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La magie de Merlin

Série : Merlin (2008)
Création : 08.01.2013 à 12h15
Auteur : Vivenef 
Statut : Terminée

« C'est la suite de l'Aube d'Albion et du Choix de Morgane. Arthur acceptera-t-il la magie de Merlin ? » Vivenef 

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CHAPITRE 11

Solel sentait qu'Arthur hésitait à demander à Merlin de subir les Rites.

C'était à cause de cette druidesse stupide, qui s'était jetée par la fenêtre en poussant de grands cris au lieu d'accepter son sort...

Solel déplorait profondément l'incident. Si la fille s'était tenue tranquille, Arthur aurait été nettement moins réticent à envisager cette solution. Mais la druidesse était devenue un peu folle quand elle avait assisté à l'incendie qui s'était produit dans son village. Solel avait été obligé de déclencher cet incendie, après que les druides aient refusé de lui fournir un volontaire pour les besoins de sa petite démonstration. Il l'avait fait pour leur démontrer par les actes qu'ils n'étaient pas en position de lui refuser quoi que ce soit.

Il ne s'attendait pas à ce que tout brûle aussi rapidement; pour être honnête, il avait juste pensé les effrayer un peu. Mais il était agacé, et il ne maîtrisait pas toujours l'étendue de ses pouvoirs quand il était agacé. Ce n'était qu'après avoir vu l'explosion qu'il avait réalisé qu'il y était allé un peu fort sur ce coup-là.

L'attachement d'Arthur envers son serviteur était surprenant, et, même pour Solel, leur lien avait quelque chose de sincèrement touchant.

Pouvoir compter sur quelqu'un comme ces deux-là comptaient l'un sur l'autre était une chance.

Solel aurait aimé avoir cette chance, mais il en avait été privé.

Il en avait été privé à cause de la dynastie des Pendragon, pour avoir commis le crime d'être né avec la magie.

Et aujourd'hui, il était déterminé à prendre sa revanche.

Mais pas n'importe quelle revanche, non la vengeance de toute une vie, soigneusement préparée, mûrie et planifiée, dont chaque étape avait son importance, et qui s'achèverait sur le triomphe de la magie.

Arthur savait que Merlin était un magicien, maintenant; mais il ignorait encore que Merlin était Emrys; le plus puissant magicien de tous les temps; et le protecteur qui le rendait invulnérable.

Solel, lui, connaissait la vérité, et il savait aussi qu'Emrys était son ennemi. Emrys était l'ennemi de tous les sorciers qui avaient été pourchassés, persécutés et assassinés au cours des dix dernières années, parce qu'il avait échoué à rétablir la magie, la magie qui était muselée et réduite au silence depuis bien trop longtemps.

Solel le haïssait par toutes les fibres de son être, d'être aussi puissant et de s'être montré aussi lâche.

L'homme de toutes les prophéties et de toutes les espérances avait vécu dissimulé sous les traits d'un serviteur incompétent.

Emrys n'avait aucune excuse pour avoir tardé aussi longtemps à prendre les choses en main, aucune excuse pour avoir laissé son peuple souffrir inutilement pendant tout ce temps.

Solel ne voulait pas seulement sa mort; il désirait sa déchéance et sa douleur.

C'était pourquoi il l'avait forcé à se dévoiler en plein conseil, au vu et au su de tous les chevaliers de Camelot, en l'obligeant à agir sans réfléchir pour contrer le sort grâce auquel il avait animé l'épée qui était destinée à transpercer le cœur d'Arthur. Il ne voulait pas tuer Arthur, évidemment : il était beaucoup trop tôt pour ça, et, quand le jour viendrait, il le ferait en prenant le temps de savourer ce grand moment.

Ce jour-là, il voulait juste qu'Arthur découvre la vérité sur son cher Merlin de la pire des manières possibles, et qu'il soit furieux contre lui.

Solel avait éprouvé un sentiment de jouissance ineffable quand Arthur s'était mis à frapper Merlin à coups répétés en le traitant de tous les noms.

Il avait savouré l'expression meurtrie de Merlin et les larmes brûlantes qui roulaient sur ses joues autant que le sang qui coulait de ses lèvres.

Il pensait sincèrement qu'Arthur ne lui pardonnerait jamais sa trahison...

Mais il avait sous-estimé la force de l'attachement qui les liait...

Arthur s'était avéré très talentueux pour trouver des excuses à Merlin et il était loin d'être aussi idiot que Solel l'avait cru. Il s'était renseigné sur la magie visiblement, il avait des regrets concernant la manière dont il avait traité Morgane, et il cherchait à comprendre certaines choses...

De plus, le Roi se souciait sincèrement du bien-être de Merlin et n'arrivait pas à envisager la moindre mesure qui puisse le faire souffrir.

C'était en constatant la solidité du lien qui existait entre Arthur, et Merlin, que Solel avait conçu son nouveau plan.

Celui-ci consistait à convaincre Arthur d'exiger que Merlin subisse les Rites en échange de son retour à Camelot. A l'origine, il espérait pouvoir faire en sorte qu'Arthur prive Merlin de ses pouvoirs sans lui demander son avis, mais il avait vite compris que ça ne marcherait jamais.

Il ne lui restait plus qu'à espérer qu'Emrys-le-traître soit assez stupide pour accepter de troquer des immenses pouvoirs contre le pardon de ce Roi qui était le centre de son existence.

Le connaissant, il était bien probable qu'il le soit...

Une fois Emrys réduit à l'impuissance, Solel lui infligerait le pire des châtiments possibles.

Il l'obligerait à regarder son Roi mourir, sachant que seule la magie à laquelle il avait renoncé de son plein gré aurait pu le sauver...

C'était la seule punition qui soit assez dure pour lui faire expier ses fautes.

Solel avait hâte de voir l'expression de son regard quand cela arriverait.

Mais pour arriver à son objectif, il devait garder l'apparence d'un chevalier fidèle et d'un ami dévoué aux yeux d'Arthur... Et personne, à Camelot, ne devait jamais soupçonner qu'il était un puissant magicien lui-même.

Il regarda le Roi avec une expression de totale sympathie plaquée sur ses traits.

-D'après ce que dit Gauvain, le plus important pour Merlin est de pouvoir rester à mes côtés, alors, j'espère qu'il choisira de subir les Rites, et de revenir auprès de moi, expliquait Arthur. Mais je ne lui forcerai pas la main s'il ne pense pas pouvoir les supporter, parce que je ne voudrais pas lui infliger quelque chose qu'il regretterait toute sa vie. Je lui laisserai le choix, entre l'exil avec sa magie, ou le retour à Camelot sans elle... J'espère qu'il choisira de rentrer. Et s'il accepte de subir les Rites... je voudrais tant qu'il ne souffre pas...

Arthur frissonna, et Solel s'étonna une fois de plus qu'un homme tel que lui soit capable de faire preuve d'un sentimentalisme aussi mièvre.

-Lors de la démonstration, les choses se sont très mal passées...

-Oui, vous me l'avez dit, acquiesça Solel.

