HypnoFanfics

Interdit aux moins de 16 ans

Le Prince & L'Idiot

Série : Merlin (2008)
Création : 14.07.2015 à 16h54
Auteur : Listelia 
Statut : Terminée

« Ce jour-là au marché, Arthur se contente de faire ce qui lui semble juste. Il n'a aucune idée à quel point ce simple acte de bonté, un peu bourru, va changer sa vie et celle de tout un peuple... » Listelia 

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Basé sur les épisodes 1x01, 1x07, 1x02, 1x04  

 

C'EST AINSI QUE TOUT A COMMENCE

 

- Idiot, idiot, idiot, scandent les enfants dans la rue boueuse.

Arthur s'arrête, un peu ébloui. Il met sa main en visière pour les observer et son cœur se serre en voyant leurs formes dansantes dans la lumière. Ils sautillent en rond autour d'un grand garçon maigre aux oreilles décollées, qui tourne sur lui-même pour leur sourire...

- Sire ?

Arthur tressaille et revient au présent. Il adresse un signe du menton à Sir Léon qui l'observe d'un air un peu inquiet et se remet en marche.

La mélopée s'estompe. Les enfants ont disparus, évaporés au milieu des étals du marché.

Le roi descend la grand' rue de Camelot, sa longue cape rouge ondulant derrière lui, le soleil accroché dans ses cheveux blonds, et il se sent plus seul que jamais.

 

C'était il y a tellement d'années, déjà.

 

Il a à peine vingt ans et chahute dans cette même rue, dans l'air frais du printemps qui parfume Camelot.

- Idiot, idiot, idiot...

Il ne leur a jeté qu'un regard distrait, entre deux éclats de rire bruyants, échangeant bourrade et coups de poings fraternels avec les chevaliers. Une farandole de gamins aux vêtements élimés et aux voix qui piaillent, en train de faire une ronde autour d'un adolescent éperdu.

- Pauvre môme, a vaguement soupiré Sir Léon. "C'est le protégé de Gaius. Il devait être en train de faire une course."

Mais il n'a pas bougé, fronçant seulement les sourcils en ralentissant alors qu'ils passent à côté du groupe.

- Il n'a pas toute sa tête, ajoute quelqu'un d'un air un peu affligé.

Peut-être que c'est simplement parce que, pendant un court instant, Arthur a cru que le chevalier parlait de Gaius en ces termes insultants, mais il s'arrête pour examiner plus attentivement la scène.

Des particules de poussière virevoltent dans les rayons du soleil de fin d'après-midi, scintillant comme des grains dorés autour de la silhouette dégingandée qui trébuche en essayant de faire face à ses tortionnaires.

Des cheveux noirs mal coiffés et des oreilles décollées, le visage anguleux et de minces épaules qui ne remplissent pas sa veste, de longues jambes comme un poulain maladroit et ses bras qui protègent désespérément le sac d'herbes.

Arthur sourit, un peu amusé.

Puis le garçon tourne la tête vers lui au-dessus des enfants qui tournoient en scandant leur rengaine et deux saphirs ourlés de cils sombres rencontrent les yeux de lin du prince.

- Idiot, idiot, idiot...

Arthur ne sait pas vraiment pourquoi.

Peut-être que c'est cette expression résignée. Peut-être l'interrogation muette au fond des yeux bleus. Peut-être juste parce qu'un chevalier ne doit pas ignorer une injustice, aussi petite soit-elle.

Il fait un pas en avant, brise le cercle.

- ça suffit, laissez-le.

Les enfants se dispersent, mais le garçon maigre reste là, le menton penché, les épaules tombantes comme s'il s'attendait à être puni.

- Comment tu t'appelles ? demande le prince d'une voix bourrue, après s'être raclé la gorge.

Quelque chose passe sur les pommettes hautes et pâles, comme une lueur étonnée.

- Idiot ?

Arthur fronce les sourcils, donne une tape sur l'épaule osseuse – et le geste amical mais trop surdosé manque faire tomber l'adolescent.

- Non, ton vrai nom.

Les deux saphirs se lèvent vers lui, timidement, sous les cils sombres palpitants. Puis un grand sourire élargit la bouche de l'adolescent aux courts cheveux noirs.

- Merlin.

- Merlin, répète pensivement Arthur. "Eh bien, Merlin. La prochaine fois, ne te laisse pas arrêter par ces sales gosses. Dépêche-toi de rentrer chez toi. Ton maître t'attend sûrement."

Un hochement de menton précipité et le garçon aux grandes oreilles se sauve, le sac aux herbes toujours serré contre son cœur.

- Gaius vous en sera reconnaissant, dit Sir Léon avec un drôle de sourire contrit, comme s'il n'était pas tout à fait sûr de la raison qu'avait Arthur d'intervenir. "Le gamin est arrivé il y a quelques jours avec des marchands d'Eleador. Apparemment sa mère était une amie de Gaius et le lui a confié avant de mourir."

Arthur ne prête pas vraiment attention à ce qu'il dit, retient seulement qu'il a rendu service à Gaius. Il aime beaucoup le vieux médecin de la cour, qui l'a vu grandir. Et il trouve lâche de prouver sa valeur en s'attaquant à plus faible que soi. Il n'est pas tendre avec ses serviteurs, mais il s'estime juste. Vous n'avez pas besoin d'être méchant pour prouver que vous êtes fort. Une scène comme celle à laquelle il vient d'assister est juste cruelle, ce n'est pas comme réclamer de son valet qu'il cesse de pleurnicher quand on lui demande de porter la cible ou ignorer les grimaces de douleur des jeunes chevaliers après des heures d'entraînement.

Être ferme, voire un peu extrême, se moquer et ne pas se laisser aller à la sensiblerie forge le caractère de ceux qui se montrent trop mous.

Mais ces yeux bleus innocents ne peuvent tout simplement pas se défendre.

Ils ne comprennent pas.

Merlin appartient à un autre monde et Arthur est assez content de ne pas en faire partie.

Il a déjà presque oublié ce jour de marché lorsque le poignard vengeur vole dans la grande salle et qu'au dernier moment quelqu'un se rue contre lui, le poussant hors du danger.

Et il reste sans voix lorsque son père décide de placer celui qui l'a sauvé à son service.

Merlin.

De toutes les personnes présentes, c'est l'adolescent maigrichon qui traine sur les talons de Gaius qui est le seul à avoir vu venir l'attaque de la chanteuse.

Arthur se rend chez Gaius le lendemain, pour dissiper le malentendu. Certes, il est reconnaissant, mais il n'est pas question qu'il embarrasse le vieux médecin. C'est évident que son protégé ne renouvellera pas une telle prouesse et le prince ne tient pas à s'embarrasser d'un serviteur inutile qu'il faudra renvoyer dans les prochains jours.

La chambre remplie de fioles et de potions est baignée d'une lumière parcheminée, à l'aube. Elle sent le thym et l'aubépine, le cuir des reliures des livres.

Il se plante au milieu de la pièce, les bras croisés et les jambes écartées, attendant que le vieil homme revienne, et soudain la porte de la soupente, en haut des escaliers étroits, s'entrouvre.

Une tête ébouriffée, encore ensommeillée, passe par l'ouverture, puis deux yeux bleus le repèrent et le grand garçon maigre dévale les marches et se précipite vers lui.

- Arthur !

Il y a tellement de joie et d'anticipation sur le visage anguleux que le jeune homme fait un pas en arrière, un peu déstabilisé.

Il toussote.

- Merlin.

- Vous avez perdu quelque chose ?

Il décroise les bras, lève un sourcil.

- Hum. Euh... Eh bien, justement. Je... où est Gaius ?

- Parti.

- C'est évident.

Le prince se mordille l'intérieur de la joue.

- Ecoute, Merlin. Je...

Je ne veux pas de toi.

Tu ne pourras pas me servir.

Je n'ai pas le temps d'avoir pitié de toi, je ne peux pas me permettre de devoir te traiter différemment des autres serviteurs.

Désolé, mais c'est impossible. J'ai besoin d'un valet vif, fort, intelligent, qui puisse m'accompagner partout sans que j'ai honte de lui...

Son front s'empourpre soudain lorsqu'il réalise qu'il n'a pas même donné une chance au protégé de Gaius.

"Idiot, idiot, idiot..." chantent les enfants dans sa tête.

Il se redresse, inconfortable, s'éclaircit la gorge en prenant son air le plus princier.

- Merlin, si tu veux être mon serviteur, tu dois être dans mes appartements avant que je me lève, avec mon petit déjeuner. Ça n'a aucun sens que je doive venir te chercher ici quand j'ai besoin de quelque chose.

- Oui, Sire ! répond promptement Merlin avec un sourire qui remonte jusqu'à ses grandes oreilles.

Et Arthur sent son rire buller au fond de sa gorge.

 

C'est ainsi que tout a commencé.

 

Ça n'est pas facile et vraiment, parfois Arthur se demande ce qui lui est passé par la tête ce jour-là.

Un éclair de folie ?

L'envie de se démarquer ?

Un sortilège ?

Merlin est tout juste capable d'accomplir les tâches d'un serviteur moyen. Il est si maladroit qu'il ne réussit pas à passer une journée sans débarouler dans les escaliers dans un fracas de pièces d'armure. Il n'est presque jamais à l'heure, ne sait pas disposer un repas sur un plateau selon l'étiquette, et sa façon de trier les habits dans l'armoire relève de l'énigme : le prince a abandonné l'idée de s'y retrouver seul. L'emmener à la chasse signifie revenir bredouille et s'entraîner avec lui est à peu près aussi efficace que de se battre contre un sac de terre.

Et surtout, il ne sait absolument pas se taire.

Toute la journée, il pépie sans s'arrêter, commente sur les choses, les gens, le temps qu'il fait dehors, intarissable.

Arthur a cru que c'était de la nervosité, au début. Mais c'est faux et Gaius s'est contenté de lever un sourcil absent quand le prince lui en a parlé, comme s'il ne se sentait pas concerné par le problème. Sir Léon s'est proprement esclaffé, lui.

Apparemment, serviteurs ou nobles, tout le monde est au courant – sauf Arthur, que cela a un peu énervé.

Puis, en prêtant un peu l'oreille, il s'y est fait.

Merlin ne dit pas n'importe quoi. Il raconte un tas de choses. Il voit tout, il entend énormément de commérages et on ne se méfie pas de lui. Il trie les gens à sa façon : ceux « bons » et ceux « hum-hum », ce qui fait écrouler de rire le prince, surtout qu'il reconnait que ces évaluations sont souvent proches de la vérité.

Merlin n'a aucune idée des convenances. Il a peur de la grosse voix du roi et se tient silencieux, la tête baissée et les mains serrées devant lui, quand il est dans la même pièce – ce qui le garde loin des ennuis – mais il n'a aucune réserve à l'égard de l'héritier de Camelot, en revanche.

Sire.

Arthur.

Votre Merveillosité.

Tête de Cuillère.

Chacune des appellations a la même valeur à ses yeux et les inquiétudes d'Arthur se sont vite évaporées : oh, il peut se comporter tout à fait normalement avec Merlin. En fait, le grand garçon maigre est sûrement la seule personne avec qui Arthur peut être vraiment lui-même.

Merlin est honnête – plus sincère que n'importe qui. S'il n'est pas content, vous le savez. Il grommelle et bougonne et se plaint : ses chaussettes sont mouillées pendant la chasse, il n'a pas pu dormir à cause des ronflements de Gaius enrhumé, quelqu'un a mangé la part de tarte mise de côté pour lui par la cuisinière, il y a trop de lessive.

- Merlin, est-ce que tu tiens à nettoyer les écuries à ce point ?

- Non.

Il ne ment jamais : le concept semble lui échapper complètement. Arthur s'en est aperçu après lui avoir demandé d'inventer une excuse pour lui pendant qu'il allait en rendez-vous galant avec une princesse invitée au château. Quand le prince est revenu de son après-midi fleurie, il a trouvé son serviteur shampouiné aux légumes pourris. Merlin a manifesté son dégoût à l'égard du pilori, mais il n'a pas tenu rancune à Arthur et a joyeusement accepté de le couvrir le lendemain également – terminant sa journée au même endroit exactement.

La chose s'est renouvelée quantité de fois, depuis.

C'est le plus insolent et le plus loyal des serviteurs. Il suit Arthur partout, le taquine, le protège, le sert sans relâche, à sa manière maladroite et déterminée.

A la fin de la première semaine, Arthur s'est rendu compte que s'il ne renvoie pas son valet chez lui avec un ordre clair, Merlin passe la nuit assis dans le couloir, les bras croisés sur ses genoux relevés, sa tête aux pommettes osseuses blottie dans le creux de son coude, prêt à répondre au moindre appel.

Le prince est agréablement surpris en découvrant que Merlin est capable de lui enfiler son armure correctement dès sa deuxième journée de travail. Il ne sait pas que Gaius et Guenièvre, la servante de sa sœur Morgana, ont passé des heures avec son serviteur. Après sa première matinée désastreuse – à bout de patience, Arthur a menacé de se débarrasser de lui – Merlin, les lèvres crispées pour ne pas pleurer, s'est rendu à longues enjambées chez la jeune fille pour la supplier de lui montrer comment procéder. Gaius a servi de mannequin, gloussant quand l'adolescent le chatouillait en bouclant les courroies. Ils ont fait de leur mieux pour lui remonter le moral et sont récompensés par l'expression stupéfaite du prince le lendemain (ils ont espionné en soulevant un coin de la toile de tente) et par le sourire rayonnant de Merlin quand celui-ci les découvre.

Merlin aime les tournois. Il bat des mains et siffle avec excitation, se précipite dès que le combat est terminé pour ramasser le casque ou les armes de son maître. Il semble persuadé de l'invincibilité d'Arthur et de sa résistance inouïe à la douleur, et le prince, flatté bien qu'un peu inquiet, a décidé de ne pas le détromper.

Il y a quelque chose d'extrêmement grisant dans cette adoration sans bornes, quelque chose d'étrange qui réveille chez Arthur l'envie de prouver qu'il est celui que Merlin voit.

Ce n'est pas comme prouver à son père sa valeur – le prince reconnait amèrement que ça n'arrivera probablement jamais. Ce n'est pas non plus comme lorsqu'il joute avec les autres chevaliers, impatient de montrer ses capacités aux plus âgés et d'éblouir les nouvelles recrues. Non, c'est différent, parce que son père le traite de jeune imbécile ou condamne la moindre faiblesse, et parce que personne à la cour ou dans l'armée n'oserait jamais dire la vérité au prince sur son niveau – ou sa personnalité. Ses "amis" le flattent et se gardent de le contrarier, mais il les a entendu parler de lui quand ils le croyaient absent : un coquelet avec de gros muscles et un égo démesuré, qui ne sera jamais un grand roi.

Un arrogant petit con.

Depuis qu'il a compris que c'était l'opinion générale qu'on a de lui, Arthur se jette dans les tournois à corps perdu, à la recherche d'un sentiment de réalité.

Un roi bon et grand.

Il a un rêve et, pour la première fois de sa vie, il a rencontré quelqu'un qui y croit.

Alors il gagne les combats. Pour Merlin, pour lui-même, pour l'amour de Camelot.

Et il ne se rend pas compte qu'il change, peu à peu.

Un mois après leur rencontre au marché, il tombe des nues lorsqu'il s'avère qu'il a eu raison de donner une chance à Merlin au sujet de Sir Valiant quand son serviteur, les oreilles rouges d'émotion, s'est précipité dans sa chambre en lui racontant une histoire abracadabrante de tricheur qui glisse des serpents dans les cottes de maille de ses adversaires. Heureusement que Sir Léon a commencé par faire une enquête discrète avant de porter l'affaire à l'attention du roi. Sans preuves, Merlin aurait eu de graves ennuis – et Arthur aurait été terriblement humilié.

Plus tard, lorsqu'une courtisane tente d'assassiner Uther Pendragon pendant le banquet d'alliance avec le roi Bayard, Arthur n'a pas le temps de consulter le plus sérieux des chevaliers parce que Merlin intervient directement, déclenchant un scandale dans la grande salle. Arthur a beau essayer de protester, de rappeler à son père la déficience mentale du jeune serviteur pour apaiser sa colère, mais il ne peut pas empêcher les deux souverains de se toiser avec flamboyance et de décider que Merlin testera la coupe qu'il prétend empoisonnée.

Deux yeux bleus ourlés de cils sombres se tournent avec confiance vers Arthur, persuadés que celui-ci le sauvera, une fois qu'il aura prouvé ses affirmations.

Alors, quand la frêle silhouette s'écroule, le prince n'accorde aucune attention au brouhaha outré de la salle. Il ramasse le corps si léger de son serviteur et l'emporte sans se soucier du qu'en-dira-t'on ou de son père qui exige qu'il soit là pendant les négociations avec Bayard. Et lorsque Gaius, fébrile, explique à Arthur que seule une certaine plante aux feuilles jaunes peut sauver le garçon, le jeune homme n'hésite pas un instant. Il brave le courroux du roi, selle son cheval et s'enfuit dans la nuit, déterminé.

Sur la paillasse, Merlin se tourne et se retourne, brûlant de fièvre, et il gémit doucement.

- Ar-th-ur…

Au retour du prince, Uther, hors de lui, jette son fils dans les cachots pour le punir, mais Arthur ne réalise pas à quel point son orgueil va en souffrir dans les semaines qui viendront, lorsqu'il sera de retour parmi ceux de sa classe. Non, il n'a qu'une pensée en tête : sauver Merlin.

Deux yeux bleus se tournent vers lui…

Quelqu'un croit en Arthur et il n'est pas près de décevoir cette confiance.

C'est Guenièvre qui vient à la rescousse et subtilise la fleur au nez des gardes. C'est la première fois qu'il parle en tête à tête avec la servante de sa sœur. Il ne savait pas qu'elle était aussi courageuse, aussi audacieuse… aussi belle.

Son monde est en train de basculer, ses priorités s'inversent, il voit ce qu'il n'avait jamais regardé, il entend ce qui était toujours resté dans le silence, et Arthur se doute que ça ne pourra pas durer longtemps ainsi. Mais il n'a pas peur. Au contraire, un espoir doux et chaud palpite au fond de sa gorge, un frisson d'aventure plus attirant que n'importe laquelle des quêtes, le sentiment d'exister, pleinement.

Lorsque son père le fait libérer, le prince se laisse guider par ses pas et se retrouve chez Gaius, assis devant la cheminée à côté de cet idiot de serviteur qui est devenu bien plus qu'un simple valet.

Merlin lui sourit, encapuchonné dans sa couverture, encore faible après cette épreuve.

Les flammes dansent dans les saphirs purs qu'ombragent ses cils épais. Il ne pose pas de question, il ne dit pas merci non plus, alors Arthur n'a pas besoin de faire semblant qu'il avait mille et une raisons d'essayer de le sauver.

C'est si facile d'être soi quand on vous accepte tel que vous êtes.

 

 

A SUIVRE…

 

 


Listelia  (14.07.2015 à 16:59)
Basé sur les épisodes : 01x07, 02x02, 01x09, 02x08, 04x06, 02x01, 02 x09

 

DE L'HIVER AU PRINTEMPS

 

 

Une année passe.

Les gens sont tellement habitués à voir l'héritier de Camelot suivi par la silhouette dégingandée de son serviteur et à les entendre se disputer pour rire qu'ils en racontent des contes à la veillée.

Le prince et l'idiot.

Gaius et Sir Léon sont sûrement les seuls à s'en être aperçu, mais le peuple s'est pris d'affection pour le fils du roi. Celui qu'on évitait soigneusement – l'arrogant coquelet au cerveau de mélasse – est devenu le petit dernier de la famille. On secoue beaucoup la tête à son sujet – oh, il a encore tant à apprendre ! – mais on lui jette des coups d'œil indulgents, on lui offre une pomme ou un sourire, et on espère.

S'il continue comme ça, Arthur sera différent de son père qui écrase le peuple sous les impôts et les suspicions. Uther Pendragon envoie au bûcher des innocents sous prétexte de magie ou de foi, il ne montre aucune compassion envers les plaidoyers des villages aux alentours, que ce soit pour les aider en cas de famine ou lorsqu'ils sont soumis à des raids de brigands.

Arthur s'est fait un ami, un roturier du nom de Lancelot, qui a toutes les qualités pour être chevalier et que son père a catégoriquement refusé d'adouber, faute de titre de noblesse.

C'est Merlin qui a rencontré Lancelot en premier, pendant qu'il ramassait des herbes pour Gaius. Le jeune homme l'a sauvé d'un loup et a été blessé. Merlin, qui ramène au vieil homme des chatons abandonnés comme des mendiants, a supplié son maître de rencontrer Lancelot : "un vrai chevalier, Arthur ! Vous allez l'aimer."

Arthur a été forcé d'admettre que Merlin avait eu raison, encore une fois. Lancelot et lui se sont entendus tout de suite – après un duel qui a laissé le prince ruisselant de sueur et plus heureux qu'il ne l'avait été depuis des jours. Enfin un adversaire à sa taille – et un qui ne craint pas non plus de lui parler en face, même s'il le fait avec plus de subtilité et de tact qu'un certain serviteur.

Le jeune homme aux yeux noirs qui rit doucement et ne semble jamais pressé a aussi conquis le cœur de Guenièvre. Il n'est pas resté longtemps à Camelot, mais il revient de temps à autre et emmène Merlin à la pêche.

Un soir d'été où la chaleur écrasait la ville, il a demandé au médecin de lui expliquer la condition de son pupille. Arthur a écouté sans rien dire, appuyé contre le chambranle de la porte, ses manches retroussées sur ses bras croisés, pendant que Guenièvre et Merlin jouaient à s'arroser dans la cour, criant et gloussant de rire comme deux gamins.

Gaius a expliqué que Merlin était né comme ça. Simple. Et que ça n'allait jamais changer, même s'il s'ouvrait au monde et apprenait de plus en plus à se débrouiller par lui-même.

Lancelot n'a rien dit pendant un moment, puis il a raconté qu'autrefois il avait un petit frère et qu'une terrible fièvre avait rendu l'enfant idiot à l'âge de huit ans. Que les villageois ne l'avaient jamais accepté et qu'il était en bute aux railleries constamment. Et qu'un jet de pierre l'avait un jour atteint en pleine tempe et qu'il était mort.

Arthur s'est glissé dans le couloir pendant le récit, pour ne pas avoir à maintenir son masque impassible, et il est content de l'avoir fait quand Gaius conclut en disant que Merlin a eu beaucoup de chance que sa mère puisse le protéger et l'éduquer.

- Merlin sait lire ?

- Et il aime ça, acquiesce le vieux médecin avec un large sourire, inclinant le menton en direction des étagères où s'empilent d'épais volumes reliés de cuir.

- Est-ce qu'il peut aussi écrire ? s'émerveille Lancelot.

- Il le pourrait, s'il ne mélangeait pas toutes les lettres de ses mots…

Arthur essaie, le lendemain. Il dicte un billet pour sa sœur à Merlin et tente de lire le résultat, sans succès. Sir Léon le surprend en train de déchiffrer et se contente d'hocher gravement la tête quand le prince, gêné, avoue ce qu'il faisait.

- C'est déjà bien qu'il sache lire, c'est assez rare pour un serviteur, dit le chevalier. "Guenièvre sait lire et écrire. Ma mère lui a donné des leçons."

Cette information-là se range toute seule dans un coin du cerveau du jeune Pendragon, qui l'oublie quand la belle Sophia, une mystérieuse inconnue rencontrée à la lisière de la forêt, lui fait les yeux doux.

C'est encore Merlin qui sauve la situation. Il n'aime pas la damoiselle, l'a classée dans sa catégorie "hum-hum" dès qu'elle a eu fait trois pas en ville. Lancelot est le seul qui l'a cru, évidemment. Il a pris le prince en filature et lorsque la belle a tenté de noyer son amoureux drogué par une potion au goût de rose, le roturier au cœur pur est intervenu à grands moulinets d'épée. Merlin a bu la tasse, mais c'est lui qui a sorti son maître de l'eau. Sur les berges du lac, Arthur est vexé au plus haut point, mais il est sain et sauf.

- Ce n'était même pas une princesse, grommelle Merlin.

Uther ne saura pas que son fils avait presque perdu la tête – et la vie.

Le roi a d'autres chats à fouetter avec un nouveau tournoi en vue, dont l'un des participants est un chevalier aux armoiries noires qu'il croyait mort. L'homme qui cache son visage sous son sombre haubert gagne ses combats les uns après les autres, terrassant ses adversaires avec une cruauté implacable. Le père d'Arthur est plutôt content que son fils se soit porté volontaire pour aller patrouiller aux frontières de Camelot, car il redouterait de le voir affronter son ancien rival.

Ce qu'il ne sait pas, c'est que le prince est toujours à Camelot, sous une autre bannière, participant au tournoi incognito. Arthur s'est mis en tête qu'on l'épargne pendant les entraînements et il est las de ne pouvoir être lui-même avec d'autres. Lancelot désapprouverait, s'il était ici, mais c'est un de ces moments où il vadrouille dans le pays à la recherche d'une quête. Merlin, très soucieux, est déchiré entre sa loyauté envers son maître et le chatouillis dans ses narines comme un éternuement proche d'éclore, qui est un signe qu'il devrait en parler avec Gaius. Il trottine de la tente à la forge, tente d'expliquer à Guenièvre que quelque chose cloche, mais elle ne l'écoute pas. Le fait qu'Arthur a choisi de se cacher chez elle semble lui avoir fait perdre la raison, elle chantonne et se met des fleurs dans les cheveux comme une dryade folle. Merlin l'observe, ébahi, tandis qu'elle encourage le prince à prouver sa valeur tout en le grondant pour ses mauvaises manières à table.

Arthur, qui n'a jamais été traité de cette façon et qui, décidément, voit Guenièvre sous un nouveau jour, se prélasse dans son rêve rouge et or… qui éclate brusquement le cinquième jour, lorsqu'il se retrouve face à face en finale avec le Chevalier Noir.

Son haubert cabossé roule dans le sable de l'arène et il secoue la tête pour se débarrasser de ses cheveux blonds trempés de sueur sous la cotte de mailles. Uther se raidit sur son trône, mais il ne peut pas intervenir.

L'adversaire du prince se montre loyal et ôte également son casque. Une bourrasque d'exclamations stupéfaites balaye les gradins : c'est une femme.

Ses cheveux d'or capturent les rayons du soleil et ses yeux en amandes sont froids comme de la glace. Elle est belle, mais Merlin souffle comme un chat en la voyant. Le chevalier était "hum-hum", mais cette créature est une toute nouvelle catégorie à elle-seule : "pas bon, pas bon du tout."

Arthur esquisse un sourire grimaçant en se redressant, son épée lourde au bout de son bras fatigué. Il roule ses épaules sous ses protections d'acier et se prépare à continuer le combat.

Ce n'est qu'une femme, il n'y a pas de raison qu'il perde.

Ce n'est qu'une femme, mais elle a vaincu tous ceux qu'elle a affrontés jusque là…

De l'autre côté de la barrière qui entoure l'arène, Guenièvre grignote l'ongle de son pouce et Merlin serre ses bras autour de son ventre. Gaius s'est rapproché d'eux avec son froncement de sourcil de l'enfer, mais maintenant l'inquiétude se lit aussi sur son visage, tandis qu'il compare les traits de la femme avec ceux du souverain.

Plus de doute. Il sait qui elle est.

Il sait aussi que si Arthur apprend la vérité, il ne sera plus jamais le même.

Uther surveille anxieusement les mouvements des deux adversaires et se désespère de ne pouvoir entendre ce qu'ils se disent entre deux halètements.

- Si tu gagnes ce combat, jeune Pendragon, je te dirais la vérité sur la mort de ta mère…

- Ne croyez pas que vous pouvez salir sa mémoire !

- Oh, mais ce n'est pas moi qui l'aie salie…

La voix de la femme se glisse dans le cœur d'Arthur comme un poison, elle se dérobe avec la souplesse d'un serpent et la fatigue le chausse de plomb. Il trébuche, il tombe. La pointe de l'épée noire se pose sur sa gorge, fine et tranchante comme un tesson de vitrail.

- Viens… ce soir, à la nuit tombée…

Arthur se contente de cligner des yeux sous le soleil éblouissant. La transpiration dégouline le long de ses cils et sur son menton, comme des larmes.

Elle retire son épée, lui tend la main pour le relever et reçoit les acclamations de la foule sous le regard meurtrier d'Uther qui ne peut qu'applaudir, les dents tellement serrées qu'elles grincent et font sursauter Lady Morgane, à côté de lui.

La jeune fille fronce un sourcil. Elle a tôt fait de comprendre qu'il y a un secret, que son père donnerait tout pour qu'il reste caché. Elle est vive, imprudente, têtue et audacieuse. Toute sa vie, elle a rêvé d'une aventure à elle, d'un monde où elle serait libre – pas seulement cette poupée que l'on exhibe sous le dais des fêtes.

Elle se faufile entre les tentes, surprend la silhouette en armure noire miroitante qui salue Arthur avant de se mettre en selle et de s'éloigner avec un sourire sarcastique en direction du roi qui fulmine en silence.

Arthur est confiné dans ses appartements – il a désobéi délibérément en n'allant pas à la frontière – où il tourne comme un lion en cage. Dans sa détresse et sa colère, il répète à sa sœur les mots énigmatiques de la femme. Morgane a un plan pour le faire échapper, mais ce plan réclame un complice qui devra apporter à Arthur une corde pour qu'il s'échappe par la fenêtre. Ce sera Merlin. Ce bon Merlin, qui la contemple toujours avec ses yeux ronds et bleus, pleins d'admiration, qui lui a apporté des fleurs quand elle était malade, qui ne la sermonne pas quand elle imagine à haute voix tout ce qu'elle pourrait faire si on la laissait porter une épée et vagabonder de par le monde.

Morgane adore sa servante, mais Guenièvre est trop raisonnable. Merlin a peur d'Uther, mais il obéira, si on lui assure que c'est pour le bien d'Arthur.

A la nuit tombante, dissimulés sous leurs capuchons, le frère et la sœur se glissent hors du château et rejoignent le point de rendez-vous donné par la femme-chevalier. Ils laissent les chevaux à la garde du serviteur et se faufilent entre les arbres jusqu'au hallier.

La dame aux cheveux d'or est là, dans la pâle clarté de la lune, et ses yeux brillent comme de mortelles opales dans l'obscurité. Elle ne parle pas très longtemps, mais sa voix onctueuse transperce leurs âmes et scelle leurs destinées.

Elle s'appelle Morgause et elle est la fille de leur père, née après que celui-ci ait trahi la reine Ygraine, par un soir sans étoiles où le parfum intoxiquant des fleurs de vigne alourdissait la brise brûlante de la fin de l'été. Lorsque l'époux de la dame Vivienne a découvert qu'elle portait un enfant qui n'était pas le sien, il s'est vêtu de son armure couleur d'encre, a chevauché jusqu'à Camelot et exigé réparation. Le roi l'a vaincu en duel selon les règles, mais le mal était fait. A l'aube, le jour suivant, les serviteurs ont découvert la reine au pied de la plus haute tour, le visage aussi blanc que sa robe de soie, au milieu des roses éclaboussées de larmes cramoisies.

Ygraine n'est pas morte en mettant Morgane au monde et Arthur aurait eu une mère si Uther n'avait pas cédé à cette folie.

Merlin ne comprend pas pourquoi ils ont l'air si près de pleurer et que pourtant leurs yeux sont secs. Il essaie de parler, mais on l'ignore, alors il se contente de chevaucher à côté d'eux en les regardant comme s'il pouvait leur transmettre un peu de chaleur. Ses grands yeux bleus ont lancé un dernier coup d'œil à la femme au cœur de glace et il a décidé : il ne la laissera plus jamais s'approcher d'Arthur. Il suit son maître jusqu'à Camelot et assiste, terrifié, à la confrontation entre le père et le fils. Il ne sait pas que le silence de Morgane est bien plus dangereux que l'explosion de rage qui anime le prince.

Lorsque le roi parvint à faire entendre raison à Arthur, après des heures où leurs épées se sont heurtées avec des étincelles d'argent dans la grande salle du conseil, quand le prince s'écroule, à bout de forces et qu'il pleure, enfin, comme un enfant, de déception et de chagrin, Merlin croit que c'est fini.

Il ne sait pas que dans la chambre de Morgane, la princesse contemple un poignard qu'elle serre dans son poing jusqu'à ce qu'un mince filet de sang coule le long de son poignet. Son visage de poupée est figé dans une expression de haine profonde et sa peau de porcelaine scintille sous la lune, comme celle de Morgause.

Tout est si différent, après cette nuit-là.

Morgane sourit et cueille des fleurs qu'elle tresse en couronnes, minaude et s'accroche au bras de son père comme si de rien n'était. Arthur erre dans le château comme un fantôme, jappant ses ordres d'un ton acerbe. Il n'est pas venu aux appartements de Gaius depuis des lustres et ignore les invitations à descendre à la taverne que lui fait transmettre Lancelot quand il revient de son voyage.

Merlin s'efforce de remonter le moral au prince, mais on dirait qu'il fait tout de travers. Il se trompe de flacon et au lieu de mettre des sels dans le bain, il manque l'empoisonner – Gaius, heureusement, s'en aperçoit juste à temps. En réglant une des arbalètes qui ornent les murs de la chambre seigneuriale, il fait malencontreusement partir un carreau qui égratigne l'oreille de son maître. La sangle de la selle d'Arthur cède pendant que celui-ci parade dans la cour et l'humiliation est totale. Epuisé par le stress que lui font subir ses mésaventures, Merlin s'endort dans les écuries qu'il doit nettoyer pour sa punition et quand il se réveille, tous les chevaux se sont échappés.

Cette fois ç'en est trop. Arthur, furieux, décide qu'il n'a plus besoin de Merlin et engage l'affreux Cédric, le valet barbichu qui persécute Merlin quand celui-ci a le malheur de s'éloigner des étages royaux et qui est justement, là, à faire le lèche-bottes comme d'habitude.

Les yeux débordants de larmes, des brins de paille piqués dans les cheveux et du crottin écrasé sur tout le côté de la figure, Merlin s'enfuit sans jeter un regard en arrière. Gaius le trouve dans sa chambre, assis au bord de son lit, les mains crispées sur sa veste.

- Qu'est-ce qui s'est passé ? demande doucement le vieil homme en essuyant les excréments qui maculent le visage du garçon.

- Je ne suis pas un idiot, souffle Merlin amèrement.

Le médecin de la cour sent son cœur se serrer. Il termine de laver la joue sale.

- Non, tu ne l'es pas, Merlin, dit-il fermement.

Plus tard il plaisantera sur l'odeur du crottin ou le désordre des vêtements du serviteur qui pourraient laisser croire que oui, effectivement, c'est un idiot. Mais pour l'instant il se contente de soupirer et de tapoter l'épaule du garçon pour le réconforter. Il attrape le menton anguleux et le lève vers lui.

