HypnoFanfics

Le lendemain matin, alors qu’elle attendait l’appel de son vol en sirotant un café, un brouhaha lui fit lever les yeux. Cinq hommes vêtus de sombre entraient dans la salle d’embarquement en devisant.

« Tiens ! Le groupe Amal One au grand complet qui débarque. Mais que se passe-t-il ? Pourquoi cette réunion ?… ». Elle se leva et vint à leur rencontre pour les saluer.

- Agent Mars, première arrivée. Parfait ! lui lança Robert Rhys-Davis, le chef du district de Chicago, de son ton aristocratique inimitable en lui tendant la main. Il appartenait à l’une de ces grandes familles descendant en ligne directe des « Pères Fondateurs ». C’était un homme de grande taille, mince et élégant à la cinquantaine bien tassée. Son regard bleu, empreint de bienveillance, reflétait une profonde intelligence.

- Mademoiselle et messieurs, silence sur nos affaires en cours pendant toute la durée du vol. Je ne vous rappellerai pas que la discrétion est de rigueur déclara-t-il aux membres de son groupe qui acquiescèrent d’un même mouvement de tête. 

Une voix appela les passagers, ils franchirent la porte d’embarquement et s’installèrent dans l’avion. Le vol se passa sans encombre, Robert Rhys-Davis menant une conversation qui ne portait pas à conséquence.

Dans un premier temps, il interrogea Luke Carter sur sa toute récente paternité. Celui-ci lui répondit après avoir reçu les félicitations enthousiastes de ses collègues. Il s’adressa ensuite à John Abrams et Ian Smith leur demandant des détails sur leur journée de noël en famille.

Pour que ses collègues prennent bien conscience qu’il appartenait au cercle des intimes, Aidan Mac Lane glissa à Rhys-Davis un mot de remerciement sur l’invitation qui lui avait été faite. Il décrivit, avec une certaine délicatesse, les nombreuses affinités qui les liaient, Deirdre sa fille et lui.

- Ah ! Si ma fille entreprend de choisir ses relations aussi bien que ses robes de couturiers, ses chaussures ou ses voitures, je suis un père comblé lui rétorqua Rhys-Davis, un petit sourire narquois aux lèvres tout en lançant un regard amusé à une Veronica qui s’employait discrètement à conserver son sérieux.

- Et vous, Mademoiselle Mars ! Ce noël à Chicago ? Froid n’est-ce pas… Le soleil de Californie doit vous manquer… s’adressa-t-il à elle.

- Réfléchissons… Le soleil ?… Oui, on peut dire ça… Mais ce qui me manque surtout, ce sont les balades en décapotable cheveux au vent, la plage et les surfeurs bronzés, en un mot comme en cent le rêve californien ! répondit-elle avec une pointe de douce ironie dans la voix.

Ils étaient attendus à leur arrivée à Dulles et furent conduits rapidement à Quantico.

La salle de réunion s’emplissait peu à peu, les agents déjà arrivés hélant les nouveaux entrants, qui pour proposer un siège dans son secteur, qui pour saluer et prendre des nouvelles d’un ancien partenaire. Le brouhaha cessa lorsque le directeur du service anti-terrorisme, Rhys-Davis et le speaker se présentèrent. Les trois hommes, après avoir traversé la salle dans un silence religieux, s’installèrent sur une estrade, face à une quinzaine d’agents de terrain. Derrière eux, un grand écran pour l’instant éteint.

Le speaker, un dossier en main, prit place derrière le pupitre, tapota le micro pour vérifier son bon fonctionnement et salua tout le monde. Il remercia d’un ton railleur les retardataires qui gagnaient discrètement leur siège et commença :

- Mesdames et messieurs, bonjour ! Je sais que vous convoquer en cette période de fêtes n’a pas dû vous sembler agréable. Vous préféreriez être en famille. Je ne vous le cache pas, moi aussi.  Donc, ne perdons pas de temps et entrons tout de suite dans le vif du sujet !

Il fit la pénombre dans la salle. Se tournant vers l’écran projetant maintenant la photo d’un homme d’environ vingt-cinq ans, il commença son topo :

- Ahmed Amal dont nous supposons qu’il a été approché par un groupe terroriste, frère d’Hussein Amal sous contrôle de Chicago, est entré dans le pays le 23 au matin, il y a donc cinq jours maintenant. Il a débarqué à Miami en provenance du Caire via Londres. Nos agents sur place l’ont pris en filature dès sa sortie de l’aéroport. À Miami, il a contacté un certain Ethan Ward, citoyen américain inconnu de nos services et propriétaire d’un magasin de téléphonie mobile et gadgets électroniques en tout genre.

