche ? Cette femme était soit réellement intéressée par son CV soit elle avait de l’argent à perdre ! Scully accepta malgré tout et, après avoir soigneusement noté l’adresse du Sanctuaire et échangé les banalités d’usage, la conversation prit fin. Sans qu’elle sache exactement pourquoi, elle avait l’impression que cet appel inattendu allait briser sa routine mais serait-ce pour le meilleur ou le pire ?
Old City était une ville étrange. Hors du temps. Une ville qui portait bien son nom. A peine Dana avait-elle quitté l’aéroport qu’elle avait l’impression d’avoir fait un saut d’au moins 300 ans dans le passé ! Tout ici respirait la nostalgie du début du XXIème siècle. Les bâtiments, dont certains semblaient bien antérieurs aux années 2000, étaient typiques des constructions qui avaient marquées le paysage de sa « jeunesse ». Pas un bâtiment ne dépassait les 160 étages ! De nos jours, les buildings les plus récents comptaient a minima 200 étages ! Eh oui, il avait bien fallu continuer de s’élever pour pouvoir loger chaque habitant car la population n’avait jamais cessé de croître et avait même largement dépassé les prévisions des démographes et statisticiens. Ils avaient eu tort en affirmant qu’à compter des années 2050, la courbe de croissance s’effondrerait ! Les vieux immeubles qu’elle avait désormais sous les yeux faisaient aujourd’hui office de HLM alors qu’en leur temps ils avaient constitué le summum du luxe. Si elle se fiait uniquement à l’architecture, cette ville devait être très pauvre mais elle savait que cela n’était pas toujours le cas. Certains magnats de l’immobilier investissaient énormément d’argent dans le réaménagement et la restauration de ces buildings pour en faire des logements attractifs nichés dans un écrin historique et vendus aux plus offrants. En effet la plupart des façades de ces bâtiments étaient classées… c’est tout au moins ce qu’affirmait le guide touristique qu’elle avait entre les mains ! Le goût de l’ancien attirait de plus en plus de passionnés mais l’ancien se vendait cher car il nécessitait d’être réhabilité. Ce qui plaisait aussi était que ces vieux bâtiments étaient très souvent situés près de parcs : une chose rare dans ce monde ultra technologique et surpeuplé dans lequel il fallait faire de la place pour installer une population toujours croissante et vieillissante ainsi que des usines à la pointe. Les espaces verts, à la grande horreur de Dana de qui ils avaient accompagné l’existence, avaient graduellement été annihilés et aujourd’hui d’immondes blocs de béton hauts de plus de 300 étages les avaient remplacés. Somme toute, la ville avait un côté atypique et « vieillot » qui était loin de lui déplaire. Si elle n’avait pas aussi peur de vivre loin des mégalopoles où il était plus facile de se perdre, elle s’y installerait volontiers. Elle flâna ainsi encore un moment dans ce décor hors du temps qui lui rappelait son enfance et les meilleurs souvenirs de son existence. Elle prit ensuite la route du Sanctuaire où elle devait rencontrer le Dr Magnus.
Elle avait déjà été stupéfaite par sa visite de la ville mais elle le fut encore plus en découvrant le lieu de travail de la doctoresse. Un immense manoir entouré de jardins, dont la surface totale couvrait plusieurs dizaines d’hectares, était ceint de hauts murs. On pénétrait dans la propriété par un somptueux portail en fer forgé. Autant d’éléments inhabituels en ces temps où l’esthétique avait cédé la place au besoin pratique ! Elle nota la présence d’une caméra mais ne vit aucun système de détection de présence plus sophistiqué. Elle sonna à l’entrée, communiqua son nom et son prénom et la grille s’effaça devant elle. Elle parcourut l’allée, bordée de plants de fleurs, qui la conduisit à la grande porte où, là encore, une surprise de taille l’attendait : deux magnifiques heurtoirs en bronze représentant des têtes de lion ornaient les deux battants en chêne massif de la porte d’entrée de la demeure. Aucune sonnette n’était visible. Surprise, elle saisit un heurtoir, le souleva et le cogna contre la porte. Elle espérait avoir frappé assez fort...Ce fut apparemment le cas car, quelques instants plus tard, un homme de très haute taille, le cheveu couleur paille et hirsute se dressait dans l’encadrement. Minute…il ne s’agissait pas d’un homme mais d’une bête ! Une bête bipède dotée de deux grandes mains et d’un sens de la politesse remontant au moins au siècle dernier ! Sans doute même plus ! Décidément, cette journée était riche en surprises ! Elle le remercia d’un signe de tête (une chose qui parut l’étonner) et le suivit jusqu’à un bureau situé au 1er étage. Tout au long du chemin, elle ne pouvait s’empêcher de noter que le temps semblait s’être arrêté en ces lieux insolites. Si des caméras modernes étaient suspendues dans chaque couloir, le reste de la décoration datait sans conteste des XIXeme et XXeme siècles. XXIeme peut-être pour les objets les plus récents exposés. Elle n’eut pas le temps de s’en étonner plus que cela car la créature qui lui servait de guide toqua à une nouvelle porte et s’effaça pour la laisser entrer avant de s’en aller en refermant la porte.
« Bienvenue au Sanctuaire. J’espère que mon majordome ne vous a pas mise trop mal à l’aise. »
Son majordome ? Mais qui était donc vraiment cette femme ? Dana secoua la tête en réponse à sa question puis la dévisagea quelques instants, et, sans qu’elle puisse se l’expliquer, se sentit immédiatement à l’aise en sa compagnie. La femme qui lui faisait face était plus grande qu’elle, élancée, brune et possédait de grands yeux bleus qui semblaient indiquer qu’elle était plus âgée qu’elle ne le paraissait. Sa tenue, un très chic tailleur couleur carmin, était parfaitement ajusté. Son maintien était aussi impeccable que sa diction, comme si elle venait d’un autre âge. Une aura de mystère entourait l’étrange personnage qui se tenait assit, bien droit, dans un confortable fauteuil devant une cheminée au fronton joliment ouvragé de chimères. Tout semblait surréaliste à l’ex-agent fédéral et c’est plus par habitude que réellement désireuse de s’asseoir qu’elle prit place dans le fauteuil que lui désignait le Dr Magnus. Jamais auparavant, elle n’avait passé un entretien d’embauche assise dans un fauteuil !