Il était en train de se rappeler qu'il détestait Gauvain. Cet homme-là était trop intuitif pour son propre bien : au contraire de tous les autres chevaliers, il ne l'avait jamais apprécié. Le fait qu'Arthur cherche son conseil était un problème. Il devrait y remédier à un moment ou à un autre...

-C'était atroce, je t'assure...

-Je vous dois des excuses, Sire. Au nom de Miscelian... Je vous jure que j'ignorais qu'il y aurait une démonstration. Il ne m'en a jamais informé...

-Ce n'est pas ta faute, Solel. Tu ne pouvais pas savoir comment l'entretien se déroulerait...

-J'ose à peine imaginer à quel point vous avez dû être choqué lorsque cette malheureuse jeune fille s'est défenestrée sous vos yeux, s'exclama Solel, en apparence bouleversé.

-Oui, elle... était complètement désespérée, acquiesça Arthur, d'un ton malheureux.

-Je ne pensais pas que le procédé était si douloureux, reprit Solel. Comme je vous le disais : je n'ai connu qu'un seul magicien qui était passé par les Rites, et il vivait une existence tout à fait heureuse, entouré de sa famille. Il ne semblait pas regretter les pouvoirs qu'il avait perdus, au contraire. Il semblait considérer que c'était une délivrance.

-Peut-être en est-ce une pour certaines personnes ? dit Arthur, plein d'espoir.

-Peut-être, dit Solel. Mais si j'avais su que le processus en lui-même pouvait être une torture, jamais je ne vous l'aurais conseillé...

-Peut-être est-ce moins douloureux si la démarche est volontaire, dit Arthur, qui semblait chercher à se convaincre lui-même.

Ne compte pas là-dessus, pensa Solel, avec un amusement glacial. Ce sera comme si je lui arrachais les os de la chair un à un. Mais il endurera sa peine en silence, par amour pour toi, Arthur Pendragon l'Imbécile.

C'est fou ce que l'amour peut faire faire aux gens.

-En tout cas, une chose est sûre : je ferai tout ce que je pourrai pour qu'il se remette rapidement, et qu'il voie que la vie vaut la peine d'être vécue même sans magie.

Mais je doute qu'il pense que la vie vaille la peine d'être vécue sans toi, conclut Solel amusé en lui-même.

Puis il revint à ses autres projets : Guenièvre. Evidemment, il faudrait la rendre stérile... il était hors de question que la dynastie des Pendragons se perpétue avec un nouvel héritier... Justement : il avait en tête un sortilège d'infertilité particulièrement efficace.


Vivenef  (12.03.2013 à 00:24)

CHAPITRE 12

Après que Loth ait accepté de réfléchir au traité, et de se présenter au rendez-vous qui devait réunir les souverains des cinq royaumes six semaines plus tard à Camelot, il fut temps pour les Rois et les Reines en présence de se séparer.

Gwen fit donc ses adieux aux autres et se prépara à rentrer.

Annis et Bayard repartirent ensemble, non sans s'être félicités des avancées qu'avait apporté l'entrevue. Loth reprit la route de son côté, nettement mieux disposé envers Albion qu'il ne l'était avant les pourparlers. Gwen et Mithian profitèrent de ce que leur trajet retour les conduise pour un temps dans la même direction pour chevaucher ensemble pendant une journée supplémentaire.

Mithian ne put s'empêcher de repartir à la chasse, l'arbalète à l'épaule, et Gwen incrédule s'étonna du point commun que son amie avait avec Arthur lorsqu'elle trouva la piste d'un cerf qu'elle se mit à suivre avec une ferveur chevronnée.

-D'où vous vient cette passion ? lui demanda-t-elle, lors du dernier soir où elles campèrent ensemble, alors que la venaison rôtissait sur le feu, leur promettant la perspective d'un bon repas.

Elles s'étaient installées côte à côte devant le brasier en attendant que le dîner soit prêt, un peu à l'écart de leurs chevaliers qui après plusieurs jours de voyage appréciaient de faire connaissance les uns avec les autres. Mithian vérifiait son arbalète, et Gwen en profitait pour aiguiser son épée. C'était une compagnie appréciable qu'elles partageaient.

-Mon père m'emmenait toujours avec lui à la chasse lorsque j'étais enfant, expliqua Mithian, avec un sourire nostalgique. C'était un Prince très occupé, et nous avions rarement l'occasion de passer du temps ensemble comme père et fille. Mais lorsque nous partions chasser ensemble, j'avais le sentiment de pouvoir l'avoir pour moi seule et la complicité que nous partagions n'avait pas de prix. Aujourd'hui, à chaque fois que je prends mon arbalète pour chasser, c'est un peu comme s'il était encore à mes côtés...

-Mon père était un excellent forgeron, dit Gwen, en hochant la tête. Il m'a appris ce métier en même temps qu'à mon frère... Quand Merlin a commencé à travailler pour Arhur, c'est moi qui lui ai enseigné tout ce qu'il y avait à savoir sur les armures. Il venait d'arriver d'Ealdor où il n'y avait pas un seul chevalier et j'en savais beaucoup plus que lui sur la question. A cette époque, j'avais le sentiment que ces connaissances n'auraient pas du faire partie de l'éducation d'une jeune fille comme il faut, mais depuis, j'ai changé d'avis sur la question. Je suis heureuse que mon père m'ait appris tant de choses.

-Avez-vous toujours la chance d'avoir votre père, Guenièvre ? demanda Mithian, avec intérêt.

-Non, hélas.

Gwen regarda le feu avec tristesse.

-Le Roi Uther l'a accusé de sorcellerie il y a de cela quelques années et il l'a fait exécuter.

-Je suis désolée, murmura Mithian, l'air bouleversé.C'a dû être terrible pour vous.

-Mon père était innocent, dit Gwen. Mais Uther avait trop de défiance envers tout ce qui touchait à la magie pour lui offrir un procès impartial. Ayant grandi à Camelot, et vu plus de sorciers maléfiques s'attaquer aux Pendragon que je ne pourrais en compter, j'ai moi-même été effrayée par la magie pendant très longtemps.

Mithian la regarda avec curiosité.
-Que s'est-il passé pour que vous changiez d'avis ? demanda-t-elle.

-Qu'entendez-vous par là ? répondit Gwen.

-J'ai cru comprendre que les positions d'Arthur vis à vis de la magie ne différaient que très peu de celles d'Uther, expliqua Mithian. Mais tout au long des pourparlers, vous n'avez cessé de prendre position pour qu'elle soit autorisée dans la nouvelle Albion... J'en déduis donc qu'il s'est passé quelque chose qui a infléchi votre opinion.

-Il s'est passé quelqu'un, dit Gwen, avec un sourire. Il s'est passé Merlin.

-Merlin est-il vraiment un magicien ?

Mithian haussa un sourcil intéressé.

Gwen hocha la tête, amusée.

-Merlin est décidément un garçon plein de surprises, murmura Mithian. Je comprends qu'Arthur ait pu se sentir bouleversé par la nouvelle au point de ne pas se déplacer pour cette rencontre...