L’écran affichait maintenant le portrait de cet Ethan Ward.

- Nous avons commencé une enquête sur ce dernier. Les résultats, quels qu’ils soient, seront transmis dès réception à vos agences respectives. Mais revenons à Ahmed Amal! Dans la nuit du 24 au 25, il a hélas faussé compagnie à ses anges gardiens dit-il en fixant avec insistance une partie de la salle où devaient se trouver les agents concernés.

- Les réflexes s’émoussent… La nuit du réveillon y est sûrement pour quelque chose ! s’exclama-t-il ironiquement. La sécurité étant heureusement plus correcte dans nos aéroports, il a été retrouvé hier 26 décembre au matin, débarquant d’un vol intérieur à La Guardia. Notre antenne de New York l’a pris en charge depuis et, comme pour Ethan Ward, vous serez tenus informés. Mesdames et messieurs, je vous remercie de votre attention ! Je laisse maintenant la parole à Herbert Graham.

La lumière revint et, à son tour, le directeur prit place derrière le pupitre. Comme Rhys-Davis, il avait passé les cinquante ans. Contrairement à ce dernier dont la prestance attirait systématiquement les regards dans une assemblée, lui semblait se complaire dans une opacité trouble. Son visage maussade affichait une sévérité glaçante.

- Mesdames et messieurs, Ahmed Amal est sur notre territoire depuis cinq jours seulement et nous avons déjà des trous dans son emploi du temps ! Je ne peux pas le tolérer… commença-t-il d’une voix sinistre puis, fixant la même partie de la salle que le speaker précédemment :

- …Messieurs de Miami, je veux tout savoir sur ce qu’il a fait de la nuit du 24 au 26 au matin, je ne veux plus une seule minute qui ne soit vérifiée. Même chose pour Ethan Ward. Qui est-il ? Quelles sont ses relations ? En quoi son activité peut-elle l’impliquer ? J’espère que vous serez à la hauteur de mon attente qui est grande ! Je souhaite également vous voir après la réunion…

Tous les regards se concentrèrent sur le coin Miami, mais Graham continuait déjà :

- …Madame et messieurs de New York, j’ose penser que vous serez plus efficaces que vos collègues. Je veux tout savoir sur ses déplacements, les personnes rencontrées, etc… Vous connaissez la suite !

Puis, se tournant vers Rhys-Davis et adoptant un ton plus conciliant à son adresse :

- …Mon cher Robert ainsi que mademoiselle et messieurs de Chicago, Ahmed Amal, s’il ne l’a déjà fait, prendra assurément contact avec son frère Hussein. Je veux une mise sur écoute et une surveillance de tous les instants à son domicile et sur son lieu de travail. Nous devons savoir ce qui se trame.

Il refit face à la salle et, sans s’arrêter :

- …De mon côté, je m’occupe de voir avec les services concernés ce que faisait Amal au Caire, depuis combien de temps, quels étaient ses contacts et de quel pays il arrivait. Vous serez tenus informés.

Il laissa passer un instant sans rien dire tandis que son regard glacial balayait l’un après l’autre chacun des agents présents et termina enfin :

- Nous ne pouvons nous permettre de laisser un tel personnage se déplacer sans surveillance et agir à sa guise dans notre pays. Quels que soient les moyens employés, je veux que tout soit entrepris pour mener cette affaire à bien. Je veux des résultats ! Je vous remercie.

Il se retourna, adressa un signe à Rhys-Davis et au speaker leur intimant de le suivre puis traversa la salle et sortit. Dès qu’il eut franchi la porte, tout le monde se décontracta.

Le lendemain matin alors que Veronica fermait sa voiture, un bruit lui fit lever les yeux. Un coupé grand luxe passa devant elle dans un rugissement de moteur et s’arrêta devant la porte de l’agence. Les portières s’ouvrirent et Mac Lane en descendit, côté conducteur. Une jeune femme à la chevelure flamboyante, vêtue façon top model en plein défilé, sortit côté passager. Ils se rejoignirent à l’avant du véhicule et commencèrent à se dire au revoir à grand renfort de minauderies.

