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Série : Good Omens
Création : 02.01.2022 à 14h48
Auteur : choup37
Statut : Terminée
« 6000 ans de relation, d'amour, de disputes, de réconciliations, de peur, d'épreuves communes. Ils en auraient des choses à raconter, l'ange et le démon, s'ils écrivaient leurs Mémoires.. » choup37
Cette fanfic compte déjà 31 paragraphes
- Des fleurs ?
Crowley fronça les sourcils, fixant perdu Aziraphale qui se tortilla sur place, gêné. Celui-ci jeta un coup d’œil autour de lui, son regard se posant sur l’immense serre que le démon avait développée dans son appartement – Comment ? Ne demandez pas, c’était Crowley. S’il voulait employer sa magie pour créer une serre miraculeuse, il en avait parfaitement le droit, et la liberté, merci bien, il était un démon libre, et encore plus depuis la Non-Apocalypse, absolument, et d’ailleurs, à ce sujet..
Le sourire de Crowley s’agrandit, sa langue jouant entre ses lèvres en même temps qu’il se redressait, laissant volontairement tomber ses lunettes noires en avant pour mieux le dévisager de son regard jaune.
Des fleurs. Tss. Bien sûr qu’il pouvait fournir des fleurs. Les plus belles fleurs du monde, même ! Il créerait le bouquet parfait pour Miss Livre, sans aucun problème. On lui lançait un défi ? Crowley le relèverait, sans souci. Des roses seraient parfaites : tout le monde aimait les roses, et Miss Livre n’était rien de moins qu’une fleur splendide et élégante, mais piquante, dominant la foule l’entourant de son intelligence acerbe.
Rose, ou rouge ? Certainement, la demoiselle sorcière connaissait la symbolique des fleurs, en bonne héritière d’Agnès Nutter qu’elle était.
Rose, rose serait parfait. Une base de rose, mixée à un peu de fleurs blanches pour marquer sa venue pacifique – Anathème n’avait pas exactement bien pris la révélation de sa nature démoniaque, non pas que Crowley en avait été surpris, mais bon, ce n’est pas comme s’il n’y était pas habitué..
Peut-être devrait-il aussi offrir des fleurs à Aziraphale ? Cette andouille était un romantique par nature, et un ardent défenseur de l’amour courtois depuis la création de celui-ci au Moyen-Age. Crowley lui avait toujours préféré l’expression clair des sentiments, mais peut-être pourrait-il trouver un compromis grâce à ses fleurs ?
Un bouquet, pour Aziraphale.
Blanc et rouge.
Une touche d’orange en son centre.
Oh, il le voyait déjà.
Il savait déjà quelles roses choisir.
Quel honneur, il leur faisait.
Les sélectionner elles, pour composer le bouquet qu’il offrirait à son ange.
Elles avaient intérêt à être fières, et à briller par leur perfection !
Crowley les brulerait toutes, sinon !
12.Pangolin
- Come on, l’ange, dépêche-toi ! Qu’esssst-ce qui te prend tant de temps ? Il n’y a que quelques cages, siffla Crowley, son corps tendu à l’extrême alors qu’il surveillait l’extérieur.
- Quelques.. Crowley, mon cher, tu apprendras que ces monstres ont accumulé assez de ces pauvres bêtes pour recréer toute une population, répliqua très bas la voix indignée d’Aziraphale.
- Ouais, c’est le principe d’un trafic, amour ... Allez, accélère, mon miracle fonctionne, mais il ne pourra pas durer éternellement ... A un moment, ces connards vont risquer de revenir ... Enfin, ça ne me dérangerait pas, mais tu n’aimerais pas la tournure que cela prendrait ...
- Pas de mort, Crowley, tu m’as promis, murmura Aziraphale en réapparaissant, deux petites cages dans chaque main et au moins cinq bêtes dans chacune.
Le cœur du démon manqua un battement.
Damn.
Il pouvait sentir la terreur des animaux d’ici.
Enfermés dans des cages minuscules et sales, dans une pièce noire et humide, à des milliards de kilomètres de chez eux.
Oh, il aurait la peau des braconniers.
Juste.. Attendre qu’Aziraphale ne soit plus là.
L’ange n’approuverait pas.
Mais vraiment..
Dans un petit pouf, les cages s’agrandirent soudainement, la saleté disparaissant en même temps que des bols d’eau frais et de la nourriture apparaissaient en abondance – au revoir, petites fourmis.
Aziraphale lui lança un regard entendu, un sourire en coin aux lèvres alors qu’il remontait la pièce jusqu’à la porte.
Le démon roula des yeux, peu enclin à quitter son poste. Le désir de rentrer au chaud, et au calme, cependant, prit le dessus, et il se redressa, remontant à grands pas le hall d’entrée pour se diriger vers la pièce dans laquelle étaient enfermées les pauvres bêtes.
Aziraphale plissa un peu plus son nez, écœuré.
Le démon sentit sa bouche se refermer en un pop sonore.
Maudites Principautés, et leur caractère dominant.
Aziraphale leva la main, étendant un sort d’apaisement aux animaux. Immédiatement, les sons disparurent, remplacés par un silence lourd.
Si Aziraphale n’était pas si inquiet pour les pangolins, il aurait souri.
Son compagnon avait toujours été un tel show-man.
Mais là encore, son vaisseau était si… parfait.
Avec un claquement de langue, le démon poussa la porte, apparaissant sous les lumières des lampadaires. Les cages soigneusement placées derrière lui, Aziraphale se glissa dans l’ombre du battant, l’observant amusé. Les mains dans les poches, la jambe repliée contre le lampadaire, le démon arborait un sourire machiavélique, celui que Aziraphale avait appris à associer avec ses mauvais plans (« coups de génie, l’ange ! »).
La voiture des braconniers fonçait vers lui, la fureur de ses occupants palpable depuis le bâtiment. Aziraphale observa avec intérêt Crowley lever la main, puis claquer des doigts. Il sourit en voyant la voiture crisser soudainement, avant de faire une embardée, tournant sur elle-même. Un mouvement des doigts du démon, et une explosion sonore retentit – les pneus venaient de prendre leur retraite.
Avec un sourire, Crowley se tourna vers lui, sa langue jouant joyeusement entre ses dents. Il était clairement fier de lui, et Aziraphale ne put contenir le pic de tendresse le saisissant. Secouant la tête, il saisit ses caisses, se dirigeant avec hâte vers la Bentley, dont le coffre s’ouvrit miraculeusement.
Crowley sentit une vague de tendresse le submerger.
Maudit ange.
Juste assez bâtard pour être digne d’être connu.
Malgré tous les avantages de sa nature angélique, il existait un mal auquel même Aziraphale ne pouvait échapper.
Fermant les yeux, il leva les bras vers le ciel, joignant les mains pour s’étirer, en même temps qu’il lâchait un petit gémissement.
Par leur Mère bien-aimée.
Son dos le torturait.
Se redressant dans son fauteuil, l’ange fit craquer son cou, avant de gémir de nouveau doucement en sentant une douleur exploser dans ses épaules, avant de redescendre vicieusement dans son dos.
Crowley ne cessait d’affirmer qu’il passait trop de temps au milieu de ses livres, et avait besoin de davantage d’exercice physique (« Sérieusement, mon ange, un jour, tu vas ressster courbé sur ta table, et ce sssera à moi de te déplier ! Te lever pour marcher de temps en temps, ça va pas te tuer, non ? Hé, c’est moi qui ai inventé les téléphones portables, ok ? Je sais à quoi resssssemble un andouille rivé sur son jouet.. Non, je ne voulais pas dire ça.. Oh, ne boude pas ! »)
Il n’avait pas boudé.
Il ne lui avait juste pas adressé pas la parole pendant une heure complète, avant que Crowley n’apparaisse, armé d’une tarte à la poire chocolat et d’une tasse de thé fumante au gingembre.
Il serait mal avisé de penser qu’Aziraphale était faible, et simple à séduire.
Il était simplement bien éduqué, et n’avait jamais refusé un repas.
L’expression malheureuse du démon n’avait en rien influencé sa décision.
Enfin !
Aziraphale était un ange respectable, comme chacun le savait (un ange rebelle et renié, également, mais qui n’avait pourtant pas chuté, mais ceci était une autre histoire).
C’est pourquoi il ne geignait pas bruyamment, se contentant de souffrir seul et en silence sur son fauteuil.
Une main se posa sur son épaule, la massant gentiment.
Aziraphale se mordilla la lèvre, honteux.
Crowley soupira, avant de masser gentiment son épaule.