-Que voulez-vous dire ?

Mithian eut une mimique espiègle.

-Ces deux-là sont inséparables, n'est-ce pas ?

Gwen ne put s'empêcher de sourire.

-Je doute qu'Arthur vous a parlé du séjour que j'ai fait à Camelot lorsque nous étions supposés nous fiancer... ça n'aurait pas été très délicat de sa part, après tout. Mais les quelques jours que j'ai passés en sa compagnie ont été très instructifs et m'ont enseigné une chose que je garderai toujours en mémoire. Bien qu'Arthur Pendragon ait de nombreux conseillers, le seul avis qui lui tienne réellement à cœur lorsqu'il lui faut faire un choix important est celui de son fidèle serviteur Merlin. Même s'il préfèrerait sans doute mourir plutôt que de l'admettre, il se trouve que ce même serviteur est aussi la seule personne qu'il cherche constamment à impressionner. Et lorsqu'il se trouve face à un moment difficile, c'est vers ce même Merlin qu'instinctivement il se tourne pour trouver du soutien. Le lien qui les unit est d'une force surprenante. Je l'ai très vite ressenti lorsque je me suis retrouvée prise au milieu d'eux. Je sais aussi que Merlin s'est montré un ami inébranlable pour vous et qu'il vous aime au moins autant qu'Arthur. Et vous m'apprenez aujourd'hui que Merlin est un magicien...J'en conclus que si Arthur doit un jour évoluer dans ses opinions par rapport à la magie, ce sera grâce à Merlin. Même s'il est probable que seul le plus grand magicien de tous les temps pourrait accomplir un tel miracle !

Gwen jeta un coup d'oeil à Mithian.

-Je sais que ce que je vais dire va vous paraître étrange, murmura-t-elle. Mais je crois qu'il est fort possible que Merlin soit le plus grand magicien de tous les temps.

Mithian échangea un regard avec elle, puis, spontanément, elles se mirent à rire.

Leurs routes se séparèrent le lendemain et ce fut avec un pincement au cœur que Gwen dit au revoir à la Princesse. Elle se surprit à déplorer sincèrement qu'elles vivent si loin l'une de l'autre...

Il ne lui restait plus qu'à espérer que les nécessités d'Albion les conduiraient à se retrouver pour d'autres aventures en chausses où elles auraient peut-être l'occasion de tirer à nouveau l'épée ensemble et de discuter au coin du feu... Gwen sourit en elle-même à cette pensée. Elle était partie à la rencontre de Mithian avec une pointe de jalousie, et elle en revenait conquise par une amie qu'elle serait heureuse de revoir... ce qui faisait de Mithian le premier cadeau qu'elle recevait de la fondation d'Albion.

Après la séparation, Gwen commença à se concentrer sur son retour. Elle était à la fois impatiente et effrayée à l'idée de revoir Arthur... Comment réussirait-elle à gérer les choses si l'état d'esprit de son mari n'avait pas évolué pendant son absence ? Comment réagirait-elle s'il lui claquait encore la porte au nez ? Elle espérait vivement qu'il se soit ressaisi. Il ne lui restait plus qu'à espérer dans les ressources d'Arthur.. et à croiser les doigts pour qu'il ait autant envie de parler qu'elle au moment où elle rentrerait. Elle songea qu'elle n'avait aucune envie de passer une autre nuit à faire chambre à part. Il était grand temps que les choses rentrent dans l'ordre entre eux...



*

Le voyage du retour fut agréable.

Le comportement de Léon, Elyan et Perceval à son égard avait changé... Gwen percevait une nouvelle note de respect et d'admiration dans leurs voix lorsqu'ils s'adressaient à elle. Le fait qu'elle ait réussi à obtenir l'accord des souverains des quatre autres royaumes pour se revoir et signer le nouveau traité ensemble n'y était certainement pas étranger... Elle avait encore du mal à croire que la date de la naissance d'Albion serait dans moins de deux mois.

C'était une nouvelle qu'elle avait hâte de partager avec Arthur !

Le bonheur de rentrer à la maison se saisit d'elle dès qu'ils furent en vue de la cité.

A côté d'elle, Léon et Elyan commencèrent à s'agiter...

-Comment allons-nous expliquer au Roi que la magie fait partie des conditions requises par Annis, Mithian et Bayard pour la signature du traité ? s'inquiéta Léon.

-Ne lui touchez pas un mot de cela, répondit Gwen. C'est à moi de lui en parler.

Elyan lui adressa un regard inquiet.

-Je ne pense pas qu'il prenne bien la nouvelle, pointa-t-il.

-Puis-je vous faire confiance pour me laisser faire sur ce point ? demanda-t-elle aux chevaliers.

-Vous avez notre parole, ma Dame, répondit Perceval, s'engageant aussitôt pour ses deux compagnons.



*



La nuit était bien avancée lorsqu'ils franchirent les portes de Camelot et le château était déjà endormi lorsqu'ils arrivèrent dans la cour.

Gwen mit pied à terre, et laissa un garçon d'écurie s'occuper de son cheval.

Sans attendre, elle prit les escaliers pour se diriger vers les appartements d'Arthur...

Son cœur battait la chamade dans sa poitrine lorsqu'elle arriva devant la porte de la chambre royale.

Ses cheveux étaient encore décoiffés par la chevauchée, elle portait ses chausses et ses gantelets de cuir et elle n'avait pas pris le temps de passer à l'armurerie pour y déposer son épée. Mais elle était si impatiente de revoir Arthur qu'elle se sentait incapable de faire un détour par sa garde-robe pour se changer... Son mari lui manquait. Elle avait l'impression de ne pas l'avoir vu depuis une éternité...

Elle frappa à la porte.

-Arthur ? dit-elle d'une voix forte, pour le réveiller.

L'aube ne se lèverait que dans quelques heures, et il devait probablement être endormi.

Mais elle espérait qu'il l'entendrait à travers son sommeil...

-Arthur ? répéta-t-elle, d'un ton déterminé.

Elle entendit du bruit à l'intérieur. Quelques secondes s'écoulèrent, puis, la porte s'ouvrit. L'émotion la saisit dès qu'elle vit le visage chiffonné de sommeil de son bien-aimé, et les cheveux qui se dressaient sur sa tête. Il la regarda, et lui sourit, presque avec timidité. C'était un sourire d'excuses, et ce fut presque avec maladresse qu'il dit :

-Guenièvre...

-Arthur.

Elle le prit dans ses bras dans un geste instinctif, et le serra de toutes ses forces. Il referma les siens autour d'elle, hésitant, puis, se mit à la serrer aussi. Elle sentit son visage se presser contre son cou, et elle l'entendit murmurer : «Guenièvre», avec un soulagement qui lui fit chaud au cœur. Elle pensa qu'elle n'arriverait jamais à relâcher cette étreinte. Ils restèrent étroitement embrassés sur le seuil pendant de longues minutes, avant qu'Arthur ne fasse un pas en arrière. Il la regarda en clignant des yeux, et il sourit.

-Tu ressembles à une aventurière, dit-il, d'un air impressionné.