« Ils sont mignons les deux gravures de mode. Allez Mac Lane, dépêche-toi ! Rends-lui ses clefs, je me gèle et je n’ai pas que ça à faire » pensa, légèrement irritée, une Veronica qui ne souhaitait pas passer devant eux pour entrer dans l’agence.

Elle patientait depuis plusieurs minutes et envisageait de se réfugier dans sa voiture quand enfin, après un dernier baiser langoureux de son Aidan, Deirdre partit. Celui-ci franchit la porte d’entrée. Veronica attendit encore quelques instants pour ne pas avoir à prendre le même ascenseur que lui.

« Toujours éviter de côtoyer les importuns quand ce n’est pas obligatoire et celui-là, moins je le vois, mieux je me porte ! » se dit-elle en appelant l’ascenseur à son tour.

À son arrivée dans le service, une note lapidaire affichée sur le panneau d’information attira son attention : Sections AT 1.2.3 – Briefing 9h45 – Salle n° 2.

« Les grands discours, pas le genre de la maison. Sections AT 1 2.3 : tous les groupes. 9h45 : dans moins de 50 mn. Salle 2 : étage de la direction. Il suffit de décrypter et tout va bien ». Elle salua à la volée Abrams et Smith, s’arrêta le temps de remplir son premier mug de café FBI, pas terrible, gagna son bureau et commença à trier et lire les notes de service qui ne manquaient jamais de faire leur apparition pendant son absence.

« La sorcière invisible des ressources humaines a encore frappé ! Voyons ce qu’elle nous veut… Congés annulés jusqu’à nouvel ordre, ça j’avais remarqué… Notes de frais qui prennent leur envol, ça en revanche, je ne m’en étais pas rendu compte. Sorcière chérie, quand vas-tu me rembourser les trois mois que tu me dois ? Depuis mon arrivée dans ce service, je n’ai toujours rien vu venir. Merci d’avance ! ». Elle continua sa lecture, des rappels de choses déjà vues, rien de bien intéressant.

- Mars, c’est décidé, tu vas être avec nous sur l’affaire Amal. Robert m’en a parlé ! entendit-elle. Elle leva la tête et vit un Mac Lane, fier de son annonce, gagner son bureau. Carter, qui le suivait, adressa un bonjour de la main à Veronica.

Elle s’apprêtait à lui renvoyer une phrase bien sentie quand Mac Lane reprit la parole, de ce ton insupportable de petit chef qu’il affectionnait lorsqu’il était seul avec ses collègues.

- Mars, le travail au contact des pros va t’apporter beaucoup. C’est une promotion pour toi. Robert pense que tu es capable, ne me déçoit pas !... Carter qui la regardait pendant le speech de Mac Lane lui adressa un petit sourire contrit.

- Dis-moi Mac Lane, ôte-moi d’un doute ! T’es-tu rendu compte que tu nous faisais une sorte de dédoublement de personnalité ? En présence de Rhys-Davis, tu es l’agent dévoué qui boit les paroles de son chef, lui parle avec révérence. Bizarrement dès qu’il s’éloigne, là c’est Robert ton meilleur ami, celui qui te fait ses confidences…

Tous les collègues s’étaient arrêtés dans leur travail et n’en manquaient pas une miette.

- …Le collaborateur zélé, le confident, un panaché des deux ?… Qui es-tu vraiment Mac Lane ? Dis-moi, j’ai hâte de savoir. Si tu ne te rends pas compte que deux personnes cohabitent en toi, c’est très grave. Je te le dis comme je le pense, tu dois absolument voir un psy ! Faut pas rester comme ça, ta santé mentale en dépend.

Sur ce, elle  avala une gorgée de café et se replongea dans ses papiers indiquant pas là que, pour elle, la conversation était close. Les agents se hâtèrent de reprendre leurs activités diverses en essayant de conserver leur sérieux.

Mac Lane, le souffle coupé par ce qu’il venait d’entendre se donna une contenance en décrochant son téléphone. Cette petite blonde que Rhys-Davis semblait estimer était coriace, pas facile à impressionner. Il allait donc devoir user de diplomatie avec elle s’il voulait qu’elle coopère sans poser de question. Heureusement, il savait le faire quand ça l’arrangeait, c’était même son point fort.