Aziraphale dut faire appel à toute sa force de caractère pour ne pas se répandre en sons indignes.
Aziraphale sentit un feu familier s’éveiller dans son bas-ventre, avant de se répandre dans son torse.
Bien évidemment, Crowley ne pourrait s’empêcher de profiter de la situation.
Mais vraiment, l’ange avait cessé depuis longtemps de résister à ses tentations.
N’avait-il jamais réellement réussi, d’ailleurs ?
Un frisson parcourut la Principauté, qui hocha la tête. En un claquement de doigts, Crowley les téléporta dans leur chambre, avant d’aider son compagnon à s’asseoir. Un autre claquement de doigts et la lumière se tamisa, une lueur orangée émanant du plafond pour mieux les recouvrir de son atmosphère incandescente. Une douce odeur d’encens envahit la pièce, en même temps que deux autels apparaissaient dans des coins opposés, un feu intense brulant en leur milieu.
Celui né dans le ventre d’Aziraphale se répandit soudainement dans ses veines, ses doigts se crispant sous l’excitation.
Aziraphale sourit, hochant la tête, avant qu’il ne commence à retirer avec lenteur ses vêtements, couche après couche. Ce qui était déjà d’ordinaire un long rituel fut augmenté par la douleur tenace vrillant son dos, mais Aziraphale n’était pas prompt à se décourager au moindre obstacle. Avec tendresse, il plia ses vêtements, les posant avec soin sur une chaise à coté de leur lit, avant de s’allonger lentement sur l’épaisse couette blanche, ne conservant que son sous-vêtement. Bien sûr, il aurait pu les faire disparaitre par magie, mais cela aurait été faire lieu de paresse, et Aziraphale avait toujours aimé faire les choses de la manière la plus humaine possible.
Il sourit en sentant des coussins apparaitre sous ses bras et son torse, le redressant légèrement pour le positionner parfaitement, tout en lui assurant un confort optimal. Le lit craqua derrière lui, et il soupira, fermant les yeux de plaisir. Un frisson le parcourut lorsque son compagnon s’assit sur ses jambes arrières, ses longs doigts fins caressant gentiment son dos, en traçant des chemins connus d’eux seuls.
Bien entendu, Crowley avait adapté son apparence aux... circonstances.
Aziraphale ne pouvait pas le voir, mais il sentait sur sa peau le court pagne.
Il était certain que s’il se retournait en cet instant, il serait confronté à la magnificence du torse du démon.
Crowley roula des yeux avec affection, avant de se pencher légèrement. Avec délicatesse, il ouvrit la fiole d’huile, en répandant sur les épaules et omoplates de l’ange. Ce dernier huma, avant de grogner lorsque Crowley commença son travail.
Satan.
Soudainement, il n’avait plus aucun doute sur l’origine des massages.
Si Crowley ne les avait pas inventés, il avait grandement participé à leur naissance ou développement.
Comment pouvait-il autrement être si doué ?
Les mains du démon bougeaient sans répit, lentement et profondément, sa palme appuyant sur chaque centimètre de sa peau avant que ses doigts ne prennent le relais, palpant et massant, torturant sans répit chacun de ses muscles pour mieux les libérer de leurs douleurs.
Aziraphale grogna, avant de soupirer.
L’ange rougit, mais refusa de répondre, ses mains se tordant et détordant autour des oreillers sous les soins du roux. Ses yeux se fermèrent d’eux-mêmes alors qu’il se laissait sombrer dans un brouillard béat.
Crowley sourit, laissant tomber de nouvelles gouttes sur la colonne vertébrale du blond, qui frémit, avant de tracer la zone de ses doigts.
Sa gorge se serra.
Satan, son ange était si glorieux.
Comment avait-il pu le mériter ?
Avec détermination, il commença à masser le dos de son compagnon, traçant de longs chemins sinueux dans ses muscles.
Sinueux comme un serpent.
Un sourire apparut sur ses lèvres à cette pensée.
Lentement, mais surement, Crowley fit disparaitre les douleurs vrillant le dos de l’ange, traquant chaque tension, chaque nœud, chaque muscle épuisé, pour mieux les combattre et annihiler, laissant un chemin d’huile derrière lui.
Les yeux d’Aziraphale étaient clos, sa respiration profonde lorsqu’il recula enfin, un large sourire satisfait aux lèvres.
Le sourire du démon se fit orgueilleux, avant qu’il n’ajoute, sa voix suggestive :
Aziraphale roula ses yeux avec affection.
L’ange l’avait saisi par l’épaule, le faisant tomber pour mieux l’embrasser. Crowley ronronna, se logeant dans ses bras.
Son plan marchait à la perfection.
Crowley lui adressa un sourire grivois, avant de replonger à l’attaque de ses lèvres.
14. Réunion
1967 - Soho
Un pique-nique, ou un diner au Ritz.
Cela avait été les deux suggestions de l’ange, si Crowley tenait tant à le remercier pour lui avoir – enfin – fourni de l’eau bénite.
Un pique-nique sonnait beaucoup trop mignon aux oreilles du démon, et il n’était pas certain d’être prêt à retourner au restaurant avec l’ange – Et le plus chic de Londres avec cela, vraiment, Aziraphale n’avait pas changé, toujours aussi gourmand, et exigeant, un vrai petit gourmet sur pattes, ah.
Crowley aurait donné n’importe quoi pour l’emmener au Ritz, tous les jours.
Mais après avoir passé un siècle sans s’adresser la parole – excepté ce court interlude en 1941, mais vraiment, Crowley n’avait pas eu le choix, cet abruti allait se faire tuer ! – il fallait bien admettre, que leur relation n’était plus exactement la même.
Il ne serait pas stupide de présumer que Crowley se sentait particulièrement nerveux à l’idée d’échanger de nouveau avec Aziraphale.
Certains pourraient même affirmer, qu’il était totalement pétrifié.
Paniqué.
Flippé.
Crowley était simplement prudent.
Aziraphale aimait ses habitudes, presser les choses ne pouvait que mal se terminer.
Et vraiment, le démon ne rêvait que d’une chose, effacer les cent cinquante dernières années, et retourner à la Bastille, pour tout recommencer.
Effacer leurs erreurs, pour tout mieux ré-écrire.
A défaut d’avoir une machine pour remonter le temps, il devrait malheureusement se contenter de gérer le présent du mieux qu’il le pouvait.
C’est pourquoi il se tenait en cet instant devant la librairie, armé d’une bouteille de vin blanc estampillé 1900, et d’une tarte aux poires caramélisées.
Aziraphale avait toujours été un fin gourmet, incapable de résister à la tentation provoquée par tout type de nourriture. Sans aucun doute, se présenter avec des mets fins et délicats ne pourrait qu’aider Crowley dans sa reconquête de l’ange.
Si tant est qu’il parvenait à entrer.
Il n’était pas angoissé, non.
Absolument pas.
Juste... un tantinet.
Peut-être.
Oh, ok, il était totalement paniqué, mais il en avait le droit ! Ils ne s’étaient plus adressé la parole une seule fois depuis cette maudite conversation au parc – et vraiment, Crowley aurait dû se douter de son issue – à part cette fois en 1941, s’évitant avec une perfection qui aurait pu être drôle si cela n’avait pas été si tragique.
Crowley avait été consumé par la rage, et le chagrin.
Il avait dormi une bonne partie de la fin du XIXème siècle, se réveillant en 1880 pour découvrir qu’Aziraphale avait rejoint un club de gentlemen – vraiment ?! – et décidant promptement de retourner se coucher.
Il aurait bien recommencé en 1914, mais l’Enfer l’avait envoyé en mission sur le front, et Crowley avait découvert que l’Humanité n’avait vraiment rien à envier aux pires démons.
Tout cela pour dire, qu’il avait seul.
Si, si seul.
Désespérément seul.
Et un démon seul ne pouvait que créer des catastrophes.
Non, il n’avait pas provoqué la Seconde Guerre mondiale (même s’il affirmerait le contraire lorsque l’Enfer l’interrogerait sur la question, mais que voulez-vous, il avait une réputation à préserver, et tout le monde savait combien il aimait les manipulations politiques).
Mais peut-être avait-il eu de longues conversations avec plusieurs banquiers allemands, ruinés et écœurés.
Quant aux choix qu’ils avaient pu prendre, hé bien, ils restaient les leurs, n’est-ce pas ?
C’était le principe même de la tentation.