-Je suis en voyage depuis presque trois semaines, lui rappela-t-elle.

-Ca te va bien, la complimenta-t-il.

Puis il se dirigea vers le lit, où il s'assit, l'invitant du regard à le rejoindre.

Elle referma la porte derrière elle, et le suivit avec joie.

-Comment s'est passée la rencontre ? lui demanda-t-il.

-Tu vas pouvoir honorer tes engagements envers Mithian, répondit Gwen, en s'asseyant près de lui. D'ici six semaines, les souverains des cinq royaumes se retrouveront tous à Camelot pour signer un nouveau traité d'alliance, celui qui inaugurera les fondations d'Albion.

Elle ne pouvait s'empêcher d'être fière en prononçant ces mots.

-Camelot t'est redevable de ce que tu as accompli pour la paix, Guenièvre, dit Arthur, en la regardant avec admiration.

-Je n'ai fait que servir mon Roi, et mon peuple, lui répondit-elle, en lui rendant son regard. J'ai suivi l'exemple que m'a toujours donné Arthur Pendragon, l'homme que j'aime plus que tout au monde.

Il eut un petit reniflement qui en disait long sur l'opinion qu'il avait de cet homme-là à cet instant précis.

-Je m'excuse pour la manière dont je me suis comporté envers toi, murmura-t-il. C'était puéril et idiot de ma part de refuser de t'adresser la parole. Mais j'étais bouleversé et je me sentais incapable de parler avec qui que ce soit.

-Arthur, Merlin n'a pas essayé de te tuer, dit Gwen, en lui prenant la main.

Arthur la dévisagea avec de grands yeux de chien battu. Il avait l'air malheureux et vulnérable.

-Je sais que tu as mal vécu le fait que je le défende avec tant de véhémence alors que toutes les évidences le désignaient coupable, mais je l'ai fait parce que je n'ai jamais douté d'une chose dont je suis absolument certaine. Merlin t'aime autant que tu l'aimes. Il serait incapable de te faire du mal.

-Comment peux-tu en être sûre ? demanda Arthur, en cherchant son regard.

-Je le sais, c'est tout, répondit-elle.

Et comme Arthur continuait à la dévisager d'un regard implorant, visiblement avide de détails, elle soupira, puis avoua :

-Il me l'a dit lui-même.

-Mais c'était... avant, dit Arthur, d'un ton hésitant. Tu ne peux pas avoir la certitude qu'il pense la même chose aujourd'hui, après que je l'aie chassé.

Gwen sentit la compassion l'envahir. Le grand Roi Arthur était peut-être censé unifier Albion, mais pour l'heure, il ressemblait à un petit garçon inconsolable qui avait perdu sa peluche préférée. Il était rare qu'Arthur se montre aussi vulnérable. Et elle pouvait sentir à quel point il l'était. Arthur avait besoin de Merlin à ses côtés pour être l'homme dont Albion avait besoin. C'était une telle évidence aux yeux de Gwen, qu'elle lui semblait presque gravée dans la pierre. Il était plus que temps que Merlin revienne...

Et puisqu'Arthur voulait une preuve que Merlin tenait toujours autant à lui – elle la lui donnerait.

Elle prit son porte-monnaie, sortit la lettre de Merlin qu'elle avait soigneusement conservée, et la lui tendit.

-Si tu ne me crois pas, dit-elle, lis ça. Et souviens-toi que... c'était après.

Elle vit Arthur s'emparer de la lettre avec avidité et la parcourir des yeux comme un affamé.

Quand il arriva sur le passage des pâtés en croûte, des larmes se mirent à rouler sur ses joues, et Gwen dut résister de toutes ses forces pour ne pas le prendre dans ses bras et lui faire un câlin.

Non, pensa-t-elle fermement. Pas de câlins maintenant, ce serait contre-productif.

Puis, malgré elle, elle songea : maudits pâtés en croûte. Et elle eut à la fois envie de pleurer, et de rire.

-Idiot, murmura Arthur en faisant tomber ses larmes sur la lettre. Tu es banni et tout ce qui t'intéresse c'est que je continue à suivre mon régime.

Merlin et Arthur sont les deux faces d'une même pièce, pensa Gwen. Et ces deux faces avaient besoin d'elle pour pouvoir se retrouver aujourd'hui. Merlin lui avait souvent raconté que, lorsqu'elle était en exil, Arthur n'était plus que l'ombre de lui-même. Mais jusqu'à présent, elle ne pouvait pas vraiment comprendre ce que ça signifiait. Maintenant qu'elle ressentait l'absence de cette part d'Arthur qu'était Merlin, et le vide que cette absence créait en lui, elle mesurait vraiment la profondeur de ce lien qui existait entre eux, et que même Mithian avait remarqué.Si on lui avait dit des années plus tôt qu'elle s'engagerait dans une vie où il faudrait trois personnes pour obtenir l'équilibre du bonheur, elle aurait sans doute fui en courant. Mais là, tout de suite, elle n'avait aucune envie de fuir. Elle voulait juste retrouver l'homme qu'elle aimait : protecteur, sûr de lui, légèrement arrogant (oui, même l'arrogance d'Arthur lui manquait) mais surtout intrinsèquement convaincu du rôle qu'il avait à jouer en ce monde, de l'importance qu'avait ce rôle et de sa capacité à l'endosser. Pendant trois semaines, elle l'avait remplacé à la tête du royaume, et cela lui avait enseigné beaucoup de choses. Mais elle ne voulait pas être Reine à sa place elle voulait l'être à ses côtés.

-Tu me crois, maintenant ? lui demanda-t-elle avec douceur.

Arthur hocha la tête, tenant la lettre sur son cœur tandis que la vérité faisait son chemin en lui. Merlin n'avait pas voulu le tuer. Merlin l'aimait toujours. C'était quelqu'un d'autre qui avait cherché à l'assassiner ce jour-là. Merlin l'avait sauvé. Merlin l'avait sauvé avec sa magie. Merlin était un magicien. Merlin lui avait menti pendant des années...

Et pourtant, Merlin se faisait du souci pour lui au point de recommander à Guenièvre de ne pas oublier son plat préféré. Merlin était toujour son Merlin. Et Guenièvre...


-Depuis quand... dit-il, en la regardant avec hésitation.

-Depuis le jour où Sire Ular a essayé de m'assassiner, répondit-elle, sans qu'il ait besoin de terminer sa question.

Arthur hocha la tête. Cela faisait sens. Il aurait été profondément peiné que Guenièvre lui mente depuis longtemps, mais l'incident en question s'était produit à peine trois mois plus tôt.

-Merlin a utilisé sa magie pour... reprit-il.

-Me sauver, acquiesça-t-elle. Ensuite, nous avons parlé.

-A-t-il déjà...

-Fait de la magie devant moi ? Oui, admit-elle. Souvent. Et principalement, à ma demande, reconnut-elle. La magie peut être très utile.

Arthur tenta d'assimiler ce que lui disait sa femme. Il se sentait un peu dépassé.

-Pour faire... quoi ? demanda-t-il.