« Vous êtes ponctuelle. Une qualité qui s’est perdue de nos jours. Puis-je vous offrir une tasse de thé ? »
Scully n’avait jamais aimé le thé (au grand désarroi de sa mère) mais, toujours abasourdie par ce qu’elle vivait et découvrait, elle accepta volontiers la proposition. Le Dr Magnus se saisit d’une théière en porcelaine ornée de roses et semblant sortir tout droit d’un salon britannique du XIXeme siècle et servit la boisson aromatisée dans un magnifique service à thé. Elle lui proposa ensuite quelques biscuits faits maison et reprit place dans son fauteuil. Elle trempa ses lèvres dans le breuvage pour en vérifier la température avant d’en avaler une gorgée, imitée par Dana, puis elle prit la parole.
« Comme je vous le disais au téléphone, le Dr Morgan m’a transmis votre dossier de candidature et il a su retenir mon attention notamment à cause d’un élément bien précis.
- Lequel ? »
Magnus se leva et prit sur son bureau le CV de Dana sur lequel elle avait surligné une entrée qui indiquait « 1992-2001 puis 2016-2022 : agent spécial du Service des affaires non classées, FBI, Washington DC ». Un bloc de glace sembla tout à coup lui tomber dans l’estomac. Comment avait-elle pu commettre une telle erreur ?! Elle relisait pourtant systématiquement et avec une grande attention ses CV ! Mortifiée, elle comprenait enfin l’absence de réponse à ses sollicitations ! Les employeurs devaient penser qu’elle était folle ou alors une simple plaisantine ; en tous les cas, pas un futur personnel stable et fiable. Il fallait absolument qu’elle se sorte de ce pétrin.
« Il s’agit d’une erreur de frappe qui a échappée à ma vigilance... commença-t-elle avant de s’interrompre pour chercher quoi ajouter.
- Une erreur de frappe peu commune, avouez-le. D’autant plus quand on sait que ce service n’existe plus de nos jours. Pour moi, cette entrée souligne surtout la longue habitude de manier et remanier ses CV pour qu’ils soient un reflet aussi fidèle que possible de l’époque dans laquelle vous vivez. Je suis certaine que vous devez posséder un original de ce CV comportant les véritables dates et lieux d’exercice. Dates et lieu que vous modifiez selon vos besoins pour les faire correspondre à votre vie actuelle. »
Dana était maintenant frappée de stupeur. Contrairement à ce qu’elle avait pensé de prime abord, le Dr Magnus ne semblait pas la prendre pour une cinglée ou une imbécile. Ses paroles révélaient tout autre chose.
« Qui êtes-vous ? »
Les mots s’étaient échappés de sa bouche avant même qu’elle n’ait eu conscience de les avoir formulés en pensée.
« Quelqu’un qui veut vous venir en aide.
- Me venir en aide ? Nous ne nous connaissons même pas.
- Cela ne saurait tarder. »
Scully se leva brusquement, mal à l’aise et l’image qu’elle s’était faite de cette femme au premier regard presqu’envolée, et s’apprêtait à prendre congé sans autres formalités quand la voix d’Helen se fit à nouveau entendre.
« L’immortalité est un fardeau que personne ne peut porter seul. »
Dana se figea. Qui était réellement cette femme et que savait-elle d’elle ?
« Il y a des signes qui ne trompent pas. Votre répulsion à nouer des liens, votre manière de me scruter depuis que vous êtes arrivée comme si vous étiez à la recherche d’éléments prouvant que je suis un danger pour vous ou encore cette erreur sur votre CV. Ce genre de fautes se produit dès que l’on a passé les 200 ans, comme si notre cerveau était moins vigilant. Je suis prête à parier qu’à la minute où vous quitterez mon Sanctuaire, vous fuirez l’Amérique du Nord. Peut-être même le continent américain pour la décennie à venir. Fuir n’est pas toujours la seule solution, vous pouvez me croire.
- Ce n’est pas une fuite mais de la simple préservation, contra Scully sans vraiment savoir pourquoi elle prenait la peine de répondre
- Préservation, survie, fuite, tout cela est identique. Ce sont des barrières qui vous empêchent de vivre. Qui vous empêchent de vous accepter.
- Que pouvez-vous en savoir ?
- J’ai aujourd’hui 311 ans. 424 ans si on compte les 113 années passées à oeuvrer pour le maintien de mon futur et de mon travail au sein du réseau des Sanctuaires à la suite d’un malheureux voyage dans le temps. Voyage qui m’a forcée à revivre ma vie en restant cachée pour ne pas provoquer de paradoxes. 113 ans passés à méditer, assurer la continuité de mon œuvre ou encore me cacher mais certainement pas à me morfondre sur mon propre sort. Si j’ai volontairement choisi l’inconnu au tout début de ma vie, j’ignorais qu’il me conduirait aux portes de l’immortalité. »
Dana était confuse, partagée entre la pensée que cette femme était folle et l’envie de la croire car des accents de sincérité émanaient de ses propos.
« Avant que vous ne preniez une décision trop hâtive, laissez-moi au moins vous montrer l’objet de votre visite. Je déteste ne pas aller au bout de mes entretiens d’embauche et vous seriez frustrée de repartir sans avoir eu connaissance de ce qui vous attendait. »
Magnus se leva à son tour et lui fit signe de la suivre. Ne sachant plus où elle en était et incapable de réfléchir de manière posée et cohérente, Scully finit par la suivre.
Elles empruntèrent un ascenseur archaïque mais fonctionnel et se dirigèrent vers les entrailles du bâtiment. Elles pénètrent ensuite dans une vaste salle, que Dana identifia au premier coup d’oeil comme un laboratoire et une salle d’observation, dont les contours semblaient délimités par… des cages ?!
« Que gardez-vous dans ces prisons ?
- Ce ne sont pas des prisons mais des cellules environnementales propres à chaque espèce y demeurant.
- Chaque espèce ?
- Approchez et vous en jugerez par vous-même. »
Dana, irrésistiblement poussée par sa curiosité, s’approcha de la cellule la plus proche sous le regard malicieux de sa congénère. Elle sursauta quand une silhouette féminine dotée d’une queue de poisson se colla à la paroi vitrée : une sirène ! Elle se frotta les yeux comme pour en chasser la poussière qui aurait pu provoquer une telle illusion mais la sirène était toujours là.
« Comment est-ce possible ?
- La Nature est une immense source de diversité et de surprises, Dr Scully. Graziella n’en est qu’une infime partie.