Aziraphale ne l’aurait certainement pas interprété ainsi, mais Aziraphale n’avait pas été là. Et voilà qu’il réapparaissait plusieurs décennies plus tard, montant dans sa voiture comme si c’était la chose la plus naturelle au monde, avant d’entamer une conversation sur les plans en cours de Crowley – à savoir, le vol d’eau bénite dans une église.
Crowley avait été irrité, bien évidemment, et il ne l’avait pas caché – de quoi se mêlait l’ange ? Il avait eu sa chance, et il avait refusé. Crowley se débrouillait donc sans lui, comme il l’avait fait tant de fois. Excepté, excepté que cette andouille, ce fielleux, cet être impossible, Aziraphale lui avait tendu un thermos.
Crowley n’avait pas besoin qu’on lui en dise le contenu : ses narines l’avaient déjà senti, tout son être démoniaque se hérissant instinctivement alors qu’il fixait l’ange, ahuri.
De l’eau bénite. Aziraphale lui offrait de l’eau bénite.
En un instant, cent cinquante ans de rancœur et tension avaient disparu, laissant le démon perdu et bouleversé.
Et peut-être, un tout petit peu, encore plus fou d’amour.
Comment continuer à entretenir son amertume envers l’ange, alors que celui-ci lui avait enfin offert la seule chose que Crowley ne lui avait jamais demandée ?
L’eau bénite.
Sa confiance.
Le geste l’avait laissé choqué, et vulnérable.
Et sans aucun doute, totalement bouleversé.
*-*
Il ne reculait pas.
Il ne reculerait pas.
Il ne s’enfuirait pas.
Il.. Il..
Il était un démon âgé de 6000 ans, un des Primitifs, le Serpent lui-même, le Tentateur en personne.
Il ne craignait rien ni personne, et certainement pas un chérubin trop mignon pour son propre bien.
La sonnette retentit, et il se tendit, avant de se figer.
Crowley n’était plus entré dans la librairie depuis 107 ans.
Clairement, Aziraphale n’avait pas chômé.
Des livres, partout, sur chaque surface. Des kilomètres et kilomètres et kilomètres de livres, rouleaux, parchemins, et journaux.
Des chaises et fauteuils, disposés au parfait endroit, à chaque coin nécessaire.
Des étagères si hautes qu’il était impossible que l’ange les ait installées sans l’emploi d’un miracle.
Son odeur, partout, incessante, entêtante, envoutante.
Crowley était subjugué.
Aziraphale, quelque peu surpris, mais toujours aussi courtois que d’ordinaire, venait de se lever de son fauteuil, un léger sourire aux lèvres.
Le visage de l’ange s’illumina.
Le cœur du roux manqua un battement.
Crowley sentit un léger sourire étirer ses lèvres.
La tentation culinaire fonctionnait donc toujours.
Parfait.
Au moins une chose qui n’avait pas changé après tout ce temps.
Avec un enthousiasme digne de l’hédoniste qu’il était, Aziraphale tendit les mains, le libérant de ses cadeaux. Penchant la tête, il les huma, les yeux fermés, avant de grogner avec enthousiasme.
Ignorant avec difficulté la vague de chaleur soudaine qui venait de saisir son corps, celui-ci hocha les épaules, souriant innocemment.
Aziraphale rit doucement, avant de pivoter sur ses talons, se dirigeant vers la petite table à côté de son fauteuil. Crowley le regarda faire, immobile. Se mordillant la lèvre, il enfonça les mains dans ses poches, mal à l’aise.
Aziraphale le dévisageait depuis son fauteuil, un sourcil levé. Crowley parvint à faire augmenter son sourire, affichant une confiance qu’il ne ressentait vraiment pas.
Sa voix mourut dans sa gorge, en même temps que l’ange se levait. Il détourna le regard, soulagé comme rarement que ses yeux soient dissimulés derrière ses lunettes. Sans un mot, Aziraphale se dirigea vers lui, son expression déterminée.
Les bras de l’ange venaient de se refermer autour de lui, le corps du blond pressé contre le sien, en même temps qu’il l’enserrait. Sans un mot, il glissa sa tête sous la sienne, ses cheveux caressant le menton du démon. Le cœur de ce dernier battait la chamade, son souffle rauque alors qu’il luttait contre sa panique.
Les bras de Crowley retombèrent dans le vide, avant de se relever instantanément pour venir s’enrouler autour de la taille du blond, le pressant désespérément contre lui. Celui-ci frémit, avant de le choquer en le serrant encore plus fort.
Il avait presque hurlé, sa voix montant soudainement dans le grave alors qu’il relevait la tête, le dévisageant furieux de ses yeux bleus humides.
Était-ce une larme qui venait entacher sa joue ?
La gorge sèche, Crowley leva lentement la main, l’essuyant doucement.
Le visage d’Aziraphale s’illumina, en même temps que ses muscles se détendaient.
Clairement, il s’était attendu à un refus.
Et vraiment, Crowley ne l’aurait pas blâmé.
Pas après le dernier siècle et demi.
L’ange hocha la tête, avant de lier son bras au sien, l’entrainant vers la table. Crowley le laissa faire, sans voix. Il se laissa tomber sur son fauteuil – le même qu’il avait occupé autrefois, il était toujours là, Azi ne s’en était pas débarrassé – notant au milieu du brouillard qui avait envahi son esprit qu’un duo d’assiettes anciennes, cuillères en argent et verres à pied venaient d’apparaitre.
Aziraphale se tordait les mains, pris dans une vague d’angoisse. Crowley sursauta, et secoua la tête.
Crowley n’avait pas particulièrement faim – il n’avait jamais faim, en réalité, il n’avait mangé pendant tout ce temps que par pure apparence, ou bien pour faire plaisir à l’ange – mais il se jeta sur sa tarte et son verre à peine lui furent-ils servis, désespéré d’avoir quelque chose à faire.
Tout se passait bien, n’est-ce pas ?
Il était assis dans la librairie d’Aziraphale, en train de partager son gouter de l’après-midi.
Rien d’extraordinaire.
Rien de terriblement familier.
Rien qui ne lui avait horriblement manqué.
Qu’était-il supposé lui dire ?
De quoi pouvaient-ils parler, après tout ce temps ?
La question avait jailli seule, sans réfléchir. Un réflexe revenu immédiatement, vestige d’un souvenir vieux de cent cinquante ans, et d’une vie commune de presque 6000 ans.
Certaines choses ne s’oubliaient pas.
Les yeux d’Aziraphale s’illuminèrent avec excitation, son expression se détendant immédiatement alors qu’il hochait la tête, reposant sa cuillère pour commencer à parler avec animation. Crowley le regarda faire sans l’interrompre, trop occupé à le dévorer des yeux.
Satan, il ne pouvait pas commencer à expliquer ce qu’il ressentait.
Crowley sentit son sourire augmenter.
Maintenant, il était en terrain familier.
Aziraphale roula des yeux – un autre geste familier – avant de le menacer de sa cuillère.
Aziraphale leva son verre à ses lèvres, le fixant avec une expression que Crowley n’aurait pu appeler autrement que mutine.
Crowley sentit un rire monter dans sa gorge. Il tenta de le retenir, mais celui-ci jaillit tout de même, le faisant tousser dans son verre.
L’ange se tortilla dans son fauteuil, gêné.
Crowley plissa les lèvres, un sentiment familier de rancœur le saisissant. Répondre aurait été si simple, et si rapide. Quelques mots acerbes, le rappel que c’était Aziraphale qui lui avait tourné le dos, et pas lui. Mais cela aurait été ouvrir de nouveau la boite de Pandore, et il était si fatigué.
Cela ne signifiait pas qu’il s’excuserait. Il n’était pas en tort, et l’ange le savait, il devait le savoir, sinon, pourquoi lui aurait-il finalement offert ce que Crowley lui avait demandé ? Il pouvait sentir la puissance de son regard, une humidité de nouveau présente dans ses yeux bleus alors qu’il se retenait de se tordre les mains – un geste qui avait toujours réussi à communiquer tout son mal-être, et à faire céder Crowley.
Les lèvres du démon se plissèrent davantage, une nouvelle série de doutes le saisissant.
Aziraphale le fixait, son expression pleine d’espoir.
Crowley soupira, se sentant vaciller.
Il n’avait jamais su lui dire non.
A en juger par l’expression d’Aziraphale, il échouait misérablement.
Et sa demande était si sincère, son expression si angélique, comment était-il supposé refuser ? Cette fois, Crowley ne contint pas son rire, reposant son verre avant de se pencher en avant pour mieux le dévisager. Lorsqu’il sourit, c’était avec une affection non dissimulée.