- Un jour Arthur te verra à ta juste valeur, affirme-t-il en posant son regard paternel sur son protégé.

- Quand ? s'écrie Merlin, la gorge nouée.

Gaius secoue le menton. Il a l'air si grave dans sa longue robe rouge et bleue.

- Je ne sais pas. Mais j'ai la certitude que lui et toi vous êtes appelés à un grand destin et que tu vas le servir et le protéger pendant de longues années…

La mâchoire de Merlin tremble encore et il presse ses lèvres l'une contre l'autre pour ne pas pleurer.

Il a tellement grandi depuis qu'il est arrivé. Gaius, ému, se penche et lui embrasse le front malgré les traces boueuses qui souillent la peau claire de celui qu'il considère comme un fils.

- Dors, Merlin. Ça ira mieux demain.

Mais ce n'est pas tout à fait vrai. Demain se transforme en après-demain et la semaine suivante aussi. Il faut attendre encore plusieurs jours jusqu'à ce que Cédric dévoile sa véritable nature. Arthur le surprend en train de découper des têtes de serpent et de forcer des enfants à les avaler. Le prince retient son envie de vomir et prévient le serviteur qu'il réprouve ce genre de pratiques barbares et sera forcé de le renvoyer s'il continue. Plus tard, pendant la chasse, quand un sanglier fonce sur l'héritier de Camelot pris au dépourvu, le pied coincé dans un trou de lapin, sa lance déjà plantée dans l'échine de la bête que ça n'a pas ralenti, Cédric prend ses jambes à son cou et disparait. Les quelques secondes où il croit qu'il va mourir éventré font défiler devant les yeux d'Arthur le souvenir d'autres battues où Merlin, ses grandes oreilles rouges de peur et les yeux écarquillés, n'a pas reculé d'un centimètre devant une bête sauvage qui chargeait, restant aux côtés de son maître.

Quand il rentre au château – sain et sauf, parce que les autres membres de la troupe n'étaient pas complètement des manches – Arthur a pris sa décision. Il remplit un sac avec les pièces de son armure et se rend chez Gaius.

Il y a quelque chose de son ancien sourire gouailleur sur son visage quand il annonce à Merlin que celui-ci aura à la nettoyer pour le lendemain.

- Alors ça veut dire que vous admettez que j'avais raison ? s'écrie le garçon avec cet impossible air de joie qui allume des étoiles dans ses yeux.

Pourquoi faut-il toujours que Merlin lui pardonne ?

Arthur toussote et s'en va sur une plaisanterie.

Il n'admettra pas que Merlin avait raison, mais il sait au fond de lui-même qu'il avait tort.

L'année s'achève et l'hiver qui a été rude et long tire à sa fin. Ce sera bientôt de nouveau le printemps. La neige fond en gouttelettes glacées le long des chêneaux. Les rues de Camelot, boueuses, sont creusées d'ornières profondes dans lesquelles cahote la charrette surmontée d'une cage de bois.

Derrière les barreaux, une fille en haillons frissonne sur un lit de paille moisie.

Les gens sortent de la taverne et elle les suit des yeux sans rien dire. Ses longs cheveux bruns s'emmêlent sur ses épaules et ses chaînes ont meurtri ses poignets. Elle ne semble pas tout à fait là.

- Qui est-ce ? demande Merlin en s'arrêtant et en penchant la tête de côté pour tenter d'accrocher le regard de la prisonnière.

Pendant un instant, deux iris couleur de châtaigne croisent les saphirs intrigués.

Lancelot et Gaius se retournent et échangent un regard attristé.

- Viens, appelle le vieil homme en tendant la main.

Lancelot revient en arrière et entraîne le garçon doucement mais fermement.

- C'est une sorcière, explique le jeune homme à voix basse. "Ou du moins elle a été condamnée comme telle. Le roi la fera exécuter demain."

Merlin s'arrête de nouveau et ses yeux hantés jettent de nouveau un regard vers la cage.

- Comme Cédric ? articule-t-il d'une voix blanche.

Gaius se mordille les lèvres.

Il a été prouvé que l'ancien serviteur d'Arthur était bel et bien un sorcier, il y a quelques mois, et le barbichu sournois est mort brûlé sur le bûcher. Merlin a été traumatisé – Arthur aussi, mais pas pour les mêmes raisons.

- Mais… ce n'est pas une sorcière ! C'est juste… une fille, proteste le garçon en se dégageant de la main que Lancelot a posée sur son épaule.

- Viens, insiste le vieux médecin. "Tu ne peux rien faire pour elle."

Ils rentrent, mais Merlin ne se couche pas. Il fait les cent pas dans l'alcôve, jusqu'à ce que Lancelot, étendu sur sa paillasse à même le sol, croise les bras derrière sa nuque et pousse un long soupir.

- Tu veux qu'on aille la libérer ? Je voudrais dormir et si c'est tout ce que ça prend pour te calmer…

Il plaisantait à moitié, mais le sourire du garçon fendille immédiatement ses derniers doutes. Lorsque minuit sonne, Lancelot se retrouve dans la rue pavée, en train de cisailler la chaîne du cadenas en jurant entre ses dents serrées. Merlin a passé la main entre les barreaux et touché la cheville de la prisonnière recroquevillée dans sa robe déchirée. Ils se contemplent l'un l'autre, étonnés, comme deux âmes sœurs qui s'étaient perdues et se reconnaissent après un long voyage.

Quand les gardes surgissent au coin de la rue, Lancelot n'a que le temps de plonger entre deux barils cerclés de fer. Merlin et la fille disparaissent au coin de la rue, légers comme deux elfes. Ils se tiennent par la main.

Lancelot soupire encore, puis il cache ses outils dans sa tunique et rentre chez Gaius en se grattant la nuque. Il se sent étrangement heureux, mais il n'est pas tout à fait certain d'avoir fait le bon choix.

Le lendemain, toute la ville est sans-dessous-dessus à la recherche de la sorcière et le vieux médecin roule des yeux terriblement suspicieux en voyant bailler le jeune homme. Merlin s'est déjà sauvé chez Arthur, mais il a eu le temps de dire à Lancelot que la fille s'appelle Freya.

Et qu'elle est belle comme une princesse.

Plus tard dans la journée, quand Arthur croise son ami, il lui demande distraitement s'il sait ce qui arrive à Merlin. Il ne l'a jamais vu si distrait : il a failli l'ébouillanter avec son bain et sa tête pendant le petit déjeuner du prince était celle qu'il fait quand il ment.

Or, tout le monde le sait, Merlin est incapable de raconter des mensonges correctement.

Lancelot esquive aisément la question, se renseigne l'air de rien sur la progression de la chasse à la sorcière. Arthur lève les yeux au ciel et ses épaules s'affaissent.

- Une autre des lubies de mon père, soupire-t-il. "Cette pauvre fille n'a probablement pas la moindre magie malicieuse en elle. Il parait qu'elle a été découverte en sang dans une grange avec un homme mort."

Il détourne les yeux et Lancelot comprend ce qu'il ne dit pas.

- Je suppose qu'elle est plus à plaindre que la victime…

Merlin pleure, ce soir-là, roulé en boule sous sa couverture pour étouffer ses sanglots, et à la lueur de la bougie, son ami le regarde depuis la paillasse, le cœur serré.

Freya a sûrement du lui raconter son histoire.

Le jour suivant, c'est un Arthur frustré qui manque se cogner dans Lancelot en descendant la rue principale de Camelot.

- As-tu vu Merlin ?

- Non, répond sincèrement Lancelot, avant d'apercevoir quelque chose qui lui fait froid dans le dos.

Un peu plus loin, au coin d'un étal, des gardes ont saisi un grand garçon maigre vêtu d'une tunique rouge et d'une veste brune. Le prince se retourne, intrigué, et ses yeux s'écarquillent immédiatement. Il se rue dans la direction de l'altercation et arrive juste à temps pour empêcher le sergent d'enfoncer son poing dans le visage terrifié de Merlin.

- Celui-là sait quelque chose ! beugle le garde quand sa proie lui est arrachée.

- Il vous vole, Votre Majesté ! ajoute l'autre soldat en montrant les saucisses qui ont mystérieusement disparu pendant le petit déjeuner d'Arthur et qui sont maintenant là, dans toute leur splendeur, répandues sur les pavés sales.

Le prince se racle la gorge. Ses yeux flamboient avec autorité.

- C'est mon serviteur, je réponds de lui. Laissez-le aller. Laissez-le, j'ai dit.

Les deux hommes s'éloignent en grommelant et Arthur se tourne vers Merlin qui se redresse, le cœur battant sous ses côtes, après avoir précieusement ramassé les saucisses.

- Merlin ?

- C'est pour que vous ne deveniez pas gros ! balbutie le serviteur en souriant maladroitement, sans se rendre compte que son œil gauche clignote et que ses hautes pommettes se sont enflammées.

Oh, qu'il est facile à percer à jour…

Arthur fait un geste du menton, résigné et amusé malgré lui.

- File.

Puis, quand les jambes interminables du garçon l'ont emmené assez loin entre les passants et les badauds, il se tourne vers Lancelot.

- Est-ce que tu as quelque chose à me dire ? Pourquoi il est comme ça ?

Lancelot prend son air le plus innocent.

- Je sais rien, assure-t-il.

Il rit à l'air désappointé du prince et s'en va avant de devoir trahir l'un ou l'autre de ses deux amis. Quand il rentre chez Gaius, ce soir-là, il rencontre Guenièvre et c'est à son tour d'avoir le cœur qui bat la chamade. Elle accepte qu'il la raccompagne et porte son panier de raccommodages à faire. Il l'écoute babiller, émerveillé, répond par monosyllabes parce que, comme chaque fois qu'elle est près de lui, il perd tous ses moyens.

- Est-ce que tu sais ce qui arrive à Merlin, ces jours-ci ? demande Guenièvre au milieu de sa conversation à sens unique. "Je l'ai vu sortir de la chambre de Dame Morgane avec une robe, tout à l'heure. Il m'a dit qu'il y avait des mites dans le château."

Au loin, le clocher sonne et Lancelot réalise soudain ce qui se passe.

Merlin va s'enfuir en emmenant la fille.

A combien s'élèvent les chances qu'il soit pris sur le fait et qu'on le condamne à mort avec la sorcière qu'il voulait sauver ?

Il quitte hâtivement Guenièvre qui ne comprend pas son visage soudain si sombre, et court tout le long du chemin. A bout de souffle, il fait irruption dans les appartements de Gaius et tombe sur le vieil homme accablé, assis à table, la tête dans les mains.

- Où est Merlin ?

- Il est parti, murmure le médecin, très pâle. "C'est cette fille, n'est-ce pas ?"

Lancelot hoche la tête, la gorge obstruée par la panique. Il cherche son épée, attrape sa cape et part fouiller les rues de la ville, désespéré. Il fait nuit, déjà. Il entend les appels, aperçoit la lueur des torches sur les murs, se cache dans les angles pour éviter d'être vu, arpente les venelles et siffle la mélodie favorite de Merlin dès qu'il passe à proximité d'un tas de tonneaux ou d'un chariot de bois.

Mais il ne les trouve pas et la fatigue s'ajoute à sa peur avec chaque heure qui passe. Quand l'aube rose tend ses rayons clairs entre les toits de chaume et sur le bord blanc des créneaux du chemin de ronde, auréolant les tours d'or et d'espoir, Lancelot commence à respirer un peu mieux. Il s'adosse à un pilier sous un auvent, pour se reposer un peu.

Merlin a dû réussir à sortir de la ville, d'une façon ou d'une autre. S'il avait été arrêté, il y aurait eu des cris et des bousculades, quelque part.

Il fait froid et l'air est pur, un peu acidulé.

C'est l'odeur du printemps nouveau-né.

- Ils sont là !

Son cœur fait un looping dans sa poitrine et se raccroche douloureusement. Il enjambe un étal vide, escalade un mur de pierres écroulé, saute dans une impasse, grimpe au bord d'une chaumière, saute dans une porcherie, bouscule deux femmes qui sortent de la boulangerie avec des pains chauds qui embaument et court jusqu'à en avoir un point de côté, la gorge raclée par le goût du sang et les oreilles sifflantes.

Les soldats sont devant le château, à l'endroit où les pelouses entretenues laissent place à un grand champ d'herbes folles. Là-bas, presque à l'orée de la forêt qui sera leur refuge, deux silhouettes se hâtent en se tenant par la main.

Arthur est debout au milieu de ses hommes et ses lèvres se pincent. Il lève son arbalète, la cale contre son épaule et ferme un œil. Il a la femme dans son angle de tir. Il pourrait la blesser à la jambe pour l'empêcher de s'enfuir… et elle sera ramenée au château pour être brûlée dans la cour sur le bûcher, comme son père l'a ordonné.

Quelque chose se noue au fond de lui.

La pauvre fille n'a pas mérité une fin aussi cruelle, quel que soit son crime – si tant est qu'elle est vraiment coupable, dans cette affaire.

Alors il prend sa décision et appuie sur la gâchette.

Il vaut mieux la tuer proprement, d'un carreau entre les deux épaules. Elle ne souffrira pas longtemps.

Le cri d'agonie lui parvient, atténué, au moment où quelqu'un lui attrape le bras avec violence.

- Arthur, non !

Il se tourne, surpris.

- Lancelot ?

Les yeux du jeune homme sont remplis d'horreur et il secoue la tête.

- Arthur, c'est Merlin… lâche-t-il dans un souffle.

Le prince lève le bras pour arrêter ses hommes, presque comme un réflexe. Les poils se hérissent sur sa nuque quand il se tourne de nouveau vers le fond du champ.

La femme est tombée, mais pendant un instant, il aperçoit la tunique rouge et la veste brune qui habillent mal la silhouette dégingandée qui se penche…

Mon Dieu… Merlin…

Il trouve la force de renvoyer les gardes d'un ordre bref, un peu haletant. Ils ne discutent pas. La plupart d'entre eux lui jettent un regard un peu étonné, les autres ont l'air plutôt soulagé qu'il mette fin à la curée.

Personne n'aime la chasse aux sorcières et les soldats savent bien qu'ils servent la folie d'Uther plus que la protection du royaume.

Lancelot n'attend pas qu'ils soient tous partis et se hâte en direction du couple. Arthur le suit plus lentement, l'arbalète frémissante au bout de son bras.

Il redoute ce qui l'attend à l'orée de la forêt.

Le visage ravagé par le chagrin, Merlin est agenouillé et serre dans ses bras une fille à peine plus âgée que lui, aux longs cheveux bruns emmêlés, qui le contemple avec douceur, comme si elle sentait à peine la blessure dans son dos. Du sang macule ce qui était une des robes de Morgane et que l'inconnue porte comme si elle n'avait jamais été vêtue autrement que de façon royale.

- Il y a bien quelque chose que je peux faire pour te sauver ! balbutie Merlin à travers ses larmes.

Elle sourit. Elle n'a pas la force de lever la main pour lui caresser la joue, mais il y a tant de chaleur dans sa voix que Lancelot et Arthur ressentent sa tendresse comme si elle les enveloppait eux aussi.

- Tu m'as déjà sauvée... Tu m'as montrée que j'étais aimée… répond-t-elle.

Les épaules de Merlin tremblent, secouées de sanglots.

- J'veux pas que tu partes ! supplie-t-il dans un hoquet.

- Un jour, Merlin, nous nous reverrons… Je te le promets…

Ses cils se reposent sur sa joue, cachant ses iris couleur châtaigne aussi innocents que ceux de Merlin et il lâche un cri étouffé.

- Non… non…

Il la berce contre lui, presse son visage contre son épaule, caresse les longues boucles embrouillées et pleure, pleure comme s'il n'allait jamais s'arrêter, comme si c'était la fin du monde, silencieux et discret comme un oiseau blessé.

Dans le silence de l'aube, les feuilles des arbres s'agitent doucement et des gouttes de pluie tombent sur le visage d'Arthur. Le soleil ourle d'or et de mauve le grand champ blafard et habille de lumière les herbes folles.

Tout est si beau, si parfait. Si terriblement triste.

Lancelot bouge très lentement, comme pour ne pas rompre l'équilibre délicat de cette grande tristesse. Il s'accroupit et pose sa main sur l'épaule de Merlin.

- Viens. Il faut lui dire adieu avant que les soldats ne réclament son corps…

Arthur blanchit à cette phrase et se retourne presque convulsivement vers la ville derrière eux.

Oui. Son père réclamera la dépouille de la sorcière et il faudra inventer une histoire pour détourner son attention du complice qui l'a aidée à s'échapper.

Il se penche à son tour.

- Emmenons-la au lac, dit-il à Lancelot.

Son ami acquiesce et soudain Merlin lève ses yeux rouges vers le prince.

- Un lac ?

Arthur a besoin de toute sa force d'armes pour ne pas tressaillir devant la douleur qu'il lit dans les saphirs.

- Oui, Merlin. Un lac. Ce n'est pas très loin. On lui construira un radeau et on l'enverra vers Avalon, comme une reine…

Merlin hoche gravement la tête, les bras toujours serrés autour de la fille qui ne respire plus, son visage si pâle appuyé comme si elle dormait contre l'épaule de son amoureux.

- C'est une vraie princesse, Arthur…

- Je sais.

Lancelot l'a un peu aidé, quand il voyait que les jambes maigres allaient céder sous la charge et l'émotion, mais c'est Merlin qui a porté Freya sur tout le chemin jusqu'au lac. Quand il la dépose sur la rive, haletant, la nuque douloureuse et les bras engourdis, Lancelot se met en quête de branches et trouve une vieille barque retournée sur la berge humide. Il la tire jusqu'à la défunte et vérifie qu'elle ne fuit pas trop pendant que Merlin ramasse des fougères. Puis il fabrique un arc et cherche des silex dans les pierres du chemin. Arthur disparait pendant un moment et quand il revient, il ramène un bouquet de fleurs mal cueillies, les tiges trop courtes et les pétales un peu fripés, que son serviteur reçoit comme s'il s'agissait d'un cadeau inestimable. Ils allongent Freya sur l'écrin de fougères et disposent les fleurs autour d'elle, un peu maladroitement.

Quand tout est prêt, Merlin lisse une dernière fois la belle robe, presse légèrement le poignet encore meurtri par les chaînes.

- Adieu, Freya, murmure-t-il en se penchant pour l'embrasser sur le front.

Lancelot et Arthur l'aident à pousser la barque vers le milieu du lac, puis reviennent sur la berge. Arthur hésite, puis il se tourne silencieusement vers Lancelot, le suppliant du regard.

Toi, tu le fais... moi, je ne suis pas digne...

Son ami acquiesce sans un mot. Il allume la flèche improvisée après quelques essais ratés, et tend l'arc.

Merlin est debout dans l'eau jusqu'aux genoux, les yeux fixés sur la barque qui s'en va.

Le tir d'or traverse le ciel en froufroutant et atteint la cible qui s'enflamme sans un bruit.

Les yeux bleus de Merlin sont remplis de larmes qui ne coulent plus. Il ne bouge pas, frissonne seulement. Arthur n'ose pas s'approcher pour lui dire de sortir du lac glacé. Une boule au fond de la gorge, il se demande s'il y aurait un tel désespoir sur le visage de Merlin, si c'était lui qui était dans la barque.

C'est Lancelot qui finit par sortir le serviteur de l'eau et qui l'entraîne doucement vers la ville, vers un feu bien chaud, vers Gaius.

- Merlin, si je meurs un jour… tu feras ça pour moi… tu m'enverras vers Avalon dans une barque sur le lac de Freya ?

Merlin hoche difficilement la tête, comme hébété. Il s'appuie plus lourdement contre Lancelot qui le soutient et continue de murmurer des mots de réconfort.

Arthur les suit et se sent tellement inutile et sale et coupable qu'il ne sait même plus quoi faire de lui-même. Il rentre directement au château, une fois qu'il a aperçu, par la porte entrouverte parce qu'il n'a pas voulu entrer, Gaius qui serrait Merlin dans ses bras en murmurant "je suis navré, mon garçon, vraiment navré…" dans la pièce baignée de lumière parcheminée.

Uther est assez content de savoir la menace de la sorcière écartée, mais plutôt fâché d'apprendre que le coupable a sauté d'une falaise et disparu dans les bouillonnements d'un torrent. Enfin, Camelot est sauf, tout est bien, et il tapote l'épaule de son fils avec approbation.

Arthur se raidit. Il salue son père et s'en retourne dans sa chambre où il passe le reste de la journée à regarder à travers le même carreau de la fenêtre. Le lendemain matin, sa décision est prise.

Il fait mine d'ignorer les yeux bouffis de chagrin de Merlin et lui donne l'intégralité de ses bottes et de celles de sa garnison à cirer en guise de représailles pour le petit déjeuner dérobé. Et quand il est à peu près sûr que sa voix ne va pas vaciller en chemin, il vient s'asseoir à côté de son serviteur et lui bourrade l'épaule.

- Je suis désolé, Merlin… murmure-t-il.

Le serviteur se tourne vers lui et quelque chose qui ressemble à l'ombre de ce sourire qui illumine la vie des gens passe sur son visage.

- Ce n'était pas très gentil de me jeter ce broc d'eau à la tête, approuve-t-il gravement.

Arthur met quelques secondes à se rappeler que c'est ce qu'il a fait la veille – il y a mille ans, il lui semble.

- On est quitte, tu as prétendu que j'étais gros, riposte-t-il d'une voix mal assurée.

"Tu sais très bien que ce n'est pas ce pourquoi je suis désolé, Merlin…"

Les yeux bleus ourlés de cils sombres le contemplent avec douceur.

"Je sais."

Puis Merlin penche la tête de côté et le soleil joue en transparence sur les lobes de ses oreilles, brillant dans ses cheveux noirs en désordre et sur le plancher de la pièce.

- Mais vous êtes gros.

Arthur est sur le point de répliquer, quand il sent le rire chatouiller le fond de sa gorge. Il hésite, puis il s'autorise à répondre au sourire que lui adresse Merlin.

Dehors, le printemps réchauffe doucement les toits et les pierres blanches de Camelot.

L'année est terminée et ils sont toujours là, ensemble. Malgré tout.

 

 

A SUIVRE...

 

 


Listelia  (14.07.2015 à 17:04)
Basé sur les épisodes : 03x04, 03x11

 

 HYDROMEL & HORIONS

 

 

- Debout là-dedans ! clame la voix réjouie de Merlin et Arthur grogne en se renfonçant plus profondément sous ses couvertures.

Pourquoi tant d'énergie dès le matin ? Ce n'est pas décent.

Le serviteur tire les rideaux en grand et le soleil envahit la chambre, déversant sa clarté chaleureuse sur les meubles cirés et la table du petit déjeuner qui fleure bon le bacon et la miche toute juste sortie du fournil. Arthur hume la délicieuse odeur, mais se refuse à ouvrir les yeux et à s'extirper de son cocon douillet. Il cherche en tâtonnant quelque chose à lancer dans la direction de l'importun, mais se trouve forcé de soulever une paupière quand il ne trouve rien.

- Mmm.. m'r'lin… v't'en…

- Debout, Sire ! gazouille le serviteur sans se laisser démonter. "La journée est magnifique et vous avez du pain sur la planche !"

Dans cinq secondes il va tirer la courtepointe d'un seul coup et envoyer Arthur au plancher comme une saucisse entortillée dans les draps.

Ou se percher au bord du lit, décontracté, et ça, ça ne veut dire qu'une seule chose.

Oh non, pas ENCORE…

Le prince roule sur lui-même et ouvre les yeux en fronçant les narines, ébloui par le soleil qui joue dans ses cheveux blonds ébouriffés dans tous les sens. Il se hisse sur un coude, passant son bras nu par-dessus les couvertures de velours vermillon.

- Merlin. Ne me dis pas que tu en as récupéré un autre.

Le serviteur lui adresse une grimace souriante, ses pommettes hautes cachant presque ses yeux bleus pétillants de gaité. Il entrouvre sa veste en ménageant l'effet de surprise, puis dépose sur le lit la boule de poils gris et fauves qui crachote de colère.

- Il était dans l'armurerie. Est-ce qu'il n'est pas trop mignon ?

Arthur s'humecte les lèvres, pince l'arête de son nez en prenant une longue inspiration.

- C'est un chat, Merlin.

Pourquoi faut-il que ces fichus animaux finissent toujours par croiser le chemin de son serviteur ? Ce n'est pas la sorcellerie que le roi devrait interdire, mais la romance entre félins ! Depuis deux ans que Merlin est entré à son service, le prince a vu défiler des centaines de chatons. Il n'est pas question qu'il tente une nouvelle fois de les refourguer à la cuisinière pour qu'elle les noie : elle risquerait de faire une attaque d'apoplexie.

Tous les villages alentours de Camelot sont équipés de chasseurs de rats pour les trois prochaines décennies et les chevaliers ont prévenu Arthur qu'ils ne croyaient plus à son histoire d'accessoire indispensable pour amadouer le cœur d'une dame.

Le prince soupire en grattant malgré lui les petites oreilles pointues du chaton qui se balade maladroitement sur sa courtepointe écarlate, la queue en l'air comme une fane de noisetier.

Ce sont ses chiens qui devraient dormir dans la chambre et le réveiller en jappant, comme n'importe quel jeune noble féru de chasse. Voilà ce qui serait masculin et normal pour le fils du roi. Mais les dogues ont failli avaler Merlin tout cru la seule fois où il a essayé…

- Merlin, tu ne peux pas sauver tous les chats du royaume. Tu dois laisser faire la sélection naturelle.

C'est une cause perdue, mais il continue de la prêcher, espérant qu'un jour vienne où il ne soit pas accueilli au réveil par un miaulement ténu – comme une fille.

Ah. Idée.

- Pourquoi tu ne proposes pas à Morgane de le garder ? demande-t-il avec un regain de motivation en s'asseyant et en balançant ses jambes hors du lit à baldaquin, rejetant les couvertures contre les piliers.

- Guenièvre l'a interdit, réplique Merlin, visiblement indigné, en enfilant les manches de la tunique de lin sur les bras de son maître.

Arthur lève les yeux au ciel en mettant ses bottes.

Guenièvre est un génie de réussir à se faire respecter.

Il se dirige vers son petit déjeuner, rafle une tomate cerise sur le plateau et la gobe tout en réfléchissant. Sur son lit, le chaton tourne en rond en couinant plaintivement.

- Bon, de toute façon, je ne peux pas garder ton nouveau petit protégé. Et, non, Merlin, ce n'est pas un cadeau et je ne vais pas l'accepter. Débrouille-toi pour t'en débarrasser avant que je revienne du conseil.

Les oreilles du serviteur flopent vers le plancher d'un air affligé tandis qu'il jette un coup d'œil en direction du chat qu'il espérait installer dans les quartiers du prince et retrouver chaque matin. Puis ses yeux bleus s'éclairent malicieusement.

- Oh-oh.

Arthur fronce les sourcils et se retourne avant d'hoqueter, écœuré.

- Ha, il a pissé ! braille-t-il. "Non, Merlin, pas encore ! Sors cette vermine de ma chambre à l'instant ! Allez, grouille ! Je te préviens, si tu en ramènes un autre, je le sabre !"

Merlin se précipite pour enlever le chaton par la peau du cou et se sauve dans le couloir, laissant le prince en tête à tête avec son petit déjeuner et une belle auréole jaunâtre odorante au milieu de son matelas.

Encore heureux que ce ne soit pas à lui de faire la lessive…

A midi, l'affaire n'est pas encore oubliée. Arthur a décidé qu'il devait frapper fort s'il ne veut plus que sa literie serve de latrines à tous les matous égarés. Il envoie Guenièvre récupérer son serviteur à la terrasse où celui-ci étend les draps qui claquent dans le vent, et charge Merlin de préparer les chevaux et de la nourriture : il fait beau et son père n'a pas besoin de lui pendant quarante-huit heures, il part à la chasse.

Merlin traine les pieds et râle, mais il ne peut pas faire autrement qu'obéir. Derrière sa fenêtre qui surplombe la cour pavée du château, Gaius secoue la tête, amusé, en les voyant s'en aller. Il tient dans ses bras le chaton. Peut-être que cette famille de passage dans la ville basse pourrait apprécier de recevoir la créature vouée à tous les tourments par Arthur : ce sont des marchands ambulants et ils ont une petite fille que le vieux médecin a soigné de sa mauvaise toux.

Gaius commence à être à cours d'idées pour se débarrasser des félidés que sauve son pupille.

Deux jours plus tard, le prince et son serviteur émergent à l'orée d'un bois, sales comme des peignes, et considèrent le village en contrebas. Le beau temps a fait place à une bruine tiède et les cheminées fument sous le ciel terne.

- Tu sais ce qui est le plus agréable après une partie de chasse ? demande Arthur en appuyant son arbalète contre son épaule, enchanté de sa sortie.

- Un bain ? hasarde Merlin d'une voix boudeuse. "Dormir ?"

Il est chargé de plusieurs bestioles mortes – lapins aux fourrures grises et faisans accrochés à un fil de chanvre comme des perles sur un collier – et son visage est maculé de terre. Il a froid, il est mouillé et il déteste l'odeur de viande morte qui se dégage des dépouilles.

- Une bonne chope d'hydromel ! déclare le prince avec une bonne humeur indécrottable. "Tu vois le toit pointu, là-bas ? Je te parie que c'est une taverne. Allons-y !"

Ils récupèrent leurs chevaux à la clairière où ils ont dormi et descendent la colline jusqu'au village paisible niché au creux de la vallée. Merlin est de nouveau en train de bougonner : les lieux publics le rendent nerveux, il préfère mille fois cueillir des herbes pour Gaius dans un coin sombre de la forêt plutôt que d'aller au marché. Le prince, qui est toujours en mode "paye pour tes chatons", est ravi de l'entendre grognasser sur ses talons et s'engouffre dans la taverne après avoir attaché son cheval à la barrière à l'extérieur.

- Rappelle-toi, ici, je ne suis qu'un simple manant, chuchote-t-il. "Si j'entends un seul "sire", je te fais nettoyer les écuries pendant une semaine."

- Les chevaux sont déjà plus propres que vous, grommelle Merlin entre ses dents, en suivant son maître, le nez sur ses bottes éculées.

- Qu'est-ce que t'as dit ? s'enquiert Arthur en s'asseyant à une table après un regard circulaire satisfait.

- L'hydromel, ça n'a pas bon goût.

Le jeune homme pouffe de rire et donne une grande claque sur l'épaule de Merlin qui grimace en frottant son bras avec exagération.

- Oh, mais toi, tu ne vas pas en boire ! s'exclame joyeusement le prince. "Tu te prends pour un gobelin après trois gouttes de cidre, je ne suis pas fou pour tenter le diable."

Il y a de l'animation autour d'eux, des rires, des odeurs fortes et des roulements de dés. Un homme aspire sa soupe à grand bruit, une demi-douzaine d'autres sont penchés sur ce qui doit être une course de bousiers, un ivrogne somnole sur le bord du comptoir, ses cheveux maculés de ce qui doit être un reste de vomi ou de porridge.

- Qu'est-ce qu'j'vous sers ? demande la matrone en s'approchant d'eux pour essuyer la table avec un chiffon aussi sale que son tablier. Son opulente poitrine ballote presque à découvert et Merlin la fixe, les yeux un peu exorbités.

- Une chope d'hydromel pour moi et un lait de chèvre pour celui-là, toussote Arthur en balançant un coup de pied sous la table à son serviteur.

La femme s'en va après avoir chuchoté "t'es un bien joli gas, toi" à Merlin qui a rougi jusqu'à la pointe de ses oreilles décollées quand elle l'a frôlé.

Le prince est à deux doigts d'exploser de rire quand il entend la tenancière envoyer sa servante porter "l'braggot au blond qu'a les dents de souris". Il perd aussitôt sa superbe et Merlin glousse de façon incontrôlée en marmonnant quelque chose au sujet de l'animosité d'Arthur envers ses chats.

Puis un grand costaud qui sent l'urine et le cuir bouilli entre dans la taverne et cherche des ennuis à la grosse femme qui bafouille de peur. Arthur entend l'appel du chevalier – ou a peut-être trop vite bu sa chope – et se lève pour défendre l'honneur de la "dame".

- Fiche le camp, morveux, si tu veux pas finir en pâté, grogne l'homme couturé de cicatrices en adressant un regard torve à ce blondinet bien bâti qui se prend pour un personnage de légende.

- J'aimerai bien voir ça, pouffe Merlin dans le silence qui est tombé sur la salle, s'attirant tous les regards et un froncement de sourcil fataliste de la part d'Arthur.

- Tu ne pouvais pas te taire, non ?

L'instant d'après, c'est la débandade. Des bancs volent, des poings broient du cartilage, il y a du sang, de la bile et de la bière partout, des assiettes éclatent et la taverne n'est plus qu'une mêlée géante comme celle qui a eu lieu à Camelot il y a quelques jours – les épées en moins, heureusement.

Merlin s'est faufilé dans un coin après avoir distribué quelques coups de pied et esquivé un nombre de coups conséquents : il est souple et agile et si maigre que ça devient difficile de le viser, même au corps à corps. Derrière le comptoir, il balance des chopes en émail à la tête des combattants et aide la tenancière à sauver les pichets qui sont encore intacts jusqu'au moment où quelqu'un l'interpelle.

C'est un jeune homme barbu aux cheveux bruns qui ondulent autour de son visage avec style, alors même qu'il semble se battre en étant complètement saoul. Pris par surprise, Merlin lui tend le pichet qu'il réclame et le regarde, sidéré, boire une grande lampée d'hydromel avant de casser le broc en grès sur la tête d'un des pugilistes.

- Tu es… ?

- Merlin, bredouille le serviteur d'Arthur, fasciné par la façon magistrale dont l'homme abat ses coups sur ses adversaires tout en ayant l'air de s'ennuyer.

- Enchanté, Merlin ! Moi c'est Gwaine, lance l'inconnu avant de retourner dans la baston d'un air visiblement enthousiaste.

Il attrape un type trois fois plus gros que lui et lui tord le bras dans le dos, en assomme un autre, tourbillonne en jetant ses genoux et ses coudes habilement et finit par se retrouver dos à dos avec Arthur qui esquisse un sourire malgré la sueur qui dégouline sur son visage et continue à fracasser du manant avec la certitude que ses arrières sont protégées par le jeune homme qui est nettement d'un autre moule que le reste des clients.

Cinq minutes plus tard, tout est terminé.

L'homme qui a agressé la tenancière est à terre, sérieusement sonné par Gwaine qui l'a ceinturé et plaqué au sol juste avant qu'il ne poignarde Arthur.

- Merci, compagnon, lance le prince en tendant sa paume ouverte au jeune inconnu.

- Gwaine, j'm'appelle, mon pote, réplique l'autre en se redressant avec un sourire gouailleur qui se transforme soudain en grimace de douleur.