- Comment l’avez-vous trouvée ?
- Je l’ai cherchée pour la sauver. Son îlot a été détruit par une grande enseigne pétrolière qui souhaitait y forer de nouveaux puits. Sa vie étant directement menacée et son espèce étant malheureusement en voie d’extinction, j’ai dû agir vite pour la rapatrier et lui offrir un nouveau gîte.
- Mais… c’est impossible ! Elle n’a pas suffisamment d’espace pour vivre.
- Le sol de sa cellule est directement relié à l’océan. Comme vous avez pu le constater à votre arrivée, mon manoir est situé à proximité d’une plage. Après quelques tractations financièrement très coûteuses, j’ai privatisé la crique et les 100km les plus proches afin qu’elle soit à son aise. Si vous souhaitez en avoir la preuve, je peux vous conduire en barque à la lisière de mon domaine. »
Scully avait l’impression d’avoir remonté le temps. L’excitation qui parcourait son échine la renvoyait à sa rencontre avec Mulder et son entrée dans un monde qui la dépassait. A l’époque, elle avait eu beaucoup de mal à croire mais aujourd’hui tout était bien différent.
Helen et Dana étaient de retour dans le bureau. Scully avait l’impression que sa vie venait de prendre une nouvelle direction. Une direction qui n’était pas trop désagréable.
« Pourquoi moi ?
- Comme je vous l’ai dit cette entrée sur votre CV est tout sauf anodine pour l’oeil averti. Elle a retenu l’attention d’Henry puis la mienne. Je me suis souvenue avoir entendu parler de ce Service et après quelques recherches dans les archives du FBI, j’ai pensé que vous seriez la recrue idéale.
« Recrue ?
- Ce terme est plus approprié au poste que je vous souhaite vous proposer que celui de « nouveau personnel ».
- Ce terme a tout de même une connotation militaire. Une connotation évoquant le danger.
- Ce ne sera pas sans danger, je vous le confirme. Ma vie, comme celles de mes employés, regorge de dangers. Les Sanctuaires ont des ennemis. Des ennemis acharnés. Certains sont redoutables et n’hésitent pas à pousser leurs actions jusqu’à l’extrême. Il y a eu des morts, je ne vous le cache pas, mais la lecture de votre dossier a mis en lumière votre tempérament. Vous êtes une battante Dana. Je dirais même plus : une survivante.
- J’ai surtout eu beaucoup de chance. Ou de malchance, tout dépend du point de vue.
- La chance ne fait pas tout. Ce n’est pas la chance qui vous fait vivre.
- Je ne peux pas mourir.
- Vous ne pouvez ou ne voulez pas mourir ?
- Qu’insinuez-vous ? s’offusqua Dana
- Je n’insinue rien mais je sais, par expérience, que pouvoir et vouloir mourir sont aussi bien aux antipodes l’un de l’autre qu’étroitement liés. On peut mourir sans le vouloir, lorsqu’on prend une balle perdue par exemple. On peut aussi mourir parce qu’on le veut, parce qu’on est malade depuis longtemps et qu’on fait tout notre possible pour hâter notre fin afin de ne plus souffrir.
- Je ne peux littéralement pas mourir, dit Dana chez qui la colère commençait à monter, et ce n’est pas faute d’avoir essayé. Je ne vous permets pas d’insinuer que je ne souhaite pas mettre fin à cette vie de tourments.
- Ce n’est pas ce qu’elle souhaitait que vous pensiez, dit une voix d’homme dans son dos. »
Dana se retourna vivement pour faire face à un homme grand, brun, aux yeux bleus pétillants et arborant une barbe de 4 jours. Le Dr Henry Morgan !
« Helen s’est contentée d’un simple sous-entendu mais ce qu’elle voulait vraiment dire pourrait se formuler ainsi : êtes-vous bien certaine d’avoir fait tout ce qui était à votre portée pour mourir ?
- Évidement !
- Vous ne comprenez pas, dit Henry en secouant lentement la tête, ou alors vous avez tellement repoussé cette idée qu’aujourd’hui elle ne vous apparaît plus comme étant vitale.
- Effectivement, je ne comprends pas.
- Comment êtes-vous devenue immortelle ? »
Tout à coup, la colère de Dana retomba aussi soudainement que si elle avait été balayée par une gigantesque bourrasque de vent. Elle n’avait effectivement pas TOUT essayé et s’était elle-même condamnée à vivre éternellement. Elle avait acquis l’immortalité non pas parce qu’elle avait refusé de regarder la Mort en face mais parce que QUELQU’UN D’AUTRE AVAIT PRIS SA PLACE. Quelqu’un était mort pour elle. A cause d’elle. Il y avait bien longtemps qu’elle n’avait pas prêté attention à cette facette de sa malédiction. Une fois, une seule, elle s’était vraiment demandé ce qui se passerait si elle prenait la mort de quelqu’un d’autre mais, généralement et cette fois-là n’avait pas fait exception, l’idée de sacrifier un autre humain la révulsait tellement qu’elle refusait de penser à ce scénario.
« Ce serait un crime, murmura-t-elle
- Pardon ?
- Ce serait un crime, répéta-t-elle de manière plus audible. Mourir me pousserait à condamner une autre personne à une vie éternelle.
- Dans ce cas, reprit doucement Helen, vous ne voulez pas encore mourir ou vous ne le voulez pas suffisamment fort pour passer à l’acte. Il ne s’agit donc pas d’une question de pouvoir. Vous êtes une battante, une survivante et votre âme n’est pas corrompue.
- Comment pourrais-je faire ça à quelqu’un ? demanda Dana à bout de forces. Comment pourrais-je choisir qui condamner à une éternité de solitude, de pertes et de souffrances ? »
Sa voix, devenue plaintive, s’amenuisait. Elle était mise face à ses contradictions et rattrapée par ses peurs les plus profondes. Ôter une vie pour se défendre était une chose mais là elle ôterait une vie, la sienne, pour son seul plaisir. Cette idée la dégoûtait et lui faisait peur. Elle redoutait d’un jour la mettre en place pour échapper au cycle infernal dont elle faisait partie depuis 275 ans. Depuis ce funeste jour de l’an 1999 où Felig avait enfin eu l’opportunité de donner corps à son rêve. En abolissant définitivement les quelques scrupules qu’il lui restait encore. Un rêve qui était désormais le sien. Il avait néanmoins fait preuve d’un courage et d’une détermination qui faisaient défaut à Scully.