- C’est fait, Ahmed Amal a contacté son frère. Il devrait être à Chicago sous deux jours, ce qui veut dire pour nous, branle-bas de combat. Je veux toutes les équipes de surveillance sur le terrain… commença Rhys-Davis dès qu’ils furent tous installés.

- …Les premières informations commencent à tomber. De Quantico, j’apprends qu’avant son arrivée au Caire, Amal a séjourné quelques semaines au Soudan. Etait-il dans un camp d’entraînement ? C’est encore un mystère, mais qui sera vite résolu. New York nous indique que, sur place, il est hébergé dans sa communauté que, pour l’instant, il n’a réservé aucun vol sur Chicago et qu’il se déplace en voiture. Il y a donc de grandes chances pour qu’il arrive ici par ses propres moyens. Enquête toujours en cours sur les personnes côtoyées à New York, mais les premières remontées de Miami indiquent qu’Ethan Ward, celui qu’Amal a vu à sa descente d’avion, frayait avec un groupe anti-fédéraliste dans sa jeunesse. A-t-il repris du service ? Sert-il de boîte aux lettres à une entité quelconque ? Ça reste à préciser.

Il s’arrêta un instant pour prendre une gorgée d’eau et termina :

- Mademoiselle, Messieurs ! Pour le moment nous ne pouvons que faire des suppositions sur les activités licites ou non d’Ahmed Amal, mais nous devons nous tenir prêts à toute éventualité. Je réclame de vous un professionnalisme de tous les instants. Même si Herbert Graham ne semble pas très regardant sur les moyens à employer, moi je ne tolèrerai aucun écart, aucune bavure. Me suis-je bien fait comprendre ? Maintenant, je vous laisse avec le dispatcher. Il va former les équipes et attribuer les tours de garde. Je vous remercie de votre attention.

Ces derniers mots prononcés, il se leva, salua les agents d’un signe de tête et regagna son bureau.

« Mince, il y avait un peu de vrai dans ce qu’il m’a dit tout à l’heure ! » pensa une Veronica pas vraiment ravie en revenant dans son service.

- Agent Mars, vous ferez équipe avec Carter et Mac Lane. Vous serez plus spécialement chargée d’Hussein Amal, à son domicile et à Hope. Pour le moment, il est de repos chez lui et sous surveillance. Il reprendra son service à l’hôpital demain à 13h00. Dès cet instant, il sera à vous. Dans l’intervalle, rentrez vous reposer car votre tour de garde risque d’être long ! avaient été les directives du dispatcher à son adresse.

Elle récupéra ses affaires et partit. Après un arrêt dans la première boutique rencontrée sur sa route pour une petite opération survie, elle regagna sur domicile. Dès qu’elle ouvrit la porte, son regard fut comme aimanté par ce truc abandonné sur le canapé…
Le livre.

« Avec l’affaire Amal, je l’avais oublié ! » pensa Veronica tout en rangeant ses courses.

« Hé ! Ma fille… Arrête de te mentir. Ce n’est pas un oubli, tu as seulement tenté de nier son existence, mais c’est raté » la titilla une petite voix dans un coin de sa tête.
« Tu vas devoir réfléchir à ce que tu as lu, te poser des questions et ça tu n’en as pas, mais alors pas du tout envie… Demande-toi pourquoi tu n’es pas capable de le finir ce livre ? Une sorte d’embarras peut-être ? ».

« Oh ! Reprends tes esprits. Ce n’est qu’une fiction pas de quoi fouetter un chat » se dit-elle en secouant la tête pour évacuer cette petite voix insistante.

Elle s’empara de son portable et composa un numéro.

- Bonjour Alex ! Veronica. Tu es libre pour déjeuner ? Ça te dit une pizza chez Gino ? Contribution de fin d’année, c’est moi qui régale. Double part de dessert pour toi ! On se retrouve là-bas dans une heure.

Elle patientait depuis moins de cinq minutes en parcourant la carte lorsqu’Alex s’installa en face d’elle. Elle leva les yeux et lui adressa sa mimique la plus réjouie.

- Oh ! Toi je le sens, quelque chose te tracasse  rigola celui-ci en ouvrant son menu.

Il laissa passer un instant, l’air extrêmement absorbé par sa lecture puis la fixant d’un regard interrogateur et doucement amusé :

- Alors ! Que puis-je faire pour toi ? C’est bien ça que je dois dire ?  la questionna-t-il.