-Reconstruire la cité, accélérer la nouvelle récolte, multiplier les stocks de vivres donnés par Mithian pour qu'ils durent plus longtemps, répondit Guenièvre, pour citer quelques exemples. Je lui ai aussi demandé de soigner des malades. Ses pouvoirs ont permis d'enrayer une épidémie dans la ville basse il y a un mois et demi environ.

Arthur cilla.

-N'as-tu pas eu...

-Peur ?

Gwen eut un sourire.

-C'est Merlin, dit-elle, en haussant les épaules. Il a fait tout cela avec bon cœur sans jamais oublier de nettoyer tes chaussettes. Qu'il reprise à la main, ajouta-t-elle, en roulant des yeuxSi j'avais des appréhensions, elles ont vite disparu.

Arthur se figura un Merlin occupé à reconstruire la ville et à enrayer une épidémie tout en n'oubliant pas d'enfiler un fil dans son aiguille pour réparer les chaussettes de son Roi. Il était un peu perdu. Il lui avait toujours semblé que Merlin était un idiot attachant et maladroit, qui, pour dévoué qu'il soit, passait plus de temps à récriminer qu'à se consacrer à son travail. Sauf... quand il faisait preuve de sagesse, ou de bravoure, ce qui arrivait toujours au moment précis ou Arthur en avait besoin.

Merlin était définitivement le meilleur ami qu'il ait jamais eu.

Mais l'idée que Merlin puisse être... puissant, lui paraissait étrange, illogique, insensée.

Quel homme de pouvoir pourrait bien accepter avec bonne humeur de repriser les chaussettes d'un autre ? Aucun, se répondit-il à lui-même, troublé. Puis il reconnut : à moins d'avoir beaucoup d'amour pour la personne à qui appartiennent les chaussettes en question.

Mais comment Merlin pouvait-il l'aimer ? Alors qu'il appartenait à une famille qui avait toujours combattu la sorcellerie ? Avait-il appris la magie avant, ou après être entré à son service ? Et pourquoi l'avait-il fait ? Mais plus que tout...

-Est-ce que vous projetiez...

Arthur fronça les sourcils.

-De t'en parler. Oui. Merlin voulait le faire. Il cherchait juste... le bon moment. Et puis... est arrivé ce qui est arrivé, et ça a tout gâché.

-Mais sa magie, continua Arthur. Depuis quand...

-Vraiment, ce n'est pas avec moi que tu devrais être en train de discuter de toutes ces choses, répondit Gwen. Vous avez grand besoin de cette conversation l'un comme l'autre, et je ne veux pas servir d'intermédiaire entre vous. Ce que je voudrais, pour être honnête, c'est que tu prépares tes affaires, que tu selles son cheval, et que tu partes résoudre ce problème de la manière qui convient. Puis, je voudrais que le grand Roi Arthur revienne, accompagné de préférence de son fidèle serviteur Merlin, de nouveau capable de sourire, de plaisanter, d'être un mari pour sa femme, de régner sur Camelot et de relever le défi d'Albion. A nous trois, nous pouvons y arriver. Seul, aucun de nous ne peut rien.

Arthur regarda Guenièvre, longuement, pensivement. Puis il dit :

-Je veux que Merlin revienne. Mais la magie, Guenièvre... La magie m'a privé de ma mère, de mon père, de ma sœur. La magie a fait plus de mal à Camelot qu'aucune autre menace... Je ne pourrai jamais l'autoriser.

-Que vas-tu faire, alors ? demanda Gwen, sans comprendre.

-J'ai trouvé une solution, dit Arthur.

Et l'espace d'un instant, Gwen fut remplie d'espoir, quand il ajouta:

-Si Merlin acceptait, il pourrait revenir ici, à Camelot, avec nous, sans pour cela faire entorse à la loi... Ecoute : il existe des Rites, qui permettent de couper un sorcier de ses pouvoirs, et...

-Quoi ?

Gwen recula, sous le choc.

-Tu voudrais priver Merlin de sa magie ?

-Seulement s'il était d'accord pour...

-Arthur, non !

Gwen s'écarta de lui, en frissonnant.

-Tu n'as pas le droit d'exiger cela de Merlin.

-Gauvain pense qu'il accepterait. Si vraiment il m'aime...

-Tu ne te rends pas compte de ce que tu dis, protesta Gwen, bouleversée. Tu ne sais rien de la magie, Arthur, hormis ce que ton père t'en a toujours répété, et l'aperçu affligeant que tu en as eu au travers de Morgane... Rien de tout ça n'a le moindre rapport avec Merlin. J'étais comme toi, avant, je croyais savoir, je croyais m'être fait une opinion impartiale; mais je me trompais... Et je suis absolument certaine que ta «solution» est la pire des décisions possibles...

-Guenièvre.

La voix d'Arthur était solennelle.

-Tu as encouragé Merlin à utiliser la magie dans l'intérêt de Camelot alors qu'elle était interdite.

-Oui, je l'ai fait. Et je pense que lois qui l'interdisent devraient être changées, affirma-t-elle. La magie concerne une importante minorité de nos sujets, parmi lesquels les druides, qui forment une communauté pacifique, et en la déclarant illégale, nous condamnons ces gens qui font partie intégrante de notre peuple à l'exclusion. C'est un état de fait injuste, qui génère des actes de persécution inacceptables et qui incite les magiciens à se transformer en criminels pour résister. Si la magie n'était plus hors la loi, si les gens étaient éduqués à ne plus en avoir peur, si nous avions à nos côtés des magiciens comme Merlin pour s'engager à protéger et à défendre Albion, les choses pourraient changer.

Arthur secoua la tête.

-Non, Guenièvre. Je ne pourrai jamais briser une loi que mon père...

-Ton père, Arthur, s'est fait des ennemis de tous les magiciens de Camelot en étant si fanatique dans sa lutte contre la magie qu'il a noyé des centaines d'enfants.

Arthur la regarda en silence.

-Je ne suis pas comme lui, souffla-t-il, d'une voix blessée. Tu sais ça, Guenièvre.

-Oui. Je le sais.

-Malgré toutes les erreurs qu'il a pu commettre... il ne cherchait qu'à protéger Camelot. Tu ne peux pas me demander... de détruire son œuvre.


Vivenef  (12.03.2013 à 00:43)
Message édité : 17.06.2021 à 20:12

-Arthur. Je ne suis pas la seule à avoir cette opinion, concernant la protection que nous devons à tous nos citoyens, y compris ceux qui sont nés avec la magie. Mithian, Annis et Bayard la partagent. La magie ... pour peu qu'elle soit utilisée à des fins bénéfiques, devrait faire partie du futur d'Albion. Et peut-être Albion n'aura-t-elle pas de futur si tu n'es pas capable de l'accepter.

Gwen regarda Arthur avaler sa salive.

-Je ne peux pas entendre ça, Guenièvre. La magie n'a rien à voir avec la fondation d'Albion. Ce sont deux choses totalement différentes. Et je ne t'en veux pas pour avoir encouragé Merlin à se servir de ses pouvoirs pour aider notre peuple, mais je ne pourrai jamais agir de la même façon. S'il veut revenir à Camelot, il devra y renoncer. Parce que... je ne peux pas avoir un magicien comme serviteur. Cela m'est impossible.