« Ce serait du pur égoïsme, marmonna Dana à l’issue de ces réflexions peu joyeuses
- Bienvenue au club ! lui sourit le Dr Morgan. J’ignore votre histoire mais nous autres immortels avons des liens très forts avec notre petite personne. Votre égoïsme est un fardeau pour vous actuellement mais un jour, vous serez prête à l’embrasser. Comme je l’ai fait ou, plutôt, comme j’ai essayé de le faire avec un succès assez mitigé. Je n’ai pas encore trouvé de remède à mon mal mais il y a longtemps une solution s’est offerte à moi. Retrouver l’arme qui a présidé à mon meurtre et m’en servir pour mettre fin à mes jours. Je suis alors devenu obsédé par cette idée. Quand le pistolet tant cherché a été en ma possession, il est resté plusieurs semaines enfermé dans un coffre-fort sans que j’y touche car j’hésitais à m’en servir. J’hésitais à mourir. Puis un ennemi, contre lequel il faudra d’ailleurs que nous vous mettions en garde, s’en est emparé et l’a retourné contre moi. Sans succès. Je dois vous avouer que cette pénible expérience m’a désolé mais la vie se refuse à me quitter. C’est par égoïsme que j’ai recherché cette arme mais c’est ce même égoïsme qui m’a empêché de m’en servir.
- Comment tenez-vous au quotidien ?
- Parce que je ne suis pas seul. Parce que j’ai fini par accepter de ne pas vivre en ermite. Parce que je ne veux pas devenir fou.
- Vous n’êtes pas seule Dana. Mon Sanctuaire peut devenir le vôtre. »
Se laisser convaincre n’avait finalement pas été aussi ardu qu’elle le pensait. Les mots d’Helen lui avaient été droits au coeur. Ils lui étaient apparus comme une main secourable. Grâce à elle, elle avait désormais des interactions sociales qui ne nécessitait plus qu’elle se cache. Elle avait un travail excitant et un foyer. Un vrai foyer. Un endroit où elle appréciait de rentrer après une mission en sachant qu’on l’y attendait. Mais plus encore que tout ceci, ce qu’Helen lui avait offert était un avenir. Un but, un projet. Travailler à ses côtés était comme sortir d’un long et mauvais rêve. Elle découvrait un nouveau monde, en avait appris plus sur les différentes formes d’immortalité qui jalonnaient le monde et renouait avec le plaisir qu’elle avait autrefois pris à s’ouvrir à de nouvelles possibilités. Bien sûr, elle se refusait encore à tout accepter et à tout envisager mais elle avait toujours été lente à apprécier et assimiler la nouveauté d’autant plus quand celle-ci sortait de l’ordinaire. Quoi qu’il en soit, et malgré ses réticences, elle voulait croire que quelque chose de bon sortirait de cette alliance inattendue avec le Dr Magnus et ses pairs. Et elle faisait tout pour que cela advienne !
Par ailleurs, elle pouvait enfin parler de son passé, de ses doutes, de ses peurs avec quelqu’un qui la comprenne. Un véritable soulagement ! Elle ne parlait d’ailleurs pas de ceci uniquement avec Helen mais aussi avec ses collaborateurs qui étaient ravis de découvrir la vie d’antan autrement que dans leurs livres d’Histoire ! Ces discussions étaient des bouffées d’air frais. Il y avait tellement longtemps qu’elle n’avait pas eu de vraie conversation avec quelqu’un ! Au début, se confier avait été difficile puis, peu à peu, sa langue s’était déliée et elle avait parfois du mal à s’arrêter. Helen et Henry, tout particulièrement, s’étaient montrés très patients et bienveillants à son égard. Ils lui avaient conté leurs histoires et elle leur avait conté la sienne. Ils avaient d’ailleurs été les premiers à l’entendre. Le fait d’avoir chacun perdu un enfant les avait rapprochés et ils pouvaient passer des heures à évoquer leurs souvenirs d’un temps qui n’existait désormais plus que pour eux. Chaque bribe du passé qui revenait à leur mémoire en telle ou telle occasion était prétexte à s’abîmer dans des souvenirs aussi merveilleux que douloureux. Des souvenirs nécessaires pour se construire, ne pas oublier et garder les êtres chers vivants. Avec eux, elle retrouvait peu à peu le goût de vivre et apprenait qu’avoir plusieurs visages, plusieurs vies pouvait aussi être un don du ciel. Les diverses aptitudes acquises au cours de ses années d’errance étaient aujourd’hui mises à profit pour le bien d’autrui et son expérience au Service des affaires non classées lui conférait une maturité que ne possédaient pas tous ses collègues. Habituée à rechercher le petit détail qui faisait la différence, Helen et Henry n’avaient de cesse de la féliciter pour sa virtuosité dans ce domaine. Elle les avait ainsi spécifiquement impressionnés lorsque sa première autopsie au service des Sanctuaires avait permis de résoudre d’un coup plusieurs affaires arrivées sur le bureau d’Henry à New-York et en lien avec les Phénomènes. Elle avait su se faire sa place et faisait partie, de par sa spécificité génétique, du cercle intime et privilégié de sa supérieure. Une marque d’estime qu’elle appréciait beaucoup et s’échinait à conserver.
Sa vie était à nouveau rythmée et cette normalité retrouvée lui avait été salutaire et lui avait donné un regain d’énergie. Comme pour toute chose, elle avait dû abandonner ses « mauvaises » habitudes. Des habitudes qui lui avaient certes sauvé la vie mais dont elle devait maintenant faire fi. Elle avait assez vite cessé de rester seule dans sa chambre après ses heures de boulot et acceptait désormais avec plaisir de partager un verre avec ses collègues dans l’un des bars de la ville. Par ailleurs, elle avait aussi accepté avec joie la proposition de Magnus d’être formée à la tératologie, la cryptozoologie et la xénobiologie. Elle était, selon sa professeure, une élève volontaire et prometteuse. Bien sûr, tout n’était pas encore rose mais ses « crises de mélancolie » se faisaient plus rares et, surtout, elles ne la paralysaient plus. Il y avait peu encore, quand la nostalgie prenait le pas sur elle, elle était capable de démissionner sur un coup de tête et de rester enfermée chez elle pendant des jours à broyer du noir. Sans aucune réelle envie de sortir la tête de l’eau, de se secouer pour avancer. Penser au passé et regretter ce qu’elle n’aurait jamais plus et n’avait jamais eu comptaient lors de ces instants. Aujourd’hui, elle n’était plus seule pour affronter ces phases et elle avait quelque chose auquel se raccrocher. Et puis elle VOULAIT se battre pour reprendre le dessus ; une différence majeure qui changeait son mental et son comportement. En somme elle apprenait à VIVRE sa condition et non plus à COMPOSER avec elle.