15.Arbre
Seul un silence assourdissant répondit à l’ange.
Amis.
Alliés.
Partenaires.
Camarades d’infortune.
Tant de qualificatifs possibles pour décrire leur relation, qui auraient tous correspondu en temps ordinaire.
Mais pas cette fois.
*-*
France, XIVème siècle
La Peste. La guerre de retour. Les rats. La maladie.
La mort.
Tant de morts.
Trop de morts.
Des centaines.
Des milliers.
Des millions.
Entre un tiers et la moitié de l’Europe avait été dévasté par la Grande Peste. Des millions et millions et millions d’innocents étaient décédés, dans des souffrances atroces.
Cinq ans d’horreur.
Cinq ans de maladie.
Cinq ans d’impuissance.
L’Afrique du Nord et l’Asie avaient aussi été touchées : les rapports transmis à Aziraphale confirmaient l’affaiblissement de la Chine, et la fin à venir de l’Empire Byzantin.
Le monde changeait, une nouvelle fois.
Crowley n’était pas certain d’apprécier cette nouveauté.
Le désespoir, violent, profond, atroce, le désespoir le rongeait de l’intérieur.
Etait-ce de nouveau un test ?
Comment pouvait-Elle oser ?
Des millions de vies, arrachées de la plus atroce des manières.
Mais devrait-il être si surpris, vraiment ?
D’un mouvement, il s’envola, atterrissant à côté du démon qui s’éloigna instinctivement, son corps replié sur lui-même. Avec hésitation, l’ange tendit la main, avant de la laisser retomber, son corps s’affaissant sous le poids de la défaite.
Que pourrait-il bien dire pour apaiser la tempête qui ravageait le cœur du démon ?
Lui-même luttait contre ses larmes.
Si le Plan de Dieu était Indicible, il n’en demeurait pas moins cruel à appliquer, et la bonté naturelle d’Aziraphale était sujette à un test brutal.
Sa voix se brisa sur ses derniers mots, et ce fut ce qui stoppa la tirade sur la politesse d’Aziraphale. Celui-ci sentit son cœur se serrer, et détourna la tête, posant ses mains sur la branche sur laquelle ils étaient assis.
En lui, l’impuissance se mélangeait au chagrin, et à la colère.
Il devait continuer à croire.
Il devait être fort, et croire en Elle.
Il ne pouvait se permettre de douter.
Il ne pouvait pas dévier.
Son Mot était sacré, et sa volonté inconnue.
C’était ce qu’il avait appris, c’était ce qu’il devait écouter.
N’est-ce pas ?
Mais alors, pourquoi était-ce si difficile ?
Pourquoi avait-il envie d’hurler, et pleurer, comme il ne l’avait pas fait depuis le décès de Jésus ?
Était-ce un test aussi pour lui ?
Une épreuve ?
Qu’attendait-on de lui ?
Que voulait-Elle ?
Les Archanges, il savait. Il comprenait. Il essayait de suivre, du mieux qu’il le pouvait.
Mais Elle...
Elle ne parlait plus, depuis si longtemps.
Mais sûrement, Elle savait.
Elle savait tout, après tout.
Sa volonté était mystérieuse, mais définitive.
Que savait-Elle, qu’il ne connaissait pas encore ?
Quel bien pourrait bien naître de l’horreur en cours ?
Aziraphale ne comprenait pas, mais là encore, ce n’était pas son travail.
N’est-ce pas ?
Crowley ne se tourmentait pas ainsi.
Crowley hurlait, et pleurait, et insultait.
Crowley enterrait, et usait de ses miracles furieusement, comme il ne l’avait pas fait en des siècles.
Crowley protégeait, du mieux qu’il le pouvait.
Sauver les âmes destinées à mourir par le Paradis, un plan purement démoniaque, n’est-ce pas ?
Depuis l’arbre où ils étaient assis, Aziraphale pouvait apercevoir en bas de la colline le petit village où il avait retrouvé - cherché, traqué - le démon.
Un petit village, caché au milieu des bois, miraculeusement épargné par la Peste Noire, ces cinq dernières années.
Un petit village, où aucun homme n’avait encore été réquisitionné pour la guerre en cours.
Crowley se tendit, avant de s’appuyer davantage contre le tronc derrière lui.
Aziraphale blêmit.
Crowley regretta ses mots immédiatement, mais il ne pouvait pas les retirer.
Celui-ci secoua la tête, ignorant sa honte pour mieux se concentrer sur sa rancœur. Celle-ci augmenta automatiquement lorsqu’il leva les yeux vers le ciel.
Le démon tenta de se libérer, mais la poigne de l’ange était de fer, et il siffla sous la peine, avant de grogner lorsque le blond le tourna vers lui, l’obligeant à lui faire face.
Le cœur du roux manqua un battement en découvrant les larmes qui coulaient le long de ses joues.
Des larmes jumelles à celles qui ravageaient son propre visage.
En un instant, sa colère contre l’ange disparut, remplacée par la honte.
Sa voix s’affaiblit, en même temps que le regard bleu le fixait, dur, impénétrable.
La panique le saisit, et avant qu’il n’ait eu le temps de réfléchir, il se transformait en serpent, fuyant déterminé vers le sol. Sa fuite en avant fut de courte durée, cependant, puisqu’une main douce mais ferme le saisit, l’immobilisant gentiment.
Crowley siffla, furieux.
Aziraphale le posa sur ses genoux, et caressa doucement sa tête. Le démon - serpent - se figea, avant de siffler de nouveau, tentant en vain de sembler menaçant. Sa petite taille - une vingtaine de centimètres - ne l’aidait cependant pas à être très convaincant, mais dans son état émotionnel actuel, il ne parvenait pas à atteindre un plus grand format.
Aziraphale continua de caresser son crâne, jusqu’à ce qu’il s’immobilise totalement, se roulant en boule sur ses genoux, sa tête logée sous sa queue.
Crowley lâcha un long sifflement, le son résonnant comme un hurlement de douleur dans les oreilles de l’ange. Celui-ci demeura silencieux, ses yeux bleus rivés sur le petit village au lointain.
Si c’était possible, il aurait juré voir Crowley se trémousser de plaisir sur ses genoux, sa fierté évidente dans la manière dont sa langue bougea.
Cela eut le mérite de figer le serpent, qui se laissa retomber sur ses genoux, désespéré.
Le serpent donna un coup de queue irrité, avant de baisser la tête, son humeur morose.
Aziraphale soupira, et gratta ses écailles.
Le serpent roula des yeux, mais sembla se rouler plus confortablement sur lui-même, ses yeux se fermant avec délice sous ses caresses.
Crowley détestait le XIVème siècle.
Il détestait Dieu, et les anges, et son propre camp, trop occupé à hurler de bonheur devant le massacre en cours.
Il se détestait lui-même, et son impuissance.
Tout ce dont il était capable était de protéger un petit village.
Aziraphale, cependant, semblait en ressentir une fierté.
Aziraphale était présent, pour lui.
Il n’avait pas fui, malgré ses attaques vicieuses.
Il était resté.
Peut-être, Crowley n’aurait-il pas à endurer ce siècle d’horreurs seul.
Peut-être, avait-il trouvé un allié.
16.Loisir
Un soupir de plaisir échappa à Crowley.
Le visage penché en arrière, les jambes croisées avec négligence, le démon était étalé en long et large sur le canapé de cuir ancien sur lequel Aziraphale aimait tant lire. La tête posée sur ses genoux, il sourit en sentant les doigts de l’ange caresser ses cheveux.
Les paupières de Crowley s’ouvrirent brutalement, avant qu’il ne lâche un long sifflement, le fusillant de son regard jaune.
L’expression mortellement démoniaque se transforma en un instant en un regard empli d’amour.
Aziraphale le dévisagea avec tendresse.
Aziraphale roula des yeux, mais redressa ses lunettes, avant de se replonger dans sa lecture.
« A compter de ce moment, Hermione devint amie avec Ron et Harry. Il se crée des liens particuliers lorsqu'on fait ensemble certaines choses. Abattre un troll de quatre mètres de haut, par exemple »
Un troll. Crowley n’avait plus rencontré de troll depuis des millénaires. Peut-être devrait-il partir à leur recherche ? Avec Aziraphale, bien sûr, ce tendre crétin ne saurait résister à l’appel de l’aventure, Crowley était certain qu’il pourrait le convaincre, si tant est qu’ils restaient sur des chemins parsemés de restaurants..
Crowley aimait aller au restaurant avec Aziraphale.