- Il est blessé ! s'écrie Merlin en se précipitant – non sans se prendre en plein front le bord du comptoir quand il se penche pour passer par-dessous la planche au lieu de la soulever.

- Aouch, marmonne Arthur, un peu accablé, avant d'aider son serviteur à nouer un bout de tissu autour de la cuisse de Gwaine et d'ordonner qu'on mette le costaud qui a commencé ce bazar au pilori. Les gens chuchotent un peu, incertains, puis obéissent.

Quand Arthur prend cet air d'autorité, il obtient ce résultat, en général. Merlin appelle ça "sa voix de majesté".

Quand la taverne est à peu près redressée – le prince lui-même a aidé à remettre les tables sur leurs pieds – deux paysans hissent Gwaine sur la selle d'Arthur et le prince s'éloigne après avoir promis aux villageois l'aide de Camelot s'ils en avaient un jour de nouveau besoin… Il est incroyablement cool quand il laisse tomber qu'ils ont la "parole du fils du roi" et Merlin sourirait, s'il n'était pas si inquiet pour le blessé.

De retour au château, Gaius recoud proprement l'estafilade sans gravité et Gwaine passe la nuit sur la paillasse de Merlin – comme Lancelot avant lui. Le vieux médecin lui fait subir un véritable interrogatoire le lendemain et apprend qu'il est le fils d'un chevalier de Carleon, qu'il pourrait paraître devant le roi sans honte. Gwaine le supplie de taire son identité : il préfère de loin être un vagabond et ne pas s'attacher à une terre ou à un maître. Il y a de l'amertume dans sa voix faussement légère, quelque chose de résigné que Merlin ne comprend pas. Le serviteur a déboulé dans la soupente en revenant des appartements d'Arthur, tout excité. Uther veut féliciter Gwaine en personne et pourtant celui-ci refuse catégoriquement d'être récompensé et se contente de profiter du gite et du couvert pendant les quelques jours de sa convalescence.

Arthur lui rend visite, rit et échange des coups de poings fraternels avec lui, des histoires de bagarres et de filles, essayant de le convaincre de rester. Il voit en Gwaine la même âme loyale et courageuse que Lancelot et a vraiment du mal à accepter que son nouvel ami s'en aille alors qu'il pourrait rester et devenir chevalier – ce qui est interdit à Lancelot.

Gaius aimerait bien que ses appartements redeviennent un sanctuaire de la science et des herbes rares, plutôt que l'annexe de la taverne où Arthur ne peut pas vraiment se rendre à cause de son rang. La veille du départ de Gwaine, le vieux médecin soupire en déposant des couvertures sur les épaules des deux hommes endormis, leurs chopes d'hydromel encore à la main, puis se glisse dans son lit en se demandant où est passé Merlin alors que son maître est ici, saoul comme une barrique.

Arthur rêve à ce que pourrait être sa vie s'il n'était pas le fils d'Uther, s'il ne devait pas chaque jour faire face à l'homme qui est responsable de la mort de sa mère, s'il n'avait pas besoin de se tenir à distance des gens qu'il apprécie, et dans son sommeil lourd, ses lèvres se pincent tristement.

Pendant ce temps, Merlin a des soucis. Le roi a deux invités, des chevaliers de passage que le garçon a mis immédiatement dans sa catégorie "hum-hum". Sir Oswald et Sir Ethan ont peut-être de parfaites manières à la Cour, ils se comportent comme deux porcs avec le personnel du château. Sir Ethan a fait pleurer Guenièvre qui s'est lavé dix fois la bouche à la fontaine et tremble comme une feuille morte chaque fois qu'on l'appelle au détour d'un couloir. Merlin a les bras douloureux à force de changer les lourdes malles de place, la faim qui lui taraude le ventre et une brûlure cuisante au bas du dos, là où le fouet de Sir Oswald l'a mordu quand il ne s'est pas dépêché assez vite pour lui apporter son armure.

Il est en retard pour apporter le petit déjeuner d'Arthur et celui-ci, qui a la gueule de bois, se montre assez mesquin avec lui. En remportant le plateau avec les assiettes sales, Merlin a les larmes aux yeux et les mâchoires crispées de colère quand il se cogne presque contre Gwaine qui se balade dans le château en croquant dans une pomme.

- Qu'est-ce qu'il y a, mon pote ? interroge gentiment le jeune homme en scrutant le visage fermé du serviteur.

- Rien, souffle Merlin en cachant sous ses longs cils sombres l'éclat frustré de ses yeux bleus.

- C'est son Altesse qui t'embête ? insiste Gwaine.

- Non, marmonne le garçon qui se sauve, sans se rendre compte qu'il boitille un peu.

Dans sa colère en découvrant que son bain était tiède et non pas chaud, Sir Ethan l'a jeté un peu fort contre la porte, ce matin, sa hanche lui fait mal.

Ce sont des nobles, ça ne sert à rien de se plaindre, a répété Guenièvre, hier soir, tout en brossant les tuniques pleines de savon qu'elle lavait comme si elle voulait les écrabouiller.

Merlin vient seulement de comprendre qu'Arthur est vraiment un bon maître, même s'il lui jette souvent des choses à la figure.

Arthur n'a jamais joué à la pichenette avec lui.

Arthur se moque de lui quand il n'en peut plus pendant la chasse, mais il ralentit son cheval et en appelle à une pause collective.

Arthur le bouscule et lui shampouine la tête aux phalanges, l'habille d'une armure trop grande pour lui et lui fait tenir la cible quand il s'entraine à la masse – c'est terrifiant – mais il ne l'a jamais frappé.

Merlin est très malheureux et il ne sait pas à qui parler.

Gaius semble agacé et ne répond que par monosyllabes, plongé dans les rangements de ses fioles.

Le prince et Morgana déjeunent avec le roi, c'est Guenièvre et Georges qui les servent.

Le garçon maigre ramène le plateau en cuisine, puis il se glisse entre deux colonnes, en bas dans la cour, et enfouit son visage dans ses bras croisés sur ses genoux.

Quelqu'un s'assoit à côté de lui et un coude familier s'installe sur son épaule, sans façons, amical.

- Qu'est-ce qui t'arrive, mon pote ? demande Gwaine.

Merlin essuie les larmes qui barbouillent son menton.

- Rien, grogne-t-il.

Gwaine se gratte le sourcil en mâchouillant dans le vide, puis il rejette ses boucles brunes en arrière et ses dents blanches sourient dans sa barbe.

- J'crois pas, dit-il simplement.

Le clapotis des sabots d'un cheval qui débouche dans la cour pavée l'empêche d'entendre la réponse du gamin.

- MERLIN ! rugit quelqu'un d'une voix rogue.

Le garçon sursaute et se met debout aussitôt, les bras serrés le long du corps. Gwaine se rencogne derrière la colonne blanche pour observer la scène.

Sir Oswald a mis pied à terre et se plaint d'on ne sait quoi, un sanglier ou le mauvais temps. Il a attrapé l'épaule mince de Merlin et la secoue si fort qu'il risque de la déboiter. Le jeune homme fronce les sourcils et se redresse.

- Tout va bien, Merlin ? lance-t-il en s'approchant, les sourcils froncés.

Le serviteur le supplie des yeux en silence. Sir Oswald toise Gwaine de haut en bas, renifle avec mépris devant ses vêtements mal taillés et reprisés.

- Fiche le camp, toi, aboie-t-il.

- Je ne vous parle pas, à vous, dit Gwaine d'une voix trainante dans laquelle on entend un accent menaçant.

Il pose sa main sur l'épaule de Merlin et son expression devient glaciale quand il sent le tremblement qui secoue le corps frêle du garçon.

- Je croyais vous avoir dit de décamper, articule Sir Oswald irrité et incrédule devant le peu d'attention qu'on lui accorde.

- Viens, Merlin, dit Gwaine en entrainant le serviteur.

Sir Oswald tressaille de colère et tire son épée qui chuinte en sortant du fourreau et fait retourner Gwaine qui siffle de mépris.

- Vous attaqueriez un homme de dos ? Vous êtes donc non seulement un porc, mais aussi un pleutre.

Le chevalier se rue sur lui, devant les yeux terrifiés de Merlin, mais Gwaine esquive souplement l'attaque et éclate d'un rire sarcastique qui rend fou son adversaire.

Quand Arthur et les autres seigneurs sortent dans la cour, quelques minutes plus tard, Gwaine est en train de donner une leçon à Sir Oswald avec son propre fouet qui était enroulé contre sa selle.

Le roi est outré et en appelle aux gardes qui séparent rapidement les deux hommes et qui forcent Gwaine à s'agenouiller sur le sol pavé. Merlin se mord les lèvres d'un air désespéré, emmêlant ses cheveux d'un geste impuissant. Arthur fronce les sourcils et lorsque Sir Oswald a fini de donner sa version des faits, il intervient avant que son père ne puisse condamner Gwaine.

Certainement, le jeune homme qui lui a sauvé la vie dans la taverne mérite qu'on le laisse s'expliquer aussi.

Gwaine relate avec acidité la scène à laquelle il vient d'assister, et à la grande surprise d'Uther, Morgane s'approche pour raconter que sa servante a aussi souffert des mauvais traitements du chevalier.

Ce n'est pas suffisant pour faire relâcher Gwaine, cependant, parce qu'un roturier n'a en aucun cas le droit de s'en prendre à un noble pour faire justice. Arthur se creuse les méninges pour tirer hors d'affaires cet imbécile au sang chaud, mais il est à court d'arguments et voit venir le moment où son père va laisser tomber sa sentence et au mieux bannir Gwaine de Camelot, à défaut de le pendre.

C'est à ce moment-là que Gaius fend la foule de son pas tranquille, ses longues robes pourpres et indigo frôlant les pavés avec la dignité d'un vieux sage. Sans s'émouvoir – et en ignorant placidement les coups d'œil fulminants que lui jette Gwaine, il explique que celui-ci est de sang noble.

Et tout change soudain.

Le roi, radouci, suggère à Sir Oswald de laver l'offense dans un duel à l'épée et la journée se termine avec le départ précipité du chevalier humilié et rageur.

Merlin est radieux, Arthur râle que quelqu'un aurait dû le mettre au courant, Guenièvre couve Morgane d'un regard reconnaissant et Gwaine hausse les épaules. Il lance une dernière plaisanterie, flirte avec la jeune fille frisée sous le regard soudain nettement moins fraternel du prince, tapote l'épaule de Merlin avec affection, puis ramasse son sac et s'en va comme il l'avait dit.

Gaius retrouve le calme habituel de ses appartements et sourit d'un air de vieux prophète en regardant par la fenêtre la silhouette du vagabond au grand cœur qui tourne au coin de la rue.

Qui sait, peut-être qu'un jour Gwaine reviendra.

Quand Arthur sera roi…

Un roi digne de la loyauté d'un homme qui cherche encore sa place dans le monde.

 

 

A SUIVRE...

 

 


Listelia  (14.07.2015 à 17:13)
Basé sur l'épisode : 03x06

 

 

UNE PIECE D'OR SOUS LES ÉTOILES

 

 

Les mains sur les hanches, Arthur contemple la scène en se demandant si les choses peuvent devenir encore plus ridicules.

Gwaine et Lancelot se toisent comme deux matous sur le faîte d'un toit, l'échine hérissée – ou comme deux filles devant un étal où il ne reste qu'une seule écharpe en soie brodée.

Ils sont au milieu de la forêt, dans la clairière où l'emplacement du feu a fini par creuser un cratère gris rempli de cendres blanches. Là où ils ont l'habitude de se retrouver, à proximité du coin de pêche où Lancelot emmène Merlin le jeudi après-midi. La rivière coule derrière les arbres, scintillante et tranquille, et le soleil jongle à travers le feuillage épais, glissant sur les boucles en métal des vêtements des trois hommes.

Arthur croise les bras, un peu agacé, après avoir rejeté en arrière les pans de cuir de sa veste. Son col bleu foncé est un peu entrouvert et il se tient les jambes écartées en faisant la moue.

- C'est quand vous voulez, soupire-t-il.

Lancelot termine son examen silencieux de Gwaine, puis se détend. Le jeune homme aux longues boucles brunes renifle dans sa barbe et sourit d'un air gouailleur à son tour. Ils scellent leur nouvelle amitié d'une poignée de bras chevaleresque, devant le sourcil dubitatif d'Arthur.

Il est loin d'être dupe. Son serviteur n'a vraiment aucune idée de l'emprise ridicule qu'il a sur les gens.

Si Gwaine et Lancelot s'étaient rencontrés dans d'autres circonstances, ils se seraient peut-être ignorés ou devenus les meilleurs amis du monde tout de suite, mais c'est parce que Gwaine est arrivé avec son bras passé tranquillement autour des épaules de Merlin que Lancelot s'est levé avec cette expression méfiante de père-poule et qu'il a répondu si froidement aux présentations.

Arthur n'a aucune idée du fait qu'il a compté aussi dans l'équation.

Gwaine n'est pas prêt de laisser qui que ce soit corrompre le prince qui lui donne envie de servir un roi jusqu'à la mort, et Lancelot se méfie beaucoup des influences néfastes que les gens ont sur le crédule héritier de Camelot.

- Tout va bien ? demande-t-il.

Gwaine s'est laissé tomber nonchalamment sur le tronc et en fourrageant dans les braises avec un bâton pour voir si elles sont encore chaudes. Il a jeté son sac à côté de la sacoche et de la couverture roulée de Lancelot qui s'approche avec plus de flegme.

- Non, grogne Arthur tout en cherchant des yeux son serviteur qui crapahute dans le sous-bois à la recherche des herbes que Gaius l'a envoyé quérir : leur prétexte pour s'échapper de l'étouffante maison royale quand ils ont reçu le message de Lancelot.

Enfin, Arthur est supposé être en rendez-vous galant avec la princesse Elena mais elle l'a semé quelque part entre le pont-levis et le moulin au bord de la route d'Ealdor.

- Qu'est-ce qui vous préoccupe, Altesse ? interroge Lancelot avec patience, tandis que Gwaine roule des yeux.

- Sa seigneurie est en panique parce que le roi a arrangé son mariage avec un troll, glousse-t-il en s'essuyant comiquement les yeux, comme s'ils étaient encore humides.

Merlin lui a tout raconté hier soir et il a même imité la princesse en concluant sa performance d'un "Oh. Là. Là" qui voulait tout dire et qui a donné des crampes d'estomac au jeune homme à force de rire.

- Ce n'est pas un troll, proteste immédiatement Arthur, vexé.

Il cherche ses mots et Lancelot lui-même commence à avoir un pli amusé creusé dans la joue.

- C'est une… elle est… elle très maladroite, voilà.

- Elle rote et pète comme un aubergiste ventripotent, lâche Gwaine dans un gargouillis hilare.

- Damoiselle Elena est juste un peu – spéciale, s'enterre le prince d'un air pathétique. "Elle… euh… elle est bonne cavalière. Ça, c'est sûr. Meilleure à la course que pour marcher avec une robe à traîne, en tout cas !"

Le jeune homme barbu se tient les côtes en essayant de reproduire la magnifique chute dans les escaliers à laquelle il a assisté depuis la fenêtre de Gaius, ce matin.

Lancelot sourit franchement, maintenant, mais ses yeux sont remplis d'affection quand il se tourne vers Arthur.

- Il n'y a vraiment rien que vous aimiez chez elle ? Je veux dire… je suppose que vous n'avez pas le choix de l'épouser, alors vous devriez essayer de trouver quelques points positifs. Il y en a sûrement.

Arthur marmonne quelque chose d'inaudible – probablement "pas envie d'me forcer" – puis hausse les épaules et fait un geste de menton en direction du parterre de bleuets, plus loin dans le sous-bois.

- Merlin ne l'a pas classifiée "hum-hum", dit-il simplement.

Gwaine se retourne pour jeter un coup d'œil en direction du serviteur qui furète au milieu des fleurs, plié en deux comme un héron en chasse, en tenant sa sacoche contre lui.

- C'est déjà ça.

Lancelot sourit.

- Merlin est un bon juge du caractère humain, dit-il.

Arthur se garde bien de leur raconter que même si Merlin trouve Elena gentille et drôle, il a aussi exprimé clairement sa désapprobation quant à l'idée de ce mariage.

Que cette union profite au royaume ou qu'Uther ait manifesté son impatience de façon plutôt évidente quand son fils a faiblement protesté qu'il se sentait pas enclin à l'hyménée pour le moment, ce n'est pas ce qui compte pour Merlin qui est resté buté : "mais vous aimez Guenièvre, Arthur. C'est avec elle que vous devez vous marier !"

Le prince se débat avec des sentiments compliqués tellement embrouillés qu'ils l'empêchent de dormir.

Hum. Euh… peut-être qu'il apprécie un peu – beaucoup – la servante de sa sœur.

Mais Lancelot est amoureux de Guenièvre et il faudrait être aveugle pour ne pas le voir.

Et Gwaine a dit l'autre jour, dans une conversation légère, qu'il était certain que la jeune fille frisée avait refusé ses avances parce qu'elle en aimait un autre.

Alors Arthur se doute que sa cause est perdue d'avance… et pourtant il ne peut se résoudre à abandonner le fragile espoir qui papillonne au creux de son ventre quand elle lève ses yeux noisettes vers lui et sourit en le croisant dans les couloirs de Camelot.

Il soupire encore et s'assoit lourdement sur le tronc, en fourrageant dans ses cheveux blonds avec un râle frustré.

- Manquait plus que ça !

Gwaine lui balance sa gourde en peau.

- Au moins, ça fait plus de cinq ans que le pays est en paix et les frontières tranquilles. Ne vous plaignez pas, ça pourrait être pire.

Il n'a pas tort et Arthur le sait. Il a beau adorer se battre, être capable de gagner la mêlée contre certains des meilleurs combattants des cinq royaumes et avoir déjà affronté un nombre conséquent de bandits lors des patrouilles, il n'a pas particulièrement envie de découvrir à quoi ressemble une véritable guerre. A en croire Gaius, c'est loin d'être aussi épique et aussi héroïque que ce que l'on raconte aux veillées.

- Quel est l'autre problème ? demande Lancelot qui a deviné qu'Elena n'était que le sommet de l'iceberg.

Arthur se frotte le menton en fronçant les sourcils.

- Morgane, répond-t-il finalement. "Elle est… sombre, ces temps-ci."

Gwaine fait claquer sa langue.

- Emmenez-la danser.

Lancelot est sur le point de dire quelque chose quand Merlin accourt avec son sac rempli d'herbes et un air réjoui.

- Elle est là ! s'écrie-t-il joyeusement en pointant du doigt un grand cheval blanc à travers les arbres. Les trois autres aperçoivent la robe de la cavalière et ses tresses couleur de blé avant qu'elle ne fasse un pas de travers et ne culbute dans la rivière.

Gwaine explose de rire immédiatement, mais Lancelot plisse le front.

- Oh la pauvre…

Arthur se lève et brosse sa veste.

- Je vais la ramener au château, soupire-t-il. "Merlin, mon cheval. Les gars, à… bientôt."

Il a un air si contrarié que ses amis lui épargnent leurs plaisanteries. Son serviteur se hâte de détacher les chevaux et l'attend tout en jetant de fréquents coups d'œil en direction de la femme qui se relève dans la rivière, au loin, en essorant ses manches.

- C'est le dernier croissant de lune, ce soir, dit Lancelot soudain. "Si vous n'avez pas d'autres obligations, voulez-vous me rejoindre ? Je ne connais rien de tel qu'une pinte de cidre savourée sous les étoiles pour se remettre les pensées en ordre. Vous êtes le bienvenu aussi, Gwaine."

Le jeune homme acquiesce vigoureusement.

- Oh, mais j'allais venir de toute façon ! lance-t-il en ramassant son sac.

Arthur réfléchit un instant.

- Okay, répond-t-il finalement.

Il n'a pas le temps d'ajouter quoi que ce soit, car son serviteur lui coupe la parole avec une exclamation de joie.

- Ouais !

- N'oublie pas d'amener ces croquants au miel que Gaius t'a donné la dernière fois, ajoute Lancelot en ébouriffant les cheveux noirs de Merlin qui rayonne.

- Mais on ne doit pas laisser Arthur en engloutir autant, cette fois, ou il sera encore malade et son estomac fera autant de raffut que celui de la princesse Elena ! pouffe le garçon aux grandes oreilles.

- Je n'étais pas malade, crie le prince par-dessus son épaule, en s'éloignant d'un pas vif en direction de sa fiancée.

Lancelot se marre et Gwaine l'observe d'un air un peu étonné.

- Ils viennent souvent te voir ?

- Quand je suis dans les parages, répond laconiquement le jeune homme aux yeux noirs qui rassemble ses affaires et passe la sangle de son sac sur son épaule. "Le roi n'en sait rien, bien sûr. Je crois qu'il ne se rend pas compte à quel point Arthur étouffe à la cour..."

- Il faudra bien qu'il s'y habitue quand il règnera, dit Gwaine d'un ton beaucoup plus sérieux et Lancelot se rend compte qu'il ne regrettera pas d'avoir accepté l'amitié de ce drôle de vagabond chevaleresque.

- Arthur n'est pas encore prêt, conclut-il. "Mais il le sera un jour."

Il sourit avec confiance.

- Je dois aller chercher voir quelqu'un au village de l'autre côté de la passe aux statues. Tu viens avec moi ou tu retournes chez Gaius ?

Gwaine rejette ses cheveux ondulés en arrière et montre les dents blanches dont il est si fier.

- En route, mon pote !

Lorsque Merlin et Arthur arrivent à la clairière, ce soir-là, Lancelot a avec lui un colosse de deux mètres de haut, aux mains comme des battoirs à linge et aux muscles noueux, dont le regard est doux et un peu étonné.

- Voici Perceval, explique-t-il. "C'est un excellent pisteur et je n'ai jamais vu personne le vaincre à la lutte."

Gwaine, qui est en train d'extirper un morceau de pomme coincé entre ses dents, hoche le menton.

- Pas étonnant, mâchouille-t-il.

Arthur considère le nouveau venu de haut en bas, puis lui adresse un franc sourire.

- Arthur Pendragon, se présente-t-il.

- Votre Altesse, répond l'homme d'un ton respectueux, en s'inclinant brièvement.

Les yeux du prince pétillent à la lueur du feu à côté duquel Merlin est en train d'étendre des couvertures.

Il a hâte d'affronter celui-là en duel – demain ou dans les jours qui suivront. Oh, si seulement la première loi de Camelot n'existait pas ! Cet homme-là semble fait de la même trempe que Lancelot et quel souverain ne serait pas honoré d'avoir des chevaliers comme eux à son service…

Arthur n'a jamais estimé digne de lui les autres enfants de la noblesse, soit trop faibles, soit trop cruels à son goût, mais il commence seulement à réaliser qu'en dehors des braves chevaliers qui servent son père – et ils sont nombreux, il faut le reconnaître – il y a aussi des gens d'honneur parmi le peuple.

- Vous êtes rencontrés… ?

- Dans une embuscade de brigands, explique tranquillement Lancelot qui cale les cruches de cidre frais contre le tronc pour qu'elles ne se renversent pas. "Il m'a sauvé la vie."

- N'importe qui l'aurait fait, marmonne Perceval en se grattant la nuque, un peu embarrassé.

Les criquets bruissent dans l'herbe parfumée autour d'eux et il fait bon après cette journée chaude d'été. Au-dessus d'eux, le ciel d'encre est rempli d'un milliard d'étoiles qui scintillent.

- Merlin ! appelle le prince. "Ramène ton derrière pointu par ici et sors ces gâteaux au miel de ton sac. Si tu continues à ce rythme, on va tous mourir de faim."

Le serviteur s'approche en jetant un coup d'œil soupçonneux à Perceval qui l'examine curieusement.

- Et voici Merlin, dit Lancelot. "Valet d'Arthur, et mon ami."

- Salut, mon p'tit bonhomme ! s'exclame Perceval en attrapant le garçon sous les aisselles et en le soulevant dans les airs comme un enfant.

Merlin se débat, outré, jetant ses longues jambes maigres de tous côtés.

- Je ne suis pas votre "petit bonhomme" ! piaule-t-il, furieux, sans réussir à s'extirper de la poigne du géant qui ne cille même pas devant ses efforts. "Je suis plus grand que le prince ! Laissez-moi descendre, je ne peux pas le protéger de là-haut !"

Gwaine et Lancelot s'esclaffent ouvertement et Arthur boude – il a horreur qu'on lui rappelle qu'il est dépassé de quelques centimètres par son serviteur depuis que celui-ci a fait une brusque poussée de croissance. Mais Perceval, très sérieux, repose Merlin sur le sol avec respect.

- Ah pardon, s'excuse-t-il avec sincérité. "Je ne savais pas que tu étais son garde du corps."

Le prince roule des yeux.

Non, vraiment ?

Il donne un coup de coude à Lancelot.

- Merlin te manquait tellement que tu t'es trouvé une version gigantesque de lui ? chuchote-t-il, narquois.

- Taisez-vous, Altesse, se contente de riposter Lancelot à voix basse.

- Merci, grogne Merlin à l'attention du colosse, en brossant ses vêtements.

Les sourcils de Perceval trampolinent avec humour malgré son visage impassible.

- De rien, brindille, répond-t-il.

Gwaine est hilare et a déjà bu la moitié d'une pinte de cidre.

Les braises crépitent et des oiseaux de nuit s'appellent doucement dans la forêt. Gwaine a ôté ses bottes et ils se sont plaints de l'odeur immonde de ses chaussettes. Il n'y a plus de cidre ni de croquants au miel, seulement des miettes sur les couvertures que les fourmis emportent dans le noir et leurs estomacs repus.

Ils sont alignés tous les cinq sur le dos et contemplent les myriades d'étoiles qui ont l'air de tomber vers eux sous la voute sombre

- On dirait un puits, remarque Gwaine. "Mais à l'envers."

- C'est pas faux, acquiesce Perceval après quelques instants.

- On pourrait essayer d'y jeter une pièce et de faire un vœu, propose Lancelot dans l'obscurité.

- N'importe quoi, marmonne Arthur.

Un écu tournoie au-dessus d'eux, attrapant les dernières lueurs des flammes, puis retombe sans un bruit.

- Gaius a dit que vous et moi, nous sommes comme les deux faces d'une pièce… souffle la voix un peu enrouée de Merlin qui est en train de s'endormir.

Arthur fronce les sourcils, mais Lancelot hoche doucement la tête en croisant ses mains sous sa nuque.

- Gaius est un vieux sage.

Le prince se demande bien ce que le médecin a voulu dire – et pourquoi diable il a dit une telle chose devant Merlin qui, chacun, sait, est incapable de garder sa bouche fermée.

Comment une pièce d'or gravée d'une croix d'un côté et d'une couronne de l'autre pourrait-elle représenter un prince et son serviteur ?

Il avale sa salive, essayant de faire disparaitre l'étrange malaise qui l'a saisi, soudain, en voyant basculer l'écu dans le vide, comme s'il allait tomber pour toujours, vers le ciel ou vers la terre, soumis à une simple chiquenaude des doigts…

Une bûche s'effondre à côté d'eux et soudain il fait beaucoup plus sombre, presque un peu froid.

- Alors qui est 'pile' et qui est 'face', dans ce cas ? demande Perceval, perplexe, au bout d'un moment.

- Je dirais bien qu'Arthur est le côté face, s'il n'était pas si laid, lance Gwaine qui roule sur le côté pour éviter le coup de genou du prince qui est allongé à côté de lui et se cogne contre Perceval qui ne bouge pas d'un poil et le laisse à la merci du prince.

- Il a des dents de souris, dit Merlin d'une voix d'outre-tombe.

Lancelot pouffe dans la nuit et Arthur est à la fois furieux et bizarrement soulagé par le rire qui frémit sous ses côtes.

- Merlin, exactement quelle partie du mot secret ne comprends-tu pas ? s'écrie-t-il en lâchant Gwaine pour se tourner vers son serviteur.

- Tout le monde le sait, riposte le garçon avec un grand sourire en couvrant ses oreilles de ses mains pour échapper aux chiquenaudes vengeresses.

- Est-ce la dame Elena qui a dit ça ? interroge Perceval avec un à-propos placide qui fait hennir de rire Gwaine.

- On va rentrer, dit Arthur aussitôt, de son ton le plus sérieux.

Lancelot se soulève sur un coude et tend la main pour lui toucher le bras au-dessus de Merlin.

- Sire. Restez encore un moment. La lune est à peine levée.

Arthur se recouche au milieu des couvertures en râlant pour la forme, noue ses mains sur son torse et replonge les yeux dans l'océan d'étoiles.

Il se sent si petit.

Si bien parmi ces gars sans façons qui lui sont loyaux.

Et si peu à sa place, cependant.

N'est-il pas né pour commander, pour mener une armée, pour diriger un pays ? N'est-il pas supposé accomplir sa destinée, monter sur le trône et protéger le monde, ses gens, les plus faibles ?

Alors pourquoi souhaite-t-il prendre son sac et parcourir les routes comme Lancelot ? N'être que lui, qu'un homme du peuple, qu'un simple homme…

Depuis qu'il sait que son père a menti, qu'il a trahi sa mère et détruit leur famille, tant de choses sont devenues différentes. Comme s'il n'appartenait plus à la maison des Pendragon, comme s'il n'était qu'un pion insignifiant qui venait d'ouvrir les yeux.

Quelque fois, la rage qui lui dévore les entrailles est si forte qu'elle lui donne envie de tout casser, de tout abandonner, d'affronter de nouveau Uther et de le vaincre, d'en finir… et puis il s'arrête. C'est son père, malgré tout. Il a toujours voulu lui prouver qu'il était à la hauteur de l'image formidable du roi, de sa puissance et de la crainte qu'il inspire, de sa capacité à maintenir la paix dans un royaume si large.

Il a guetté pendant des années, un mot, une phrase, un signe d'affection ou de fierté.

Il a grandi sans savoir comment exprimer ce que l'on ressent, comment dire que l'on aime ou que l'on voit la valeur de l'autre.

Sans se rendre compte à quel point c'était important.

Parce que lorsqu'il a appris la vérité, il n'y a plus eu que le mot "père" pour l'empêcher de commettre l'irréparable. Il n'a pas tué le roi, mais il ne l'a plus jamais regardé de la même façon.

L'homme sur le trône est son ultime quête.

Son destin.

Sa dernière question.

Est-il l'héritier de Camelot ou un prisonnier ?

Il ne sait plus très bien.

Depuis qu'il y a Merlin avec son cœur en bandoulière et ses émotions à fleur de peau, ses yeux bleus qui expriment tout ce qu'il pense et ressent, Arthur a l'impression que la vie est remplie de nuances, qu'elle appartient à chacun, qu'il a le droit de faire un choix et que pourtant il est le seul à pouvoir accomplir la tâche placée sur ses épaules.

S'il fuit, qui protégera Camelot ?

Sera-t-il vraiment heureux s'il part et ne se soucie plus de rien d'autre que de lui-même ?

Et s'il reste, sera-t-il vraiment malheureux ?

Peut-être que la vie est faite de décisions qui coûtent et qu'on ne regrette pas.

Il soupire et jette un coup d'œil machinal à côté de lui.

Merlin est roulé en boule sur la couverture, un bras sous la joue et ses jambes interminables recroquevillées contre lui. Sa clavicule claire dépasse un peu du col trop large de sa tunique bleue. Ses longs cils sombres reposent sur ses joues. La bouche entrouverte, il dort profondément.

Il n'y a plus de bruit. Les autres doivent pioncer aussi. Le prince sourit et se cale sur son côté droit comme à son habitude, utilisant son poignet comme oreiller. Il ferme les paupières et cinq minutes plus tard, il est en route pour le pays des rêves.

Lancelot a attendu que le bruissement des couvertures cesse, puis il s'est redressé.

Il se penche doucement et attrape sa veste qui traine à côté du feu, la dispose délicatement sur la forme frêle de Merlin qui se blottit inconsciemment dans la chaleur.

Quelqu'un toussote et le jeune homme lève les yeux.

Gwaine s'est assis et il regarde dormir l'héritier de Camelot d'un air étrange. Ses yeux luisent dans la nuit.

- Une drôle de paire, chuchote-t-il.

Lancelot sourit.

- Il n'y en a pas de pareille.

Gwaine se frotte la barbe d'un geste distrait.

- Est-ce qu'il sera vraiment roi ? Il est…

- Ici ? complète Lancelot à voix basse. "Avec nous au lieu d'être dans un conseil ? En train de partager son pain avec des roturiers et d'apprécier la compagnie de gens d'un rang inférieur ? Amoureux d'une servante et sur le point de rejeter une princesse ?"

Gwaine ouvre la bouche, puis la referme.

- J'allais juste dire… arrogant et irréfléchi, dit-il maladroitement. "Qu'est-ce que tu veux dire par "amoureux d'une servante" ?

Lancelot lui adresse un drôle de sourire, comme s'il se forçait à prendre un air léger, mais il n'a pas le temps de continuer.

- Un jour… Arthur… un jour vous serez un grand roi… tout le monde vous aimera et vous serez juste et bon…

Gwaine et Lancelot se sont penchés en même temps.

Merlin a entrouvert un œil et il regarde Arthur qui dort en ronflant un peu. Le visage anguleux du serviteur est empreint de douceur et de conviction.

- Un jour, Arthur… bientôt… tout ira bien… je vous protègerai…

Merlin referme les yeux et il se pelotonne un peu plus dans le creux de son bras. Ses cheveux noirs touchent presque ceux, blonds, du prince.

Gwaine renifle, ému et amusé.

- Merlin sait où il va, lui, au moins.

Lancelot secoue la tête.

- Non. Il va là où Arthur a décidé d'aller et, quand le prince est perdu, Merlin lui rappelle quel chemin il a choisi. Ce sera un grand roi, Gwaine. Un roi dont personne n'oubliera le nom.

 

 

A SUIVRE...

 

 


Listelia  (14.07.2015 à 17:16)
Basé sur les épisodes : 02x07, 04x07

 

A CŒUR, A COR & A CRI

 

 

Il pleut des cordes et des rigoles d'eau ruissellent sur les carreaux de la fenêtre d'Arthur qui les contemple sombrement, les bras croisés, son épaule appuyée contre le mur de pierres froid.

Il est d'une humeur massacrante et tout le château le sait. Il a incendié le garçon d'écurie, laissé les chevaliers et leurs écuyers endoloris et trempés après un entraînement infernal, renvoyé son repas en cuisine après avoir renversé le pichet de vin dans son assiette et prétexté que la cuisse d'agneau n'était pas assez cuite, lancé tous ses vêtements sales à la tête de Merlin quand celui-ci est venu chercher la lessive, cassé à peu près tout ce qui pouvait l'être dans sa chambre.

Et maintenant il est seul dans le silence et la chambre dévastée que le soir assombrit.