Il y avait 6 mois qu’elle vivait au Sanctuaire quand Helen lui parla d’une association qui lui tenait particulièrement à coeur : Mémoires de Juifs errants. Elle lui expliqua qu’il s’agissait d’un mouvement réunissant de nombreux immortels. Un rendez-vous était fixé annuellement à leur QG, le pub The Old Trip to Jerusalem, pour se retrouver et échanger souvenirs, anecdotes et paroles d’encouragements. Elle estimait que Dana, en dépit de son scepticisme quant à l’existence d’une telle communauté (bah oui, que voulez-vous, on ne se refait pas!), était prête à rencontrer ses pairs. Ceux qui pouvaient devenir sa nouvelle famille. Elle lui remit donc son carton d’invitation à leur prochain meeting, signé de la main du Président de l’association, un certain Klaus Mikaelson, et l’enjoignit à se joindre à eux. Scully commençait à peine à accepter véritablement sa condition d’immortelle et ne savait pas trop si elle devait accepter. Elle avait encore beaucoup de mal à croire que tout ce qui lui était arrivé récemment était vrai et qu’il ne s’agissait pas d’une supercherie ou même qu’elle n’était pas en plein délire, enfermée dans un asile. Comment tant d’êtres humains pouvaient-ils être immortels ?! Comment pouvaient-ils passer inaperçus ? Elle savait qu’il existait diverses formes d’immortalité mais Helen n’avait jamais précisé lesquelles de ses connaissances avaient été victime du mauvais sort, comme Henry ou elle, et lesquelles, à son instar, avaient forcé leurs destins. Par ailleurs, l’existence des Phénomènes l’avait poussée à se demander si tous les immortels étaient Humains. Quand elle avait posé cette question à Helen, celle-ci avait affiché son habituel et énigmatique sourire et lui avait conseillé de reprendre la lecture des mythes et autres contes relatifs à l’immortalité. Elle en avait donc conclu, sachant qu’Helen n’était pas du genre à plaisanter, que tous n’étaient pas comme elles. Etaient-ils donc des créatures venues d’ailleurs ou seulement des êtres venus d’un autre âge ? Devait-elle vraiment croire en l’existence de vampires ou d’entités surnaturelles éternelles ? Toutes ces questions combinées à ses craintes de ne pas être prête à affronter ce nouveau pan de sa vie l’empêchaient de se décider. Pourtant, elle finit par dire oui car elle avait foi en Helen et elle voulait lui prouver qu’elle avait eu raison de l’aider. C’est pourquoi elle se retrouvait désormais en Angleterre, dans un taxi, en route pour ce qui promettait être une soirée inoubliable…
Le taxi se gara devant une auberge pittoresque. Une bâtisse aux murs blancs, surmontée de toits pentus recouverts d’ardoise grise et flanquée d’une cour intérieure se dressait majestueusement au coin de la rue. Dana paya sa course et se dirigea vers l’entrée. Il y avait longtemps qu’elle n’avait pas été aussi anxieuse. Elle réajusta son ensemble, adressa une dernière supplique à Dieu pour que tout cela ne soit pas qu’une vaste supercherie, puis elle poussa la porte. Elle fut accueillie par un maître d’hôtel grisonnant et au visage avenant qui la débarrassa de son manteau avant de l’introduire dans une pièce comportant un superbe parquet, des tables en acajou autour desquelles étaient disposés des fauteuils en cuir cloutés ainsi qu’un bar en coin en bois massif. Des banquettes en cuir étaient par ailleurs disposées en différents coins de la pièce. L’air embaumait le rhum et le cognac et une légère fumée recouvrait d’une file pellicule la pièce. De la fumée de cigares. Elle fut tentée d’ouvrir la fenêtre pour laisser l’air disperser ce voile gris mais la température extérieure glaciale l’en dissuada. Des dizaines d’hommes et de femmes, élégamment vêtus, discutaient avec animation un verre à la main ou le cigare, voire la pipe, à la bouche. Dana avait l’impression de se retrouver au coeur d’un club de gentlemen des années 20 ! Ils étaient donc si nombreux à partager son sort ? Le savoir était une chose mais en avoir une preuve visuelle en était une autre. Comment s’étaient-ils rencontrés ? Qui avait fondé cette mystérieuse association ? Qui avait connaissance de leur secret ?
Helen venait de la voir. Elle s’excusa auprès de son interlocuteur, un homme aux cheveux longs et bruns noués en catogan et portant une épée au côté, et se dirigea vers elle.
« Je suis contente de vous voir Dana ! J’ai craint que vous ne vous joigniez pas à nous ce soir. Vous sembliez si sceptique quant à cette soirée.
- J’ai encore du mal à croire que tous ces gens soient immortels.
- Immortels ou quasi immortels. Certains d’entre eux sont, comme moi, simplement dotés d’une longévité exceptionnelle. Vous êtes plus immortelle que je ne le serai jamais même si vous êtes encore loin du niveau de Jack ou Klaus. »
Tout en parlant, elle lui désigna 2 hommes jouant au billard. Le premier, Jack, était bel homme. De haute stature, il avait des cheveux châtains coupés court et portait un manteau bleu typique des années 1940. L’autre, un grand châtain aux cheveux légèrement bouclés, était vêtu d’une veste de velours noir. Il émanait de lui une aura de danger qui réveilla en Scully son instinct policier. Il la mettait mal à l’aise et elle eut souvent envie de le voir, sans raison valable derrière des barreaux.
« Qu’est-ce que je fais là exactement ?
- Je souhaite vous introduire dans notre club. Vous pourrez ainsi vous créer de nouveaux liens et découvrir que chacun vit son « éternité » à sa manière. Nous avons tous parcouru des chemins tortueux pour nous accepter mais certains ont eu plus de chance que d’autres. Ils n’ont pas eu à les parcourir seuls. J’ai eu cette chance, vous non. Certains ici se sont retrouvés aussi esseulés que vous, à l’instar d’Henry. Il est temps pour vous de rencontrer votre nouvelle famille. »
Helen avait à peine fini sa phrase qu’un tintement se fit entendre. C’était Klaus qui réclamait le silence en tapotant une cuiller en argent sur un verre en cristal.