- Commandons d’abord, je te parlerai après. Pour l’instant, j’essaye de mettre en forme ce dont je veux te parler pour que ça ait l’air le plus sensé possible. Si je t’explique tout de suite, je crois que tu vas me prendre pour une cinglée, lui répondit-elle en essayant de prendre un air détaché.

Il haussa un sourcil de surprise, mais se reprenant, il attira l’attention du serveur pour passer leur commande. Pendant le repas, ils devisèrent calmement de tout et de rien. Dès que le café fut servi, Alex attaqua :

- Allez, accouche ! Que se passe-t-il Veronica ?

- OK ! je me lance, mais promets-moi de ne pas rigoler.

Il acquiesça de la tête en lui faisant signe de continuer.

- Ton cadeau… Le livre… Alors voilà !... J’ai l’impression qu’il parle de moi, que c’est une partie de ma vie que cette Dana Westcliff a réécrite. Oui je sais, c’est ridicule mais… commença-t-elle pas trop à l’aise.

- Non, ce n’est pas ridicule ! Au contraire, c’est très normal. Quand un roman est bon, on a tous tendance à s’identifier aux personnages. Ça prouve seulement qu’elle a bien fait son boulot si tu t’y es retrouvée, lui répondit-il d’un ton léger.

- C’est pas un problème d’identification. Tu comprends pas ce que je veux dire. JE SUIS un personnage du livre ! Même si elle ne l’a pas appelée Veronica, ce qui arrive à la fille m’est arrivé à moi. Les meurtres, les viols, les enquêtes tout est vrai. J’ai réellement vécu tout ça, insista-t-elle.

- Tu sais, ça ne m’étonne pas vraiment. De nombreux auteurs écrivent leurs fictions en s’inspirant de faits réels. Ces affaires ont dû faire du bruit à l’époque, bonne trame pour un bouquin. Entre les journaux, la télé et les minutes des procès, elle n’a pas manqué de documentation pour travailler  tenta-t-il de la convaincre.

- Oui ! Je comprends, mais ce n’est pas tout. La fuite de ma mère, ma relation avec mon père, mes amis, mes petits amis, tout ce qui m’était personnel… Ce n’était pas dans les journaux que je sache et pourtant…

- Les relations familiales, amicales ou amoureuses, jusqu’à preuve du contraire, avec un peu d’imagination, un écrivain arrive toujours à s’en tirer. Si ça tombe pile poil, je pense que le hasard y est pour beaucoup. Tout cela prouve seulement que Dana Westcliff est fine psychologue, qu’elle a une bonne approche des relations humaines. Ne te mets pas martel en tête pour si peu !

Comme elle ne semblait pas vraiment adhérer, il continua :

- … Je ne sais plus quoi te dire… La seule chose que je peux te proposer c’est de lui envoyer une lettre. Je peux éventuellement te trouver son adresse auprès de l’éditeur. Ecris-lui ce que tu as ressenti à la lecture de son livre. Si elle ne te prend pas pour une tarée, ça lui fera sûrement plaisir d’avoir provoqué une réaction si intense chez une lectrice. Tu sais, c’est quand même le but de tout écrivain de faire réagir ses lecteurs… Quant à sa réponse… Là, je ne peux rien te promettre. Voilà ce que je pense, après tu en fais ce que tu veux… termina-t-il un peu décontenancé par son amie dont l’attitude, pour la première fois, laissait deviner une sorte de fragilité.

Seulement l’espace d’un instant, car chez Veronica l’ironie reprit vite le dessus :

- La fan attitude ?... Hé ! Tu m’as bien regardée ?... Pas trop mon genre ! Gamine, je n’ai jamais écrit à un chanteur ou un acteur. Je ne vais pas commencer à mon âge avec cette Westcliff. Je suis peut-être cinglée mais seulement jusqu’à un certain point. Dans l’absolu ce que je voudrais vraiment, c’est la coincer entre quatre z’yeux pour obtenir des réponses.

À ces mots, il éclata de rire.

- Hé ! Veronica. Fais gaffe ! Là, c’est ton métier qui prend le dessus et ce n’est pas bon signe. Franchement, tu la vois dans une salle d’interrogatoire, éblouie par une lampe, en train d’avouer… Avouer quoi au juste ? se moqua-t-il gentiment. Finalement, cette adresse… Je te la cherche ? Réponds-moi simplement oui ou non !