Ils restèrent un moment face à face, en silence. Puis, Arthur toucha la lettre de Merlin, avec une expression qui donna un coup au cœur de Gwen. Il y avait tant d'amour dans son regard, tant de crainte, tant d'espoir. Ce qu'il n'était pas capable d'entendre venant d'elle, peut-être pourrait-il le comprendre si Merlin le lui montrait. Il ne lui restait que cet espoir-là, mais elle s'y accrocha, de toutes ses forces.

-Va lui parler, dit-elle, doucement.

Arthur hocha la tête, les larmes aux yeux.

-Je partirai dès l'aube, répondit-il. Sais-tu... où je pourrai le trouver ?

-Je pense que tu devrais te diriger vers la forêt d'Acétir, répondit-elle.

A nouveau, il acquiesça.

-Je partirai seul. J'espère... qu'il acceptera de revenir avec moi. Il me manque, Guenièvre.

-Je sais, murmura-t-elle. Il me manque aussi.

Il eut un regard misérable dans sa direction, et il demanda :

-Est-ce que tu mettras des pâtés en croûte dans mon sac pour le voyage ?

Gwen le regarda avec un immense amour et dit :

-Oui, Arthur. Je m'occuperai de mettre des pâtés en croûte dans ton sac pour le voyage.

Elle eut un léger sourire, et elle ajouta :

-Je ne voudrais pas que Merlin m'accuse de t'avoir privé de ton plat préféré.

-Je ne sais pas ce que je ferais sans toi, dit-il, d'une petite voix, et, l'espace d'un instant, elle fut convaincue qu'il allait pleurer à nouveau.

-Tu n'as pas à te poser la question, lui dit-elle.

Puis elle le prit dans ses bras, le serra fort sur son coeur et lui caressa tendrement les cheveux pendant qu'il enfouissait son visage contre sa poitrine.

Les hommes sont de grands enfants, se répéta-t-elle en étreignant le sien avec tout son amour, comme s'il avait été un petit garçon perdu dans ses bras.

Pourquoi fallait-il qu'il soit si obstiné ?

Elle ferma les yeux, et elle pensa :

Merlin, il n'y a plus que toi qui puisse sauver Albion, maintenant.

J'ai confiance en toi. Le plus grand magicien de tous les temps peut réussir là où tous les autres ont échoué...

 


Vivenef  (12.03.2013 à 00:49)
Message édité : 17.06.2021 à 20:12

CHAPITRE 13

Arthur quitta Camelot aux premières lueurs de l'aube sur son fidèle destrier, et se mit à galoper vers la forêt d'Acétir. Il était impatient, effrayé et résolu. Avant de partir, il avait expliqué à Guenièvre en quoi consistaient les Rites. Il savait qu'elle était opposée à cette idée, mais il pensait néanmoins que c'était la seule solution pour que Merlin revienne...

Il voulait tant que Merlin revienne. Il voulait l'entendre à nouveau s'exclamer «debout les morts» tous les matins. Il voulait faire semblant de s'indigner quand Merlin se moquait de lui comme personne d'autre ne savait le faire, en l'accusant d'avoir grossi, ou de se comporter un crétin royal, et en inventant des mots insensés qui n'existaient que dans son langage personnel pour le définir. Il voulait pouvoir se confier à lui et sentir que chacun de ses dilemmes était partagé, non seulement en apparence, mais en profondeur. Il voulait recevoir ses conseils et sa compassion. Il voulait pouvoir échanger un simple regard avec lui dans une pièce bondée et sentir que ce regard résumait toutes les paroles du monde. Il voulait sentir sa main sur son épaule quand la journée avait été particulièrement difficile, et savoir que cette main lui ôtait un poids qui autrement lui aurait été insupportable, le regarder s'émouvoir de la détresse des autres et le traiter de fille, l'entendre réfléchir à voix haute pour deux, le sentir à sa droite au moment de se lancer dans un combat perdu d'avance, l'envoyer polir son armure pour se venger, savoir que même si la fin du monde arrivait il ne serait pas seul, et ressentir à nouveau la bonté, la générosité et la fidélité qui filtraient dans sa présence discrète et lumineuse.

Maintenant qu'il s'était enfin décidé à rejoindre Merlin, Arthur savait que c'était l'absence de cette bonté, plus que toute autre chose, qui avait fait de lui une âme en peine pendant les dernières semaines. Il y avait en Merlin une justesse, une tendresse, une gentillesse sans lesquelles il ne pouvait pas être lui-même; et sans lesquelles il ne voulait pas vivre. Après ce qui s'était passé dans la salle du conseil, le monde s'était effondré sous ses pieds parce qu'il avait cru que cette bonté était irréelle qu'il l'avait rêvée, inventée, imaginée. Mais tout à l'heure, en lisant la lettre que son ami avait écrite à Guenièvre, il avait compris, qu'il ne pouvait pas avoir imaginé la nourriture la plus essentielle de son existence, celle qui lui donnait le courage d'être un Roi au cœur noble et un homme digne. Merlin lui rappelait ce qu'il devait défendre, protéger, ce pour quoi il devait lutter, ce qui était juste en ce monde; si Merlin disparaissait, il avait peur de finir par oublier, peur de sombrer dans l'amertume, peur de n'être plus l'homme qu'il devait se battre pour devenir.

Et si Merlin devait choisir l'exil, et la magie, plutôt que lui ?

Arthur n'arrivait pas à envisager cette possibilité...de tout son cœur, il espérait être aussi important pour Merlin que Merlin l'était pour lui.

Il avait tellement peur de le perdre, et tellement peur de se perdre lui-même.

Il tenta d'envisager ce qu'il ferait. Le supplierait-il de revenir quand même ? Irait-il jusqu'à accepter la magie pour éviter qu'ils ne soient séparés ? Non, pas la magie, c'était impossible... Il frissonna en revoyant tous les méfaits qu'il avait subis à cause des sortilèges et des enchantements, toutes les innombrables tentatives de meurtre magiques auxquelles il n'avait réchappé que de justesse, toutes les créatures monstrueuses qu'il avait été obligées de combattre... Il se souvenait de Nimue et de Morgause, d'Edwin, d'Alvar et de Dragoon... les visages de tous ces enchanteurs maléfiques qui avaient voulu détruire sa famille, son royaume, sa vie étaient là pour témoigner que les lois de son père n'avaient pas été édictées en vain... Merlin comprendrait, n'est-ce pas ? Il comprendrait qu'Arthur ne pouvait pas. Qu'il avait trop vu, trop enduré, trop souffert, à cause de la magie...

Si Merlin l'aimait, il accepterait les Rites...



*

Après le départ d'Arthur à l'aube, Gwen se rendit dans les appartements de Gaïus et déposa le message qu'elle avait rapidement griffonné sur un morceau de papier dans le grimoire qui lui servait de boîte aux lettres magique.