« Messieurs, Mesdames, l’heure est venue de fêter nos retrouvailles mais avant tout autre chose, il convient de laisser la parole à notre belle Helen qui a insisté pour pouvoir vous dire quelques mots. »
Magnus se dirigea vers lui, le remercia et prit la parole.
« Chers amis, nous sommes ici rassemblés pour partager d’agréables moments avec des personnes qui nous ressemblent. Parmi vous, certains ont dû traverser bien des épreuves avant de trouver un répit au sein de notre belle association. Ce soir l’une de ces âmes errantes rejoint notre club. Mes amis, laissez-moi vous présenter Dana Scully. »
Elle fit signe à Dana, soudainement mal à l’aise, de la rejoindre. Elle posa alors une main amicale et rassurante sur son épaule.
« Ancien agent fédéral et Docteur en médecine légale, Dana a erré pendant plus de 250 ans avant que nous n’ayons connaissance de son existence. Avec elle c’est aussi une nouvelle forme d’immortalité que nous accueillons ce soir. Je tenais à profiter de cette réunion pour lui ouvrir de nouvelles perspectives et l’intégrer dans notre famille si particulière. C’est désormais à nous de la prendre sous notre aile, de la former et de la guider vers ce que le Destin attend d’elle. »
Un tonnerre d’applaudissements salua ce discours et de nombreux mots de bienvenue fusèrent. Scully ne savait plus où donner de la tête. Tout le monde voulait s’entretenir avec elle et, avant même d’avoir pu placer un mot, elle se retrouva avec 2 verres de rhum dans les mains et un post-it sur lequel le fringant Capitaine Jack Harkness (l’homme au manteau bleu aperçu plus tôt) lui avait noté son numéro de télépuce. Il fallut toute la fermeté et la conviction d’Helen promettant qu’ils pourraient tous lui parler plus tard pour qu’elle s’échappe de cette foule enthousiaste. Assise en sa compagnie, elle tentait désormais de se remettre de ses émotions.
« Il faut leur pardonner. Il y a bien longtemps que nous n’avions pas accueilli de nouveaux membres.
- Combien de temps ?
- 235 ans. Henry a été le dernier à nous rejoindre. Nous sommes plus nombreux que vous le pensez mais moins que ce que l’on pourrait croire.
- Comment avez-vous rejoint l’association ?
- Grâce à Jack. Il m’a sauvé la vie pendant la Seconde Guerre mondiale. Il avait été grièvement blessé et mes soins n’étaient pas suffisants pour le garder en vie. Il est mort dans mes bras. Je vous laisse imaginer ma surprise quand il a repris vie quelques minutes plus tard et que ses blessures se sont refermées d’elles-mêmes ! J’avais déjà vu beaucoup de choses mais ça, jamais !
- C’est impossible ! S’écria Dana par réflexe.
- Après tout ce que vous avez vu au cours de votre vie et des 6 derniers mois, vous parvenez encore à vous étonner de tels récits ?
- Apparemment. Mulder disait que je n’avais aucune imagination et que l’extraordinaire n’arriverait jamais à s’ancrer en moi. Il faut croire qu’il avait raison.
- Comme le dit le proverbe : « chaque chose vient à point pour qui sait attendre ». Je suppose qu’il va falloir encore composer avec votre rationalité pendant un temps. Quoi qu’il en soit, votre...hum… ingénuité est rafraîchissante ! »
Dana n’était pas certaine que ce fut là un compliment mais elle se borna à n’en rien laisser paraître et se contenta de répondre :
« Pourvu que ce ne soit pas trop long !
- Il n’y a pas d’âge pour changer d’avis, dit un homme âgé aux cheveux blancs en s’asseyant à leur table, je suis Jenkins. »
Dana lui serra la main et, pour la première fois véritablement, elle eut l’impression fugace que l’immortalité prenait tout son sens. Cet homme lui donnait l’impression d’avoir tout vu, tout vécu, tout reçu et pourtant un filament de curiosité s’invitait dans l’océan de ses yeux.
« Jenkins est l’un de nos membres les plus éminents.
- Vous me flattez Helen mais sachez, dit-il à Dana, que je ne dois cette position qu’à mon statut de légende. Certains sont bien plus vieux que moi !
- Votre statut de légende ? »
Un grand sourire illumina le visage de Magnus. Un sourire taquin.
« Seriez-vous finalement prête à croire en l’extraordinaire ? »
L’amusement qui perçait dans sa voix acheva de convaincre Scully qu’elle voulait connaître la réponse à sa question. Elle opina donc du chef.
« Mon vrai nom est Lancelot du lac. »
Dana ne savait trop que penser de cette révélation. Le vieil homme avait l’air très sérieux et Helen semblait scruter le moindre de ses mouvements, guettant sa réaction à l’annonce presque théâtrale qui venait d’être déclamée.
« Lancelot du lac n’est qu’un mythe… »
La fin de sa phrase se perdit dans le rire tonitruant de Klaus Mikaelson subitement apparu comme par enchantement derrière elle.
« A quand remonte la dernière fois où tu as été si peu considéré ?
- Ouh, ça date ! Je crois me souvenir que le Colonnel Baird avait été la dernière personne à refuser d’y croire immédiatement.
- Effectivement ça ne date pas d’hier ! »
Scully était maintenant embarrassée. Mais quand apprendrait-elle enfin à accepter que tout, ou presque, était possible ?!
« Je ne voulais pas être impolie, se risqua-t-elle à dire.
- Aucun mal n’a été fait. Il y avait bien longtemps que je n’avais pas eu à faire cette révélation. De nos jours, les Bibliothécaires semblent tous passer un examen d’entrée destiné à prédire s’ils croient en moi ou non ! Il y a encore 150 ans mon identité était un secret absolu ! Aujourd’hui ma vie privée est tout sauf privée et les Bibliothécaires savent désormais tout sur leur plus prestigieux collaborateur avant même de l’avoir rencontré. Et si je pensais me rattraper avec les petits nouveaux de ce club, ce fut peine perdue jusqu’à vous.
- Les Bibliothécaires ?