Ce n'est pas assez sans doute que le mariage soit à la fin du mois et qu'il n'y ait absolument rien qu'il puisse faire pour l'empêcher. Non, il fallait que les choses tournent encore plus mal.

Son père a la goutte et il est encore plus mauvais que son fils quand il souffre de son pied. Il croirait n'importe quoi, tant que ça le distraie de la douleur.

Mais cette fois, il a dépassé les bornes.

Dans la cour, les serviteurs enlèvent les restes du bûcher noirci, sous la pluie battante. Morgane doit dormir, maintenant, épuisée à force d'hurler et de supplier. Arthur ne l'a jamais vue dans un état pareil. Il ne s'était même pas douté à quel point elle avait enfoui sa rancœur envers leur père…

Il se demande si elle a traversé les mêmes doutes que lui, si elle aussi a eu envie de fuir le royaume et de nier son nom.

Surement.

Il pensait qu'elle était plus forte que lui - et sans doute elle l'était, à réussir à sourire à Uther malgré la vérité. Mais ce soir sa petite sœur gît dans son lit, brisée de chagrin et d'amertume.

Et la migraine qui bat sous les tempes d'Arthur lui donne la nausée.

Il comprend la colère de son père, la nécessité de faire un exemple, mais… était-ce vraiment nécessaire ? La femme les a servis longtemps, elle était âgée et elle a demandé pardon à genoux dans la grande salle, ses yeux gris pleins de larmes fixés sur Morgane.

Mais Aredian, l'homme qui est maintenant le nouveau conseiller du roi, n'a pas cillé et l'a condamnée.

La nourrice de Morgane, accusée de sorcellerie, vient d'être brûlée sur la place centrale. On a découvert des livres de magie et de brunes racines tordues dans sa chambre et elle a avoué sous la torture avoir pratiqué des enchantements.

Arthur ne cesse d'être dérangé par un grattement à l'arrière de son crâne : elle a dit qu'elle ne cherchait qu'à soulager sa maîtresse de ses cauchemars.

Est-ce si mal ?

Il se mord les lèvres, les sourcils si froncés qu'ils creusent une ride douloureuse au milieu de son front.

Aredian est… bizarre. Son rire est celui d'un homme qui n'a pas toute sa raison et ses paroles mielleuses tapent sur les nerfs du prince. Il déteste les coups d'œil vicieux que l'homme aux cheveux d'un roux filasse lance dans les coins et se sent hautement mal à l'aise chaque fois que les yeux pâles du conseiller se posent sur lui.

Arthur se frotte le menton et se redresse en s'apercevant que son épaule est engourdie et glacée après cette longue station immobile.

Peut-être que les choses se règleront d'elles-mêmes quand le beau temps reviendra...

Le tocsin ébranle soudain le château et Arthur soupire.

- Qu'est-ce, encore… ? grommelle-t-il en se dirigeant vers la salle du trône.

Son humeur ne s'améliore pas quand il apprend que c'est Aredian qui a convoqué tout le monde. Apparemment, il a découvert un autre sorcier entre les murs de Camelot.

- Et j'ai le regret de vous dire qu'il est parmi nous, maintenant, annonce dramatiquement l'homme à la peau couperosée en arquant le poil pisseux de ses sourcils.

Arthur retient son envie de vomir devant la joie malsaine du conseiller.

Certaines personnes sont vraiment malveillantes et sordides, même en remplissant simplement leurs fonctions.

Aredian tourne sur lui-même dans un cliquetis de gri-gris – il en a une quantité impressionnante autour du cou – et pointe son gant de cuir dans la direction de l'assemblée.

- C'est ce garçon… Merlin.

Uther écarquille les yeux, incrédule, et Arthur manque de s'étouffer. Pour la première fois depuis quelques jours, un sourire moqueur se fraye un passage sur son visage.

- Merlin ? répète-t-il.

Même les blagues pourries de Gwaine sont plus crédibles.

Mais ce n'est pas une plaisanterie et ça devient vite un cauchemar péniblement réel. Merlin est jeté dans une cellule et Arthur se retrouve à devoir fouiller les appartements du vieux médecin. Des pots en grès s'écrasent au sol, répandant des poudres et des herbes piles, des feuilles de parchemin volent de tous côtés, les livres si précieux sont brutalement jetés au sol et les potions qui bourboutaient tranquillement sont renversées. Et soudain, à la grande horreur du prince, on découvre un artefact de sorcellerie dans une des jarres. Pétrifié au milieu de la pièce ravagée, Gaius soutient le regard torve et étrangement amusé d'Aredian.

- Je sais de source sûre que ceci n'appartient pas à Merlin, articule le vieil homme d'un air de défi.

Et pour cause, pense Arthur qui ne comprend vraiment pas comment on en est arrivé là et a de plus en plus mal à la tête.

- Ah bon ? Et pourquoi donc, je vous prie ? s'enquiert Aredian d'une voix onctueuse, l'air de se délecter de la situation.

- Parce que… parce que c'est à moi, répond Gaius en redressant ses épaules fatiguées avec détermination.

Arthur a envie de crier que c'est vraiment la chose la plus débile qu'il n'a jamais entendue et que ça ne va rien arranger, mais Aredian semble s'en contenter, comme si c'était ce qu'il souhaitait entendre depuis le début.

Il y a vraiment quelque chose d'étrange dans la façon dont il regarde Gaius, une haine inexplicable qui luit imperceptiblement derrière la politesse glaciale de ses mots.

Arthur met ça de côté pour le moment et descend aux cachots d'un pas énervé pendant que son père reçoit le conseiller. Certainement Uther va réagir. C'était une chose de laisser condamner le serviteur maladroit et idiot d'Arthur, mais le roi n'est pas fou. Il ne laissera pas accuser le vieux médecin qui l'a servi pendant plus de vingt-cinq ans sans lui accorder un procès équitable.

Le soldat déverrouille la grille et la lueur de la torche envahit la cellule. Merlin est assis par terre, tout au fond, recroquevillé contre le mur sale et quand il lève ses yeux bleus terrifiés, brillants de larmes contenues, Arthur se radoucit.

- Tu es libre, dit-il gentiment.

Merlin le regarde à peine et se précipite dehors… pour croiser les deux gardes qui amènent Gaius.

- Arthur ? Qu'est-ce qui se passe ?

La voix blanche du serviteur s'enfonce sous les côtes du prince comme un coup de poignard.

Il avale sa salive.

- Tout ira bien, Merlin. Ne t'inquiète pas, ce sera vite réglé.

Oh, comme il ment facilement.

Comme s'il cherchait à se convaincre lui-même que tout ceci n'est pas vraiment en train d'arriver.

Quel genre de royaume trahit ses plus fidèles serviteurs ?

Arthur exige des explications, mais son père le renvoie sèchement. Gaius sera soumis à la question et tout viendra en lumière. Il n'y a pas de raison de se montrer si fébrile.

Des trombes d'eau continuent de s'abattre sur Camelot et l'humidité envahit les moindres recoins, glissant dans les jointures des meubles et des muscles comme une douleur grinçante que même les grands feux allumés dans les cheminées ne parviennent pas à chasser.

Arthur a mal aux dents et se tient avachi dans son fauteuil, les yeux bleus durs fixés sur les flammes, le menton dans la main, les sourcils froncés et ses mèches blondes pendant sur son front.

N'y a-t-il vraiment rien à faire ?

Il est descendu aux cachots, hier soir, après le rapport d'Aredian à Uther. Il a vu Gaius et son estomac s'est noué d'indignation. Le vieillard a tellement souffert. Il était effondré sur la paille de sa cellule, dans ses vêtements en haillons maculés de sang et de sueur, le visage marbré par ses rides violacées de fatigue, les yeux bouffis, les lèvres gercées, ses cheveux blancs collés et emmêlés. L'ecchymose sur son front dégarni a étrangement fait plus de peine au prince que la vue de ses doigts brisés.

- Gaius…

Il n'a pas su quoi dire d'autre.

Pourquoi avoir fait ça ?

Ne saviez-vous pas que la sorcellerie était interdite ?

Défendez-vous, pour l'amour du ciel !

Il est remonté dans ses appartements plongé dans ses pensées et ne s'est pas aperçu que Guenièvre l'avait suivi.

- Votre Altesse ?

Il s'est retourné, étonné d'entendre la voix douce et inquiète derrière lui.

- Tu voulais me parler, Guenièvre ?

La jeune femme a pris une profonde respiration, les mains crispées sur son tablier. Ses cheveux sombres et frisés tombaient en cascades sur sa robe mauve et quelques mèches folles effleuraient les courbes délicates de son visage de satin caramel.

- Sire. Gaius ne peut pas être coupable. Il ne… il ne ferait jamais une chose pareille. Il doit y avoir une explication.

- Je sais, a répondu simplement Arthur, en détournant le regard des yeux en amandes fixés sur lui comme s'il pouvait changer cette horrible situation. "Mais on ne peut rien faire à cause de ce stupide bracelet soi-disant magique. On doit attendre la fin des interrogatoires. Gaius n'aurait jamais dû garder quelque chose d'aussi dangereux chez lui..."

Guenièvre s'est mordu les lèvres et a fait un pas en avant.

- Vous savez que cette torture finira par le briser, a-t-elle insisté. "Ce n'est qu'un vieil homme, comme… comme Alice."

Sa voix s'est étranglée et Arthur s'est souvenu que la nourrice de Morgane avait été comme une mère pour la jeune servante orpheline.

- Il finira par avouer n'importe quoi et ce sera trop tard !

Il a fini par la renvoyer, gentiment mais fermement.

Les mots de Guenièvre raisonnent dans sa tête le lendemain, quand deux gardes trainent le médecin de la cour titubant dans la grande salle et le jettent aux pieds du roi.

Je pensais que vous étiez différent ! Que vous aviez le cœur d'un grand roi… je me suis trompée… est-ce que vos codes de chevalerie ont si peu d'importance ? Je croyais que vous croyiez en la justice et que vous aviez juré de protéger les faibles et les innocents !

Elle tremblait de colère et de crainte devant sa propre audace, quand elle a quitté ses appartements, mais elle avait gardé le menton levé et maintenant, ses yeux noirs sont dardés sur Arthur au milieu de la foule.

- Il a avoué, Votre Majesté, annonce Aredian avec un sourire carnassier, en tirant sur les cheveux du vieux médecin pour lui faire relever la tête.

Gaius gémit et il n'y a pas une personne dans l'assistance qui ne sente pas son cœur se serrer – parce qu'il n'y a personne, ici, qui n'a pas un jour été soigné par le compatissant médecin.

- Je… suis… coupable… sire… moi seul… suis coupable…

Arthur trouve la formulation étrange, mais il n'a pas le temps d'y réfléchir davantage parce que ses yeux tombent sur Merlin.

Son serviteur a l'air sur le point de tomber dans les pommes.

Oh non.

Le roi s'est levé d'un air contrit.

- Gaius sera exécuté demain à l'aube, annonce-t-il sombrement. "Je le condamne à être brûlé vif en place publique, comme tel est le sort qui attend toute personne s'adonnant aux pratiques néfastes de la sorcellerie."

Le vieillard ferme les yeux et se laisse trainer hors de la salle sous le regard satisfait d'Aredian, tandis qu'un brusque mouvement sépare la foule en deux. Arthur n'hésite pas une seconde et se rue sur Merlin avant que cet idiot ne s'attire des ennuis. Il attrape le garçon efflanqué qui se débat et étouffe sous son gant les paroles qui pourraient le faire tuer, se hâte d'emporter son serviteur hystérique loin de la vue d'Uther et de son conseiller.

Merlin donne des coups de pieds dans le vide, mord dans le cuir épais du gant, enfonce son coude dans le visage du prince qui ne se laisse pas émouvoir et le porte, le tire, le pousse jusqu'aux cachots.

- Je sais que tu es bouleversé alors je ne te mettrais pas en cellule, grince-t-il en tordant le poignet maigrichon de Merlin dans le dos de celui-ci.

- Alors qu'est-ce que vous faites ? halète le garçon hors de lui.

- Je bafoue la loi, réplique Arthur, déterminé, en se dirigeant vers la grille derrière laquelle est enfermée Gaius.

La clé à peine tournée, Merlin se précipite à l'intérieur de la cellule et se jette dans les bras du vieux médecin qui réprime une exclamation de douleur et enlace le dos secoué de sanglots de son pupille.

- Ils n'ont jamais voulu me laisser vous voir, gémit le garçon en pelotonnant son visage ruisselant de larmes contre l'épaule de son mentor.

Arthur pince les lèvres.

Est-ce que Merlin a passé les deux derniers jours en bas, au bout du couloir qui mène aux cachots ?

Si les gardes l'ont retenu là, il a dû entendre tout ce qui se passait, sans jamais pouvoir intervenir… sans pouvoir voir ce que l'on faisait au vieillard.

Le prince sent un frisson fuser le long de son échine.

Il aurait dû s'en douter et chercher Merlin au lieu de déduire bêtement que celui-ci s'était caché pour pleurer quelque part après l'arrestation du médecin.

Gaius, visiblement, en est arrivé aux mêmes conclusions, si Arthur en croit le regard lourd de reproches qu'il adresse au prince tout en caressant les boucles noires de Merlin et en chuchotant des mots de réconfort.

Le prince contemple les doigts frémissants du vieillard et se demande qui a pris la peine de les bander proprement.

Quelqu'un a réussi à franchir le barrage et à venir prodiguer quelques soins au prisonnier.

Quelqu'un qui doit certainement croire en l'innocence de Gaius.

Le garde qui a ouvert la cellule se racle la gorge.

- Il sera bientôt de retour, marmonne-t-il.

Arthur hoche la tête.

- Merci, dit-il brièvement à voix basse, avant de s'approcher et de détacher doucement Merlin de son mentor.

- Viens. Tu ne peux pas rester plus longtemps…

Le garçon, visiblement à bout de nerfs et d'épuisement – Arthur commence à se demander si son serviteur a seulement mangé ou dormi depuis l'arrestation de Gaius – se laisse faire, hébété.

Le vieil homme lève les yeux et croise le regard du prince.

- Vous devez prendre soin de lui, Sire, murmure-t-il d'une voix rauque à force de crier sous la torture.

Arthur sent sa gorge se nouer.

Il acquiesce simplement et entraine Merlin hors de la cellule, en le soutenant à moitié.

Quand la grille retombe, il sent un grand froid et il est soulagé d'avoir quelque chose à faire, parce que tout semble soudain si noir et si désespéré qu'il pourrait devenir fou. Il emmène Merlin dans ses appartements – il ne sait pas où d'autre il pourrait le laisser – et l'assoit devant la cheminée, un peu brusquement.

- Reste là, okay ? Ne va pas vagabonder stupidement dans les couloirs et t'attirer plus d'ennuis, t'as compris ?

Les deux saphirs se lèvent vers lui. Des larmes sont accrochées aux longs cils qui les ombragent et scintillent à la lueur des flammes.

- Pitié, Arthur… supplie Merlin d'une voix très basse. "S'il vous plaît, ne le laissez pas mourir… pitié, Arthur…pitié…"

Le prince se mord les lèvres.

Il donnerait n'importe quoi pour être ailleurs, pour affronter plutôt une créature monstrueuse ou une armée, pour avoir Lancelot ou Gwaine à ses côtés et les laisser s'occuper de cette forme fragile qui va finir par se briser à force de chagrin.

Mais Merlin est son serviteur. Sa responsabilité.

Et Gaius est non seulement un de ses sujets, mais aussi un homme qui l'a guidé et accompagné pendant toute son enfance.

Il ne peut pas juste ignorer ce qui se passe et blâmer son père ou le système ou…

Il serre les dents et s'accroupit devant le fauteuil, tapote le genou anguleux de Merlin.

- Reste ici, répète-t-il avec autorité. "Je reviens tout à l'heure."

Le menton tremblant, le garçon hoche la tête.

Dieu que ses oreilles ont l'air pathétique à la lueur du feu…

Arthur se redresse et quitte la pièce en la fermant à clé par prudence. Il dévale les escaliers et retourne aux cachots seulement pour y être arrêté par les deux soldats qui gardent l'entrée du couloir.

- Lord Aredian a interdit que l'on voie le prisonnier.

- Je suis le prince, riposte Arthur avec hauteur.

Les hommes se tortillent, embarrassés, mais ne cèdent pas. Le jeune homme, outré, est sur le point de créer un scandale lorsque Sir Léon apparaît au coin des escaliers, un petit balluchon de linge à la main.

Il sursaute quand il voit Arthur et le prince réalise brusquement qui est le mystérieux personnage qui a soigné les doigts du vieil homme. Il entraine le chevalier loin des oreilles indiscrètes et le somme de s'expliquer.

Sir Léon bredouille un peu, puis sa voix s'affermit et ses yeux lancent des éclats de colère quand il explique à quel point la situation lui parait injuste. Guenièvre est venue le trouver quand Arthur a refusé de l'aider et le chevalier si intègre s'est laissé convaincre par la jeune servante que quelque chose n'était pas clair dans cette série d'évènements.

- Lord Aredian et Gaius se connaissent d'il y a vingt ans, chuchote-t-il. "J'ai pu surprendre une de leurs conversations et si l'on pouvait seulement convaincre Gaius de parler contre lui, tout s'arrangerait, j'en suis sûr."

- Il resterait le bracelet, corrige Arthur en fronçant les sourcils.

- Ceci ne poserait plus problème si l'on fouillait les appartements du conseiller, grogne le chevalier mystérieusement. "Mais Sire, le plus important, c'est que le roi entende la vérité. Gaius a de graves torts dans cette affaire, mais Sa Majesté lui pardonnera, j'en suis sûr."

- Que voulez-vous dire ?

Sir Léon hésite, puis semble comprendre qu'il n'obtiendra le soutien du prince que si celui-ci a toutes les clés en main.

- Gaius a laissé accuser le fils de Lord Aredian d'un crime de lèse-majesté, il y a vingt ans. Alors que c'était son propre fils qui était coupable. Le jeune homme a été exécuté sous les yeux de son père.

Les yeux d'Arthur s'écarquillent.

- Gaius a été marié ?

Le chevalier fait la grimace.

- Pas vraiment, non, d'après ce que j'ai compris, répond-t-il avec réticence.

Arthur se frotte le menton en essayant de trier ses pensées confuses.

- Qu'est devenu le fils de Gaius ?

- Je ne sais pas, dit Sir Léon. "J'ai l'impression que ce n'était pas quelqu'un de très recommandable. Apparemment, il a été banni plus tard, pour un autre crime."

- Et vous dites que Lord Aredian a fait en sorte de piéger Gaius pour se venger ? Pourquoi après toutes ces années ?

- Peut-être qu'il n'a découvert la vérité que maintenant, suggère le chevalier. "Sire, si nous voulons sauver le médecin de la cour, il vous faut parler au roi dès ce soir."

Le prince se mordille les lèvres en faisant quelques pas, concentré.

- Nous ne pourrons pas le sauver sans preuves solides. Et ce sera la parole de Gaius contre celle de Lord Aredian… Mon père n'acceptera jamais que l'un de ses conseillers soit humilié.

- Sire !

La voix pressante de Sir Léon lui fait lever les yeux et Arthur se trouble en voyant le même espoir que Guenièvre et que Merlin dans les prunelles du chevalier.

- Vous êtes le seul à pouvoir renverser la situation. Le roi accorde de la valeur à ce que vous dites, même si cela vous semble être le contraire. Si vous étiez seulement… calme et posé, quand vous vous opposez à lui, vous verriez qu'il ne prendrait pas la mouche et vous écouterait."

Arthur quitte la pièce où ils ont discuté mal à l'aise, inquiet et convaincu qu'il est un imbécile de croire qu'Uther va accorder la moindre importance à ses paroles simplement parce qu'il ne sera pas en train de crier ou de chercher à le provoquer pour lui faire entendre raison.

Bizarrement, cela lui rappelle une chose que Lancelot lui répète souvent.

"Votre emportement sera votre perte, Altesse. Apprenez à réfléchir avant d'agir et cessez de vous mettre dans tous vos états. La dignité d'un roi, Arthur, c'est de faire preuve d'autorité même en silence."

Il prend une longue respiration avant de frapper à la porte des appartements de son père.

Il préfère clairement foncer dans le tas comme Gwaine, mais il va essayer, pour une fois. Si c'est tout ce que cela prend pour sauver le vieux médecin et le ramener à Merlin, pour que Guenièvre cesse de le regarder avec un tel désappointement, alors il va le faire, quoi qu'il en coûte.

Le lendemain, la pluie tombe toujours à sauts, clapotant sur les pavés de la cour, détrempant les bottes de paille entassés autour du bûcher et ruisselant comme des larmes sur les carreaux de la fenêtre, mais Arthur se sent plus en paix qu'il ne l'a été depuis des siècles.

Okay, des jours.

Tout est fini.

Uther a objecté à tous ses arguments, mais il a paru assez agréablement surpris par l'attitude respectueuse de son fils pour accepter d'ajourner l'exécution et de revoir les faits. Sir Léon a produit un témoin qui a avoué avoir vendu à Lord Aredian le fameux bracelet de sorcellerie et quand le roi a interrogé Gaius, celui-ci a confirmé l'histoire de vengeance – après avoir hésité suffisamment longtemps pour que la chemise d'Arthur se trempe de sueur.

C'est là que Lord Aredian a perdu les pédales et créé un tel chaos qu'il a amené sur sa tête son propre jugement.

Le roi s'est contenté de lui interdire de paraître de nouveau devant la cour : il ne pouvait pas décemment le bannir alors qu'il était clairement décidé à garder Gaius près de lui en dépit de la trahison vieille de vingt ans.

Uther est sans doute beaucoup plus attaché au vieux médecin qu'il ne laisse le voir.

Tout est bien qui finit bien, même si Merlin semble encore traumatisé et qu'il a déjà provoqué une dizaine de catastrophes depuis ce matin.

Gwaine, Lancelot et Perceval ne vont certainement pas tarder à rentrer à Camelot – ce doivent être ces torrents de pluie et les inondations qu'elles provoquent sur les routes qui les empêchent d'être déjà revenus de leur quête.

Qu'est-ce que Lancelot a dit, déjà ? Le trident du Roi Pêcheur. Mais bien sûr. Comptez sur Lancelot pour se mettre à la recherche de trucs insensés…

Quand ils seront là, Arthur compte bien partir à la chasse pendant trois jours et profiter au maximum de leurs éclats de rire insouciants, tout en s'assurant que Merlin reprenne des couleurs. Le bavardage insolent et léger de son serviteur lui manque plus qu'il ne l'avouerait jamais.

Il croise Guenièvre dans le couloir et lui sourit sans cesser de siffloter joyeusement.

Elle hésite, se mordille les lèvres en contemplant la corbeille de linge dont elle est chargée, puis relève la tête et le salue brièvement avant de continuer son chemin.

Les joues roses et un air béat sur le visage, Arthur reste planté au milieu du couloir.

Elle lui a souri… et elle avait l'air fière de lui.

Cette journée est décidément la meilleure de sa vie.

Il flotte jusqu'à sa chambre où il trébuche en entrant sur le seau d'eau sale de Merlin qui est en train de laver le sol avec une brosse, agenouillé dans une flaque de savon.

Il le taquine, s'enquiert de la santé du vieux médecin qui est encore alité, puis se jette sur son lit avec ses bottes, ignorant délibérément les 'tsk' désapprobateurs de son serviteur, croise les bras sous sa nuque et se consacre pleinement aux rêves bleus qui voltigent autour de lui comme des papillons drogués.

Tout est beau, tout est magnifique, tout va bien.

Jusqu'au moment où le tocsin se remet à sonner.

Arthur cherche quelqu'un à étrangler en arrivant à la grande salle – quelqu'un d'autre que son serviteur qui trottine derrière lui avec ses oreilles hérissées de trouille comme un lapin pris en cible – mais il reprend vite son sang-froid en découvrant les corps alignés sur le sol, enveloppés de draps blancs.

- … et il y en a des dizaines d'autres, termine d'expliquer Sir Léon, debout dans sa longue cape rouge maculée de boue. "Deux villages ont été quasiment décimés et on compte déjà cinq autres cas dans la ville basse. Votre Majesté, c'est une épidémie."

 

 

A SUIVRE

 

 


Listelia  (14.07.2015 à 17:20)
Basé sur les épisodes : 01x03, 01x11, 02x13

 

 PÈRES & FILS

 

 

Lorsque Sir Léon s'est tu et qu'un silence atterré a rempli la grande salle, Uther a pris une longue respiration et s'est tourné machinalement vers sa gauche.

- Gaius, qu'en pensez-vous ?

Mais Gaius n'était pas là, évidemment, puisqu'il ne peut pas encore se lever.

Et le problème est , justement.

Personne n'est encore tombé malade au château, mais la moitié de la ville basse est condamnée par des barricades et on ne cesse de brûler des cadavres. Des fumées noires et grasses s'élèvent au-dessus des toits et se mêlent à la pluie torrentielle qui continue de s'abattre sur Camelot. Des charrettes de paille moisie transportent les malades agonisants qui vomissent du sang et une pâtée blanchâtre qui sent la mort. Des corbeaux se sont rassemblés sur la tour du clocher et croassent, sardoniques, leurs plumes sombres luisantes d'eau.

Arthur contemple la ville par sa fenêtre et serre les poings. C'est son peuple qui se meure et il ne peut rien faire. Il a tellement pitié d'eux, comme s'ils étaient… ses enfants.

Ahem. Quelle drôle de comparaison. Il n'a pas de progéniture et ne compte pas en avoir avant… eh bien, des années. Quand il sera roi ou plus tard. Peu importe. Est-ce qu'il devient fou à force de faire les cent pas ?

Peut-être que Merlin déteint un peu trop sur lui

Son serviteur se démène depuis le début de l'épidémie, faisant ses corvées à la hâte pour retourner au plus vite aider son mentor.

Gaius est toujours allongé sur sa paillasse, bien trop faible pour se lever et examiner les patients, et ses doigts encore trop meurtris ne risquent pas de piler des herbes ou de concocter des potions. Il consulte des livres et réfléchit désespérément. Guenièvre se partage entre ses tâches auprès de Morgane et les appartements du vieil homme, infatigable.

Merlin fait le va-et-vient entre la ville basse et le château, trempé comme un hérisson, ses cheveux noirs collés sur le visage. Il ramène des informations, tout ce qu'il peut observer sans trop s'approcher au sujet de la maladie qui terrasse les villageois.

Sir Léon est entré dans la zone de quarantaine et n'a plus le droit d'en sortir, évidemment. Il a laissé sa longue cape rouge pendue à un clou et enfilé un tablier sans se préoccuper des apparences. Ses boucles blondes cachées sous un linge sale, il organise les malades dans la taverne, dirige l'évacuation des morts, rassure et encourage sans jamais perdre son air digne et courageux.

Uther Pendragon n'a pas dormi depuis trois jours. Les yeux injectés de sang, il arpente la salle du trône en grondant sourdement, comme un loup aux abois.

Il vaincra cette pestilence, d'une façon ou d'un autre.

Il doit y avoir une solution.

A bout de patience, il retourne encore chez Gaius et entre en trombe dans les appartements du médecin de la cour, laissant la porte en bois retomber bruyamment contre le mur.

- GAIUS !

Guenièvre sursaute et laisse tomber par terre le linge humide qu'elle pressait sur le front du vieil homme.

- "Votre Majesté… je… il…"

Les yeux flamboyants, le roi crispe les mâchoires, lui ordonne de sortir d'un signe de tête impératif. Puis il s'approche du lit en écartant d'un geste agacé les oignons et les bouquets d'aubépine sèche qui pendent des poutres anciennes.

- Gaius, dites-moi que vous avez trouvé un remède.

Le vieil homme tourne la tête sur ses oreillers. Ses traits sont tirés.

- Je suis au regret de vous avouer que non, Sire, dit-il doucement.

Uther se laisse tomber sur le tabouret à côté de lui en grinçant des dents.

- L'une des femmes de chambre est tombée malade, souffle-t-il. "Les gens du château ne tarderont pas à être affectés eux aussi. Gaius… il faut qu'on sache comme guérir cette maladie. Si… si Arthur et Morgane…étaient… je ne le supporterai pas…"

Le vieil homme le regarde avec compassion et tristesse.

- Nous faisons de notre mieux, Sire, je vous le promets. Merlin et Sir Léon ont fait une liste des points communs entre les victimes et des symptômes qu'elles montrent. Je n'aurais pas pu être plus renseigné en examinant moi-même les malades.

- Alors qu'est-ce que c'est ? demande le roi d'une voix rauque de colère et d'impuissance. "Est-ce la peste, Gaius ? Sommes-nous tous condamnés ?"

Le médecin secoue la tête.

- Je crois possible de guérir les victimes, explique-t-il. Mais même si je pouvais me lever et chercher les herbes qui me manquent, tester la potion et l'ajuster, je ne crois pas que je réussirais. Votre Majesté, ce sont les limites de ma science et de mon pauvre corps. Et le temps nous est compté si le fléau est déjà aux portes du château. Nous avons besoin d'un homme plus instruit que moi. Quelqu'un qui a déjà vaincu une pestilence de ce genre… nous avons besoin de lui, Sire.

Uther détourne les yeux et soupire. Il passe ses gants de cuir sur son visage, repousse la couronne qui lui enserre le front comme une migraine.

- Gaius, je ne peux pas faire ça. Vous pardonner votre silence d'il y a vingt ans était une chose, mais je ne peux pas lever le ban.

- Mais nous n'avons pas le choix, Sire ! Personne n'est plus capable que lui. J'ai ouï des rumeurs encore récemment. Il maîtrise son art mieux que personne et ses connaissances sont plus étendues que jamais. Il saura trouver un remède. Ecoutez-moi, je vous en prie… Nous avons besoin de lui pour sauver Camelot.

Le roi se lève et fait quelques pas dans la pièce, jouant avec la grosse chevalière autour de son doigt, les yeux fixés sur ses bottes. La pluie crépite sans interruption derrière la fenêtre et les bougies jettent des ombres sur les murs de l'atelier. Il y a des livres entassés sur les marches de l'escalier en bois qui monte à la mezzanine de la bibliothèque et une pèlerine jetée en vrac sur la rampe.

- Même si je l'envoyais quérir… accepterait-il de revenir à Camelot ?

- Il ne laissera pas mourir des innocents, dit fermement le médecin.

- Ses idées, Gaius, elles sont si dangereuses… comment pourrais-je risquer qu'il empoisonne les esprits de la cour à nouveau ? Je ne l'ai pas chassé pour rien. Et vous, comment lui ferez-vous face ? C'est vous qui l'avez dénoncé…

Le vieil homme ferme les yeux un instant. Quand il les rouvre, Uther est en train de le scruter avec inquiétude sous son air irrité et inconfortable.

- Votre Majesté, dit posément Gaius, résolu malgré la tristesse inénarrable qui plisse ses sourcils blancs broussailleux. "Mon fils et moi n'avons aucune sorte d'importance. Ce qui compte, c'est de sauver Camelot."

Uther se masse le visage, un poing sur la hanche en rejetant en arrière les plis de sa cape foncée encore perlée de pluie.

- Très bien, dit-il après avoir pris une autre grande respiration. "Très bien."

Il quitte la pièce, suivi des yeux par le regard las du vieil homme, croise sur le pas de la porte Merlin qui arrive sous son capuchon brun gorgé de pluie. Le serviteur salue le roi, puis se précipite vers son mentor en trébuchant contre les paniers posés près de l'entrée.

- Qu'est-ce que le roi voulait ? Est-ce qu'Arthur est malade ? s'écrie-t-il, ses grands yeux bleus alarmés. "Il n'était pas content ? Il vous a fait du mal ?"

Gaius secoue la tête, sourit.

- Arthur va bien, Merlin. Et le roi voulait simplement parler avec moi. Assieds-toi près du feu et enlève ces vêtements mouillés, tu frissonnes tellement que tu vas te décrocher la mâchoire. Est-ce que tu as mangé ?

Le garçon ôte sa cape, puis sa tunique qu'il laisse glisser à terre avant de sautiller à la recherche d'un linge sec en serrant ses bras autour de son torse maigre, les dents claquantes. Ses oreilles sont écarlates, ses cheveux dégoulinent sur sa nuque et le long de son dos dont la peau pâle moule chaque vertèbre.

Il met la main sur son autre chemise – que Guenièvre avait suspendue sur un fil près de la cheminée et dont le tissu rêche est tout chaud - et l'enfile avec un soupir de soulagement avant de venir se poser sur le tabouret près du lit.

- Sir Léon va bien, annonce-t-il en prenant dans ses paumes la vieille main ridée. "Il a essayé de filtrer l'eau comme vous l'aviez dit et cela semble aider les malades. Personne n'est mort depuis hier, il n'y a que la vieille Marie de la tannerie qui souffre toujours beaucoup."

- C'est bien, dit Gaius en contemplant les traits anguleux de son pupille avec affection. "Tu as bien travaillé et tu dois être épuisé. Tu devrais dormir un peu."

Il étend le bras, lui pince gentiment le nez. Merlin blottit sa joue contre la main qui lui caresse le visage.

- J'ai encore plein de forces, Gaius, affirme-t-il sans cependant réussir à réprimer un bâillement. "Je vais aller aux cuisines chercher de la soupe. Vous devez manger pour bien vite pouvoir vous lever et guérir les gens de Camelot."

Ses yeux bleus sourient, confiants.

Gaius va les sauver.

 

oOoOoOo

 

- Gaius ne peut pas nous sauver, annonce le roi en entrant dans les appartements de son fils sans prendre la peine de frapper. "Tout repose sur toi, maintenant."

Arthur a sursauté en entendant la porte, mais il fronce les sourcils, maintenant.

- Que voulez-vous dire, Père ?

Uther Pendragon lui pose la main sur l'épaule.

- Il y a un homme dont la science peut venir à bout de cette pestilence. Tu vas prendre un ou deux hommes avec toi et aller le quérir. Il se trouve à Feyora, dans le royaume de Cenred.

Le jeune homme écoute attentivement, étonné par l'air grave du roi.

- Nous sommes en paix avec Cenred, mais nos relations diplomatiques avec lui sont fragiles. Il n'attend qu'un faux pas pour déclarer la guerre. Tu ne dois absolument pas être reconnu. Tu ramèneras l'homme ici, puis quand il aura concocté son remède, tu le raccompagneras au-delà de la forêt d'Essetir et tu t'assureras qu'il a quitté le pays. Tout le temps où il sera ici, tu seras chargé de veiller à ce qu'il n'interagisse pas avec qui que ce soit d'autre que Gaius.

Arthur se racle la gorge.

- Je ne suis pas sûr de comprendre. Qui est cet homme, Père ? Pourquoi tant de précautions ?

Le roi renifle d'un air furieux, comme s'il n'avait pas du tout l'intention de s'expliquer, puis il se radoucit. Il fait quelques pas, s'approche de la cheminée et pose le pied contre la marche de l'âtre, appuyant son coude sur la poutre noircie encastrée dans la pierre.