Il n’appréciait pas particulièrement la nourriture, mais la présence de l’ange compensait ce léger problème.
Le regarder, l’écouter, l’observer, le sentir, l’admirer, l’étudier, lui prenait une majeure partie du repas.
Plus que tout, Crowley aimait l’écouter parler.
Son repas, les multiples saveurs des mets proposés, une nouvelle recette découverte quelques jours auparavant, un livre offert par Miss Livre – Crowley ne parvenait toujours pas à retenir son prénom, non pas qu’il en avait grand-chose à faire – une nouvelle découverte des humains, ses travaux de traduction en cours..
Aziraphale avait toujours un sujet passionnant aux lèvres.
Et Crowley aimait toujours l’écouter.
Il devait admettre, cependant, que l’un de ses loisirs favoris était de l’écouter lorsqu’il lui faisait la lecture, allongé sur leur canapé favori, sa tête posée sur les genoux du blond.
Un rayon de soleil passant discrètement par la fenêtre pour réchauffer son visage, les doigts d’Aziraphale caressant ses cheveux. La voix douce et concentrée de l’ange, perdu dans sa lecture. La chaleur de son corps, rivé au sien.
Existait-il une tentation plus puissante au monde ?
Crowley lâcha un sifflement satisfait, avant de tourner la tête, logeant son visage un peu plus près du ventre de l’ange. Ce dernier sourit, ses yeux rivés sur sa lecture. Il ne protesta pas davantage lorsque la respiration profonde du démon commença à envahir la pièce, sa main saisissant ses doigts dans son sommeil pour les envelopper entre les siens.
L’expression d’Aziraphale s’attendrit davantage encore, ses joues prenant une couleur rose vif avant qu’il ne murmure :
Car si le loisir favori de notre démon était d’écouter son ange lire, celui de la dit-Principauté était sans aucun doute de regarder son serpent préféré dormir paisiblement sur ses genoux, libéré de tous ses tourments intérieurs.
En cet instant, son visage ressemblerait à celui d’un ange.
17.Abandon
- L’ange ? Hé, mon ange, ça va ?
Aziraphale cligna des yeux, tournant la tête vers Crowley. Assis à côté de lui sur le canapé, celui-ci le dévisageait, inquiet.
L’ange réalisa qu’il n’avait aucune idée de ce qu’il était en train de faire.
Lire, il lisait, absolument, il lisait, un roman, mais de qui, et sur quoi ? Percy Jackson, il avait commencé à relire le premier tome. Il l’avait presque terminé, avait atteint le chapitre dans lequel le nom du traitre était révélé.
Son esprit était tombé dans un brouillard après cela, établissant des connexions inconscientes entre la rage du garçon abandonné par son père absent, et certains… sentiments familiers.
Sa gorge se serra brutalement, et il ferma les yeux, essayant de contenir ses sentiments comme il l’avait fait tant de fois ces six mille dernières années.
Et comme à chaque fois, il se montrait si mauvais.
Son cœur, ce traitre, se tordait dans sa poitrine, une sensation de mal-être se répandant dans son torse alors qu’il inspirait profondément. Ses doigts le picotaient, le coin de ses yeux brulant sous le poids des larmes contenues.
Si faible, il avait toujours été si faible.
Était-ce pour cela qu’il ne s’était jamais senti à sa place au Paradis ?
Et pourtant, il avait essayé.
Il avait tout tenté.
Mais rien ne semblait fonctionner, rien ne semblait jamais assez élevé, assez bien.
Oh, Gabriel ne l’avait jamais critiqué officiellement, à part ces certaines fois où il avait envoyé des notes brutales à Aziraphale pour le fustiger de l’emploi de ses miracles à des fins si légères. Mais Aziraphale savait, il sentait, dans la manière dont l’archange lui parlerait, ou le fixerait.
La gêne, et l’incompréhension.
Les sourires polis, cachant avec difficulté le fossé qui les séparait.
Aziraphale avait toujours été une forme de.. curiosité.
Aucun autre ange ne comprenait sa passion pour l’Humanité.
Aucun n’avait tenté de l’écouter.
Très vite, la Principauté s’était sentie délaissée.
Abandonnée.
Mais il avait essayé.
Ils étaient sa famille.
Pour le bien que cela lui avait apporté.
Ils l’avaient trahi.
Ils l’avaient abandonné.
Comme Luke.
Comme Crowley.
Avait-il eu tort pendant toutes ces années ? Aurait-il dû écouter son ami, dès le départ ?
Mais ils étaient supposés être sa famille.
Le démon s’était rapproché précipitamment, son inquiétude se transformant en panique lorsque l’ange avait commencé à se recroqueviller sur lui-même, une larme silencieuse coulant sur sa joue.
Il ne savait pas à quoi s‘attendre, mais certainement pas à ce que qu’Aziraphale lui réponde aussi brutalement, ses mains s’agrippant soudainement à son bras et sa chemise alors qu’il plongeait son visage dans son cou, hoquetant désespérément.
Son instinct avait pris le dessus, le besoin de rassurance si fort alors qu’il luttait contre ses larmes. Et Crowley, Crowley était le symbole même de rassurance.
Crowley avait toujours été là, quelques soient les circonstances.
Crowley lui avait tout pardonné, même lorsqu’Aziraphale s’était montré mesquin et cruel, le repoussant parfois sans ménagement alors que le démon lui tendait la main, lui offrant sans arrière-pensée son affection.
Oh, comme Aziraphale avait honte à ce souvenir.
Mais il n’était pas la même personne qu’aujourd’hui.
Il lui avait fallu tant de temps, pour comprendre.
Il s’était agrippé à ses croyances, et son éducation. Il était un ange, une Principauté, un guerrier de Dieu, il n’était pas supposé se salir avec un démon.
Sa famille était au Paradis. Crowley n’était qu’un.. allié de circonstances.
Du moins, c’est ce qu’il se répéterait lorsque ses peurs se réveilleraient, le dévorant de l’intérieur.
La vérité, bien sûr, était tout autre.
Comment Crowley avait-il pu trouver la force de lui pardonner, encore et encore ? Comment pouvait-il continuer à se tenir à ses côtés, après tout ce que les démons intérieurs de l’ange lui avaient fait endurer ?
Un jour, certainement, Crowley verrait la vérité.
Et ce jour-là, il partirait.
Et Aziraphale n’y survivrait pas.
Qu’est-ce que ce maudit bouquin supposé détendre son compagnon avait réveillé en lui ?
La bouche du démon se referma instantanément, en même temps que l’ange pressait plus fort son visage contre lui.
Crowley fronça les sourcils.
Okay, quelque chose n’allait vraiment pas.
Aziraphale détestait parler de ses sentiments – presque autant que Crowley. Et il détestait se montrer tactile – sauf s’il en était l’initiateur.
Crowley se mordit la lèvre, avant de s’installer plus confortablement sur le canapé – il semblerait qu’il était coincé ici pour une certaine durée, autant être prêt.
*-*
Aziraphale se mordit la lèvre, ses joues prenant une teinte rouge foncée. Crowley soupira, caressant ses cheveux.
Le démon roula des yeux, et claqua des doigts. Une tasse de thé fumante apparut dans la main de l’ange, ainsi qu’une part de la tarte aux pommes oubliée dans la cuisine. Aziraphale haussa un sourcil, mais commença à manger et boire sans protester.
L’expression de l’ange se ferma davantage, ses yeux fixant buttés sa tasse.
Il voulait juste être laissé seul, était-ce si compliqué ?
Mais Crowley voulait simplement l’aider.
Crowley s’inquiétait.
Aziraphale soupira, et se redressa, se renfonçant dans le canapé ; avec précaution, il prit une gorgée de son thé, le trouvant sans surprise parfaitement à son gout. Un nouveau soupir lui échappa alors qu’il fixait la tasse.
Aziraphale ne répondit pas immédiatement. Le démon n’insista pas, malgré son désir évident, et il lui en fut reconnaissant.
Chez moi, entendit Crowley.
Le démon grimaça, avant de détourner le regard.
Bien sûr.
S’il existait bien un sujet capable de retourner le foie de son ange, ce serait celui-ci.
Crowley n’avait pas eu la sensation de perdre grand-chose en coupant les ponts avec l’Enfer : il ne s’y était jamais réellement intégré, de toute manière, et être enfin libre de tous ses mouvements avait été une libération.
Mais Aziraphale …
Aziraphale n’avait attendu qu’une chose pendant six mille ans, et c’était d’être aimé et accepté par les siens. Aimé, et compris, et écouté, et chéri, comme tous les autres anges, et non pas regardé comme une bête curieuse.