- Hum… Ouais !... Mais pas sûr que je m’en serve…

Le lendemain un peu avant 13h00, elle gara sa voiture face à l’entrée des urgences. Un peu plus tôt un appel de Mac Lane, étonnement courtois, lui avait annoncé qu’Hussein avait quitté son domicile à pied. Il prenait toujours le métro pour gagner l’hôpital et Luke Carter le filait.

Hussein Amal, chirurgien dans son pays, s’était vu offrir à Chicago un simple emploi d’infirmier urgentiste à Hope. Il était surqualifié pour le poste au grand bonheur de ses patients. Il n’hésitait jamais à prolonger ses gardes plus que nécessaire, au grand bonheur de ses collègues.

Tout à coup, elle le vit déboucher au coin de la rue. Un sac de sport à l’épaule, il marchait rapidement, slalomant entre les monticules de neige qui encombraient le trottoir. Il salua le groupe frigorifié qui patientait devant la porte dans l’attente d’un blessé et disparut à l’intérieur.

Alors qu’elle regardait l’ambulance arriver toutes sirènes hurlantes, la portière de sa voiture s’ouvrit brusquement, la faisant sursauter. Un Carter frigorifié s’installa sur le siège passager.

- Salut Veronica ! Sale temps aujourd’hui. Avec la neige de cette nuit et le verglas, il y a des accidents à tous les coins de rues. À l’hosto, ils ne vont pas s’ennuyer !

Il ouvrit le sachet qu’il avait en main, en tira deux grands cafés et en tendit un à Veronica.

- Aujourd’hui, si je veux fonctionner, va me falloir des litres de café dit-il en étouffant un bâillement. Comme Veronica le regardait étonnée et un brin amusée, il précisa : Oh ! Pas ce que tu crois. C’est le bébé. Première nuit à la maison extrêmement agitée.

- Pauvre Luke ! Première nuit d’une longue série, va falloir t’habituer… rigola-t-elle. Quand il vous laissera enfin dormir, tu seras devenu insomniaque à cause des hectolitres de café que tu auras ingurgités.

Ils furent interrompus par l’arrivée d’une nouvelle ambulance puis d’une autre. Ils remarquèrent que, toutes les trois ou quatre rotations, Hussein et son équipe se chargeaient de récupérer le blessé.

La nuit était tombée depuis longtemps et la noria n’avait pas cessé un instant. Pour éviter de voir Carter sombrer, Veronica avait mis au point une sorte de rituel. À tour de rôle, ils quittaient la voiture pour se dégourdir les jambes et respirer un peu, entraient aux urgences où, dans la cohue, personne ne leur prêtait attention. Ça leur permettait d’avoir toujours Hussein en point de mire et, ce qui n’était pas négligeable, accès aux distributeurs de confiseries et boissons chaudes.

Sur le coup de trois heures du matin, un appel légèrement hystérique de Mac Lane les tira de l’engourdissement qui les envahissait. Veronica mit le haut-parleur afin que Carter suive ce qui se disait.

« Ahmed est arrivé ! En ce moment, il essaye de se faire ouvrir la porte par sa belle-sœur. Ça  y est, il l’a réveillée, les lumières s’allument… Elle lui ouvre… Ça y est ! Il est entré. Je le surveille… Je vous contacte s’il passe un coup de téléphone à son frère… S’il repart, je ne le lâche pas… Je l’aurai ça je peux vous le jurer ! Il ne m’échappera pas ! ».

Il coupa la communication sans autre forme de procès.

- Il faut qu’il se calme l’ami de Robert sinon il va nous faire une attaque… Pfff ! Pas très professionnelle cette attitude s’exclama Veronica d’un ton railleur. Elle continua à l’adresse de Carter : Il veut changer de métier ? Commentateur sportif peut-être ?

- Hé ! Veronica, ne sois pas vache. Je sais, il y a des moments où il est imbuvable. Moi aussi, de temps en temps, j’ai envie de le passer par la fenêtre. Mais il peut être agréable quand il veut, j’ai pu m’en rendre compte… Plus rarement, je te l’accorde.

- Moi, je ne m’en suis jamais rendu compte. De toute façon, je n’ai aucune confiance en ce type… N’en parlons plus, il n’en vaut pas la peine. Essaye de dormir un peu, je te secouerai s’il se passe quelque chose.