Elle n'avait jamais été très prolixe à l'écrit, ayant appris ses lettres sur le tard.

Elle était donc allée à l'essentiel dans sa missive :

Merlin,

Je dois te parler de toute urgence.

C'est à propos d'Arthur.

Retrouve-moi sans tarder.

G.

Elle espérait vivement qu'il répondrait à l'appel et qu'elle pourrait lui dire le reste de vive voix.

Fermant les yeux, elle invoqua le nom de son ami.

Merlin, Merlin, Merlin.

Elle espéra qu'il avait dit vrai quand il lui avait promis qu'il l'entendrait en cas d'urgence.

Quand elle eut terminé de prononcer son nom, elle regarda autour d'elle, avec curiosité.

Elle espérait à moitié qu'il apparaîtrait sur le champ, mais il ne se produisit rien de spécial : pas de tourbillon d'éclairs se condensant dans la pièce, pas de tornade sulfureuse s'engouffrant par la fenêtre – au centre de laquelle apparaîtrait miraculeusement un vaste sourire chaleureux.

Pas même une petite brise qui aurait pu lui indiquer qu'il l'avait bien entendue. Elle haussa un sourcil, puis, secoua la tête, se traitant intérieurement d'idiote pour avoir rêvé secrètement d'un évènement aussi spectaculaire.

Avec un soupir, elle se dirigea vers la sortie.

Impossible de savoir si elle avait réussi.

Il ne lui restait plus qu'à attendre pour le découvrir.

Une heure plus tard, alors qu'elle était penchée sur les traités de paix, dans l'intimité de la chambre royale, elle sentit une présence familière. Elle leva les yeux, vit que la fenêtre était ouverte, et constata que Merlin la regardait, nonchalamment adossé à la penderie, un léger sourire aux lèvres.

Il tenait à la main la lettre qu'elle lui avait écrite.

-Bonjour, Gwen, lança-t-il, avec chaleur.

-Merlin!

Elle ne put résister. Elle se leva de sa chaise, courut vers lui et le prit dans ses bras. Il l'étreignit en retour avec force, laissant échapper un rire plein d'amitié qui lui réchauffa le cœur, et l'âme. Elle ferma les yeux alors qu'elle posait son front contre son épaule, et sentit de stupides larmes de joie et de soulagement couler sur ses joues. Sentir Merlin si proche d'elle lui donnait l'impression que tout pouvait encore rentrer dans l'ordre; et qu'elle pourrait retrouver sa vie telle qu'elle l'aimait tant...

-Je suis si heureuse que tu soies venu, murmura-t-elle.

Elle s'essuya vivement les yeux, s'écarta d'un pas et reprit :

-J'ignorais si le stratagème que tu m'as indiqué pour t'appeler suffirait à te faire venir. Je dois dire que je me suis sentie un peu stupide, à prononcer ton nom dans le vide en espérant que tu m'entendrais. J'espérais à moitié que tu apparaîtrais sur le champ. Quand je ne t'ai pas vu arriver, je me suis dit que j'avais dû rater quelque chose !

-Pourtant, ça a marché, répondit-il avec un sourire. Tu vois bien, je suis là. Il fallait juste me laisser le temps d'arriver. Je peux voyager vite mais je ne maîtrise pas les déplacements instantanés; du moins, pas encore.

Gwen nota mentalement le « pas encore », ne pouvant s'empêcher de sourire stupidement à la pensée que les pouvoirs de Merlin s'étaient encore développés depuis qu'il avait quitté Camelot.

-Tu as l'air... d'aller bien, dit-elle, en le regardant.

C'était la vérité. Il semblait avoir mûri. Il portait un nouveau manteau, qui lui seyait particulièrement bien, et il dégageait une aura de confiance dont elle n'avait pas le souvenir.

Il était devenu bel homme, pensa-t-elle, en rougissant légèrement.

Il lui était étrange de penser cela de Merlin il n'était pas parti depuis plus de quelques semaines, et, à ce moment-là, il ressemblait encore à un grand adolescent. Mais... peut-être du fait de sa nouvelle assurance ? Il avait gagné un charisme certain, et il était devenu... un peu impressionnant. Ses yeux étaient restés les mêmes, ceci dit : bleus, espiègles, remplis de bonne humeur. Gwen ne put s'empêcher d'en éprouver un certain soulagement.

-Je vais très bien, dit-il, d'un ton amusé, en faisant un geste d'apaisement, de ses longs doigts fins. Mon campement est plutôt confortable et je dois dire que je profite de mes congés – les premiers depuis six longues années de dur labeur. Pour une fois dans ma vie, rien ne m'oblige à me lever au matin dès l'aube pour courir en tous sens. Je pourrais bien m'habituer à faire la grasse matinée.

-Merlin ! dit Gwen, d'un ton de reproches. Tu veux dire que – nous ne t'avons pas manqué du tout ?

Il roula des yeux.

-Bien sûr que vous me manquez, répondit-il, d'un ton plus sérieux. Comment ne me manqueriez-vous pas ? Mais je ne voulais pas forcer les choses. Arthur avait besoin de temps et... j'ai eu quelques aventures impliquant une vieille connaissance qui m'ont un peu distrait ces dernières semaines, si bien que je n'ai pas eu le temps aussi long que je l'aurais cru....

-Une vieille connaissance ? dit Gwen, incrédule. Qui...

Merlin lui adressa un regard expressif.

Gwen fronça les sourcils.

-Tu ne parlerais pas de...

-Oui, je parle de Morgane, confirma-t-il.

-Elle est vivante ?

Gwen n'arrivait pas à le croire. Elle n'était pas tout à fait certaine que ce soit une bonne nouvelle, mais... à en juger par l'expression de Merlin, ça avait plutôt l'air d'en être une. Elle sentit la curiosité s'emparer d'elle alors que son ami lui répondait :

-Plus vivante qu'elle ne l'a été depuis bien longtemps.

-Mais comment est-ce arrivé ? Je veux dire, comment l'as-tu retrouvée ?

-Eh bien; après avoir été chassé par Arthur, je suis... disons, tombé sur elle dans la forêt d'Acétir. Et après des débuts que je qualifierais de... houleux, nous avons fait ensemble un voyage qui a changé nombre de ses perspectives sur nombre de sujets. A notre retour, elle a commencé à entrependre une quête que je trouve tout à son honneur. Si tu la voyais aujourd'hui, tu lui trouverais sans doute beaucoup de points communs avec l'amie que tu chérissais autrefois, et fort peu avec la sorcière qui a attaqué Camelot par deux fois.

-Comment est-ce possible ? demanda Gwen, stupéfaite. Je la croyais perdue pour toujours...

-Parfois... les gens peuvent changer, en mal... mais parfois, ils peuvent changer à nouveau, et cette fois-ci, en bien, dit Merlin, avec un sourire énigmatique.

Gwen ne put s'empêcher de lui rendre ce sourire, subjuguée par le charme mystérieux qui émanait de lui. L'aura qui l'entourait, comprit-elle subitement, était une aura de magie. Il ressemblait tout simplement à un magicien épanoui.