Les yeux sur les flammes, il parle lentement.

- Cet homme s'appelle Balinor. Il est le dernier survivant d'une société secrète appelée les Seigneurs des Dragons, qui prône le droit du peuple à donner son avis sur le gouvernement. Si nous ne les avions pas exterminés il y a vingt ans, ces gens auraient fini par soulever les paysans et amener l'anarchie sur le royaume.

Arthur écarquille les yeux, stupéfait et horrifié.

- Balinor était un membre de la cour, un médecin hors pair dont les talents dépassent de loin ceux de n'importe qui au sein des cinq royaumes. Je l'ai banni par égard pour Gaius, mais s'il franchissait la frontière, il serait exécuté immédiatement.

- Par égard… pour Gaius ? répète le jeune homme en hésitant.

Le roi soupire. Le bout de sa botte heurte les jambages moulés de la cheminée.

- C'est son fils, dit-il finalement. "Maintenant prépare-toi et va-t-en, Arthur. Le temps nous est compté."

 

oOoOoOo

 

Les rafales de pluie les forcent à progresser lentement, les yeux plissés pour y voir, penchés sur l'encolure des chevaux qui peinent sur la route jonchée d'ornières boueuses. Il fait froid, leurs capes sont trempées et lourdes, et la nuit va bientôt tomber.

- On devrait s'arrêter ! crie Merlin derrière lui, mais Arthur ne tourne pas la tête pour répondre.

- Non, on peut encore faire une lieue ou deux ! répond-t-il obstinément.

Ses cheveux blonds lui tombent dans les yeux, ses mains frissonnent sur les rênes, sa cotte de mailles pèse une tonne, mais il ne peut se résoudre à mettre pied à terre et à s'asseoir en face de son serviteur près du feu.

Les paroles de Gaius tournent et retournent dans sa tête, inlassablement.

 

- Arthur. Avant que vous partiez, il y a quelque chose que vous devriez savoir…

Il a voulu protester, dire au vieil homme qu'il savait déjà son secret, mais le médecin a secoué la tête et l'a obligé à s'asseoir près du lit. Il a attrapé le bras du jeune homme, l'a serré si fort qu'il lui a presque fait mal.

- Merlin va bientôt revenir avec vos sacs, alors écoutez-moi, Sire. Personne d'autre ne sait cela, pas même votre père. L'homme que vous allez quérir… Balinor… c'est le père de Merlin.

- QUOI ?

- Je ne le savais pas, Arthur. Je ne l'ai appris que le jour où j'ai reçu la lettre d'Hunith, la mère de Merlin. Elle m'a dit qu'il était parti depuis des années, qu'il n'avait pas su pour la naissance de l'enfant, qu'il lui avait simplement dit qu'il avait de la famille à Camelot et qu'elle pouvait se tourner vers moi si elle en avait besoin un jour. Et cette jeune femme a attendu d'être sur le point de mourir pour me dire que j'avais un petit-fils et me permettre de faire sa connaissance…

 

Qu'est-ce qu'Arthur est supposé faire avec un tel secret ?

Il a envie de hurler que Gaius et son père devraient se débrouiller avec leurs histoires seuls, au lieu de l'obliger à s'en mêler.

Il renifle, chasse la pluie qui ruisselle sur son visage et enfonce ses talons dans les flancs de son cheval. La boue éclate sous les sabots de l'animal éreinté et il s'enfonce dans le soir qui vient à leur rencontre.

Ils passent la frontière alors qu'il fait déjà nuit et s'arrêtent à une auberge au bord de la route quelques heures plus tard.

Ils confient leurs chevaux à un garçon d'écurie piqueté de taches de rousseur, qui somnole appuyé sur sa fourche à l'arrière de la maison. Quand ils entrent dans la salle commune, heureux d'être enfin au sec et au chaud, Arthur gratifie l'assistance d'un sourire grimaçant en lançant "salut la compagnie" à la ronde.

Les clients ont l'air encore moins sympathiques qu'à la taverne où ils ont rencontré Gwaine, l'année dernière. Le prince essaie d'obtenir des informations auprès du tenancier, mais l'homme ignore la bourse bien garnie posée sur le comptoir et se contente de grogner quelque chose d'inaudible.

La chambre est à peu près propre et il n'y a pas trop de puces dans la literie. Arthur prend d'office le lit le plus loin de la porte et enlève ses vêtements mouillés que Merlin descend étendre devant la cheminée de la grande salle avant de remonter se changer lui-même… et tout ça sans dire un mot.

Intrigué, Arthur l'observe pendant un moment tout en décoinçant ce qui doit être un bout de veau d'entre ses incisives.

- Qu'est-ce qui ne va pas avec toi ? finit-il par demander.

Merlin sort la tête de l'encolure de sa chemise bleue foncée, puis hausse les épaules et se fourre sous sa couverture.

- Rien, répond-t-il laconiquement.

Arthur plie un sourcil narquois.

- Merlin, y'a un tas de serviteurs qui peuvent faire ton boulot, mais j'en connais peu qui ont une tchatche comme la tienne. Et tu sais quoi ? C'est la seule chose qui m'empêche de te virer. Il viendra peut-être un jour où j'aurais besoin de gagner le concours du serviteur le plus prolixe.

- Pff. Vous ne savez même pas ce que veut dire 'prolixe'.

- Oh je le sais, glousse Arthur. "Mais toi pas."

Il penche la tête de côté, toujours assis sur le bord de son lit.

- Allez, dis. Qu'est-ce qu'il y a ? Gaius te manque ?

Merlin n'a pas besoin d'entendre des choses comme "si je n'étais pas un prince, nous pourrions être amis" pour dire ce qu'il a sur le cœur à Arthur. Depuis le premier jour, il a toujours agi comme si Arthur était toujours disponible, toujours prêt à l'écouter, toujours intéressé par son incessant bavardage.

Alors si Merlin se tait maintenant, c'est qu'il y a vraiment quelque chose qui cloche.

- Hum.

Le garçon s'est tourné vers le mur et le prince lui balance un oreiller pour ramener son attention vers lui.

- Merlin.

- Oh ça va, grogne son serviteur.

Arthur fronce les sourcils.

- Tu n'as pas pris froid, au moins ? Je ne tiens pas à trainer avec moi un serviteur qui mouche et qui tousse comme un affreux bébé plein de morve.

Merlin se tourne franchement de son côté et le foudroie de son regard bleu foncé.

- Vous ne vous taisez jamais ?

Arthur est tellement choqué qu'il manque s'étouffer.

- Ah d'accord, finit-il par balbutier en roulant des yeux. "Bon, si c'est comme ça…"

Il souffle la bougie sur la petite table entre eux deux, balance ses jambes sur l'étroit matelas et se couvre de sa propre couverture en tournant le dos à son serviteur.

Il n'a pas besoin d'attendre très longtemps.

- Pardon, murmure Merlin d'une voix étouffée.

Arthur ne répond pas, mais il sourit pour lui-même avant de fermer les yeux et de sombrer dans le sommeil.

Pas pour très longtemps, cependant, parce qu'un individu suspect – et vraiment pas discret – se faufile dans leur chambre un peu après minuit, avec la claire intention de récupérer la bourse remplie de pièces d'argent qu'Arthur lui a fait miroiter plus tôt dans la soirée. Le prince est alerte à peine le loquet tourné et bondit sur l'homme avec son épée. Après quelques menaces – et quelques réponses pleurnichées – il a l'information qu'il voulait : Balinor réside dans une bicoque de l'autre côté de la forêt.

L'aube est à peine levée quand ils repartent et leurs selles n'ont pas vraiment séché pendant la nuit. Merlin se trémousse et Arthur lève les yeux au ciel parce qu'il y a des choses plus importantes que ce léger inconfort.

Par exemple le fait qu'ils doivent convaincre un homme qui a été banni par Uther de revenir à Camelot, sauver le royaume qui a exterminé tous ceux de son clan.

Et que cet homme est le fils de Gaius.

Et accessoirement le père de Merlin aussi.

La chaumière de l'ancien seigneur des dragons est effectivement minable. Le prince se demande comment un type avec de telles connaissances, qui a été un jour renommé à la cour de Camelot, peut vivre dans ce genre de conditions.

Peut-être qu'il est fou.

Merlin est si près derrière Arthur qu'il lui marche sur le talon et se cogne le nez contre le crâne d'Arthur qui l'écarte en fronçant les sourcils, excédé.

- Fais le tour de la maison, veux-tu. Il n'est peut-être pas là…

Un petit cri étranglé et un mouvement rapide derrière lui.

- Oh si. Il est là et il se demande quel insensé vient frapper à cette porte maudite.

La voix grave est accompagnée du chatouillis familier d'une pointe d'épée posée sur sa gorge.

Arthur tourne la tête avec prudence et lève les mains en signe de paix.

- Nous ne vous voulons aucun mal, dit-il lentement. Nous sommes à la recherche d'un homme appelé Balinor.

- Pourquoi ?

Le prince avale sa salive. Du coin de l'œil, il aperçoit la manche de cuir sombre qui est passée autour du cou de son serviteur et serre à l'étrangler.

- Nous avons besoin de son aide. Camelot… Camelot est en danger.

Un long silence s'ensuit, puis l'homme lâche Merlin qui se met à tousser, et ouvre la porte sans cesser de menacer Arthur avec son épée.

Dans la chaumière sombre et mal rangée où règne le même parfum de sauge et de fenouil que dans les appartements de Gaius, le prince explique la raison de leur voyage en taisant les deux informations qu'il a appris juste avant de partir. Il assure à l'homme qu'il ne lui sera fait aucun mal et qu'on le laissera repartir libre en échange du remède qui permettra de soigner la population.

Arthur met tout son cœur dans son argumentation, mais ça ne semble pas suffisant.

L'homme refuse catégoriquement.

Il parait presque surpris qu'on ose même lui demander son aide.

- Vous avez la trouille, c'est ça ? dit soudain Merlin dans le silence frustré qui a suivi les dernières tentatives du prince.

Balinor penche la tête de côté – un geste qui rappelle effroyablement à Arthur quelqu'un d'autre. Il croise les bras sur sa veste en cuir sombre et indique le serviteur d'un geste de menton.

- C'est qui, ça ?

- Personne. Mon serviteur, répond le jeune homme un peu trop précipitamment.

Deux yeux bleus courroucés le toisent.

- Je ne suis pas 'personne'. Je suis Merlin, dit le garçon aux grandes oreilles en levant la tête d'un air de défi.

Balinor arque un sourcil et gratte son épaisse barbe noire.

- Ton serviteur, répète-t-il.

Arthur rougit.

Est-ce si bizarre que l'héritier de Camelot ait comme serviteur de confiance – unique garde du corps – un grand gamin efflanqué qui est visiblement un idiot ?

Balinor marmonne quelque chose qu'ils ne comprennent pas et les plante là pendant le reste de la journée. Quand il revient, il n'a pas l'air trop surpris de les voir, mais ne leur offre rien à manger ou à boire. L'estomac d'Arthur gargouille. Merlin s'est perché sur un tabouret et observe l'homme d'un regard intense. Ses pommettes sont un peu rouges et il n'a quasiment pas parlé depuis ce matin. Arthur commence à penser qu'il y a quelque chose de très grave chez lui.

Il espère juste – il prie désespérément au fond de lui – pour que ce ne soit pas la peste qui affecte Camelot que Merlin aie attrapé avant de partir.

- Vous comptez passer la nuit ici ? interroge Balinor, un peu sarcastique.

- Nous ne partirons pas sans vous, rétorque Arthur en lui rendant un regard furieux. "Des centaines de vie dépendent de la réussite de notre voyage. Je ferai tout ce qui est en mon possible pour vous convaincre de nous accompagner. Je ne laisserai pas mon peuple mourir s'il y a le moindre espoir de les guérir quelque part au fin fond des cinq royaumes."

L'homme l'examine pendant quelques instants, puis il se met à siffloter, sort des herbes de ses placards et se met à les pilonner dans un bol. Il rajoute de l'eau, puis une poudre qu'il sort d'un sachet caché dans sa ceinture et finit par vider le liquide dans une coupe en cuivre qu'il place devant le prince.

- Tout ?

- Tout, répond Arthur en réprimant un frisson.

Balinor hoche la tête.

- Très bien. Dans cette coupe, il y a un poison mortel qui tue très lentement. Vous ne pensez pas être malade au début, puis vous commencez à avoir un léger mal de tête et ensuite ça s'aggrave et vous finissez par mourir en crachant vos poumons. Je me fiche de savoir lequel des deux, mais l'un de vous doit boire cette coupe si vous voulez que je vienne avec vous. Je vous fournirai l'antidote une fois que je serai de nouveau en sécurité de l'autre côté des frontières de Camelot.

- Vous n'avez pas besoin d'en arriver là, gronde Arthur, outré, tandis que Merlin contemple l'homme avec un regard étrange où se mêlent étonnement et trahison.

- J'ai besoin d'une garantie.

- Je vous ai donné ma parole, siffle le prince.

- La parole d'un roi n'a aucune valeur à mes yeux, pas plus que celle d'un manant. Les humains sont crédules et versatiles. Ils ne sont pas capables de tenir leurs promesses, petites ou grandes.

Arthur se mord l'intérieur de la bouche.

Il est hors de lui, mais il sait qu'il n'aura pas le choix. Il inspire profondément et sursaute quand le tabouret sur lequel était assis Merlin tombe brusquement en arrière.

- Vous n'allez pas faire ça ? s'écrie le jeune serviteur, alarmé.

Il s'approche vivement, pousse Balinor pour se rapprocher de la coupe.

- Je vais le faire, Arthur ! Laissez-moi le faire. S'il vous plait...

A ce moment exact, Arthur hait si profondément l'ancien seigneur des dragons qu'il pourrait le tuer sur place. Il écarte fermement Merlin sans écouter ses protestations et ramasse la coupe qu'il vide d'un trait avant de la reposer sur la table d'un geste brusque.

Il s'essuie la bouche d'un revers de manche dans le silence où il n'entend que le gémissement étranglé de son serviteur et toise Balinor.

- Voilà, c'est fait. Satisfait ? Partons, maintenant.

L'homme le contemple pendant quelques instants sans rien dire, le visage impassible, puis il incline la tête.

- Allons-y.

Dehors, la pluie s'est arrêtée.

Ils ont à peine le temps de chevaucher jusqu'à la frontière de Cenred avant que la nuit tombe. Arthur respire plus librement une fois qu'ils sont dans les bois alliés et cherche un endroit pour passer la nuit.

Ils allument un feu et Merlin installe des couvertures sur le tapis de feuilles mortes avant de venir s'asseoir en tailleur en face du tronc d'arbre sur lequel l'homme s'est assis pour écorcher le lapin qui leur servira de dîner. Le prince boit à grosses gorgées ce qui reste dans sa gourde, puis s'en va la remplir au ruisseau qui court à quelques mètres dans le sous-bois, tout en gardant son épée à la ceinture et un œil en direction du campement.

Il se demande s'il a soif à cause du poison et si Balinor va vraiment lui donner l'antidote avant de quitter Camelot.

Et si l'homme saura vraiment trouver un remède pour la pestilence qui frappe la ville.

Il s'efforce de ne pas penser à Guenièvre, à Morgane, à son père, à Gaius, à Sir Léon et à tous ceux qu'ils ont laissé derrière eux pour aller chercher du secours.

Pourvu que tout le monde aille bien…

Quand il revient près du feu, Merlin a les yeux fixés sur Balinor.

- Est-ce que vous avez déjà été à Ealdor ? demande-t-il soudain.

La question fait à Arthur l'effet d'une piqûre de guêpe et il trébuche sur un sac en se rasseyant.

- J'y ai passé un peu de temps, répond l'homme avec un haussement d'épaules, concentré sur le mouvement de son couteau.

Les deux saphirs s'intensifient.

- Y avez-vous vu une femme qui ressemblait à une princesse ?

Balinor rit doucement, de façon presque surprenante, et ses yeux sombres se posent avec une certaine douceur sur le garçon dont les grandes oreilles s'enflamment à la lueur du feu.

- T'es un drôle de p'tit bonhomme, toi, commente-t-il.

Merlin fronce le nez, désappointé à cette expression que Perceval utilise régulièrement pour le faire marronner, et Arthur se détend un peu.

- Je ne connais pas beaucoup de femmes qui soient de vraies princesses, dit l'homme en se remettant à travailler. "Mais… oui. Il y avait une femme, là-bas, qui aurait pu être reine. Elle était magnifique et douce. Elle s'appelait Hunith."

Arthur grogne, narquois : depuis quand détermine-t-on qu'une princesse en est une à sa beauté ? Qu'est-ce qu'il est supposé croire de sa fiancée Elena, alors ?

Merlin n'a pas bougé.

- Est-ce que vous la connaissiez bien ?

L'homme se rembrunit.

- Je l'ai aimée, fut un temps.

Arthur n'a plus de doute sur la direction de cette conversation, maintenant, mais il ne parvient pas à se décider à l'interrompre.

Il ne s'en sent pas le droit.

Peu importe la façon dont le pupille de Gaius – son petit-fils, pardon – a appris la vérité, c'est à lui de faire ce choix.

- Eh bien… je suis le fils d'Hunith, dit Merlin.

Le couteau s'arrête une fraction de seconde, mais l'homme cille à peine.

- Elle s'est mariée, donc, marmonne-t-il. "C'est bien. Elle méritait d'être heureuse."

Merlin a l'air un peu perdu pendant quelques instants, puis il penche la tête de côté et fixe l'homme encore plus intensément.

- Elle ne s'est pas mariée, corrige-t-il simplement.

 

 

A SUIVRE…

 

 


Listelia  (14.07.2015 à 17:22)

Basé sur les épisodes : 01x03, 01x11, 02x13

 (Ah, j'avais oublié de préciser. Comme l'histoire est déjà toute rédigée, je préfère l'écrire "à une seule main". Mais je serai très curieuse et très heureuse si vous décidez d'ajouter quelque chose APRES le 38ème paragraphe...)

 

DEUX PETITS DRAGONS DE BOIS

 

 

Pendant quelques instants, la nuit froide n'est troublée que par le chuchotement des feuilles mortes, les appels étouffés lointains des animaux et le crépitement des flammes.

Arthur retient sa respiration.

- Je suis votre fils, insiste Merlin qui semble surpris par l'absence de réaction de l'homme.

Ce serait presque drôle, si ce n'était pas si triste.

L'homme relève la tête et ses yeux sombres plongent dans les deux saphirs fixés sur lui, comme pour les sonder, pour vérifier qu'il dit la vérité, pour… s'accrocher à la réalité ?

Arthur peut sentir à quel point l'ancien seigneur des dragons est ébranlé par cette révélation, malgré son visage en apparence impassible.

- Je ne sais pas ce que c'est que d'avoir un fils, finit-il par souffler avec une espèce de sourire maladroit.

Peut-être est-ce la fumée, mais ses yeux piquent et se mouillent.

Les grands yeux bleus de Merlin se remplissent de larmes, mais il sourit en retour, si largement que la nuit semble s'éclairer.

- Je ne sais pas ce que c'est que d'avoir un père, répond-t-il d'une voix un peu étranglée.

Ses épaules se sont haussées d'un air d'excuse et il a l'air si fragile, si maigre, si innocent, assis en tailleur sur le sol en face de l'homme qui n'a pas fait un geste pour le prendre dans ses bras, qu'Arthur aurait presque envie de se lever et de botter le derrière du seigneur des dragons.

Est-ce possible d'être bête à ce point ?

Même le prince, qui est loin – très loin – d'être démonstratif, a le sentiment que Merlin mérite plus qu'un simple regard ému.

L'homme se racle la gorge et pose le couteau sur le tronc. Il cherche autour de lui, trouve la pique préparée pour le lapin et embroche l'animal avant de le placer au-dessus du feu. Puis il se lève, brosse sa veste en cuir, commence un geste qu'il ne termine pas et finit par se gratter la barbe de nouveau.

- Je reviens, grommelle-t-il.

Et il s'en va.

Merlin le suit de ses yeux embués et son sourire s'éteint lentement. Il baisse la tête, change de position et ramasse ses genoux contre lui.

Pitoyable.

Arthur est encore plus furieux que lorsqu'il a dû boire le poison plus tôt dans la journée. Il respire profondément pour se calmer, puis se lève et contourne le feu pour venir s'asseoir à côté de son serviteur. Il se laisse tomber sur la couverture, bourrade légèrement l'épaule de Merlin.

- Hé, tente-t-il en s'efforçant de prendre un air de bonne humeur.

Merlin se recroqueville, les bras noués autour de ses jambes, sans lui accorder un regard.

- Il est un peu surpris, c'est tout, dit le prince.

C'est un crétin et il aurait dû prendre sur lui.

Il fulmine tellement qu'il a peur que sa voix ne vrille dans les aigus.

- Merlin ? Merlin, regarde-moi.

Le garçon enfouit au contraire plus profondément son visage dans le creux de ses bras.

- Merlin. Tu n'es pas supposé désobéir à un ordre direct de ton maître.

Le petit bruit étouffé qui lui répond est juste la chose la plus triste du monde.

- Il ne veut pas de moi, balbutie une petite voix brisée.

Arthur ne réfléchit pas vraiment et jette son bras autour des épaules de son serviteur presque comme un réflexe.

- C'est faux, dit-il fermement, tandis que son gant presse la clavicule osseuse de son serviteur. "Il a juste été pris par surprise, c'est tout. Imagine la tête que je ferais, si j'apprenais soudain que Gwaine est mon frère."

Merlin relève la tête et renifle à travers les larmes qui dégoulinent sur son visage.

- C'est vrai ? demande-t-il.

Arthur fait une horrible grimace.

- Non, bien sûr que non ! proteste-t-il. "Seul un vieux crapaud pourrait avoir ce genre de relation avec lui."

Il sourit et donne une pichenette amicale sur la pommette du garçon.

- Qu'est-ce que j'ai dit au sujet des valets qui ont le nez qui coule ? gronde-t-il doucement.

Merlin lui adresse une moue d'excuse et s'essuie avec le revers de sa manche.

- Désolé…

Arthur enlève son bras et ébouriffe les cheveux noirs de son serviteur.

- Bien, conclut-il.

Ses yeux scrutent la pénombre du sous-bois à la recherche de l'homme. Balinor ferait bien de revenir rapidement, s'il ne veut pas que le prince aille le chercher et le ramène par le col de sa veste ridicule.

Arthur soupire, agacé. Il se lève et fait quelques pas autour du feu, rajoute une bûche, lève la tête pour regarder la lune qui se cache dans le brouillard naissant.

- Vous ne l'aimez pas beaucoup, hein ?

Il hausse les épaules.

- Je ne lui fais pas encore confiance, rectifie-t-il.

Il souffle, les mains sur les hanches, puis s'assoit sur le tronc d'arbre et pose les coudes sur ses cuisses.

- Merlin ?

- Hum ?

- Comment tu as su que c'était ton père ?

Les cils sombres battent très vite, dans un éclat d'yeux bleus un peu coupables.

- Je vous ai entendu en parler avec Gaius.

Le prince hoche la tête.

- Eh bien, ça explique que tu sois devenu soudain muet, je suppose.

Il marque une pause.

- Je suis désolé, Merlin.

Le garçon frissonne un peu sur sa couverture, tire à lui celle d'à côté et s'en enveloppe.

- Pourquoi ? demande-t-il, un peu étonné.

Arthur mâchouille l'intérieur de sa bouche, laisse échapper un soupir contrit.

- Pour tout ça.

Merlin penche la tête de côté.

- C'est pas grave, dit-il en souriant à Arthur comme s'il essayait de lui remonter le moral. "Tout va bien se passer. On va revenir à Camelot, les gens vont être guéris et Ba… Balinor va vous donner l'antidote."

Il fronce le nez d'un air un peu espiègle.

- C'est Gaius qui va être content de le revoir après aussi longtemps ! Et Guenièvre va être drôlement surprise quand je vais lui dire que le médecin de la cour est mon grand-père, en fait. Gwaine va faire un bond plus haut que la tête de Perceval et Lancelot va dire que c'est pour ça que je me débrouille bien avec les herbes, j'en suis sûr…

Arthur n'a pas le courage d'interrompre ce flot de paroles un peu précipitées, désespérément joyeuses et insouciantes.

Oh, Merlin. Non, rien de tout ceci ne va arriver.

Gaius ne va pas recevoir son fils à bras ouverts et Balinor n'aura pas le droit de rester.

Peut-être que ce n'est pas si mal que l'homme se soit montré si distant, finalement. La séparation sera sûrement moins douloureuse comme ça…

En parlant du loup, voilà l'ancien seigneur des dragons qui réapparait entre les arbres. Il se rassoit sur le tronc d'arbre dans un bruissement de son long manteau de cuir sombre et évite délibérément le regard de Merlin. Il se penche sur le lapin, râle parce qu'ils n'ont pas fait tourner la broche et que le dîner est noirci d'un côté, rose vif de l'autre.

Il ne pipe pas un mot pendant tout le repas et fait comme s'il ne sentait pas les coups d'œil qu'on lui lance. Merlin s'est tu immédiatement en le voyant revenir et se tient coi jusqu'au moment où Arthur lui ordonne sèchement de se coucher, agacé par les bâillements à répétition de son serviteur qui peine à garder les yeux ouverts.

- Je te réveillerai quand ce sera ton tour de veille.

Une fois Merlin pelotonné sous sa couverture qui se soulève régulièrement, preuve qu'il est bel et bien dans les choux, Arthur se tourne vers Balinor qui a sorti un bout de bois de sa poche et s'est mis à le tailler.

Décidément, pour un médecin, il joue beaucoup trop souvent du couteau.

Le prince se racle la gorge.

- Vous aviez vraiment besoin de faire ça ? reproche-t-il.

Balinor fronce à peine les sourcils.

- Sa condition, dit-il sourdement. "C'est un accident ? Une fièvre ? Ou est-ce de naissance ?"

Arthur se radoucit.

- Gaius a dit qu'il était né comme ça.

- Quelles sont ses limites ?

Le ton de l'homme est froid, précis, comme celui du roi quand ses éclaireurs reviennent de patrouiller.

Le prince remue inconfortablement sur le tronc d'arbre.

- Vous devriez interroger Gaius, dit-il froidement.

L'homme relève la tête un bref instant et ses yeux étincellent.

- Je te pose la question à toi.

Arthur n'aime pas du tout ce manque de respect, mais il n'est pas dupe. Il a entraperçu brièvement un éclair de détresse derrière la hargne apparente de l'ancien seigneur des dragons.

Il soupire – encore. Il semblerait qu'il ne fasse que ça depuis le début de ce voyage.

Ses yeux se posent sur la forme endormie de son serviteur.

- Il peut tout faire, répond-t-il. "Simplement, il le fait plus lentement. Ce n'est pas comme si c'était un enfant, il est… il comprend davantage, on peut lui demander plus. C'est juste qu'il… il voit et il agit avec une différente perspective que les autres gens. Il manque totalement de sens pratique et se fourre toujours dans des situations impossibles, mais parfois il fait preuve d'une sagesse étonnante."

Un sourire frôle ses lèvres, sans qu'il s'en rende compte.

- Merlin est quelqu'un de bien, conclut-il. "Quelqu'un que n'importe qui pourrait être fier d'avoir pour ami."

Il se tourne vers l'homme et s'aperçoit, surpris, que celui-ci le regarde d'une drôle de façon.

- Quoi ?

- Rien, marmonne Balinor en se remettant à tailler son bout de bois.

- Je déteste quand vous faites ça, maugrée le prince.

Il se lève et s'étire, bâille largement.

- Je suppose que vous pouvez prendre la première veille, puisque que vous êtes bien lancé, grogne-t-il avec un geste de menton en direction des mains calleuses de l'ancien seigneur des dragons.

Balinor ne répond pas, comme d'habitude.

Arthur se couche, s'enroule dans sa couverture et l'observe une dernière fois.

De profil, si on lui retirait cette épaisse barbe hirsute, l'homme ressemble un peu à Gaius. Ses cheveux noirs bouclés sont les mêmes que Merlin, et il a aussi la même façon d'arrondir les épaules quand il est assis.

Les saphirs doivent être le don d'Hunith et, s'il en croit la carrure de Balinor, le corps frêle de son serviteur lui vient sûrement aussi de sa mère.

Arthur laisse retomber ses paupières.

Il se demande pourquoi le père de Merlin est parti d'Ealdor, il y a des années…

Pourquoi il a abandonné la femme qu'il aimait et s'en est allé sans jamais revenir…

Pourquoi…

Il dort déjà.

L'homme attend d'être certain que le prince a sombré avant de se lever avec précaution. Il contourne le feu délicatement, en prenant soin de ne pas faire craquer les feuilles et les brindilles, puis s'accroupit à côté de Merlin.

Pendant longtemps il contemple les traits anguleux du garçon, sans rien dire, puis sa main se tend doucement et il écarte une mèche noire sur le front de son fils.

- Je ne savais pas, souffle-t-il. "Je suis désolé… je ne savais pas…"

Il ferme les yeux et une larme coule lentement le long de son nez et se perd dans son épaisse barbe sombre.

Quand Merlin ouvre les yeux, le lendemain matin, il y a un petit dragon de bois posé sur la pierre à côté de sa tête.

 

oOoOoOo

 

Arthur enfonce ses talons dans le flanc du cheval qui prend son élan pour gravir la dernière colline qui les sépare de la frontière. Il se retourne quand il arrive au sommet, écarte une branche gorgée de pluie qui l'éclabousse de gouttelettes froides, et surveille la progression du cavalier derrière lui.

Le soleil est tiède sur sa joue, à peine assez clair pour illuminer ses cheveux blonds à travers le feuillage rouquin de la forêt.

Il a l'impression que c'était hier qu'ils ont campé dans la clairière en contre-bas, mais cela fait déjà plus d'un mois.

Camelot se remet des cicatrices laissées par l'épidémie et l'on a commencé à rebâtir les chaumières rasées pour assainir les rues. Il faudra encore beaucoup de temps pour que cette épreuve soit oubliée, mais au moins plus personne n'est malade. Uther a ouvert les greniers et fait distribuer de la nourriture, Gaius est enfin sur pied et veille sur le rétablissement des plus âgés.

Guenièvre et Morgane prodiguent des vêtements et des couvertures aux plus pauvres. Elles ont même confectionné des poupées de chiffon pour les plus petites filles de la ville basse.

Sir Léon a dormi trois jours durant, puis il s'est remis à la tâche et supervise la reconstruction des bâtiments avec les chevaliers qui mettent la main à la pâte sans protester.

Merlin est partout, comme d'habitude. Les joues enduites de terre, les mains dans le savon, en train de charrier des pierres ou de tirer des charrettes de planches, souriant et encourageant chacun.

Lancelot, Gwaine et Perceval sont revenus de leur quête avec une espèce de fourchette rouillée, l'air assez enchantés de leur voyage. Gwaine a parlé de vouivres et de tartes aux pommes, Perceval s'est plaint du bavardage incessant de l'ivrogne et de ses ampoules aux pieds, Lancelot est déjà en train de rédiger un poème épique au sujet de leur quête, qu'il voudra sûrement leur déclamer la prochaine fois qu'ils se retrouveront en train de savourer une pinte d'hydromel sous les étoiles.

Et Arthur a tellement de choses à leur raconter qu'il ne sait même pas par où commencer.

- Vous êtes trop lourd pour cette pauvre bête, lance-t-il à Balinor quand l'homme parvient à sa hauteur.

L'ancien seigneur des dragons se contente de lever un sourcil.

- Attends quelques années, quand tu seras roi. Avec tous les banquets auxquels tu seras forcé d'assister, tu deviendras vite gras et impotent.

Le prince renifle, amusé.

- Aucune chance, riposte-t-il. "Merlin ne me laissera jamais en paix s'il doit faire des trous supplémentaires dans mes ceintures. Je ne lui donnerai pas cette joie."

Balinor rit dans sa barbe, de ce rire sourd affectueux qu'il ne laisse pas entendre souvent.

Arthur et lui ont passé des heures ensemble, pendant ce dernier mois. Uther n'a vu l'ancien seigneur des dragons qu'une seule fois. Les deux hommes se sont toisés dans un silence étouffant, avant de se rappeler mutuellement leurs serments de respecter l'accord de trêve fragile. Arthur a dû assister aussi à la première confrontation pénible entre Gaius et Balinor, et pour une fois il a apprécié la façon abrupte qu'a l'ancien seigneur des dragons de conclure les conversations.

Gaius et son fils se sont revus plus tard, mais le prince les a laissés seuls, cette fois-là. Il a embarqué Merlin pour faire le tour des fontaines et vérifier que l'eau coulait claire et pure.

Merlin n'a pas mis longtemps à discerner sous l'attitude bourrue de Balinor les véritables sentiments de celui-ci.

Uther n'a pas laissé beaucoup de marge de manœuvre à son fils, mais il n'a pas vu de problème à ce que "l'idiot" apporte ses repas au reclus ou passe du temps dans la cour fermée d'une grille que le soleil inondait de lumière en fin d'après-midi. Merlin est venu tous les jours voir son père : il a pu l'aider à manipuler les potions et les mixtures, il a bavardé, bavardé, bavardé, assez pour rattraper des années d'absence. Il a observé avec intérêt l'étrange entente qui est née entre le prince et son prisonnier, ses grands yeux bleus remplis d'une joie étonnée tandis qu'il écoutait les deux hommes échanger leurs points de vue avec passion.

Arthur n'est pas d'accord avec toutes les étranges idées de Balinor, mais il reconnait qu'elles sont fascinantes. Il ne conçoit pas un royaume où le peuple aurait voix au chapitre au même titre que son souverain, mais il se sent étrangement attiré par la notion d'égalité entre les nobles et les serfs, même si un tel monde lui parait difficilement concevable.

Après tout, n'est-il pas ami avec trois hommes dont il considère la vie aussi importante que la sienne propre ?

Son cheval fait un écart et il revient au présent. Ils sont sur la crête qui surplombe la frontière d'Essetir. Loin dans la vallée, un filet de fumée s'élève au-dessus d'un groupe de maisons : sans doute l'auberge où ils ont passé la nuit lors de leur premier voyage.

Il tourne la tête vers Balinor et s'aperçoit que celui-ci est en train de le regarder pensivement.

- C'est ici que nos chemins se séparent, dit l'homme de sa voix grave.

Ses yeux regardent Arthur avec amitié.

- Ce n'est pas tout à fait la frontière, objecte le prince. "Il y a une lieue ou deux d'ici au royaume de Cenred. Je ne vais pas prendre le risque que vous enfreignez les termes de notre accord."

- Je vous ai donné ma parole, réplique Balinor.

Arthur lui renvoie une grimace.

- Oh. S'il vous plaît.

L'homme se met à rire, puis il redevient sérieux.