- Des gardiens de la connaissance, chasseurs de reliques et autres artéfacts magiques destinés à enrichir la collection de la Bibliothèque.
- La Bibliothèque ?
- L’endroit le plus magique de cette Terre. Personne ne peut se vanter de posséder une plus belle collection que la mienne.
- Mme Frederiks désapprouverait sans aucun doute cette assertion. Sans oublier que, dans la pratique, la collection de la Bibliothèque ne t’appartient pas. Elle est simplement sous ta garde, fit un homme brun en arrivant.
- Au Diable Mme Frederiks et son Entrepot 13 ! Cette vieille chouette ne possède qu’une pâle copie de ma magnifique Bibliothèque !
- Du calme Jenkins, du calme, tempéra le dernier arrivé. »
Il avait une voix douce et des manières policées. A en juger par son attitude, lui aussi devait être très âgé bien que rien dans son apparence ne le laissa deviner. A part peut-être l’air blasé qu’affectait son regard.
« Dana, je vous présente Elijah Mikaelson. Il est le frère de Klaus.
- L’immortalité peut être génétique ?!
- Quand votre sorcière de mère décide de vous jeter un sort en conjurant toutes les forces de la Nature pour vous rendre invincibles et immortels, oui. Bien que nous soyons devenus immortels en même temps donc la génétique n’a finalement que peu de choses à voir dans notre sort, intervint Klaus
- Il parle littéralement là ? Chuchota Dana à sa voisine.
- Oh que oui ma bonne dame ! C’est ce sort qui a fait de nous des vampires. Les tout premiers. Les Originaux.
- Des vampires ? Demanda-t-elle laissant une nouvelle fois son scepticisme et sa langue agir plus vite que sa raison et sa retenue.
- L’immortalité ou la quasi-immortalité ne dépend pas d’un vecteur unique. Votre condition diffère de celle d’Helen qui diffère elle-même de celle de Jenkins ou de la nôtre. Il n’existe en réalité pas une immortalité mais plusieurs. Le seul point commun à chacune d’entre elle est la douleur morale, et parfois physique, qu’elle provoque chez son détenteur. Que nous soyons des êtres maudits, des vampires, des victimes d’une force extraterrestre comme Harkness ou victimes d’une force surnaturelle, comme vous, ou de simples malchanceux, nous avons tous fait les frais de la solitude, du remord, de la haine, de la colère et de l’incompréhension. Les combattre est la raison même de notre existence. Les Mémoires de Juifs errants ont pour vocation de nous rassembler pour nous épauler et, pour ceux qui le souhaitent, chercher un remède à ce mal qui nous ronge. Chercher pourquoi nous sommes ce que nous sommes. Ce qui nous différencie de ceux que nous aimerions être. Mais nous avons aussi pour mission de nous réconforter en apaisant nos âmes tourmentées. En laissant tomber pour quelques instants le masque que nous devons porter. En étant nous-même ou ce qui se rapproche le plus de ce que nous étions à la base. Parler est un remède naturel. Un remède qu’il serait contre nature de rejeter par crainte ou par ego. »
Elijah termina sa tirade en jetant un regard accusateur à son frère.
« Cesse donc de me faire la morale Elijah ! Tu as de la chance que ton côté rabat-joie ne m’ait pas poussé dans les bras des Adam !
- Les Adam ?
- Deux immortels dont il convient de se méfier. L’un d’eux a littéralement vécu l’Histoire et l’autre est né avec le don de l’immortalité. Le premier des deux a plus de 2000 ans et a eu le temps de voir le monde se construire, l’Histoire s’écrire et son être se détruire. Un tel fardeau a un prix. Et le prix qu’il a payé a été sa sanité d’esprit. Quant au second, c’est la vanité qui l’a perdu.
- Ils n’ont jamais été membres du club ?
- Si mais Adam Ier, le plus vieux, n’a jamais réussi à s’adapter. Je crois qu’en dépit de ce qu’il affirme, il a toujours été un peu déçu de ne pas être unique.
- Je crois surtout qu’il a perdu le goût du contact et que la solitude dont il a été victime a fait de lui un marginal, corrigea Henry en se joignant à eux. Vivre aussi longtemps sans savoir que d’autres partagent son sort doit être une torture.
- Il a aussi un très mauvais caractère !
- Raison pour laquelle je n’ai jamais compris pourquoi vous ne vous entendiez pas mieux que ça, sourit Elijah devant la mauvaise foi de son frère.
- J’ai mauvais caractère mais je fais contre mauvaise fortune bon coeur.
- Tu as surtout la grande chance d’avoir toujours eu quelqu’un pour te rappeler tes torts et tes failles, le corrigea patiemment son aîné.
- Peuh… Bref, Adam est un sale type dont il faut se méfier plus encore que la peste. Il a lui-même tourné le dos à notre mouvement et malgré nos tentatives de le rallier, il est resté campé sur ses positions.
- Quant à l’autre Adam, il a actuellement disparu de nos radars. Pouf ! Évaporé ! Conclut Jenkins »
Il fut remis à Dana des photos des Adam afin qu’elle puisse les identifier en cas de besoin.