Oui, sa famille était cruelle, brutale, oppressive, tout autant que le camp démoniaque. Mais c’était sa famille, la seule qu’il avait connue, celle pour laquelle il s’était battu, et ils lui avaient tourné le dos. Ils l’avaient rejeté.
Comme Crowley.
Le cœur du démon se serra brutalement.
Sans un mot, il reprit l’ange dans ses bras, le serrant contre lui avec plus de force encore.
Aziraphale renifla.
Aziraphale cligna des yeux, sentant ses joues virer rouge écrevisse. Il tourna la tête vers Crowley, pour réaliser que celui-ci fixait le sol.
Oh.
Oh.
Ah.
Il déglutit, baissant la tête.
Aziraphale venait de jeter ses bras autour de son cou, l’attirant à lui pour la plus puissante étreinte à laquelle le démon avait été confronté en six mille ans de vie.
Crowley déglutit, avant d’étirer ses lèvres en un large sourire.
Le visage d’Aziraphale s’illumina.
Un journal intime, ou un roman, ou juste des bouts de papier qu’il jetterait après, s’il en avait envie. Tant que cela aidait l’ange, c’était le principal.
Crowley avait une assez bonne idée des pensées qui avaient tourmenté Aziraphale, et toutes les armes seraient bonnes pour les combattre.
Aziraphale sourit, une lueur tendre traversant son regard alors qu’il hochait la tête.
Crowley jouait les sauvages, mais son cœur pouvait être aussi doux que celui d’un agneau.
Et Aziraphale, pour son plus grand bonheur, était coincé avec lui pour le reste de l’éternité.
18.Bague
33 après JC – Une petite chambre dans une auberge, à Jérusalem
Aziraphale inspira profondément, ses yeux rivés sur le mur en face de lui. Sa main se crispa, en même temps qu’il fermait les yeux, tentant de contrôler ses émotions.
Il savait, il savait que c’était ridicule. Jésus allait revenir à la vie, dans quarante jours. Il monterait au Paradis, après avoir échangé pour la dernière fois avec ses compagnons. Son nom serait chanté pour l’éternité, son sacrifice permettant enfin l’ascension de la foi divine, celle de leur Mère, et non pas des faux dieux païens.
Il savait, et pourtant, il souffrait.
Une telle horreur était-elle nécessaire ?
Jésus avait-il besoin de souffrir autant ?
Aziraphale étouffa un sanglot.
Il avait toujours été trop doux, trop tendre, pour un ange.
Ses yeux se posèrent sur sa bague, celle ornant son auriculaire droit. Le cercle doré ornait son doigt, couronné d’une pierre précieuse noire – de l’onyx : un symbole d'enracinement, de force et de confiance en soi, affirmaient les humains.
Cette bague avait certainement donné force et courage de nombreuses fois à Aziraphale, depuis qu’il l’avait reçue, voilà si longtemps.
Mais là où elle lui avait rappelé pendant des millénaires ses origines, et sa mission, elle ne semblait en cet instant que le torturer, en incarnant la brutalité de ses ordres.
Aziraphale avait reçu cette bague voilà des millénaires, avant la création même du temps, pour ses loyaux services pendant la Guerre.
Il n’avait pas voulu combattre, pas voulu tuer, abattre ses frères et sœurs. Mais il n’avait pas eu le choix, ne serait-ce que pour se défendre, et défendre les plus jeunes de ses recrues.
Aziraphale était une Principauté, sa nature même consistait à protéger et aimer.
Pas à regarder ses amis se faire assassiner.
Et Jésus l’avait été.
Et Aziraphale voulait pleurer.
Les questions, et pire encore, les doutes, l’assaillaient.
Pourquoi ?
Etait-ce nécessaire ?
Cela aurait-il pu être évité ?
Pourquoi ?!
Etait-ce un test aussi pour lui ?
Devait-il prouver sa loyauté ?
Mais il n’avait jamais trahi.
Il avait toujours suivi fidèlement ses ordres, sans jamais les contester.
S’il avait été en faute, il aurait chuté, n’est-ce pas ?
Cette simple pensée le faisait trembler.
Il avait tout accepté.
Le Déluge, Sodome et Gomorrhe, les Dix plaies d’Egypte.
A chaque fois, il les avait justifiées.
Crowley s’était emporté.
Le démon refusait ses explications, refusait ses excuses. Ses yeux jaunes d’ordinaire si joyeux le fixeraient, durs et impénétrables.
A chaque fois, la Principauté s’était sentie jugée, testée.
Et ce test, aussi absurde soit-il, semblerait toujours plus insurmontable que ceux énoncés par ses supérieurs.
Il ne s’agirait pas de loyauté ; Crowley ne s’attendait pas à ce qu’il désobéisse à ses ordres, il comprenait, de même qu’Aziraphale ne le blâmait pas de faire son travail, aussi diabolique soit-il.
La question ne serait pas professionnelle, mais personnelle.
Crowley serait déçu.
Et Aziraphale avait appris à ses dépens que ce sentiment était pire que tout.
Car comment blâmer le démon d’avoir espéré que vous sauveriez des innocents ?
Des enfants ?
Aujourd’hui encore, Crowley avait été présent.
Ses mots n’avaient pas été aussi durs à l’égard de l’ange que d’ordinaire, mais la déception et le chagrin émanaient de chacun d’eux.
Et, oh, comme Aziraphale ne pouvait le blâmer.
Le démon exprimait tout haut ce qu’il ressentait tout bas.
Etait-ce un piège, une tentation ? Des mensonges, une tentative de manipulation ? Crowley était un démon, ce serait sa nature. C’est ce qu’affirmerait Gabriel, en tout cas, mais Gabriel était celui-là même qui avait laissé Jésus mourir, celui qui lui avait offert la bague, et Aziraphale ne pouvait pas… Il ne voulait pas..
Un hoquet lui échappa, et il saisit son doigt, en arrachant la bague pour mieux la jeter à l’autre bout de la pièce.
Le bijou roula sur le plancher, allant se loger sous une commode.
L’ange fixa le meuble, sa respiration chaotique.
Se redressant, il prit une longue inspiration, puis une autre, avant de se lever, se dirigeant vers la porte.
Il n’avait que trop passé de temps ici.
*-*
Rome, 41 après JC
Le démon sursauta, avant de cligner des yeux. Aziraphale le dévisageait, partagé entre perplexité et inquiétude.
Crowley se mordit la lèvre, fixant son plat d’huitres à moitié touché, avant de le pousser vers l’ange. Il sourit en voyant celui-ci s’en emparer avec enthousiasme.
Aziraphale cligna des yeux, avant de les baisser vers sa main, fixant ses doigts nus.
Ce n’était pas comme s’il espérait que l’ange lui répondrait : ils n’étaient pas amis, juste… des connaissances, le blond avait toujours été très clair quant à la nature exacte de leur relation, refusant toute évolution trop personnelle.
Une véritable honte, du point de vue de Crowley.
Une véritable torture, également, de devoir contrôler et dissimuler ses sentiments, à chaque fois qu’ils se rencontraient.
Aziraphale ne répondit pas immédiatement, et il n’insista pas, acceptant son échec et cherchant désespérément un nouveau sujet de conversation.
Crowley haussa un sourcil.
Crowley grimaça, mais hocha la tête.
La Principauté lui lança un regard indigné.
L’expression hautaine disparut, remplacée par ce que Aziraphale aurait aimé appeler un masque neutre, mais qui en réalité consistait en un maelstrom d’émotions diverses et variées, dominées par un chagrin et une colère qu’il pensait avoir dépassées.
Le sarcasme mourut sur la langue du démon, remplacé instantanément par un sentiment de deuil et… non, pas compassion, les démons ne compatissaient pas, mais ils pouvaient comprendre.
Celui-ci frémit, mais ne le repoussa pas.
Ce dernier sourit, et pressa sa main en retour, avant de la retirer.
Ce n’était pas un oui, ou un non. Un accord, ou bien un refus. C’était un ‘peut-être’, un pourquoi pas, un jour, surement, tente-moi, convainc-moi.
Non pas une promesse, mais une ouverture, une possibilité, et c’était tellement plus que tout ce que Crowley aurait pu espérer.
Un sourire étira ses lèvres, avant qu’il ne se penche en avant, ses lunettes tombant légèrement pour révéler son regard ambré.
18.Se taire
6000 ans avant l’Apocalypse, sur le mur est du jardin d’Eden
L’ange avait donné son épée ?!