- Vous lui expliquerez ?

Arthur hoche le menton.

- Oui, répond-t-il.

Il ne pose pas la question parce qu'il a promis à Gaius de ne pas le faire, mais il voudrait fichtrement savoir pourquoi l'ancien seigneur des dragons s'en va encore une fois sans rien dire à son fils.

Merlin méritait qu'on lui dise adieu correctement.

- Vous allez passer par Ealdor ?

Balinor détourne les yeux, se concentre sur la vallée et l'oiseau qui traverse le grand ciel pâle.

- Oui. Je veux voir l'endroit où repose Hunith, verser du vin sur sa tombe et voir si les scilles ont fleuri.

Arthur se mordille les lèvres.

- Vous irez où, ensuite ?

L'homme le regarde de nouveau, son regard brun adouci sous ses épais sourcils.

- Pourquoi veux-tu savoir cela, jeune prince ? Tu comptes me traquer ?

- Plutôt savoir où Merlin pourra vous retrouver, s'il le désire un jour, riposte sourdement Arthur.

Balinor sourit tristement.

- C'est mieux qu'il reste à Camelot.

Il talonne son cheval et s'engage sur le sentier qui descend vers Cenred. Arthur hésite, puis il le rattrape et bloque le passage avec sa monture.

Les chênes aux écorces noueuses, autour d'eux, commencent déjà à engloutir la lumière. Le sous-bois s'assombrit, plus loin, et la brise fait frissonner le tapis de feuilles cuivrées qui recouvre la terre brunâtre, soulevant une odeur de mousse et d'humidité un peu enivrante.

- Vous ne comptiez pas partir sans me donner cet antidote, quand même ?

Balinor rit en sourdine.

- Il n'y a jamais eu besoin d'antidote, répond-t-il d'un air narquois. "Je t'avais simplement donné une décoction de plantes qui soignent les poussées de furoncles… je voulais savoir à quel point tu étais sincère."

- Je m'en doutais… marmonne Arthur avec l'envie soudaine de faire quelque chose – comme basculer l'homme de sa selle et l'obliger à avaler quelques champignons dégoutants arrosés de pisse de renard.

Mais soudain une flèche fend l'air à travers les arbres et vient se planter dans sa selle avec un bruit sec.

L'instant d'après, il saute de cheval et ses oreilles se remplissent de braillements et de clashs de métal, et il se retrouve dos à dos avec Balinor en train de combattre ce qui doit être une patrouille de soldats de Cenred… définitivement pas du bon côté de la frontière.

Ça ne dure pas longtemps.

Il est bien plus habile que la plupart de ses adversaires et Balinor est loin d'être un manche avec une épée.

Pour un homme qui passe à peu près autant de temps que Gaius dans de vieux bouquins poussiéreux, le père de Merlin est plutôt surprenant.

Arthur balance son pied dans la poitrine du dernier soldat et l'envoie bouler le long de la pente avant de se retourner, un peu haletant, vers son compagnon de voyage.

- Peut-être que Cenred n'est pas la bonne destination pour vous, lance-t-il avec humour. "Vous devriez tenter les plages de Fyrien, elles…"

Il n'a pas le temps de finir sa phrase, parce que le premier des soldats qu'il a jeté à terre s'est soulevé sur un coude avec son arbalète et qu'il tire…

Les yeux d'Arthur s'écarquillent quand il sent le choc qui lui coupe le souffle et l'écrase sur le sol. Il lutte pour se redresser, repousse le corps de Balinor qui s'est effondré sur lui après l'avoir poussé hors de danger, s'assure d'un coup d'œil que le soldat qui a fait feu est retombé inconscient, puis se dégage et se penche sur l'ancien seigneur des dragons, fébrile.

- Qu'est-ce que vous avez fait ? balbutie-t-il.

- On ne t'a… pas appris… à dire… merci, Altesse ? crachote Balinor avant d'étrangler un cri de douleur en retirant d'un coup sec le carreau planté dans son flanc.

- Pourquoi ? bégaye Arthur en calant l'homme contre ses genoux et en essayant de retenir le sang qui s'échappe en giclant de la blessure.

- Parce que… tu es... l'ami de Merlin…

- Je vais vous ramener à Camelot ! Gaius vous soignera…

- Non… Non, c'est trop tard... Crois-moi, je suis médecin, ajoute Balinor avec un faible sourire.

Ses traits se convulsent de douleur et il se tend, gémit, tousse, s'étouffe à moitié. Quand il arrive à reprendre sa respiration, il attrape le visage d'Arthur dans ses mains calleuses, le serre presque à lui faire mal.

- Arthur… prends soin de lui… je t'en prie… prends soin de Merlin…

- Je vous le promets, répond le prince dont le cœur est en train de se briser en mille morceaux.

Si cela fait si mal de voir perdre le père de Merlin, alors comment pourrait-il le supporter si celui qui se mourrait était le sien ?

Des larmes lui brûlent les yeux et il les refoule, continue de soutenir l'homme, presse désespérément sa main sur la blessure.

Oh, comment peut-il retourner à Camelot et dire à Gaius que son fils est mort ?

Comment pourra-t-il regarder Merlin en face après avoir laissé une telle chose arriver ?

L'homme lutte pour rester conscient.

- Ecoute-moi, mon garçon… aucun homme ne mérite que tu verses des larmes pour lui… ne pleure pas pour les morts, le deuil ne ramène personne… mais le pardon… une main tendue… peuvent changer un cœur… Occupe-toi des vivants, Arthur… les gens… en valent la peine…

- Il semblerait que j'ai le meilleur professeur pour apprendre à m'intéresser aux autres, dit Arthur d'une voix rauque qui tente de plaisanter.

Il sent la vie quitter le corps de l'homme qui a fermé les paupières, son poids s'alourdir sur ses avant-bras qui lui font mal, le sang qui imprègne sa tunique et son pantalon.

Balinor a lâché son visage et sa main repose dans les feuilles d'or rouge. Son visage blême est crispé de douleur mais ses yeux bruns sont étonnement apaisés lorsqu'ils se rouvrent doucement.

- Un jour viendra où tu feras face à de grandes batailles… où tu devras mener une armée… je sais que tu es un des meilleurs combattants au sein des cinq royaumes… mais on n'a pas seulement besoin de courage et de force pour gagner, Arthur…

Le jeune homme hoche la tête en ravalant les larmes qu'il ne veut pas laisser couler par égard pour cet homme de science qui, en un mois, a su lui en apprendre davantage que tous les maîtres d'armes que le prince a eus depuis son enfance.

- Arthur…

- Taisez-vous. Vous êtes encore plus bavard que Merlin… marmonne le prince en se mordant les lèvres.

Balinor sourit, comme perdu dans un rêve, puis il se contracte, gémit, et sa bouche se remplit de sang.

- Ar'th'r…

- Je suis là, dit le prince entre ses dents.

La main de Balinor se traîne dans les feuilles mortes qui crissent, remonte sur son manteau de cuir sombre poisseux de sang, cherche quelque chose dans sa poche.

- T'iens… c'… p'r… toi…

Arthur attrape la main faible qui a du mal à tenir le petit dragon de bois.

- Je le donnerai à Merlin, promet-il, le cœur serré.

Balinor secoue la tête.

- N'n… j'… fais deux… c'… p'r toi…

Ses yeux bruns regardent avec douceur le jeune prince.

- Mer… ci… Si…re…

Ses cils palpitent légèrement et sa nuque se renverse lentement en arrière.

Arthur le dépose doucement sur le sol recouvert d'un tapis d'automne et le contemple en silence, les poings fermés, le petit dragon identique à celui de Merlin posé sur son genou.

Il reste comme cela un long moment, silencieux, puis se lève, décidé.

Quand il a fini d'ensevelir Balinor, il retourne à Camelot, sans jeter un regard en arrière.

Il annonce la mort de son fils à Gaius et le laisse appuyé sur sa table de potions, pâle et voûté, avant de se mettre à la recherche de Merlin.

Quand il le trouve, il n'hésite pas, il ne ment pas, il explique en quelques mots, puis serre contre lui le garçon qui sanglote, sans rien dire.

Parce que Merlin n'est rien de plus qu'un enfant dont le père est parti sans dire adieu.

Mais Arthur est un homme, et à partir de ce jour-là, il enseigne à ses chevaliers ce qu'il a appris.

On ne s'arrête pas pour pleurer sur la mort d'un guerrier, on continue ce qu'il a commencé.

 

 

A SUIVRE…

 


Listelia  (15.07.2015 à 23:06)
Basé sur les épisodes : 2x12, 3x01, 3x02, 3x12

 

 

PAS DE FUMÉE SANS FEU

 

 

La forêt est encapuchonnée dans un brouillard blanc. Les feuilles mortes, cuivrées et sèches, crissent sous les bottes des cinq hommes qui se serrent les uns contre les autres sur un tronc d'arbre recouvert de mousse et de lichen.

- Quand vous serez marié, on ne pourra plus faire ça… remarque Gwaine entre deux bouchées de poisson grillé.

Lancelot hoche le menton, ses yeux noirs fixés sur le feu qui pétille en produisant une épaisse fumée grisâtre. Le bois est humide et les gouttes qui tombent des arbres de temps à autre s'évaporent avec un frishtt paisible quand elles touchent les pierres chaudes.

- C'est vrai, murmure Arthur.

Il ne dit pas que si son père découvrait la camaraderie qu'il entretient avec des roturiers, ç'en serait fini maintenant des escapades qui lui tiennent tant à cœur.

- Heureusement que le mariage a été repoussé au printemps, alors… dit placidement Perceval.

Le vieux chêne tordu qui sert de point de ralliement craque comme s'il riait sourdement quand le vent se lève.

Il fait trop froid pour passer la nuit dehors, alors les trois vagabonds s'entassent dans la ridiculement petite chambre de Merlin et Arthur se rend déjà mis de côté. Le jour suivant, dès qu'il a passé assez de temps sur le terrain d'entraînement pour disperser les soupçons, il laisse les chevaliers entre les mains de Sir Léon et se rue chez Gaius où il trouve les larrons en train de faire semblant que l'indigestible porridge du vieux médecin est le meilleur petit déjeuner qu'ils n'ont jamais eu. Ils ont passé la nuit à bavarder comme des gamines excitées et n'arrêtent pas de bâiller largement.

Arthur trouve la vie vraiment injuste. Il donnerait n'importe quoi pour avoir droit au même bonheur insouciant.

Moitié malicieux, moitié sérieux, Merlin lui propose d'échanger leurs rôles, mais ça ne le fait pas rire.

Les heures passent trop lentement et les mois trop vite. Le temps se réchauffe et les arbres s'habillent de petites fleurs blanches et roses, de bourgeons d'un vert vif et d'oiseaux en plein émoi.

Pendant que la sentinelle lui fait son rapport, Arthur observe Guenièvre et Lancelot du haut de la tour de guet. Ils reviennent du marché, sans doute. Le jeune homme porte le panier et la soubrette explique quelque chose tout en consultant un morceau de papier. Ils rient dans la brise chargée de pétales de cerisier. Ils s'arrêtent à un étal, leurs mains se frôlent dans le bac de pommes de terre, ils gloussent bêtement.

Ces deux-là sont devenus vraiment bons amis cet hiver, quand Lancelot a été malade et qu'il a squatté chez Gaius pendant quelques semaines. Gwaine réussit toujours à faire rire aux éclats la servante, mais la jeune fille a pris l'habitude de baisser un peu les yeux quand Lancelot s'adresse à elle, et de sourire avec les pommettes roses. Même Perceval, qui est toujours le dernier à s'apercevoir de ce genre de choses, leur jette des coups d'œil attendris de temps en temps.

Arthur est perplexe. Il devrait être jaloux, non ? Pourtant il ne l'est pas vraiment, même s'il se sent légèrement agacé par leurs niaiseries. Il commence à comprendre que ce qui l'attire chez Guenièvre, plus que sa beauté ou son courage, c'est sa façon droite et sincère de lui parler, le fait qu'elle s'adresse à lui comme à un homme, non pas comme à un prince.

Un peu comme Merlin.

Un peu comme une conscience.

On n'épouse pas sa conscience, cependant. Même si le froissement de sa robe fait courir une drôle de chaleur dans votre cou.

Et Arthur essaie désespérément de tomber amoureux d'Elena, parce qu'Uther est intransigeant, chaque fois qu'il aborde le sujet : le mariage aura lieu et peu importe ce que son fils pense de la jeune femme :

- C'est un poulain sauvage, Père.

- Elle a de l'énergie, j'en conviens. Une femme en bonne santé apporte de la joie à son mari.

- Cette vieille horreur qui lui sert de nounou a plus de grâce qu'elle.

- Au moins, Lady Elena a de la retenue dans ses avances, Arthur, comme une vraie damoiselle de bonne famille. Cette Grunhilda accable notre pauvre Gaius de ses… attentions chaque fois qu'elle est en visite au château. Le pauvre homme est au bout de sa vie.

- Comment pouvez-vous imaginer que je tombe amoureux d'une femme qui croque des grenouilles vivantes pour son quatre-heures ?

- Les Gaulois en sont friands, m'a-t-on dit.

C'est à s'en arracher les cheveux.

Et Merlin n'est d'aucune aide, ces temps-ci. Non seulement il se tait résolument, les lèvres pressées pour signifier qu'il ne participera à aucune débat sur la question (il a donné son avis clair : "les gens devraient se marier par amour, un point c'est tout"), mais il se montre aussi particulièrement nerveux et énervé chaque fois qu'il croise Morgane dans un couloir. La seule explication qu'on peut en tirer est un mouvement de tête buté et une phrase énigmatique : "non non non, c'est pas une bonne idée."

Arthur a interrogé Guenièvre et celle-ci a haussé les épaules. Elle pense que Merlin n'aime pas la nouvelle femme de chambre de la princesse, Sefa, qui est pourtant une jeune personne tout à fait gentille et insignifiante aux yeux du prince. Morgane semble s'entendre très bien avec elle et l'emmène souvent en promenade. Guenièvre apprécie cette amitié, surtout que cela la dispense de monter à cheval pour accompagner sa maîtresse chaque fois que celle-ci souhaite échapper à la monotonie du château.

Arthur a d'abord été un peu troublé, puis il s'est fait une raison : Morgane sourit de nouveau depuis l'arrivée de Sefa et ça n'est pas arrivé depuis longtemps. Merlin a dû être contrarié par un mot prononcé de travers une fois, cette animosité est infondée. Il a quand même insisté pour accompagner sa sœur lors d'une de ses promenades habituelles et s'est promis qu'il ne recommencerait pas. Apparemment l'idée d'une après-midi réussie pour Morgane consiste à pouffer en tressant des bleuets avec sa servante. Et il n'a pas vraiment apprécié d'être pris pour cible des railleries de la princesse, qui semble s'amuser beaucoup de sa détresse face à Lady Elena.

Nul besoin de s'inquiéter.

Il a tort, mais il ne le sait pas encore.

Il continue de suivre sa propre routine, d'obéir à son père, de s'appliquer à rester éveillé pendant les leçons ennuyeuses à mourir que lui donne Geoffrey de Monmouth sur les lois et décrets de Camelot, de participer aux conseils où on lui demande de plus en plus son avis, de diriger les entraînements des chevaliers avec Sir Léon, de cartographier le royaume, de gagner des tournois, de courtiser Lady Elena avec autant de bonne volonté qu'il peut en rassembler – et bénie soit la neige épaisse qui a paralysé les routes pendant presque tout l'hiver et l'a empêché de voyager jusqu'au domaine de Lord Godwyn, lui donnant une parfaite bonne excuse – d'assister aux banquets et de patrouiller à la recherche de bandits… et de s'échapper chaque fois qu'il en a l'occasion pour aller au chêne tordu respirer loin de cette pression.

Parce qu'il n'arrive juste pas à trouver le bout de l'écheveau. A savoir par où commencer, comment changer, quoi faire de tout ce qu'il a appris, connu, découvert depuis deux ans qu'il a cessé de penser comme Uther Pendragon – l'homme qui a trahi sa mère, celui sur qui il avait basé sa vie, son père.

Pendant des semaines, il se comporte de façon modèle, puis – ça lui a pris longtemps et il a presque laissé passer sa dernière chance – Arthur réussit finalement à être vrai avec lui-même.

C'est sa première étape, sa première décision personnelle sur cette longue route toute tracée devant lui.

Il est juste un peu embarrassé d'avoir attendu jusqu'au moment où Lady Elena s'est avancée le long du tapis rouge dans sa robe de soie brodée pour lui prendre la main et lui dire qu'il n'allait pas l'épouser.

Ses paroles déclenchent un sacré tumulte dans la grande salle et les veines sur le front d'Uther ont l'air prêtes à exploser quand la jeune femme gousse de rire, amusée, et répond qu'elle est plutôt contente qu'il ait parlé avant qu'elle ne le fasse.

Elle a beau être maladroite et plutôt garçon manqué, elle ne manque pas d'honneur, et Arthur s'est assez attaché à elle, finalement – enfin, autant qu'on peut l'être à une amie ou à un frère d'armes.

Il est surpris qu'elle pense comme lui que leur mariage ne soit pas une bonne idée et très soulagé de savoir qu'il ne va pas lui briser le cœur : c'est contraire au code de la chevalerie de faire pleurer une dame.

Le roi est hors de lui et s'apprête à jeter son fils au cachot et à l'obliger à épouser la damoiselle même s'il faut pour cela en venir à lui lier pieds et poings.

Mais le père d'Elena – qui se trouve être le meilleur ami d'Uther – apaise ce dernier et l'entraine hors de la grande salle avant que la famille royale ne se donne davantage en spectacle (Morgane complète le tableau en faisant des grimaces pour ne pas éclater de rire). Lord Godwyn est déçu que le mariage n'aie pas lieu, certes, mais favorablement impressionné par la détermination d'Arthur et par son discours bien tourné.

Le ton digne et calme du prince n'a offensé personne, il s'est montré courtois et il y a du vrai dans ce qu'il a dit : un roi et une reine malheureux ne sauraient rendre leur peuple heureux.

- Je vous souhaite de trouver le bonheur auprès d'un homme qui vous aime de tout son cœur.

Uther fait les cent pas un moment, en grognant et en soufflant comme un sanglier en colère, les yeux rétrécis. Puis il s'arrête devant la fenêtre, passe la main dans ses cheveux gris d'un air las.

Il sait d'où vient cette idée ridicule que, roturier ou noble, on devrait pouvoir choisir sa vie, et il est décidé à la combattre de toutes ses forces.

Balinor n'empoisonnera pas l'esprit de son fils.

- Ne le punissez pas, Uther. Arthur sera un grand roi, un jour. Vous devriez être fier de lui. Et il est peut-être temps que certaines vieilles traditions soient changées…

Elena s'en va à cheval après avoir proposé au prince de le battre à la course dès qu'il en sentira l'envie et Arthur sourit sincèrement en retour.

- Au-revoir, princesse.

Merlin lui donne un coup de coude.

- Elle va vous manquer, avouez !

Le prince attend que les visiteurs aient franchi le pont-levis, puis renifle, narquois.

- Nah. Je crois pas.

Il attrape son serviteur et le coince sous son aisselle, le traîne jusqu'à ses appartements. Il fait beau et il ne s'est pas senti aussi bien depuis des mois.

C'est le moment idéal pour une belle chasse à courre qui remontera le moral de Morgane et fera râler Merlin d'une façon tout à fait satisfaisante.

L'été arrive à la vitesse d'un cheval emballé, remplit les journées d'éclaboussures d'eau et de rires, et les nuits de chansons de troubadours et de criquets. Les blés ondulent dans les champs, blonds et lourds de grains qui promettent une bonne moisson, des réserves pour longtemps. Le ciel est grand, clair et aussi bleu que les yeux de Merlin. Il n'y a pas eu un seul raid de bandits depuis des semaines.

Tout est bien, si ce n'est que la santé du roi n'est pas très bonne. Il a de fréquentes migraines, dort mal à cause de cauchemars et aucune des potions de Gaius ne semble le soulager. Arthur s'inquiète pour son père, mais Uther se préoccupe davantage des rumeurs qui pourraient se propager : si leurs ennemis apprenaient qu'il est malade, Camelot serait mis en péril.

Le monarque insiste donc pour assister aux audiences lui-même et pour répondre en personne aux requêtes qu'on lui présente.

Arthur est assez surpris, cependant, de le voir prendre au sérieux le récit d'un berger qui raconte avoir vu de la fumée s'élever des ruines d'Idirsholas, au fin fond du pays. Les paysans tremblent dans leurs braies : apparemment, c'est un mauvais présage. Le prince pense qu'on devrait accorder plus d'importance aux rapports de Sir Léon sur les centaines de mercenaires qui migrent vers Cenred avec une régularité inquiétante, mais Uther le fait taire en levant la main impatiemment.

- Prends un ou deux hommes avec toi et va voir de quoi il s'agit. Les chevaliers de Medhir ne sont pas à prendre à la légère.

- Vous n'êtes pas sérieux, Sire ! Ce sont des légendes, tout juste aussi 'dangereuses' que des fantômes.

Il semblerait que ce soit exactement le problème pour le roi qui se débat chaque nuit avec les ombres du passé et les cris de ceux qu'il a fait exécuter lors de la Grande Purge.

Arthur s'en va à l'aube le lendemain, avec Merlin pour seul compagnon.

Il ne l'emmène pas avec lui pour patrouiller, d'ordinaire. Principalement parce que les écuyers peuvent assumer les tâches d'un serviteur lors de ce genre de sorties, mais aussi parce qu'il ne saurait pas quoi faire du grand garçon dégingandé s'ils étaient attaqués par des bandits : lui dire de se cacher dans un buisson ? Merlin n'obéirait jamais. Il sauterait au contraire au milieu de la bataille pour essayer de protéger son maître et serait blessé à coup sûr – ou pire.

Et puis, il y a une troisième raison pour laquelle le prince ne cède pas, même si Merlin le supplie à chaque fois de le laisser accompagner les chevaliers : Arthur n'aime pas tuer, mais il sait que c'est inévitable pour la protection du royaume. Lorsqu'il est en patrouille et qu'il doit se battre, il le fait et, après autant d'années, ça ne l'affecte plus de voir les cadavres répandus autour de lui quand les bois redeviennent paisibles. Mais, d'une certaine façon, il préfère que Merlin ignore ce côté-là de sa vie.

Peut-être que c'est pour cela que les chevaliers laissent leurs familles au château et se contentent de sourire quand ils entrent dans la cour et voient leurs bien-aimés rassemblés en bas des escaliers blancs... La jeune épouse de Sir Léon se jette à son cou et elle n'a aucune idée du temps insensé qu'il a passé au dernier ruisseau pour s'assurer qu'il n'y avait pas trop de taches de sang sur sa cape rouge.

Et Arthur redresse ses épaules fatiguées, plaque sur son visage son air le plus "crétin royal arrogant" alors qu'il met pied à terre et laisse le babillage joyeux de Merlin effacer l'odeur amère de la mort.

Mais cette fois-ci, l'endroit où ils vont est si terne qu'il n'y aura certainement pas de bataille, pas de bandits, rien que des moutons qui puent et des orties qui vous piquent quand vous vous glissez dans les bois pour satisfaire un besoin naturel.

Il y a trois jours jusqu'aux landes pelées qui entourent les ruines d'Idirsholas, bonnes uniquement pour pâturer des brebis peu difficiles, et Arthur n'est pas pressé.

Sa dernière entrevue avec son père s'est mal passée.

- Tu passes beaucoup trop de temps loin des affaires du château et tu négliges tes devoirs. Je commence à penser que tu te comportes de moins en moins comme un prince et de plus en plus comme un roturier. Ne crois pas que je sois dupe, Arthur. Je sais que Balinor a essayé de te convertir à ses idées réfractaires et je ne te laisserai pas tomber dans le piège de ces belles paroles.

- Balinor n'est pour rien dans mon comportement, Sire. Je n'ai besoin de personne pour penser et voir ce qui est nécessaire au bien-être de mon peuple.

- Beau résultat que cette indépendance d'esprit qui nous a coûté une alliance précieuse avec les Gawant ! Et explique-moi pourquoi l'on me dit que tu accordes plus d'importance aux paroles de cet idiot qu'à celles des jeunes nobles de ton entourage ?

- Sir Bedivere avait tort et cela a été prouvé, Père.

- Il n'empêche que tu ne peux pas humilier un chevalier juste parce que ton serviteur a raison ! Arthur, je crois qu'il est temps que tu te sépares de ce garçon. Quel âge a-t-il ?

- Je ne sais pas. Vingt ans, peut-être vingt-et-un.

Merlin avait la dégaine d'un adolescent de seize ou dix-sept ans quand il est arrivé à Camelot et il a beau avoir pris une douzaine de centimètres depuis, il n'a pas changé d'une once.

- Presque un adulte, donc. Il est clair qu'il ne pourra jamais dépasser les limites de son infirmité. Il t'a bien servi, mais maintenant que tes responsabilités augmentent, tu dois t'en débarrasser. Il est tout à fait inconvenant que le prince héritier de Camelot soit suivi partout par un idiot efflanqué.

- Mais, Père, Merlin est…

- Il suffit ! Gaius continuera à l'utiliser comme garçon de courses et il servira en cuisine ou aux étables, là où ses maladresses causeront le moins de gêne. Je ne sais pas pourquoi tu t'es tant attaché à ce pauvre bougre, Arthur. Vraiment, je ne comprends pas.

- Si vous preniez le temps de vous intéresser à votre people, ou à moi, vous le sauriez ! Merlin change la vie des gens, il y a quelque chose de lumineux chez lui… et… c'est mon… mon a-

- Foutaises ! Un prince n'a que faire de la compagnie d'un manant et je ne veux plus jamais entendre ces divagations grossières ! Dès ton retour de patrouille, je demanderai à l'intendant du château de t'affecter un autre serviteur. Plus un mot, Arthur. Je suis ton père et ton roi. Tu me dois obéissance.

Le tonnerre gronde dans le ciel pourtant clair et Merlin sursaute. Son cheval fait un écart, bouscule celui d'Arthur et tire le prince de ses pensées moroses.

- Qu'est-ce qu'il y a ? Encore un de tes pressentiments bizarres ?

Le grand garçon maigre secoue la tête.

- Non-on. Il va pleuvoir.

Arthur lève la tête et scrute l'horizon.

- Je ne pense pas. Il n'y a pas un seul nuage. C'était ton estomac, je parie.

- Je ne suis pas Lady Elena, proteste Merlin en riant.

Ses yeux bleus se fixent, un peu inquiets, sur son maître.

- Tout va bien, Arthur ?

- Hmm.

- Vous vous êtes disputé avec le roi ?

Le prince grimace.

- Est-ce si évident ?

Le jeune serviteur prend le temps de tapoter l'encolure mouillée de sueur de son cheval.

- On est allés bon train, comme si vous vouliez mettre autant de lieues que possible entre vous et le château.

- C'est juste qu'il fait si chaud que passer six jours à mariner dans les mêmes vêtements sans prendre un seul bain me parait être quelque chose à vite expédier.

Les sourcils sombres s'arquent, perspicaces.

- Vous vous êtes baigné pendant deux heures dans cette rivière, hier soir, pendant que je faisais la lessive.

- C'est ton odeur que je ne tiens pas à devoir supporter.

Merlin ne relève pas.

- Le roi a mal à la tête, c'est pour ça qu'il se met en colère contre tout le monde, dit-il au bout d'un moment de silence.

Les sabots de leurs chevaux trottinent sourdement sur la terre molle qui exhale la bruyère.

- Et puis, il s'inquiète pour Dame Morgane.

C'est au tour d'Arthur de froncer les sourcils.

- Dame Morgane ? répète-t-il, étonné. "Pourquoi ?"

Merlin hésite, presque comme s'il allait trahir un secret.

- Les gardes l'ont prise à rôder sur le chemin de ronde. Deux fois. C'est de la faute de Sefa. Guenièvre n'a jamais été d'accord que la princesse sorte la nuit et…

Arthur tire sur les rênes brusquement et son cheval s'arrête avec un hennissement indigné.

- Morgane sort du château pendant la nuit ?

- Tous les mercredis soirs depuis presque un an, l'informe laconiquement son serviteur, avant de se lancer dans un discours un peu haletant, comme s'il n'avait attendu que cette question pour vider tout ce qu'il a sur le cœur. "Elle n'aime pas qu'on la suive, alors Guenièvre a dit que c'était bien si Sefa l'accompagnait, au moins, maintenant, parce que Sefa a son petit poignard, mais je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Sefa n'est pas une bonne personne et Dame Morgane pleure quand elle revient et puis la dame blonde lui dit des choses qui lui font peur et j'ai dit à Guenièvre qu'il fallait vous en parler et elle m'a grondé parce que ça pouvait vous faire de la peine et je ne voulais pas que vous soyez de nouveau en colère comme la première fois, mais je ne pouvais pas dire à Guenièvre parce qu'elle ne sait pas qui c'est mais je crois que ce n'est pas une bonne amie pour elle et maintenant la princesse ne va pas bien du tout et si le roi apprend qu'elle l'a vue il va se fâcher et Dame Morgane va pleurer et crier encore une fois…"

Arthur interrompt le flot de paroles d'un geste impérieux.

- Attends. Stop. Quelle femme blonde, Merlin ? De quoi tu parles ? Pourquoi mon père et moi serions-nous contre cette nouvelle amie de Morgane ? Et au nom du ciel, comment se fait-il que ma sœur réussisse à manipuler ses serviteurs pour la laisser sortir du château pendant la nuit ? Les bois autour de Camelot sont tout sauf un endroit pour une dame !

Une pensée lui traverse l'esprit et ses yeux flamboient.

- A moins que… Ne me dis pas qu'elle rencontre cette personne à la taverne ! articule-t-il, horrifié à l'idée de sa délicate sœur se rendant à cet endroit sordide plein d'hommes grossiers et dangereux.

- Non, non, pas du tout, proteste Merlin, alarmé.

Il se lance de nouveau dans des explications embrouillées et Arthur doit mettre pied à terre et conduire son cheval par la bride pour arriver à remettre de l'ordre dans ce qu'il entend.

Lorsqu'il pense avoir à peu près compris ce qui se passe, il se demande s'il ne va pas abréger cette stupide excursion de reconnaissance aux ruines d'Idirsholas pour revenir dard-dard au château.

Cette dame blonde que Morgane rencontre en cachette ne peut être Morgause et, même si celle-ci n'a pas manifesté l'intention de leur nuire, la seule fois où Arthur l'a rencontrée, il se souvient de ses yeux pâles et froids et du sourire carnassier qui ornait la bouche fine de la femme. Morgane est si influençable, si jeune et si naïve… si elle rencontre Morgause en secret depuis si longtemps, qui sait ce que sa demi-sœur lui aura fourré dans la tête ? Des pensées douloureuses, amères, exigeantes… ce qui expliquerait les humeurs sombres de la princesse depuis des mois.

- Arthur ?

Le prince secoue la tête pour se débarrasser des cheveux blonds qui lui tombent dans les yeux et de cette impression de malaise.

- Tu aurais dû m'en parler plus tôt, reproche-t-il. "Morgane ne devrait pas se mettre en danger et ressasser le passé avec une femme qui n'est rien d'autre qu'une inconnue pour nous. Je lui en toucherai un mot à notre retour. Qu'est-ce que tu m'as caché d'autre ?"

- Rien, souffle Merlin d'un air penaud, avant d'ajouter avec inquiétude : "Est-ce que Guenièvre va avoir des ennuis maintenant que vous ne l'aimez plus ?"

Arthur s'étouffe avec sa propre salive.

- QUOI ? Merlin, j'espère que tu ne me crois pas si versatile ! Je ne change pas d'attitude envers un serviteur en fonction de mon humeur ou de mon… attachement pour eux !

- Pourquoi êtes-vous si méchant envers Georges, alors ? interroge innocemment le serviteur.

- Je ne suis pas méchant avec lui ! Georges est juste le serviteur le plus rigide et le plus ennuyeux qui soit et… tu sais quoi, Merlin, je pense que c'est toi qui vas avoir des ennuis ! ajoute-t-il en remontant sur sa selle et en se lançant à la poursuite du garçon qui s'est mis à glousser en le voyant s'emporter.

Ils piquent un sprint et atteignent les ruines juste avant la nuit. Une fois les chevaux attachés dehors, Arthur tire son épée et part à la recherche des restes du feu dont la fumée a été aperçue une semaine plus tôt par le berger. Merlin abandonne les selles et les sacoches et le suit prudemment.

Le prince étouffe un sourire amusé à la façon de marcher à pas-chassés de son serviteur qui allonge son cou maigre pour regarder partout autour de lui.

Il fait froid et sombre dans le château en ruines. Des toiles d'araignées épaisses et blanches s'accrochent aux piliers et aux statues comme des rideaux de dentelle éthérée.

Comme il s'y attendait, Arthur trouve un brasero depuis longtemps éteint dans ce qui doit être l'ancienne salle d'armes.

- Des voyageurs qui ont dû s'arrêter pour la nuit, soupire-t-il. "Voilà les fantômes. Mon pauvre père doit être bien fatigué pour croire à de telles sornettes…"

- Arthur, dit Merlin d'une drôle de voix.

- Oh, ce n'est pas comme ça que tu vas me faire peur, riposte Arthur par-dessus son épaule. "Il en faudrait bien davantage pour que je crie d'une voix de fille comme un certain serviteur de ma connaissance quand une chauve-souris lui a tiré les cheveux avant-hier soir…"

Mais la main de Merlin s'accroche à sa manche.

- Arthur, presse-t-il.

Le prince se retourne, une réflexion moqueuse sur les lèvres, qui s'éteint à l'instant où ses yeux rencontrent la silhouette noire qui surgit d'un recoin.

Quelque chose de lourd racle sur les dalles derrière lui, la lune qui passe entre les étroites meurtrières s'accroche sur un reflet de métal à sa droite…

Ils sont cernés.

Arthur prend une grande respiration, tend le bras et pousse son serviteur vers sa gauche dans le même élan qu'il abat son épée sur le premier de ses assaillants.

- Fuis, Merlin, fuis !

Ils sont quatre ou cinq, non peut-être plus, de grosses barbes, des armures faites de bric et de broc, les haleines absolument pestilentielles. Des bandits, sans doute. Arthur fait tournoyer son épée, enroule sa cape d'un vif mouvement autour de son avant-bras et s'en sert pour parer les coups.

Où est Merlin ? S'ils peuvent sortir de cette salle et rejoindre les chevaux, ils ont une chance contre ces brutes. Où est Merlin, bon sang ? Est-il déjà dehors ou l'a-t-on capturé ?

Quelqu'un bouscule son épaule et dans le coin de son œil, il aperçoit une masse de cheveux noirs et des yeux bleus effrayés mais déterminés.