Quelques heures plus tard, Dana se sentait à l’aise parmi les siens. Ça lui faisait tout drôle de penser à des inconnus en ces termes mais ils étaient désormais ce qui se rapprochait le plus d’une famille. Pourtant elle ne cessait de penser aux Adam. Etait-il possible que, comme eux, elle se laisse bouffer par sa condition ? Etait-il possible qu’elle tourne le dos à l’humanité qu’il restait en elle ? Au cours de la soirée, on lui avait beaucoup parlé de leurs crimes mais sans masquer non plus les méfaits dont certains membres du groupe s’étaient rendus coupables. Jenkins l’avait avertie qu’il viendrait un jour, qu’elle l’accepte ou non, où elle-même se révolterait contre le reste du monde. Parce qu’il arriverait inévitablement un moment où le dégoût de sa propre personne confinerait à l’aliénation. Et alors, on perdait pied. A demi-mots, le vieil homme lui avait laissé entendre que le malheur des uns faisait le bonheur des autres. Pas une personne du club n’était irréprochable mais chacun s’était trouvé un cheval de bataille, un objectif à atteindre pour continuer à s’accepter et surtout à respecter l’Humain lambda. Cet homme qu’ils enviaient autant qu’ils le haïssaient. Le risque quand on était immortel, lui avait-il répété à plusieurs reprises, était de se croire tout puissant. Plus important et utile qu’autrui. Être immortel n’était pas qu’un combat au quotidien contre son corps et son âme ! Non ! C’était bien plus que ça. Il s’agissait en réalité de faire coexister des forces que tout opposait à un niveau infinitésimal. Être immortel, c’était accepter à la fois que tout n’était pas perdu et que tout était perdu. C’était accepter de reconnaître que ses erreurs et ses choix pourraient bien apparaître un jour comme des idées de génie. C’était aussi accepter de s’ouvrir à l’autre tout en gardant ses distances pour se prémunir du danger. Être immortel, en somme, revenait à exercer le métier d’équilibriste et à se rappeler que le temps était différent. Que la vie se construisait pas à pas mais qu’un seul tour de la roue du temps effaçait impitoyablement tout en quelques secondes. Dix années pour un immortel en paraissaient 50 pour un être humain lambda. C’était 10 années de bataille acharnée contre soi, contre le temps qui passe et l’inéluctabilité du cycle humain qui s’évaporaient et devenaient des souvenirs lointains dont on tentait de se rappeler mais qu’on avait trop vite oubliés. Un immortel ne devait avoir de mémoire que pour ce qui marquait l’Histoire ou le répit qu’il s’accordait quand il décidait de lutter contre sa condition. Se lier aux autres, oui mais s’unir à eux, en pensées comme en actes, non. A moins de tenir à souffrir. Parce que ça finissait toujours par se retourner contre soi. Et que c’est à cause de ça qu’on devenait un marginal. Qu’on se transformait et qu’on se perdait. Qu’on se détruisait. Or une destruction pour un immortel devenait un composant de sa personne. Une partie de soi contre laquelle il faudrait désormais lutter sans relâche au risque de se retourner contre l’Humain mortel par jalousie ou par dépit. Et si on s’en prenait à lui, on s’en prenait à soi puis on passait le reste de ses jours à chercher à se faire pardonner pour ce mal. Vivre en étant immortel était une gageure mais ça prouvait aussi qu’un immortel était toujours une créature du monde. Une créature pensante, aimante, animées de passions et de pulsions. Un Adam, une Eve. Un cycle éternel.
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Le temps s’engrenait désormais différemment. Le fait de savoir qu’elle n’était plus seule était source de réconfort. Peu à peu elle avait tissé des liens avec les membres du Cercle des Mémoires de Juifs errants et avait trouvé en leurs vies des échos à la sienne. Beaucoup avait perdu foi en l’Humanité, en eux et en leurs croyances avant de rebondir. Bien d’autres avaient eu plus que leur lot de souffrances. La perte de proches, notamment, était commune à chacun des affiliés. Certains avaient même perdu plus d’une famille ! Dana admirait ces derniers. Elle savait qu’elle n’aurait jamais pu ni voulu fonder un nouveau foyer. C’était la 1ere fois de sa vie qu’elle était réellement heureuse de sa stérilité. C’était au moins une souffrance qui lui serait épargnée. Pourtant sa famille de sang existait encore. Son passé, sa vie ne seraient pas oubliés. Ses petits-enfants avaient transmis son histoire et le reste de la dynastie en avait fait de même. Elle le savait car elle n’avait jamais perdu de vue sa descendance. Elle se refusait à s’investir dans leurs vies parce qu’elle craignait toujours de leur attirer des ennuis et d’être reconnue mais elle n’hésitait pas non plus à se documenter à son sujet. C’est ainsi qu’elle découvrit l’existence de Claire Bennett…
Claire était une adolescente issue d’elle. Une jeune fille terrorisée par son secret. Un secret dont elle ne pouvait parler à personne. Elle était immortelle ou presque… Elle n’avait jamais tenté de se couper la tête mais aucune blessure n’était pour elle mortelle, quelle que soit sa gravité. Son secret avait été découvert par son ancêtre quand son corps avait mystérieusement disparu de la morgue où il avait été amené suite à un accident qui lui avait coûté la vie. Heureusement pour elle, Scully était celle qui avait rempli son dossier d’admission (oui, il lui arrivait de travailler en dehors du Sanctuaire ^^) et la seule à avoir noté sa disparition. Elle avait alors éliminé toute trace de son passage pour la protéger. Décidée à garder un œil sur elle, elle se rendit compte que sa descendante courait un grave danger. Par des moyens dont lui seul avait le secret, Adam Ier avait découvert son existence et sa particularité. Claire était désormais sa nouvelle cible. A cause d’elle. Adam ne lui avait en effet jamais pardonné de s’être opposé à lui et de l’avoir tué au cours d’un combat, d’une manière assez inventive il fallait bien l’admettre, dont les enjeux leur échappaient encore. Elle l’avait ainsi privé de sa chance de retrouver son homonyme, dont il avait retrouvé la trace, et qui était indispensable pour donner vie à l’idée qu’il se faisait du monde à venir. Indispensable car il était le seul immortel à avoir des idéaux identiques aux siens. Parce qu’Adam estimait désormais qu’il se devait de refaire le monde à son image. Après plus de 2000 ans à souffrir et à subir sa différence, il avait décidé de faire d’elle l’épicentre d’un projet eugénique. Un projet que ne pouvait tolérer le Club. Ses membres étaient donc entrés en guerre et cherchaient à stopper ses plans. Plans qui, si l’on en croyait son créateur, étaient déjà en marche. Ils avaient eu du mal à la croire mais l’augmentation inquiétante de cas spectaculaires semblait donner raison à Adam. Il s’était en effet adjoint les services d’un mage réputé que les rumeurs affirmaient être John Dee, le célèbre mathématicien et astronome élisabéthain. Une horrible idée s’était alors répandue comme une traînée de poudre au sein du Club : il avait joué à Dieu et était parvenu à créer une nouvelle race. Une espèce mutante qu’ils avaient surnommée entre eux « Heroes » parce que tous, pour ce qu’ils en savaient, possédaient un pouvoir et que l’appellation de « monstres » étaient considérée comme avilissante. Par ailleurs, le terme leur semblait approprié car certains, déjà épinglés par leurs soins, s’en servaient à bon escient. Les membres du Club ayant encore une famille de sang avaient apparemment constitué sa cible favorite. Leurs descendants étaient devenus malgré eux son terrain de jeu. Protéger Claire était donc devenu l’obsession de Scully. Elle avait trouvé son cheval de bataille.