Crawley dévisagea la Principauté, ahuri. Celle-ci se contorsionna sur place, gênée, avant de froncer les sourcils, se justifiant avec indignation – « Il y a des animaux mortels dehors, la nuit est tellement froide, et elle est enceinte !! »
La mâchoire du démon tomba un peu plus en direction du sol.
Un ange, qui se souciait réellement des humains ?
Une Principauté… au cœur bon ?
Bon, et pur, et généreux ?
La mâchoire de Crawley se referma dans un pop sonore, en même temps qu’il détournait la tête, étouffant les mots qui menaçaient de remonter dans sa gorge.
Ne rien dire, il ne devait rien dire.
Non seulement n’était-il pas supposé lui parler – Satan, ils étaient supposés s’ouvrir la gorge, pas échanger comme deux connaissances amicales sous le soleil !- il était encore moins sensé donner son avis.
En particulier si celui-ci se révélait approbateur.
Parce que bon.
Un ange qui se rebellait contre les ordres, cela ne pouvait que lui plaire, n’est-ce pas ?
C’était la raison même pour laquelle il était devenu un démon, après tout.
Enfin, pas entièrement, mais l’idée de base était là (Non, il ne s’épancherait pas sur le sujet. Sa Chute était alors encore bien récente, à peine quelques mois, et la dernière chose à laquelle Crawley désirait penser – même, si, oui, tout était fait pour la lui rappeler, l’Enfer, et sa mission présente, et l’opposition évidente avec l’être pur et bon lui faisant face… C’était suffisant, non ? Aucun besoin d’en parler davantage).
Il valait mieux qu’il se taise.
Même s’il n’y était pas très doué.
Et ne le serait sans doute jamais.
Autant ne pas tenter le Diab.. Paradis. Enfer. Arg !
Ce n’était qu’un pur instinct de conservation, rien d’autre.
Crawley n’était pas supposé parler aux anges.
Celui-ci semblait correct, mais le démon n’était guère désireux de prendre le risque de provoquer soudainement sa colère.
Alors il se tut.
Et s’il ne dit rien lorsque l’ange leva son aile, le protégeant instinctivement de la première pluie, hé bien, Crawley ne disposait d’aucune autre protection contre la soudaine humidité, et il ignorait alors que celle-ci ne le brulerait pas.
Alors il se tut, et accepta l’abri.
*-*
3004 avant JC
Aziraphale se tortilla sur place, mal à l’aise.
Crawley le dévisageait, horrifié.
Il aurait certainement mieux dû se taire.
C’est ce qu’il pensa immédiatement alors qu’il commençait à parler, tentant de justifier la décision divine.
Mais vraiment, il ne pouvait nier le malaise qu’il ressentait.
Peut-être était-ce supposé se dérouler ainsi ? Peut-être était-il testé lui aussi ? Lui qui parcourait la Terre depuis plusieurs millénaires à présent, et dont l’amour pour l’humanité n’avait fait que croitre à chacun de ses voyages.
Sans aucun doute, Elle devait le savoir.
Et il savait ce qu’Elle attendait.
A défaut de comprendre, obéir.
Alors, il se tut, étouffant les doutes et la colère et le chagrin et la honte. Il se tut, défendant l’horreur à venir, et ce malgré le regard écœuré du démon – et il n’était pas supposé être écœuré, il était un démon, un être de violence et massacre, un traitre, un Déchu, il n’était pas supposé ressentir de la compassion, comment pouvait-il en ressentir, Aziraphale ne comprenait pas, ne voulait pas comprendre…
Tant de questions, dont les réponses le terrifiaient.
Tant de sentiments compliqués, qu’il ne voulait pas explorer.
Alors il se tut, demeurant immobile lorsque Crawley lui tourna le dos, courant vers la rue dans laquelle vivaient les orphelins qu’il avait rencontrés quelques jours auparavant. Il se tut, ne bougeant pas, ne le stoppant pas.
Les choix de Crawley étaient les siens.
Aziraphale ne pouvait qu’obéir.
*-*
33 après JC
Il n’y avait rien à dire.
Aziraphale demeura silencieux alors que Crowley lui tournait le dos, s’éloignant d’un pas vif ne dissimulant pas sa rage.
En son cœur, le chagrin et les doutes bataillaient, prêt à exploser, pour mieux l’envahir à jamais.
L’ange ferma les yeux, joignant ses mains en une prière silencieuse.
Mère, ô, Mère, pourquoi t’aimer est-il parfois si difficile ?
*-*
Rome, 41
« Tu t’es coupé les cheveux ? »
C’est la première pensée qui était venue à l’esprit d’Aziraphale, alors qu’il apercevait le démon dans la taverne.
Ridicule, vraiment.
Aziraphale n’était pas censé faire attention à ce genre de choses, pas avec un ennemi, en tout cas.
Mais Crowley en était-il vraiment un ?
Aziraphale déglutit, repoussant la pensée au fond de son esprit, parmi tant d’autres tout aussi dangereuses.
« Comment vas-tu ? »
« Tu m’as manqué »
« Ta nouvelle coupe te va à ravir, mon cher »
« Puis-je caresser tes cheveux ? »
« Accepterais-tu de passer quelques jours avec moi ? »
« Qui étais-tu, avant ? »
« A quelle tentation m’as-tu assujetti, vil serpent, pour que je sois ainsi incapable de me passer de toi ? »
Aziraphale ne prononça aucune de ces phrases.
A la place, il sourit nerveusement, expliquant vouloir essayer un nouveau restaurant d’huitres.
Stupide, vraiment, et si inintéressant ...
Mais Crowley haussa un sourcil, commentant ne jamais avoir mangé d’huitres, et l’ange ne put se retenir.
Le démon haussa un sourcil, son sourire se faisant aussi large que celui d’un requin, alors qu’Aziraphale sentait ses joues virer au rouge pivoine.
Incapable. Incapable. Comment avait-il pu énoncer une chose pareille ? Vraiment, il était impossible, incapable de contrôler sa langue et de se taire, ce n’était pas étonnant qu’il déçoive autant Gabriel…
Mais Crowley souriait, son amusement évident alors qu’il hochait la tête. Dans un mouvement fluide de ses hanches qui fit rougir le blond, le démon se releva, ses yeux pétillant d’un plaisir presque enfantin.
Aziraphale sentit ses joues s’empourprer.
Crowley rit, secouant la tête, avant de saisir son bras, l’entrainant avec lui.
Comment osait-il…
Mais il avait raison, n’est-ce pas ?
Aziraphale avait provoqué seul son malheur.
Mais revenir sur sa décision serait rude, et indigne d’un ange, n’est-ce pas ?
Alors il se tut, laissant le démon l’entrainer vers la sortie.
Et s’il souriait comme un damné, hé bien, Gabriel n’était pas là pour le voir, n’est-ce pas ?
*-*
Ils n’étaient qu’au milieu de leur voyage, et de leurs aventures. Crowley et Aziraphale l’ignoraient encore, mais leurs destinées étaient définitivement liées.
D’autres aventures suivraient, et avec elles d’autres disputes, et d’autres rires. D’autres silences, et d’autres espoirs. Certains plus forts que d’autres, qui les blesseraient davantage, ou bien les laisseraient souriants pendant des jours.
Un jour viendrait, où ils devraient cesser de fuir. Cesser d’ignorer la vérité, et ce qu’ils ressentaient. Un certain démon y était tout disposé, mais l’ange pour lequel son cœur de Déchu battait n’était pas encore prêt. Alors Crowley se taisait, acceptant leur amitié, comme le plus beau cadeau qu’il recevrait.
Un jour viendrait, où la vérité serait révélée.
Mais ce jour-là n’était pas encore arrivé.
20. Chanter
Egypte, 2000 ans avant JC
La tentation, avait appris Aziraphale au cours des millénaires, prenait de nombreuses formes.
Il n’aurait jamais imaginé, cependant, que même le chant serait concerné.
Mais c’était bien mal connaitre Crowley, ou, comme il s’appelait alors, Crawley.
C’était une légende locale, un bruit qui court. Un dieu-serpent rejeté par les autres dieux, aux écailles noires et rouges luisant sous la lumière pâle de la lune alors qu’il se déplaçait au milieu des herbes.
Un dieu maudit et solitaire, se dissimulant la journée parmi l’humanité, avant de chanter seul la nuit près du Nil.
Son chant, affirmait-on, était si sublime, qu’il faisait pleurer des villages entiers.