- MERLIN ! QU'EST-CE QUE TU ATTENDS POUR FOUTRE LE CAMP ! hurle le prince, furieux et terrifié.

Le serviteur ne répond pas. Il a trouvé un bout de bois – ou un reste de lance – et se défend aussi maladroitement qu'on aurait pu s'y attendre.

Oh malheur, il va se faire crever en moins d'une minute.

Arthur redouble d'efforts dans la mêlée, mais c'est sans espoir. Ils sont trop nombreux, il en vient d'autres, ils ne vont jamais s'en sortir…

- Vite, Sire !

Merlin le tire par sa cape, l'étouffe à moitié et manque le faire tomber en s'accrochant à lui par-derrière et Arthur ne comprend pas ce qui lui prend jusqu'à ce qu'un tas de pierres s'écroule entre lui et ses assaillants dans un nuage de poussière calcaire. Toussant et crachotant, il émerge de la citadelle en ruines à la suite de son serviteur et trébuche en essayant de reprendre sa respiration, un rire au bord des lèvres.

- Bien joué ! Qui l'aurait cru ? Tu m'as sauvé la vie, Merlin !

Le grand garçon lui jette un coup d'œil effaré, haletant et blanc de poussière.

- Heureusement qu'on a eu du pot, oui, proteste-t-il. "Ha ! C'était des fantômes coriaces, ceux-là !"

Arthur pouffe de rire, les épaules moites de soulagement. Il remet son épée au fourreau et sourit.

- Je crois que tu viens juste de prouver que mon père avait tort. Tu es un excellent garde du corps, Merlin. Se battre à coup de morceaux de châteaux n'est pas donné à tout le monde !

Son large sourire s'éteint un peu quand il remarque l'estafilade dans la veste de son serviteur.

- Hé. Fais voir ça.

Merlin grimace un peu en touchant la coupure ensanglantée.

- C'est rien, j'ai dû m'accrocher sur une pierre.

Arthur le considère d'un air positivement radieux.

- Ta première blessure de guerre ! Félicitations.

Il se penche, déchire un bout de sa tunique et noue le morceau de linge rapidement autour de la blessure sans écouter les grognements de protestations de son serviteur.

- C'est moi qui vais devoir recoudre ça ! piaule Merlin.

- C'est ton travail, ne t'en plains pas. , ce sera mieux. Je ne tiens pas à te ramener trop amoché à Gaius.

Merlin souffle par le nez et ouvre la bouche pour répliquer.

Et c'est la dernière chose que voit Arthur avant de s'effondrer sur le sol quand quelque chose le frappe à la nuque avec brutalité.

Quand il reprend conscience, il est au fond d'un puits, étalé sans armes sur de la paille moisie qui empeste l'urine, dans un cercle d'hommes en haillons penchés sur lui.

- Merlin ? bredouille-t-il.

La tête de son serviteur apparait au-dessus de lui.

- Arthur ! Vous êtes réveillé !

Il tend la main au jeune homme et le hisse sur ses pieds. Arthur chancelle un instant, pris de vertige, puis jette un coup d'œil autour de lui, rapidement, pour évaluer la situation.

Capturés. Ils ont été capturés. Où est cet endroit ? Qui les retient prisonniers ? Savent-ils qu'il est l'héritier de Camelot ?

Quelqu'un tape sur l'épaule du prince et il se retourne immédiatement en grondant.

- Touchez-moi encore une fois et je vous tue.

Deux yeux bruns clignotent et l'homme lève les mains devant lui en rigolant.

- Aucunes manières, vous autres, gens de la haute !

- Gwaine ! pépie Merlin et ses yeux bleus se remplissent d'espoir tandis que l'homme lui fourrage dans les cheveux avec affection.

Arthur considère son ami de haut en bas.

- Qu'est-ce que tu fais là ?

- Oh, vous savez… mauvais endroit, mauvais moment, mauvaise bière, élude l'homme en rejetant ses cheveux en arrière avec son sourire gouailleur habituel.

Le prince lève les yeux au ciel.

- Certaines choses ne changent pas… qu'est-ce que tu as fait de Perceval et Lancelot ?

Gwaine prend un air offensé.

- Je ne suis pas tout le temps avec eux. J'ai une vie, moi. On n'est pas mariés, vous savez.

Arthur se contente de grogner.

Il fait un tour sur lui-même, les poings sur les hanches, examine le lieu, les gens qui ont reculé autour d'eux, les murs suintants, calcule à toute vitesse leurs chances de s'échapper de cette prison.

- Où sommes-nous ? demande-t-il de la voix rapide et impérieuse qu'il prend quand il commande une opération.

Merlin reconnait l'attitude que son maître prend lorsqu'il monte sur son cheval avant de partir en patrouille et il range aussitôt ses longs membres dégingandés le long de son corps maigre, prêt à répondre au premier ordre.

- Dans le puits d'un vieux château abandonné, répond Gwaine. "Chez un nommé Jarl. Un type charmant. Trafiquant d'esclaves."

- Oh.

Arthur se mordille les lèvres, plongé dans ses réflexions, lorsqu'un crachat tombe dans le puits et rate sa joue d'un centimètre. Il lève les yeux, outré, et rencontre le regard aviné de l'homme le plus laid qu'il a jamais rencontré.

- Eh bien, eh bien, tas de vermines. Lequel d'entre vous va affronter mon champion aujourd'hui, pour le plaisir des yeux de ma belle dame ?

Gwaine se racle la gorge.

- Belle est un mot un tantinet exagéré, je dois dire, souffle-t-il sous sa barbe brune.

Le truand penché au bord de la margelle, loin au-dessus d'eux, s'humecte les lèvres, puis pointe un ongle noir de crasse en direction de Merlin.

- Toi, la sauterelle.

- Moi ? répète le serviteur d'une voix un peu étranglée, en jetant un coup d'œil éperdu autour de lui.

L'homme éclate d'un rire gras. Arthur grince des dents et fait un pas en avant.

- Hé ! crie-t-il. "Qui est ce soi-disant champion ? Est-il seulement capable de se mesurer à des demi-portions comme celui-ci ?"

- Oy, proteste Merlin.

Jarl se gratte l'oreille pendant un instant, puis souffle sur ce qu'il a extrait de son conduit auriculaire et mâchouille avec satisfaction.

- Pourquoi ? Tu penses que tu peux offrir un meilleur spectacle à la plus belle des belles ?

- Arthur, non, grince Gwaine.

- Certainement, dit Arthur fermement, en poussant Merlin derrière lui dans ce qu'il pense être un mouvement discret et qui n'échappe pas du tout au trafiquant d'esclaves.

- Très bien, alors. Mais je te préviens, si tu perds, je découperais ton petit ami la libellule en morceaux et je les donnerai à manger aux corbeaux.

Merlin frissonne malgré sa confiance inébranlable en Arthur.

- Je ne perdrai pas, assure le prince en fusillant le truand de son regard le plus méprisant.

Le sourire abominable de Jarl s'élargit encore plus.

- Alors, es-tu prêt, mon champion ? appelle-t-il.

Il y a un instant de silence, puis Gwaine lève la tête, très sérieux.

- Je le suis, répond-t-il.

 

 

A SUIVRE…

 

 


Listelia  (15.07.2015 à 23:11)

Basé sur les épisodes 2x12, 3x01, 3x02, 3x12, 3x13

 

 

LONG, LONG VOYAGE DE RETOUR

 

 

La foule barbare qui les encercle scande : "du sang, du sang, du sang" et les murs de la salle résonnent de ces cris gutturaux. Les braseros jettent des ombres ocres sur les pierres noircies de fumée et de crasse. La "belle des belles", qui est une créature à forte poitrine avec le nez d'un gobelin et les cheveux d'une harpie, bat des mains dans sa robe criarde. Jarl observe le combat d'un air de concupiscence, calé dans son fauteuil recouvert de fourrures. A côté de sa femme, un gorille vêtu de peaux de bêtes tord les bras de Merlin dans son dos.

Les yeux d'Arthur reviennent sur Gwaine qui lui fait face et il ne peut retenir un soupir de frustration.

De toutes les situations sans issue ou ridicules qu'il a traversées dans sa vie, celle-ci est sans aucun doute la pire.

Il ferme le poing sur le pommeau de cette épée de mauvaise qualité qu'ils lui ont refilé et s'élance.

Gwaine prend ça visiblement au sérieux et c'est vrai qu'ils n'ont pas d'autre option. Si l'un ne tue pas l'autre, ils mourront tous les trois. Le cerveau du prince travaille à toute allure. Si seulement il pouvait créer une certaine confusion dans la foule, il est presque sûr qu'il serait possible de s'échapper. Il a repéré le chemin quand ils ont été sortis du puits et amenés dans cette pièce mal éclairée et bourrée de brigands à moitié saouls.

Ils sont dans l'un des avant-postes que Merlin et lui ont aperçu en venant aux ruines d'Idirsholas. Cette tour est probablement un des seuls endroits de la lande où la pluie ne traverse pas le plafond. S'ils peuvent en sortir, ils auront une chance – fine, très fine, mais suffisante – d'atteindre les tourbières, de se cacher. Les bandits ne les suivront pas à cheval dans une zone aussi dangereuse. Il fait nuit. Cela voudrait dire qu'ils pourraient être en forêt dès le matin en ne s'arrêtant pas, et les bois seraient leur salut.

Il dégouline de sueur, sa lèvre saigne et un bleu pulse sous son arcade sourcilière. Ils ne se battent plus à l'épée, maintenant, ils ont roulé sur le sol et se cognent. Gwaine n'est pas en meilleur état – il faut bien que ce combat aie l'air réel.

Ça n'empêche pas Arthur de balancer un regard furieux à son adversaire quand celui-ci lui enfonce son genou dans le ventre.

- A mort, à mort, à mort ! braillent les truands surexcités, et leurs chopes de mauvais vin éclaboussent le sol sale quand ils trinquent.

De la paille et de la boue empèguent les cheveux emmêlés de Gwaine et il ferme un œil à demi, tout en repoussant son opposant avec une grimace.

- Et maintenant, c'est quoi le plan ? halète-t-il.

Arthur voudrait bien le savoir aussi.

C'est à ce moment-là qu'un glapissement de douleur perce le brouhaha, suivi aussitôt par un capharnaüm digne de la plus sordide des tavernes. Merlin a mordu l'homme qui le maintenait prisonnier. Celui-ci l'a lâché en reculant d'un pas et ensuite – eh bien, ce n'est pas entièrement clair, mais il semblerait qu'un candélabre soit tombé sur le dais élimé qui surplombait le siège de la belle des belles et aie mis le feu à la robe de cette dame ainsi qu'aux rideaux imbibés de graisse de sanglier et d'eau-de-vie par les orgies précédentes.

Dans la panique générale, Gwaine et Arthur sautent sur leurs pieds, ramassent leurs épées et se frayent un passage au milieu des brigands et de la fumée épaisse. Ils attrapent Merlin et sprintent de toute la force de leurs poumons en direction de la sortie.

Ce n'est que lorsqu'ils atteignent les tourbières plongées dans la nuit, qu'ils s'autorisent à s'arrêter pour reprendre leur souffle. La lune est haute au-dessus d'eux et se reflète dans les trous d'eau.

- Allons-y, ordonne Arthur d'une voix rauque, après avoir jeté un coup d'œil vers le ciel qui se remplit de nuages sombres. "Vite, avant que la lumière ne disparaisse, si nous ne voulons pas finir noyés comme des ragondins."

Ils laissent derrière eux la tour dévorée par les flammes et trébuchent le long des buttes spongieuses recouvertes de sphaignes et de joncs.

Quand le jour se lève, ils sont presque à la lisière de la forêt, épuisés, couverts de boue (ils se sont tous étalés à un moment ou à un autre), la tête lourde des vapeurs acides, les bottes trempées et les articulations douloureuses.

Arthur soupçonne Merlin de dormir en marchant. Lui-même trébuche, harassé, et s'appuie sur la pointe de son épée, les yeux terriblement ensablés. Gwaine a touché on ne sait quelle plante aux vertus irritantes et ne cesse de se frotter les avant-bras en marmonnant.

La bonne nouvelle, c'est qu'ils n'ont pas été suivis.

Quand ils sont enfin sous le couvert des arbres et que le sol commence à devenir un peu plus sec et dur, le prince décide qu'il est temps de faire une pause.

Merlin s'effondre littéralement et Gwaine le regarde, attendri, avant de s'éloigner sur ses jambes chancelantes.

- Où tu vas ? le rappelle Arthur en fonçant les sourcils.

Ses cuisses tremblent de froid et de fatigue, et sa chemise collée contre son dos est extrêmement désagréable.

- Chercher à bouffer, Altesse, lance le jeune homme barbu par-dessus son épaule. "Je ne compte pas jeûner plus longtemps. Je n'ai pas autant de réserves que vous, moi."

Arthur réussit à retenir le "je ne suis pas gros !" qui était sur le point de franchir ses lèvres et se hisse péniblement debout. Il faut faire du feu, sécher leurs vêtements. La route est longue jusqu'à Camelot et ils n'y arriveront pas s'ils ne prennent pas un peu de repos.

Quand Merlin papillonne des paupières, il trouve son maître en train de rouspéter entre ses dents parce qu'il n'arrive pas à enflammer le tas de bois mouillé. Le grand garçon bâille largement, puis se glisse jusqu'à Arthur et lui prend les deux pierres tranquillement.

- Laissez-moi faire, Sire.

- Ah, quand même, râle le prince qui l'a laissé dormir exprès. "Je me demandais quand tu te souviendrais que tu es mon serviteur et que tu n'es pas supposé ronfler pendant tes heures de boulot."

Merlin ignore cette remarque et réussit à allumer le feu en quelques secondes. Il tousse et crachote quand la fumée épaisse s'élève, recule et s'assoit sur un caillou recouvert de mousse.

- Où est Gwaine ?

- Ici et il rapporte le petit déjeuner, claironne le jeune homme en se penchant pour passer sous une branche.

Il vient s'asseoir à côté de Merlin et sort du creux de sa tunique une demi-douzaine d'œufs qu'ils font cuire sous la cendre. Arthur est un peu dégoûté quand il trouve dans l'un des siens un poussin à moitié rôti, mais il le mange en faisant la grimace, parce qu'il sait qu'ils ont besoin de toutes leurs forces pour le voyage du retour.

- Camelot est à cinq ou six jours de marche. Il faut qu'on trouve des chevaux.

- Ouais, approuve Gwaine en observant Merlin qui se brûle les doigts en aspirant le contenu du dernier œuf, que les deux hommes lui ont laissé, l'air de rien. "On ne peut pas mettre autant de temps. Je suis impatient de raconter à Perceval comment je vous ai écrasé dans l'arène."

Le prince se racle la gorge.

- Tu ne m'as pas battu. C'était juste un jeu.

Gwaine cligne d'un œil et son sourire s'agrandit dans sa barbe.

- Juste un jeu… que j'ai gagné.

- Non, proteste Arthur. "A une minute près, je…"

- Oh, ça suffit ! coupe Merlin fermement. "A une minute près, vous seriez morts tous les deux. Je ne sais pas quel plan stupide vous aviez en tête, mais s'il n'y avait pas eu cet incendie, on mangerait tous des pissenlits par la racine à cette heure-ci !"

Les deux hommes échangent un regard, puis Gwaine tend le bras et fourrage dans les cheveux noirs du garçon.

- Quand es-tu devenu si maigrichon, Lancelot ? demande-t-il en gloussant de rire.

- Rends-moi cet œuf, Merlin, grogne Arthur sans réussir à dissimuler son air amusé.

Le serviteur se dépêche d'avaler tout en se déplaçant pour échapper à la main de Gwaine et les toise d'un air de reproche.

Le soleil est en train de monter dans le ciel et la fumée peu discrète aussi.

En fin d'après-midi, ils sont en vue d'un village et Arthur se lamente d'avoir laissé son sac plein de pièces d'or aux ruines d'Idirsholas. Ils ne vont jamais réussir à négocier des chevaux. Si loin de Camelot, personne ne reconnaîtra son royal visage. Gwaine lui tape sur l'épaule et ôte sa botte, déclenchant des protestations de Merlin qui se bouche le nez.

- Permettez-moi de vous mettre en dette, votre Altesse, dit le jeune homme en sortant quelques écus de dessous sa semelle.

Arthur se permet un reniflement narquois.

- Et après, on dit que l'argent n'a pas d'odeur…

Il bourrade l'épaule de son ami avec satisfaction et commence la descente à travers les arbres en direction des maisons.

Deux jours plus tard, ils atteignent les Bois Ténébreux et campent à l'abri d'un creux de rocher. Merlin est occupé à enfiler des cèpes sur une branchette, tout en babillant, lorsqu'Arthur lève soudain le bras.

- Ecoutez.

Son serviteur penche la tête de côté après quelques instants.

- On n'entend rien.

- Justement, chuchote le prince.

- Vous n'êtes jamais contents, vous autres citadins, plaisante Gwaine. "Trop silencieux, trop bruyant…"

Il n'a pas le temps de terminer sa phrase parce que les chevaux hennissent brusquement, s'agitent et soudain s'enfuient.

- Je les avais attachés comme il faut ! s'écrie aussitôt Merlin.

Gwaine a ramassé son épée et son visage concentré ne reflète plus rien de comique.

- Ils nous ont retrouvés, vous croyez ? souffle-t-il en se rapprochant d'Arthur qui scrute le sous-bois.

- Ils nous seraient tombés dessus beaucoup plus tôt… répond le prince d'une voix tendue.

Il donne un coup de pied dans le feu, disperse et écrase les braises sous ses talons, dans la terre molle et noire encore humide de la pluie de la matinée. Le soir s'assombrit, ils seront une cible facile s'ils sont éclairés.

- Merlin, cache-toi sous le rocher, ordonne-t-il.

- Non.

Il jette un coup d'œil irrité à son serviteur qui s'est levé et regarde autour de lui en frissonnant, armé d'un bout de bois mort et poreux qui a à peine la chance de brosser un bleu sur le front de l'ennemi, quel qu'il soit.

- Pose ce bâton ridicule et fais ce que je te dis, siffle Arthur.

Merlin secoue la tête, déterminé.

Gwaine fait claquer sa langue avant que le prince n'ajoute un mot et désigne un groupe d'arbres.

- Là.

Les deux hommes se séparent et se déplacent lentement, les genoux pliés, leurs épées prêtes à frapper.

Un bruit sourd derrière eux les fait sursauter et faire volte-face dans l'instant, pour tomber nez à nez avec un soldat de Cenred, qui vient de sauter du rocher au-dessus d'eux.

Arthur écarquille les yeux, stupéfait, mais Gwaine fonce sur l'ennemi sans aucun état d'âme. Et comme d'autres soldats surgissent des buissons, le prince est vite distrait de la longue série de questions qui se sont mises à éclore dans son esprit.

Cenred ? Ici ? Mais on est à des lieues et des lieues de la frontière ! Qu'est-ce que ça signifie ? Quel était ce rapport inquiétant de Sir Léon, déjà ? Combien de mercenaires rassemblés sur les terres ennemies ? Etait-ce 500, 1000 ou 5000 ? Camelot n'est qu'à deux jours de marche d'ici… est-ce que la ville est sauve ?

Les éclats de métal illuminent la nuit et des grognements de douleur se mêlent au froissement des feuilles sèches.

Arthur tournoie en abattant ses coups sur les assaillants vêtus d'uniformes noirs et rouges. Ils ne sont que trois ou quatre, ce sera vite terminé. Gwaine peut facilement mettre à terre une demi-douzaine d'hommes à lui tout seul, même quand il est saoul comme une barrique. Et le prince se targue de pouvoir doubler ce nombre facilement.

Il fait un pas de côté pour reprendre son équilibre et son pied glisse sur la mousse au pied d'un arbre. Pendant un quart de seconde sa garde est baissée et l'épée de l'homme avec lequel il lutte cingle sa jambe. Il lâche un cri de douleur, tombe sur son genou en pressant la blessure qui gorge déjà de sang le tissu raide de saleté de son pantalon.

Une nausée monte dans son œsophage et Arthur jure entre ses dents serrées. S'il n'était pas épuisé par les constantes péripéties de ce voyage, il serait capable de se relever, il ne sentirait pas déjà sa tête tourner et sa vision s'obscurcir.

La dernière chose qu'il entend est l'exclamation terrifiée de Merlin, puis il sombre dans une bienheureuse inconscience.

 

oOoOoOo

 

Quand il revient à lui, c'est Gwaine qui est penché sur son visage, cette fois. Le jeune homme barbu a l'air soucieux.

- Hé, princesse. De retour parmi nous ?

Arthur grimace et crachote la salive qui lui épaissit la bouche en essayant de se redresser.

- Il faut qu'on se remette en route, bafouille-t-il, exaspéré par la lenteur de ses mâchoires à former ses mots.

- Okay, dit Gwaine, bizarrement obéissant.

Arthur accepte la main qui lui est tendue, se hisse sur ses jambes et constate, furieux, que le jour est déjà bien avancé.

- Vous auriez dû me réveiller à l'aube ! râle-t-il, en se débarrassant de ce qui couvrait ses épaules et qui doit être la veste de son serviteur.

Merlin, qui était agenouillé à côté de lui à lui tamponner le front avec un chiffon, couine une excuse ridicule (du style "vous aviez une fièvre terrible"), mais le prince ne s'en préoccupe pas et met le cap sur Camelot en boitant.

Gwaine hausse un sourcil en faisant la moue, puis adresse un sourire contrit à Merlin.

- Allez, viens. Si on le laisse tout seul, il est capable d'attirer sur lui toute une garnison de scorpions géants.

Le grand garçon pâlit jusqu'au bout de ses oreilles décollées. Il ramasse sa veste et trébuche derrière le jeune homme barbu.

- Des scorpions géants ?

- Les Bois Ténébreux en sont truffés, lance Gwaine par-dessus son épaule, ses yeux bruns fixés avec inquiétude sur le prince qui se hâte devant lui.

Pourvu que Camelot soit toujours debout.

Pourvu que Morgane et le roi soient sains et saufs.

Et Guenièvre, et Gaius, et le peuple…

Arthur avance comme dans un rêve, sans sentir la fièvre qui fait rage sous son front, la blessure qui tire sur sa cuisse, sa jambe lourde et brûlante. Le ventre noué, sa main moite serrée sur le pommeau de son épée, il s'use les yeux à essayer de voir à travers la végétation, scrute la moindre éclaircie, sans ralentir.

Le ciel est bleu. Le ciel est bleu. Le ciel est… balayé de traces noirâtres, comme si des colonnes de fumée se dispersaient lentement. Son cœur tombe comme une pierre au fond de sa poitrine. Il accélère, n'entend pas Gwaine qui lui crie de ralentir sinon il va finir par s'évanouir. Son sang bouillonne dans ses veines et des éclairs de douleur vrillent son crâne.

Il trébuche, se rattrape à une souche, rampe plus qu'il ne gravit la dernière butte, en haut de laquelle il sait qu'il aura vue sur la ville.

Le soleil rouge et or embrase l'horizon quand Arthur se dresse au sommet de la colline, sa main tremblante appuyée sur un tronc pour se tenir debout.

Ses oreilles tintent et pendant un instant, il lui semble qu'il n'est plus vraiment là. Puis la fatigue, la morsure de sa blessure et la peur fusent le long de sa colonne vertébrale, le submergent de nausée et le font frissonner tout entier.

- Oh non… murmure Gwaine qui est parvenu à son niveau.

Les tours de Camelot se dressent en face d'eux, sur la colline à travers les arbres.

En flammes.

Le corps du prince plonge en avant et son ami n'a que le temps de le rattraper avant qu'il ne s'écroule.

- Arthur ! crie Merlin en accourant, avant de s'immobiliser, pétrifié, ses yeux bleus remplis par la désolation de la vallée.

Le chemin jusqu'au château, les villages et les champs, même le pont qui s'enfonce sous le couvert des arbres, tout est brûlé, détruit, jeté à terre comme écrasé sous le pied d'un géant. Et au-delà de la forêt, les tourelles blanches si belles sont noircies et brisées.

Gwaine s'accroupit pour déposer Arthur sur le sol.

- Ils ont été assiégés… souffle le prince d'une voix blanche.

Le jeune homme barbu repousse ses cheveux ondulés et hoche la tête, très sérieux.

- Sûrement.

- Qui a fait ça ? articule Arthur, hébété.

Gwaine pose sa main sur l'épaule de son ami et la presse.

- L'armée de Cenred… sinon ses soldats ne traineraient pas aux alentours pour cueillir des champignons…

Merlin s'assoit lourdement sur le sol, comme si ses jambes interminables n'avaient plus de forces.

- Gaius… souffle-t-il.

Ses cils sombres palpitent très vite, comme s'il s'efforçait de retenir ses larmes, et il se tourne vers son maître.

- Il faut les sauver, Arthur…

Gwaine est sur le point de dire "il faudrait une armée pour y arriver", quand le prince se raidit.

- Ils n'ont peut-être pas encore pris la citadelle. Le roi… si le roi n'est pas encore tombé, alors… il y a encore une chance. Allons-y.

Sous les yeux ébahis de son ami, il réussit à se lever et se remet en marche.

Et Merlin le suit.

Gwaine les contemple pendant un instant.

- Des fous… marmonne-t-il.

Puis il se relève et court pour les rattraper.

La nuit est tombée quand ils parviennent à la ville basse, silencieux et pâles.

Arthur a cessé de compter les chevaliers de Camelot dont les capes rouges fleurissent comme des coquelicots au milieu des charrettes brisées, des étals renversés, des fourches et des épées jonchant le sol creusé d'ornières. Il y a tellement – tellement – de cadavres partout. Pas que des hommes : des femmes, des enfants, des vieillards... Des mains tendues, des bras serrés pour protéger des bébés raidis par la mort, des visages contorsionnés de frayeur et de souffrance. Des robes déchirées et des flèches protubérantes, des portes qui claquent au vent dans le silence, le linge resté aux étendages dont les lambeaux s'agitent, du bétail affolé errant en vagissant lugubrement, la boue dans laquelle un ruisseau vermeil se fraye un passage.

Un massacre.

Arthur ne ralentit pas et Gwaine se demande quand est-ce qu'il va tomber, trahi par son corps épuisé. Les pupilles bleues de Merlin sont agrandies et fixes, hantées. Il a attrapé la manche du jeune homme barbu lorsqu'ils sont entrés dans le village et ne l'a pas lâchée depuis. Il avance d'un pas mal assuré, ses épaules recroquevillées. Gwaine est presque rassuré de savoir que les doigts fins du garçon sont toujours crispés sur le tissu rêche de sa chemise : il ne l'a pas perdu en route, c'est déjà ça.

Il n'y a pas une âme dans les rues englouties par la nuit et l'horreur. Personne de vivant, en tout cas. Le pont-levis n'est pas gardé et ils ne rencontrent personne en se faufilant dans le château par les communs.

Ils entendent au loin des chansons, aperçoivent des feux et des ombres, devinent de l'animation du côté de la maison principale.

- Les soldats doivent être dans la cour d'honneur, chuchote Gwaine quand Arthur s'arrête, chancelant, pour écouter au bout d'un couloir.

- Dans les baraquements, dans les appartements des chevaliers et les chambres des nobles, aussi, sans doute, répond le prince d'une voix hachée.

Son visage est livide, inondé de sueur. Son nez est pincé et des cernes se violacent sous ses yeux.

- Vous ne pouvez pas continuer comme ça, marmonne Gwaine en l'aidant à s'asseoir sur le rebord d'une fenêtre.

- Il le faut, proteste Arthur, le souffle entrecoupé de grimaces de douleur. "Il faut savoir ce qu'ils ont fait des survivants, où ils ont enfermé le roi. Ils ne peuvent pas l'avoir tué, c'est impossible…"

- Les survivants ont dû fuir dans la forêt, ça expliquerait la patrouille qu'on a rencontrée, dit pensivement Gwaine.

Mais combien d'entre eux ? Cette armée énorme a dévasté la ville entière, sans doute à la vitesse de l'éclair.

- Ils ont été pris par surprise, halète le prince. "Mais je ne comprends pas comment la citadelle est tombée si facilement…"

- Pourquoi il n'y a personne, nulle part ?

La voix de Merlin fait lever les yeux à Gwaine et il s'aperçoit que cela fait quelques minutes qu'il ne sent plus le léger tiraillement sur sa manche.

Le serviteur a fait quelques pas dans le couloir. Il presse son front contre une vitre teintée, puis revient vers eux et le jeune homme est presque épouvanté par l'expression vide des saphirs dans son visage blême.

- Il faut soigner Arthur, dit Merlin d'une voix mécanique. "Il faut aller chez Gaius."

- Non, proteste le prince avec effort. "Il faut trouver mon père, rassembler des informations."

La lune glisse, brillante et bleue, sur son front perlé de transpiration et sur les mains moites que le grand garçon maigre presse l'une contre l'autre devant lui.

- Je… commence Gwaine juste avant que son attention soit attirée par une ombre au bout du couloir, qui danse sur le sol dallé.

Il attrape le prince, le tire dans un recoin du couloir en sifflant un avertissement à Merlin qui trébuche en le suivant.

Quelque chose tombe dans l'obscurité avec un bruit fracassant et ils se figent tous les trois.

L'ombre s'est arrêtée à l'angle du couloir.

Puis, dans un froissement, quelqu'un se faufile dans leur direction sous une longue cape.

Gwaine retient son souffle, la main sur son épée.

- Merlin ?

La voix est effrayée, étonnée, pleine d'espoir.

Arthur, qui était en train de perdre conscience – le mouvement brusque de Gwaine a envoyé une décharge de douleur vibrante à travers sa jambe blessée – redresse la tête.

- Morgane ? balbutie-t-il d'une voix pâteuse. "Vous êtes en vie ?"

Le capuchon est rabattu en arrière par deux mains délicates et le visage triangulaire de la princesse apparaît dans la lumière éthérée de la lune, des larmes brillantes dans ses yeux couleur de perle.

 

 

A SUIVRE…

Au prochain chapitre : LA NUIT DE LA FIN DU MONDE

 

 


Listelia  (15.07.2015 à 23:16)

Basé sur les épisodes : 2x12, 3x01, 3x02, 3x12, 1x08, 4x06

 

 

LA NUIT DE LA FIN DU MONDE

 

 

Plus tard, Arthur ne se souviendra de cette nuit que par bribes et il mettra toujours cela sur le compte de la fièvre qui faisait rage sous son front.

Parce qu'il ne veut pas admettre que leur monde s'est écroulé devant ses yeux sans qu'il ne puisse faire un geste pour l'empêcher.

A commencer par Morgane.

Le récit qu'elle leur fait est incohérent, c'est le moins qu'on puisse dire. Gwaine démontre une patience inédite et réussit à remettre les évènements dans l'ordre tandis que leur petit groupe se hâte en direction des appartements de Gaius.

Apparemment la maladie du roi s'est aggravée pendant leur absence, au point qu'il s'est littéralement effondré pendant un conseil et a été alité depuis. Ensuite, tout s'est passé très vite : l'armée de Cenred a attaqué par surprise au crépuscule, il y a deux jours, et avant que les soldats ne puissent comprendre comment, ils étaient pris entre deux fronts par des mercenaires surgis de nulle part.

La citadelle est tombée le lendemain à l'aube.

- Un traître… ça ne peut pas être autre chose… quelqu'un a dû leur ouvrir le passage secret sous la crypte, grince Arthur en s'appuyant lourdement sur Merlin pour monter les escaliers.

Morgane lâche un petit cri étranglé derrière lui.

- Et notre père ? demande le prince.

Uther a disparu depuis le début de l'attaque, mais dans l'état où il était, ça ne peut être que parce que quelqu'un le cache. Sans doute un chevalier, parce que d'après la princesse les conseillers ont été exécutés ce matin.

- Cenred est furieux, balbutie Morgane en se tordant les mains. "Il cherche le roi partout. Il dit qu'il ne peut pas se proclamer vainqueur de Camelot tant qu'il ne l'a pas vu enchainé devant lui !"

Arthur s'arrête un instant, frotte ses yeux las en espérant arriver à se concentrer. Les marches ondulent devant lui et il doit constamment refouler la nausée qui vient avec les vagues de douleur qui le submergent. Il repousse Merlin et Gwaine et plaque sa main contre le mur pour se soutenir.

- Comment se fait-il que vous soyez libre ? interroge-t-il durement. "Certainement la priorité de Cenred était de capturer les membres de la famille royale…"

Les yeux gris perle de Morgane se remplissent de nouveau de larmes et elle mord ses jolies lèvres.

- Je… je-je ne sais p-pas, bredouille-t-elle. "Je me suis échappée… j'ai… je… je me suis cachée…"

La détresse crispe son visage de porcelaine. Sa robe est froissée, ses longues boucles de satin noir cascadent en désordre sur ses épaules et elle tremble violemment.

Arthur se radoucit.

- Tout va bien, Morgane, je suis là… vous ne craignez plus rien…

Il lui caresse la joue et la jeune femme s'accroche au bras de son frère.

- Il faut que vous m'aidiez à trouver le roi, supplie-t-elle dans un sanglot. "J'ai si peur de Cenred…"

Elle est si belle, si terrifiée, si frêle… Gwaine, qui se sent étrangement enivré alors qu'il n'a pas absorbé une goutte d'alcool depuis des jours, attrape le bras d'Arthur et le passe par-dessus son épaule.

- Allez, encore un étage et on y est, votre Altesse. On va trouver de quoi vous retaper chez le vieil homme et ensuite vous pourrez sauver le monde sur votre cheval blanc.

- Le cheval d'Arthur est alezan, corrige Merlin dans son dos, à voix basse.

Le serviteur se faufile en avant pour vérifier que la voie est libre, puis leur fait signe. Lorsqu'ils se sont engouffrés dans les appartements du médecin de la cour, Gwaine dépose Arthur sur un banc et fait volte-face sur ses talons pour tendre la main à Morgane qui l'ignore. Les yeux exorbités, elle fixe les panneaux en bois qui recouvrent l'un des murs de la pièce plongée dans la pénombre.

- Il y a quelque chose, souffle-t-elle en agrippant la manche de Merlin qui se détache d'elle et se place devant le prince.

Arthur est à moitié couché sur la table où s'entassent des potions et les restes d'un repas.

Gwaine tire son épée et s'approche à pas de loups – sauf que le sol est recouvert de bouts de verre qui craquent sous ses bottes.

- Qui est là ? Montrez-vous !

Une des planches frémit, puis se soulève et un visage ridé apparaît à la lueur de la lune.

- Gwaine ? Qu'est-ce que tu fais là ? Comment…

Sa voix est légèrement chevrotante et ses cheveux blancs pas très bien peignés, mais il est indemne et le visage de Merlin s'illumine alors qu'il court se jeter dans les bras du vieil homme.

- Gaius !

Le médecin le serre contre lui et lui embrasse les cheveux dans un mélange de soulagement et de crainte.

- Mon garçon… vous êtes saufs... mais pourquoi êtes-vous revenus ? C'est beaucoup trop dangereux !

Merlin pointe du doigt le prince.

- Arthur est blessé. Il a de la fièvre.

- On est tombés sur des soldats de Cenred dans les Bois Ténébreux, explique Gwaine en rengainant son épée. "Il n'a pas arrêté de trotter depuis. Comment avez-vous réchappé à ce carnage, Gaius ?"

Le vieil homme n'a pas fait un pas en direction du prince, même s'il lui a lancé un regard inquiet. Il se tourne de nouveau vers la cachette, rattrape Merlin qui retournait vers son maître.

- Aide-moi, mon garçon, veux-tu… voilà.

Ils se penchent ensemble dans l'alcôve et lorsqu'ils se redressent, Morgane lâche un petit couinement.

- Père !

Arthur s'est redressé à ce cri et un peu d'espoir s'est rallumé dans ses yeux, même s'il n'a pas la force de se soulever du banc.

- Je ne pensais pas que cette vieille cachette qui date de la Grande Purge abriterait un jour le roi lui-même, soupire le médecin avec une pointe d'humour noir.

Gwaine vient à la rescousse du jeune serviteur qui titube sous le poids d'Uther. Le visage du souverain est blême, ses veines épaisses et violacées strient sa peau sèche et ses yeux sont étroitement clos. Son corps est froid, sa respiration à peine perceptible.

- Il est gravement malade, explique Gaius lorsqu'ils ont déposé leur fardeau sur le lit au milieu de la pièce. "J'ai pu le cacher ici avec l'aide de Sir Léon et Guenièvre, mais j'ai bien peur que ces deux-là n'aient été pris depuis…"

Il fourrage dans les boites sur les étagères, à la recherche de matériel pour soigner Arthur. Morgane allume une bougie, mais Gwaine l'éteint aussitôt : quelqu'un pourrait apercevoir la lueur par la fenêtre qui donne sur la cour.

- Pouvez-vous le guérir ? halète Arthur en étouffant ses gémissements pendant que le vieil homme défait le bandage sur sa cuisse et palpe la blessure.

- Pas tant que je ne saurais pas ce qui l'a empoisonné, répond sombrement Gaius, ses doigts âgés travaillant avec précision pour désinfecter la plaie. "Nous avons été piégés. Cette attaque était planifiée depuis des mois et quelqu'un à l'intérieur du château a commencé à affaiblir le roi bien avant que l'armée ne marche sur Camelot."

- Impossible, souffle le prince dont les ongles s'enfoncent dans le bras de Merlin qui le tient immobile pendant l'examen.

Le serviteur serre les dents, mais ne bouge pas.

- La blessure est infectée, Sire, dit finalement le médecin. "Et il va falloir recoudre."

- "Je sais", grogne Arthur, les ailes du nez pincées par la douleur, à deux doigts de s'évanouir. "Donnez-moi juste quelque chose qui me permette de continuer."

Gwaine ouvre la bouche pour protester, puis la referme sans dire un mot. Son poing se crispe sur le pommeau de son épée pendant que Gaius donne à son patient une petite fiole bleue.

Morgane se rapproche de son frère, ses yeux argentés fixés sur leur père de façon intense.

- Que comptez-vous faire, Arthur ? demande-t-elle.

Le prince avale goulument l'eau que lui tend Merlin (Gaius l'a envoyé chercher une outre dans la cachette), avant de répondre à voix lente.

La fièvre secoue ses épaules et sa transpiration colle ses cheveux sur son front comme s'il venait de se renverser un seau sur la tête.

- Nous devons emmener le roi hors d'ici, dit-il d'une voix rauque. "Nous avons des alliés et c'est le moment de faire appel à eux. Si nous pouvions atteindre la frontière de Nemeth, par exemple, nous serions en sécurité et le roi Rodor n'est pas homme à ignorer la détresse de son voisin."

- Mais les hommes de Cenred sont trop nombreux ! gémit la princesse. "Nous ne pourrons jamais sortir du château sans être pris !"

- Je pense pouvoir nous guider, dit lentement Gaius. "Aucun recoin du château n'a de secret pour moi."

- Mais si quelqu'un reconnait le roi, Cenred enverra tous ses chiens sur nous, avance Gwaine.

- On pourrait le déguiser, propose Merlin.

Morgane le regarde comme s'il avait deux têtes, mais Arthur, qui se sent beaucoup mieux depuis quelques instants, se permet un sourire.

- En voilà une idée qui pourrait marcher.

Le grand garçon maigre se redresse fièrement.

- On pourrait le déguiser en femme ! ajoute-t-il avec excitation.

Arthur fait la grimace.

- Non, ça, par contre…

Gwaine pouffe de rire.

- Peut-être qu'on devrait tous se déguiser en courtisanes ! C'est le plan du siècle, Merlin.

- Gwaine, la ferme, coupe le prince qui se lève et teste la solidité de sa jambe blessée.

Tout va bien, la potion de Gaius a complètement endormi la douleur.

Il considère gravement sa petite équipe dont les iris brillent dans la pénombre bleutée de la pièce.

- Voilà comment on va procéder : Merlin et Morgane, vous passerez devant. Merlin, tu connais le château comme le fond de ta poche, je veux que tu nous fasses passer par les endroits les plus discrets que tu connais.

Il défait le poignard accroché à sa ceinture et le tend à sa sœur.

- Morgane, vous êtes bonne escrimeuse, je compte sur vous pour écarter les gêneurs.

Gwaine écarquille les yeux : Arthur compte sur cette fleur fragile pour ouvrir la marche ? Mais pourtant la princesse n'a cessé de pleurer depuis qu'ils l'ont trouvée : sûrement, elle n'est pas de taille…

Il n'a pas le temps de protester, cependant, parce que le prince continue de distribuer ses instructions.

- Gaius, vous les suivrez. Emportez avec vous autant de choses que vous pouvez en bourrer dans votre boite à médecines, je ne sais pas quand nous serons de nouveau en mesure de donner à mon père les soins qu'il nécessite.

- Et à votre jambe aussi, interrompt Merlin vivement, avec un froncement de sourcils digne de son grand-père.

- J'en déduis que vous et moi nous chargeons du roi ? dit Gwaine. "Quel honneur."

- Tu t'en charges, rectifie Arthur. "Je vais fermer la marche."

- Je ne peux pas le soutenir tout seul, proteste le jeune homme barbu. "Il est inconscient !"

- C'est pour ça que tu vas le porter, grince le prince. "Avec autant de respect que tu peux en rassembler, bien sûr."

Les sourcils de Gwaine se tricotent avec mauvaise grâce, mais c'est avec précaution qu'il soulève le malade et l'installe sur son épaule comme un sac de pommes de terre en or.

- Wow. Il est lourd !

Les yeux d'Arthur le fusillent et il se tait avant de s'attirer davantage d'ennuis.

La nuit est tiède dans le couloir à peine éclairé de loin en loin par les torches qui boucanent les murs blancs du château. Dans la cour d'honneur, les soldats se sont couchés, enveloppés dans leurs capes, et dorment comme si les pavés étaient le meilleur matelas du monde. Les braises rougeoient dans les brasiers disséminés entre les rangs.

Tout est calme.

Un peu trop calme, même.

Arthur avance en réfléchissant malgré la fièvre qui obscurcit une partie de son cerveau. La potion miracle de Gaius lui permet peut-être de se tenir debout sans souffrir, mais elle ne l'aide pas à avoir les idées claires.

Pourquoi Cenred a-t-il cessé de retourner les moindres pièces pour trouver le roi ? Le croit-il déjà hors des murs du château ?

Où sont Sir Léon et Guenièvre ?

Qu'est-il arrivé aux serviteurs, au peuple, aux gens qui ont survécu ? Où ont-ils disparu ? Qu'a-t-on fait des captifs ?

Pourquoi personne ne cherche Morgane ?

Comment a-t-elle échappé à la furie des soldats ?

Et est-ce bien normal qu'ils aient pu s'introduire aussi facilement dans la citadelle, n'aient rencontré personne dans les couloirs en allant aux appartements de Gaius et puissent maintenant se faufiler presque sans écueil vers le pont-levis ?

Arthur doute que ce soit par chance.

Et d'ailleurs, si de la chance c'était, eh bien ils viennent d'en arriver au bout.

Ils sont presque au bout du couloir, à l'escalier qui descend aux communs, lorsque les arcades de pierre qui se croisent au-dessus de l'allée d'habitude grouillante de serviteurs s'illuminent soudain d'un halo de torches. Un groupe vient dans leur direction et, aux pas pesants qui se rapprochent, ce ne sont pas des fugitifs.

Arthur aperçoit de loin Morgane et Merlin qui s'engouffrent dans une chambre. Il entraine Gaius dans la plus proche pièce et barricade la porte une fois que Gwaine l'a suivi avec son chargement.

Le jeune homme barbu dépose le roi sur un lit défait, dans ce qui semble être les quartiers d'un serviteur.

- Qu'est-ce qu'on fait, maintenant ? demande-t-il à voix basse.

- On attend, chuchote Arthur, l'oreille collée contre le battant.

Marchent, marchent, marchent… ralentissent. S'arrêtent. Un bruit de voix étouffé. Repartent… non, restent.

Il grimace.

- Votre Majesté ? souffle Gaius en se penchant sur Uther qui remue faiblement.

Le prince abandonne immédiatement sa surveillance de la porte et se précipite vers le lit.

- Père ?

- Arthur… marmonne le roi d'une voix pâteuse. "Nous avons été trahis…"

Le prince s'agenouille, ignorant délibérément le pincement de douleur dans sa jambe.

- Je sais. Morgane m'a raconté… nous allons nous échapper, nous rassemblerons une armée…

Uther lève le bras et tâtonne, comme pour le faire taire. Son regard est vitreux.

- Morgause…

Arthur fronce les sourcils et ses mâchoires grincent.

- Que voulez-vous dire ?

Le roi tousse et s'étrangle un peu avec sa salive. Gaius lui essuie la bouche avec un linge, tandis que le jeune homme attrape les mains de son père et les serre dans les siennes.

- Père. Que voulez-vous dire ? Pourquoi parlez-vous de Morgause ? Qu'a-t-elle à voir avec Cenred ? Je ne comprends pas !

Sa voix a viré dans les aigus et s'est haussée, malgré lui. Gwaine lui fait frénétiquement signe de se taire depuis la porte contre laquelle il s'appuie pour écouter ce qui se passe dans le couloir, et le vieux médecin pose sa main sur l'épaule du prince pour l'apaiser.

Le visage du roi se contorsionne de chagrin.

- Je ne voulais pas y croire… mais c'est elle qui… murmure-t-il avant de sombrer de nouveau dans l'inconscience.

Arthur lève les yeux vers Gaius, éperdu.

- Qu'a-t-il voulu dire ? Vous savez quelque chose, n'est-ce pas ? Parlez ! ordonne-t-il.

Le vieil homme secoue la tête.

- Hélas, Sire, je ne sais pas… c'est la première fois que le roi reprend conscience depuis que Sir Léon et Guenièvre me l'ont amené. La citadelle était sur le point de tomber et j'étais dans la salle de l'infirmerie à ce moment-là…

- Mais sont ces deux-là ? gronde le prince en s'attirant un deuxième coup d'œil fulminant de Gwaine dont les lèvres articulent silencieusement "bou-clez-la-vo-tre-al-tesse".

Gaius termine de prendre le pouls du roi et repose la main flasque sur le lit avec un soupir.

- Je ne sais pas, répète-t-il d'une voix lasse. "J'espère vraiment – vraiment – qu'ils n'ont pas été pris. Sir Léon savait quelque chose sur le traître, j'en suis sûr. Ce n'est pas de lui de quitter la première ligne de la bataille. S'il se déplaçait dans les couloirs en cachette alors que la guerre faisait rage, c'est qu'il devait avoir un but."

Arthur se redresse péniblement et s'assoit sur le bord du lit. Il mordille le cuir de son gant en réfléchissant désespérément.

- Il faut qu'on les retrouve.

Ses yeux parcourent la chambre rapidement. Il se lève, s'approche de la fenêtre le temps de jeter un coup d'œil à l'extérieur, puis revient vers le lit.

- Gaius, vous allez rester ici avec mon père. N'ouvrez à personne. Gwaine et moi allons descendre à l'armurerie. Il y a un passage secret derrière le plus grand des boucliers, qui mène à la ville basse. Nous y jouions étant enfants, avec Léon. S'il a trouvé refuge quelque part, ce sera là. Et il a peut-être réussi à y rassembler quelques hommes qui pourront nous aider.

Gwaine se rapproche à pas feutrés.

- Et Merlin ?

Arthur avale sa salive.

- Il est avec Morgane, ils se protègeront l'un l'autre. Ils sont au bout du couloir et je ne pense pas que les soldats les aient vus non plus. Tant qu'ils se tiennent tranquilles, ils seront saufs. Nous les récupérons en remontant de l'armurerie.

Gaius arque un de ses sourcils broussailleux.

- Et comment comptez-vous vous rendre à l'armurerie ? Les soldats de Cenred sont à la porte, pour ainsi dire.

Arthur boitille jusqu'à la fenêtre.

- Par là. Nous ne sommes qu'au premier étage, et il y a un tas de foin juste en dessous : ce sont les écuries.

- Et pour revenir ?

- Nous vous ferons signe depuis les étables. Déchirez cette couverture en lanières, fabriquez une corde. Nous vous aiderons à descendre.

Gwaine ricane silencieusement.

- Voilà un plan qui me plait.

Gaius grimace, cependant.

- Sire, cette potion que je vous ai donnée... L'effet est instantané mais je ne sais pas combien de temps il dure. Quant à imposer tant d'exercice sur votre jambe blessée, je n'ose imaginer quelles en seraient les conséquences…

- Nous sommes en guerre, Gaius, répond simplement Arthur.

La lune se cache derrière les nuages et la nuit a fraîchi.

Il ne reste que quelques heures avant l'aube.

 

oOoOoOo

 

Ils ont claqué la porte derrière eux et se sont adossés contre le battant, haletants, les doigts de leurs mains entrelacés dans leur frayeur.

Leurs cœurs battent à tout rompre. Le parfum de Morgane se mêle à la transpiration de Merlin et ils ont l'impression qu'ils vont défaillir dans l'obscurité étouffante de la pièce.

- Ils ne nous ont pas vus… chuchote finalement la jeune femme en enlevant sa main délicate de celle, calleuse, du serviteur.

- Et Arthur ? s'inquiète aussitôt le garçon, prêt à ressortir dans le couloir.

- Ils ont dû se cacher plus loin, assure Morgane dont la voix s'affermit un peu. "Ecoute, il n'y a pas de bruit. Si les soldats les avaient trouvés, on l'aurait entendu."

Merlin hoche le menton et regarde autour de lui.

Ils sont dans la pièce réservée à l'intendant du château. Il y a un lit à la courtepointe bien tendue derrière le paravent, des livres sur les étagères, les coffres avec l'argenterie fine, des piles de serviettes brodées et un registre énorme sur le bureau à côté d'un encrier et d'une haute plume d'oie.

Le serviteur s'approche de la fenêtre, scrute la cour d'honneur que la lune baigne de sa clarté spectrale et sursaute soudain.

- Oh !

Morgane accourt aussitôt, dans un froissement de sa robe de velours émeraude.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

Merlin pointe du doigt la femme qui est en train de traverser la cour, entourée d'une demi-douzaine de gardes en uniformes noirs et rouges qui réveillent les dormeurs à coups de pieds.

- C'est la dame blonde, chuchote-t-il. "Elle est méchante."

Morgane frappe les dalles de sa petite botte, impatiemment.

- Elle n'est pas méchante, Merlin. Pourquoi dis-tu une chose pareille ?

Le serviteur se tourne vers elle, incrédule.

- Vous avez vu ses yeux, ma Dame ? Ils sont froids comme ceux d'un serpent ! Et elle parle avec les soldats de Cenred ! Ce sont nos ennemis.

Le visage de Morgane se crispe et pendant un instant, colère et peur se disputent la place sur ses traits parfaits.

- Cenred est cruel, dit-elle finalement. "Mais Morgause ne ferait jamais de mal à personne. Elle ne voulait pas tous ces morts, j'en suis sûre. C'est la faute de Gaius ! S'il n'avait pas caché le roi, tout se serait terminé beaucoup plus tôt !"

Merlin recule d'un pas et ses yeux bleus contemplent la jeune femme avec confusion.

- Gaius a sauvé le roi, murmure-t-il. "Votre père."

Un éclair de rage fuse dans les yeux de perle.

- N'utilise pas ce mot ! Cela fait longtemps que je ne le considère plus comme mon père ! Il m'a menti toute ma vie et il a tué ma mère !

Ses lèvres se pincent et elle semble réaliser à qui elle s'adresse. Elle frissonne, ses joues pâles se radoucissent et elle tend la main vers le garçon.

- Merlin, dit-elle d'une cajoleuse. "Excuse-moi, je ne voulais pas crier. Je suis fatiguée et cette nuit est interminable."

Le garçon penche la tête de côté et fronce le nez.

- Morgause est une bonne personne et le roi est n'est plus votre père ? répète-t-il lentement. "C'est… bizarre."

- Ce n'est pas bizarre, proteste immédiatement Morgane avec un sourire enjôleur. "Pas du tout ! Ecoute, Merlin. Reste ici, veux-tu ? Je vais aller voir si je trouve Arthur."

Sa manche de velours frôle la joue du serviteur quand elle lui caresse la joue.

- Reste bien tranquille. Tu ne crains rien.

Merlin secoue la tête vivement.

- Vous ne pouvez pas sortir ! Les soldats vous attraperont !

- Morgause ne les laissera pas me faire de mal, promet Morgane. "Ecoute-moi attentivement. Tout ira bien. Je vais aller chercher Arthur et Gaius. Nous serons bientôt heureux et tranquilles, tu verras. Tu n'auras plus à craindre qu'Uther veuille te renvoyer du service d'Arthur, je demanderai à Morgause qu'il puisse te garder, d'accord ? Nous ne serons plus jamais seuls et soumis au caractère de cet homme horrible."

Merlin repousse les doigts qui jouent avec ses cheveux noirs et fait un pas en arrière.

- Le roi veut me renvoyer ? souffle-t-il.

Morgane lui sourit avec pitié.

- Oh, pauvre Merlin… tu ne savais pas ? Arthur ne te l'a pas dit… mais ce n'est pas grave. Morgause va tous nous sauver.

Elle frissonne malgré elle, parce qu'elle a beau répéter cette phrase comme un talisman depuis la veille, elle y croit de moins en moins.

Elle a besoin de retourner auprès de sa demi-sœur, d'entendre la voix douce comme de la soie qui lui assure que Cenred ne leur fera jamais de mal, que les gens oublieront bien vite le cauchemar, que Camelot sera prospère et qu'elles ne seront jamais séparées.

Morgause a raison.

Pour qu'Uther réalise qu'il n'aurait jamais dû laisser mourir Ygraine, il faut qu'il souffre.

Mais Arthur comprendra, n'est-ce pas ?

Morgane est terrifiée depuis qu'elle a vu comment Cenred parlait à ses troupes dans la grande salle du trône, pendant qu'elle restait cachée derrière le rideau pour jouer son rôle.

Tout semblait si normal, si logique, jusque-là.

Le poison distillé dans la coupe qu'elle offrait à Uther chaque soir, le roi qui payait pour les souffrances qu'il a fait endurer à tant de gens en hurlant de terreur pendant ses cauchemars, la crypte déverrouillée pour laisser passer les soldats "pour éviter un bain de sang", a dit Morgause, les mensonges débités à Arthur pour qu'il l'aide à trouver leur père que cet imbécile de Sir Léon a fait disparaître pendant la bataille…

Morgause a raison.

Morgause a raison et elle ne laissera pas Cenred faire de mal à Arthur ou à Guenièvre.

Elle pose ses doigts sur la porte qui les protège de ces brutes et respire un grand coup.

Alors pourquoi Guenièvre est-elle introuvable ? Morgane lui a dit, pourtant, avant le siège, qu'elle n'aurait rien à craindre des ennemis…

Est-ce que Cenred l'a tuée ?

Est-ce que Guenièvre l'a trahie ?

Morgause lui a dit qu'il fallait se méfier de tous, que les gens ne comprendraient pas que le royaume serait en de bien meilleures mains, qu'ils essaieraient stupidement de protéger leur roi sans savoir la noirceur du cœur d'Uther…

La main de Merlin se pose sur la sienne et elle sursaute, lève ses yeux pleins de larmes vers lui.

Il secoue la tête et elle est presque étourdie par la profondeur des saphirs qui la contemplent : comme si Merlin savait, comme s'il devinait son dilemme, comme s'il sentait ses doutes, comme s'il pleurait déjà sur la décision qu'elle va prendre.

- Il ne faut pas faire confiance à Morgause, chuchote-t-il. "Elle est mauvaise."

Morgane le fixe, furieuse, à travers les gouttes brillantes accrochées à ses longs cils.

- C'est ma sœur, siffle-t-elle. "Elle me comprend. Et sa mère est morte comme la mienne à cause de notre père. Morgause sait ce que je ressens et c'est la seule !"

Oh, ces yeux insondables qui la regardent avec tellement de sincérité, tellement de pureté… et qui disent qu'elle a tort.

- Et Arthur ? demande simplement Merlin. "Il vous aime, lui aussi."

La gorge de Morgane se serre.

Elle a si peur qu'Arthur ne comprenne pas.

Morgause a dit que le prince n'aurait pas d'autre choix que de voir et d'accepter… qu'elle lui ferait comprendre

Elle renifle et essuie son visage du plat de sa paume, presque rageusement. Puis elle ramasse le pli de sa robe d'un air hautain et écarte le garçon résolument.

- Tu n'es qu'un idiot et un serviteur, Merlin, dit-elle en levant le menton, les lèvres pincées. "C'est pour ça que tu ne peux pas savoir. Laisse-moi sortir, maintenant."

Elle tourne le loquet et ouvre la porte, mais il lui attrape le poignet et la retient.

- Lâche-moi, articule la princesse d'une voix coupante.

- Non, dit Merlin

Ses yeux sont remplis de larmes et elle ne sait pas si c'est à cause des mots qu'elle vient de prononcer ou parce qu'il n'arrive pas à la faire changer d'avis.

Morgane soupire.

Je suis désolée, Merlin. Tu ne me laisses pas le choix.

Elle lève le bras et, d'un geste vif, elle assène un coup du tranchant de sa main sur la nuque du grand garçon maigre.

Il tombe en silence et elle se hâte sans un regard en arrière.

Morgause est toujours en bas, dans la cour, en quête de renseignements sur cette commotion qu'elle a aperçue depuis la salle du trône. Elle semble vraiment satisfaite d'apprendre qu'Arthur et le roi sont dans le bâtiment, pris au piège dans l'une des chambres.

- Tu as bien travaillé, ma sœur, dit-elle avec un sourire affectueux.

Morgane lui rend son sourire après avoir jeté un bref regard apeuré sur les soldats autour d'elle.

- Arthur sera libre, n'est-ce pas ? demande-t-elle d'une petite voix. "Vous m'avez assuré qu'Uther serait le seul à mourir."

Elle frissonne inconsciemment, parce qu'une part d'elle-même, enfouie au plus profond, se révulse à l'idée du parricide. Elle s'est appliquée à empoisonner le roi parce qu'elle savait qu'elle ne tuerait que son esprit, mais elle n'est pas encore prête à voir le corps raide et froid de son père étendu sur les pavés de la cour comme les centaines de cadavres que les soldats ont évacué du château pendant cette journée.

Morgause sourit encore.

- Arthur aura le droit d'aller où il le souhaite, assure-t-elle suavement.

Morgane hoche le menton.

- Il y a un problème, dit-elle encore avec timidité. "Le serviteur d'Arthur, Merlin. Il ne vous aime pas, ma sœur. S'il parle à Arthur, il va le convaincre que vous êtes une personne dont il faut se méfier…"

Morgause glisse ses doigts dans sa longue chevelure dorée.

- Et où est ce serviteur en ce moment ? demande-t-elle d'un ton presque distrait.

- Chez l'intendant, répond la princesse. "Je l'ai assommé, comme vous me l'avez appris. Qu'allez-vous faire de lui ? Arthur est extrêmement attaché à lui, pour une raison que nous ignorons tous. S'il lui… arrive quelque chose, notre frère sera très fâché."

Morgause caresse la tête brune de la jeune fille.

- Eh bien, nous devons nous assurer que ce jeune homme change d'avis, dans ce cas, dit-elle doucement.

Les deux femmes montent les escaliers côte à côte, l'une vêtue de sa cotte de mailles sur laquelle ruisselle sa chevelure blonde, l'autre fine et souple dans sa robe de velours émeraude.

Quand elles entrent dans la pièce, Morgause fronce un sourcil.

- Où est-il ? demande-t-elle d'un ton un peu agacé.

Morgane regarde partout autour d'elle, étonnée.

- Je n'ai pas dû frapper assez fort, s'écrie-t-elle, dépitée. "Oh, pourvu qu'il ne soit pas allé rejoin'…"

Les mots s'étranglent dans sa gorge quand Merlin abat un énorme bouquin relié de fermetures en acier sur la tête de sa sœur qui s'écroule sans un cri.

- Qu'as-tu fait ? crie Morgane, horrifiée, en jetant sa dague de côté pour s'agenouiller près de la femme blonde inerte.

- Elle est méchante et vous devez arrêter de la croire, dit le garçon d'une voix précipitée. "Dame Morgane, elle va vous faire du mal ! Elle n'est ici que pour causer la perte de Camelot. Venez avec moi, je vous en prie. Nous devons nous enfuir très loin avec Arthur et le roi et sauver les gens et…"

Morgane relève les yeux et ses yeux de perle étincellent de fureur.

- Tu n'aurais pas dû faire cela !

- Je suis désolé, continue Merlin en s'accroupissant à côté d'elle. "Je suis vraiment désolé de vous faire de la peine, mais… s'il vous plaît…"

Il tend la main vers le poignet délicat de la jeune fille, avec l'intention visible de l'emmener, mais elle le repousse, le visage crispé.

- Laisse-moi, cingle-t-elle.

- Morgane…

- LAISSE-MOI !

Il perd l'équilibre et tombe sur une fesse, son regard bleu blessé et triste toujours fixé sur elle, et Morgane bouillonne de rage devant cette obstination.

Elle jette un coup d'œil autour d'elle, cherche quelque chose à lui jeter pour le faire partir, ne trouve rien. Sa dague est trop loin, près de la porte.

- Pars, siffle-t-elle.

Merlin hésite et pendant cette courte seconde, Morgause ouvre les paupières.

- Que s'est-il passé ? marmonne-t-elle en portant la main à sa tête.

Morgane l'aide à se redresser, la soutient jusqu'au bureau et l'aide à s'asseoir dans le fauteuil. Le serviteur recule vers la porte, mais il ne sort pas, comme hypnotisé par la femme blonde.

- Merlin vous a frappée avec un livre, explique Morgane avec irritation.

- Oh, vraiment, glousse Morgause avec une légère grimace lorsqu'elle touche l'endroit douloureux à l'arrière de sa tête. "Et cette grande perche qui ouvre la bouche comme un poisson, est-ce aussi Merlin ?"

- Oui, répond la jeune fille brune. "Il n'a pas toute sa tête et malheureusement il semblerait qu'il ne soit pas possible de le faire changer d'avis sur le peu qu'il y a dans son crâne !"

Elle ramasse vivement l'encrier et le lance en direction du garçon.

- Va-t'en, Merlin ! crie-t-elle.

Il n'a pas le temps de s'écarter et la boite s'ouvre en le percutant : l'encre éclate sur la tunique rouge du serviteur, éclaboussant son cou et ses manches et trempant le tissu rêche d'une ombre noire et visqueuse.

- Ne sois pas si impétueuse, Morgane, proteste Morgause en inclinant la tête d'un air amusé. "Merlin ? Approche. Viens, n'aie pas peur."

Le garçon serre les poings et ne bouge pas d'un centimètre.

- Je n'ai pas peur, riposte-t-il en levant la mâchoire avec défi.

Son sourcil gauche tressaille cependant et le bout de ses oreilles a rosi dans l'obscurité. Morgane allume une bougie et la pose sur le bureau à côté de sa sœur.

La faible lueur jette une ombre macabre sur le visage aristocratique de Morgause.

- Viens, Merlin… répète-t-elle doucement.

Gentiment.

Innocemment.

Le serviteur fait juste un pas en avant.

- Vous devez vous en aller, dit-il d'une voix un peu rauque. "Vous, et Cenred aussi. Et tous les soldats."

Morgause pouffe de rire.

- Oh. Et pourquoi ?

Les joues de Merlin se creusent à la lueur de la bougie. Il s'approche encore. Ses doigts moites tripotent la couture de sa tunique mouillée et l'odeur de l'encre l'étourdit un peu.

- C'est le royaume d'Arthur, ici. Camelot, c'est sa maison. Vous n'avez pas le droit de le lui prendre. Vous avez tué des enfants et des tas de gens. Vous devez partir. S'il vous plait.

Morgause cligne un peu des cils, son sourire glacé retroussant ses lèvres écarlates sur ses dents blanches.

- Je comprends, dit-elle d'un ton onctueux. "Morgane, tu comprends aussi, n'est-ce pas ?"

La jeune fille brune secoue la tête.

- Non, grogne-t-elle.

Morgause se permet un petit rire, cristallin, si froid que la nuit d'été semble soudain perdre toute chaleur.

Elle se lève dans un cliquetis de mailles d'acier et repousse en arrière ses longues boucles dorées. La main négligemment posée sur le pommeau de son épée, elle s'approche lentement de Merlin.

- Je ne sais pas trop si tu es très courageux ou incroyablement stupide, jeune homme, susurre-t-elle. "Mais tu fais erreur si tu crois que tu peux m'empêcher d'accomplir mes plans."

Pendant un instant, Merlin ne respire plus, persuadé qu'elle va le tuer sur place, puis elle sourit.

- Viens, Morgane, dit-elle tranquillement avant de sortir de la pièce.

La princesse la suit après avoir jeté un regard de défi au serviteur qui est resté figé sur place.

Merlin se tâte la poitrine, la tête, les jambes, un peu abasourdi d'être encore en vie, puis il fait volte-face en se rappelant qu'il faut aller prévenir Arthur que Morgane et la dame blonde sont de connivence.

Arthur doit être…

- … dans l'une des pièces de ce couloir. Trouvez-le et vous trouverez aussi le roi. S'il résiste, vous pouvez utiliser vos épées.

- Morgause, non ! se récrie Morgane dans le couloir.

- Il suffit, ma chère sœur, répond la dame blonde d'une voix qui pourrait presque passer pour bienveillante si elle n'était pas accompagné d'un éclat dangereux dans les yeux pâles de la femme. "Je pensais pourtant que cela était clair. Si cet idiot de serviteur est borné à ce point, Arthur le sera aussi, voyons. Il est temps de cesser de croire que le prince comprendra nos intentions."

- Mais vous aviez dit que…

- J'avais dit que nous lui laisserions le choix, et il l'aura, Morgane. Tout ce qu'il doit faire c'est se rendre, pour l'instant.

Merlin contemple la porte, hébété. Ses yeux tombent sur la dague que la lune ourle d'un reflet bleu sur les dalles.

Arthur.

Arthur est en danger.

Il se penche, ramasse le poignard et le sort de la gaine.

Pour protéger Arthur, il ferait n'importe quoi.

Ses longs doigts s'enroulent autour du manche avec résolution et il se glisse dans le couloir. Morgause est occupée à donner des ordres aux soldats, Morgane est à quelques pas d'elle, ses fins sourcils arqués tandis qu'elle réfléchit intensément si sa sœur a raison ou non.

Merlin se glisse derrière elle avec le poignard.

Il va la ceinturer, faire croire à Morgause qu'il risque de la tuer si celle-ci ne s'en va pas immédiatement et tout le monde sera sauvé. Le roi sera tellement content qu'il ne le renverra pas et Morgane ne sera même pas blessée. Et sans doute, dès qu'elle ne sera plus sous l'influence néfaste de la dame blonde, elle redeviendra la gentille princesse que tout le monde aime.

Morgause sent la menace avant même d'apercevoir de voir le mouvement du coin de son œil.

Un sourire s'entortille dans le coin de sa bouche.

Parfait, c'était juste ce qu'il lui fallait pour terminer de convaincre Morgane. Elle a eu raison de laisser cet idiot en vie… elle pensait s'en servir pour faire pression sur Arthur, mais finalement, avec ce coup de chance, elle pourra certainement passer directement à la partie de son plan où il n'y a plus rien entre elle et le trône qui lui revient.

Elle écarquille les yeux avec une horreur toute ingénue et crie :

- Morgane ! Attention !

La jeune princesse sursaute, se retourne et son regard horrifié rencontre le bras levé de Merlin.

La lune glisse sur la lame du poignard avec un éclat macabre.

Oh, Merlin. POURQUOI ?

Les saphirs se dérobent, coupables, devant les perles.

Et la seconde d'après, le fléau d'armes d'un des soldats frappe le torse de Merlin de plein fouet et l'envoie bouler dans les escaliers qui descendent aux cuisines. Le corps maigre du serviteur dégringole les marches comme un mannequin de tissu et s'effondre en bas, immobile.

 

 

A SUIVRE...

 

 


Listelia  (16.07.2015 à 21:44)

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Mademoiselle Holmes, S01E06
Jeudi 25 avril à 22:00
3.49m / 24.2% (Part)

Logo de la chaîne TF1

Mademoiselle Holmes, S01E05
Jeudi 25 avril à 21:10
4.21m / 22.0% (Part)

Logo de la chaîne France 2

Un si grand Soleil, S06E159
Jeudi 25 avril à 20:45
3.20m / 15.9% (Part)

Logo de la chaîne TF1

Demain nous appartient, S07E173
Jeudi 25 avril à 19:15
2.40m / 16.0% (Part)

Logo de la chaîne TF1

Doc - Nelle tue mani, S03E12
Mercredi 24 avril à 22:10
1.61m / 10.8% (Part)

Logo de la chaîne TF1

Doc - Nelle tue mani, S03E11
Mercredi 24 avril à 21:10
1.88m / 9.5% (Part)

Logo de la chaîne The CW

Sight Unseen, S01E04
Mercredi 24 avril à 21:00
0.35m / 0.1% (18-49)

Logo de la chaîne ABC

Not Dead Yet, S02E10
Mercredi 24 avril à 21:00
2.15m / 0.2% (18-49)

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HypnoRooms

choup37, 19.04.2024 à 19:45

Maintenant j'en ai plus que deux, je joue aussi sur kaa

CastleBeck, Hier à 11:48

Il y a quelques thèmes et bannières toujours en attente de clics dans les préférences . Merci pour les quartiers concernés.

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