C’était un chant de douleur, et de chagrin. Un son empli de regrets et d’amertume, mais aussi un appel au combat. Car malgré ses pertes, et sa colère, le dieu-serpent refusait d’abandonner.
C’était un chant si terrible, qu’il tordait le cœur de tous ceux qui l’entendaient.
Même si la langue des dieux demeurait incompréhensible, le sens des mots transcendait chacune des paroles.
Chaque nuit où le chant résonnerait, les villageois se terreraient au fond de leur lit, maudissant le dieu-démon et son chagrin.
Retrouveraient-ils un jour le sommeil ?
Aziraphale était resté figé en entendant la mère épuisée conter la légende au marché. Son ventre s’était tordu étrangement, alors qu’une longue sueur froide dévalait le long de son dos.
Une personne ayant déjà croisé son chemin plusieurs fois, depuis la chute d’Eve et Adam, correspondait en tout point à cette description.
Était-il possible…
Mais pourquoi venir tourmenter les villageois d’une si étrange manière ?
Était-ce une nouvelle forme de séduction ?
La villageoise avait affirmé combien le chant était enchanteur, poussant les plus généreux d’entre eux à sortir de leur lit pour partir à la recherche du dieu perdu.
Tous n’étaient pas rentrés.
Les marais étaient déjà dangereux pendant la journée, mais absolument mortels la nuit.
Sans aucun doute, un piège à la hauteur d’un démon aussi intelligent que Crawley.
Aziraphale n’avait pas le choix, il se devait d’enquêter.
Ne serait-ce que pour s’assurer qu’aucun autre ange ne soit affecté à cette mission, si le mot montait au Paradis d’un nouveau dieu païen séduisant les innocents de sa voix.
Aziraphale était parfaitement capable d’assurer seul ce travail.
Du moins, c’est ce qu’il se répéta lorsqu’il partit à la recherche de Crawley, la nuit suivante.
*-*
Les marais étaient chauds, humides, et emplis de moustiques. Aziraphale les détesta immédiatement.
Lucifer devait avoir participé à leur création, c’était la seule explication que la Principauté pouvait trouver pour justifier son irritation alors qu’il secouait la main, repoussant une énième fois une attaque bourdonnante.
Ce n’était pas surprenant que Crawley s’y soit installé.
Une pointe de culpabilité traversa son cœur à cette pensée. La description du chant n’avait cessé de le hanter depuis qu’il l’avait entendue.
Pour être si efficace dans sa séduction, au moins une partie des paroles devait être sincère.
Fronçant les sourcils, il ferma les yeux, joignant les mains en prière alors qu’il se concentrait, cherchant toute trace d’énergie démoniaque aux alentours. Seul le vide lui répondit initialement, narquois et moqueur. Aziraphale ne se découragea pas, continuant son exploration en même temps qu’il remontait le long des herbes, son expression concentrée. Il était possible que Crawley soit en cet instant sous sa forme serpentine, qui se révélait toujours beaucoup plus difficile à percevoir.
Il marchait depuis maintenant une demi-heure, et n’avait toujours fait aucun progrès. La lumière des étoiles brillait au loin, créant un tableau magnifique que l’ange ne put se retenir d’admirer. Malgré les circonstances, et le potentiel combat à venir – son instinct lui affirmait qu’il s’agissait de Crawley, mais peut-être s’agissait-il d’un autre démon ? – le spectacle était si beau, et si apaisant, qu’il se sentit sourire.
Et puis un son commença à résonner au loin, et Aziraphale s’immobilisa, alors qu’un frisson le traversait soudainement.
Une énergie démoniaque, puissante, envahit chacun de ses pores, le forçant à inspirer brutalement.
Aziraphale ferma les yeux, essayant d’identifier l’aura de l’être.
Sans surprise, une couleur rouge et jaune, tachetée de très faibles points blancs, apparut devant ses yeux.
Une couleur si familière, qu’il avait appris à reconnaitre après l’avoir rencontrée régulièrement ces derniers deux milles ans.
Crawley.
*-*
Sa voix était… indescriptible.
Aziraphale n’aurait pas été surpris si le démon avait fait partie des cœurs célestes avant sa Chute.
Comment était-il supposé décrire ce qu’il entendait ?
La puissance d’une voix pure, blessée par les épreuves de la vie.
C’est ainsi qu’avait essayé de le transposer la jeune femme.
Et Aziraphale devait admettre... S’il n’avait pas su qui se cachait derrière cette voix, s’il n’avait pas été un ange, mais un simple humain… Peut-être se serait-il laissé séduire, lui aussi.
En l’état des choses, il devait lutter pour ne pas répondre.
La voix augmenta en puissance, montant dans les aigus, avant de se briser soudainement, et l’ange aurait juré, qu’une larme venait d’exploser.
Ses ailes jaillirent avant qu’il n’ait eu le temps d’y réfléchir, alors qu’il se propulsait dans les airs, volant vers sa cible.
Crawley était assis au bord de l’eau, ses jambes repliées contre lui alors qu’il chantait, ses yeux jaunes rivés sur le ciel. Un immense palmier le recouvrait, l’ombre des branches créant des formes étranges dans l’eau sombre. Il n’était vêtu que d’un simple pagne, sa peau serpentine s’imprégnant de la chaleur ambiante. Ses longues boucles rousses tombaient en cascade dans son dos, bas, plus bas qu’Aziraphale ne les avait jamais vues.
Son cœur se figea dans son torse, en même temps que sa grâce laissait s’échapper le son d’un pétard mouillé – le bruit de la stupeur d’un ange, qui n’avait pas été prêt à découvrir un tel tableau.
Crowley se figea en entendant le son de ses plumes, une onde de panique traversant son regard lorsqu’il reconnut la forme angélique dans les airs. Déjà, il se redressait, ses mains levées, prêt à se battre, et une nouvelle onde de peine saisit Aziraphale. Celui-ci prit soin de se poser lentement, adoptant la posture la moins menaçante possible.
Les yeux du démon s’écarquillèrent, et son corps se détendit légèrement.
Crawley roula des yeux.
Il secoua la tête, une boule soudaine dans la gorge.
Ce dernier roula des yeux, et recula.
Crawley le fusilla du regard, une lueur noire traversant les fentes vertes verticales lui servant de pupilles.
L’ange le dévisagea, indigné.
Crawley cligna des yeux.
L’expression du roux se décomposa.
Shit shit shit il n’avait pas pensé..
Aziraphale le stoppa en attrapant son poignet.
L’ange choisit de l’ignorer, se concentrant sur un autre sujet.
Une onde de rouge envahit les joues de Crawley, avant qu’un sourire n’apparaisse enfin sur son visage. Il était faible, et fatigué, mais bien réel, et c’était déjà une amélioration si grande comparée à quelques instants auparavant, qu’Aziraphale sentit son propre sourire augmenter.
Crawley le dévisagea comme si d’autres têtes venaient de lui pousser, ce qui était peut-être le cas, après tout. La Principauté se mordit la lèvre, avant de murmurer en fixant l’herbe :
Le démon continua à le dévisager plusieurs secondes, avant de finalement se détourner, haussant les épaules.
Depuis que j’ai chuté.
Aziraphale pressa plus fort son bras.
Crawley renifla à cela, avant d’hocher la tête. L’ange sentit un sourire exploser sur son visage, avant que son expression ne s’adoucisse alors qu’il fixait le démon, dont le regard était perdu dans le lointain.
Après ce qui sembla être une éternité, sa voix s’éleva de nouveau, grave et triste.
La colère, la peur, la solitude, la fatigue.
Aziraphale pressa son bras, avant de se joindre à lui, le cœur battant.
Amour, tendresse, espoir.
Chanter l’amour, pour annuler la colère.
Chanter la vie, pour contrer la mort.
Chanter ensemble, et non pas seul.
Leurs yeux se rencontrèrent, et un nouveau sourire étira leurs lèvres, avant que l’ange ne se déplace légèrement, les recouvrant de son aile. Crawley ferma les yeux, se laissant tomber contre lui, sa voix ne cessant jamais de résonner.
Dans le village le plus proche, les habitants pleuraient de nouveau, mais cette fois pas de tristesse.
Car une autre voix s’était mêlée à celle du dieu-serpent.
Et cette voix était teintée d’un amour si fort, qu’il résonnait à plusieurs kilomètres à la ronde, envahissant chaque maison, s’imprégnant dans les murs et les portes, jusqu’à les en faire pulser.
Le dieu-serpent n’était plus seul.
Et il ne le serait plus jamais.