L'idée qu'Arthur puisse vouloir le priver de cela lui était insupportable... Et Morgane...

-Crois-tu... que je pourrai la revoir un jour ? demanda-t-elle. Je veux dire... Crois-tu que ses dispositions à notre égard puissent avoir changé ? Arthur serait si heureux si elle décidait de demander son pardon, et de revenir vivre auprès de lui. Malgré tout ce qu'elle a pu faire...il la considère encore comme sa sœur.

-J'ignore si ton voeu se réalisera, répondit Merlin. Pour être honnête, je ne crois pas qu'elle soit très décidée à revenir à Camelot un jour. Elle est... très occupée à présent.

-A cause de sa quête ? En quoi consiste-t-elle ? Veux-tu bien me raconter ?

Le ton de Gwen était implorant. Elle mourait d'envie de savoir.

Merlin acquiesça avec bonne humeur.

-Eh bien... elle avait résolu de partir à la recherche d'elle-même, lorsqu'elle a croisé sur sa route un jeune garçon qui avait... le genre de problèmes qu'un magicien de treize ans peut rencontrer auprès d'une population opposée à l'usage de la magie lorsqu'il n'a pas fait preuve d'assez de discrétion dans l'usage de son talent. Et il se trouve qu'elle a décidé de lui venir en aide pour lui éviter le bûcher. Après l'avoir aidé à s'échapper, elle a réalisé qu'il serait sans doute très difficile pour un garçon de cet âge de s'en sortir sans l'aide d'un adulte. Et elle a choisi de continuer à veiller sur lui. Quelques jours plus tard, elle a sauvé d'un lynchage une petite fille qui avait mis le feu à la maison de ses parents parce que ses pouvoirs étaient incontrôlables, et elle s'est retrouvée avec deux enfants sous sa garde. Disons que quand ce nombre est passé à sept, elle a réalisé qu'elle ne pouvait pas vraiment continuer à arpenter Albion pour continuer son pèlerinage. Elle a donc décidé qu'il lui faudrait s'établir quelque part. C'est alors qu'elle m'a appelé, et je lui ai suggéré un lieu que je trouvais idéal. Il me semble que le nombre d'enfants qu'elle a sous sa garde doit se monter à trente-deux à présent, et elle fait pour eux une excellente enseignante. Côtoyer ces enfants lui fait le plus grand bien. Ils ont énormément d'affection pour elle et je pense qu'elle avait grand besoin de ça.

-Vit-elle... dans un bel endroit ? demanda Gwen, étonnée.

-Magnifique. Et paisible. En-dehors des incidents magiques qui peuvent s'y produire, évidemment, dit Merlin, avec amusement.

-Je vois que tu ne t'es pas morfondu dans ton coin, contrairement à Arthur, nota Gwen, avec espièglerie.

-Pas plus que toi. J'ai assisté aux dernières rencontres officielles auxquelles tu as participé et je dois dire que tu m'as impressionné par tes compétences.

-Merci, dit-elle, en rougissant légèrement sous le compliment. Mais j'avoue que j'ai hâte de voir Arthur reprenne sa place à la tête de Camelot.

Elle fronça les sourcils.

-Arthur a besoin de toi auprès de lui. Il faut absolument que tu reviennes.

-Alors, comme ça, il est parti... à ma rencontre ? murmura Merlin.

Il se sentait à la fois heureux, et troublé, par la perspective des retrouvailles...

-Ce matin, acquiesça-t-elle. Je voulais te mettre au courant pour éviter que tu ne soies pris au dépourvu.

Merlin hocha la tête, préoccupé.

-Dans quelles dispositions est-il à mon égard ? demanda-t-il, craignant le pire.

-Il a compris que tu n'avais pas essayé de te tuer, et admis que tu lui manquais cruellement, expliqua Gwen. Il t'aime, Merlin, et il se rend bien compte qu'il n'a aucune envie de vivre sans toi. Mais tu le connais, par rapport à la magie, et cette histoire-là est encore bien loin d'être réglée à ses yeux. Merlin...

Le visage de Gwen se tendit.

-Arthur veut te proposer de revenir avec lui à Camelot, mais il a une condition. Il a rencontré un Faiseur de Rites qui prétend avoir le pouvoir de neutraliser la magie, et il a l'intention d'exiger que tu renonces à la tienne... J'ai eu beau lui expliquer qu'il ne pouvait pas te demander cela, que ta magie était un bienfait extraordinaire, et que tu étais capable d'accomplir des miracles grâce à elle... il n'a rien voulu entendre. Il est persuadé que si tu l'aimes vraiment, tu accepteras de faire ce sacrifice pour lui...

Merlin pâlit, et détourna les yeux.

Arthur voulait qu'il sacrifie sa magie pour lui ? Quelle ironie cruelle, qu'il compte exiger que Merlin se débarrasse du don qu'il avait entièrement consacré à son service...

-Est-ce que... tu te souviens... de ce dont nous avions parlé ensemble... avant ton exil ? demanda Gwen, en faisant un pas vers lui.

-La meilleure manière de révéler mes pouvoirs à Arthur, acquiesça Merlin.

Gwen hocha la tête.

-C'est le moment, dit-elle. Je ne sais pas comment tu pourras le convaincre d'accepter... mais il faut que tu parviennes à lui montrer ce que tu as à lui faire voir quand il sera face à toi. C'est le seul moyen pour qu'il comprenne la vérité, le seul moyen pour qu'il te fasse revenir avec lui à Camelot, avec ta magie.

Elle fronça les sourcils, et se mordit la lèvre.

-Ce qu'Arthur ne réalise pas, c'est que, s'il ne parvient pas à surmonter son aversion pour la magie, Albion ne verra jamais le jour. La princesse Mithian, la Reine Annis et le Roi Bayard ont tous trois décidé qu'elle serait autorisée, à condition d'être employée dans l'intérêt du royaume présent et à venir... Si Arthur s'oppose à cette décision, toutes les négociations futures se révèleront caduques. L'avenir d'Albion est entre tes mains, Merlin. Il est hors de question que tu laisses Arthur repartir sans toi. Et il est tout autant hors de question que tu sacrifies ta magie pour lui... Tu dois trouver le moyen de lui faire voir la vérité. Je te fais confiance pour y parvenir.

-A tes ordres, ma Reine, répondit Merlin, avec une lumière aimante dans les yeux.

-Va, Merlin. Ne sois pas en retard à ton rendez-vous avec Arthur, lui répondit-elle, avec un sourire inquiet.

Il hocha la tête, ferma les yeux, puis se ravisa et la regarda. Le beau visage de Gwen était plein de noblesse et de compassion. Ses grands yeux noirs étaient fixés sur lui avec tendresse. Elle était si généreuse, si bonne. Elle avait tant de belles choses à donner, et surtout, tant de courage.

-Gwen ? dit-il doucement.

-Oui ? répondit-elle.

-Merci d'avoir parlé pour moi, et pour tous les gens qui sont... comme moi. Tu ne peux pas savoir ce que ça représente à mes yeux. Et... merci d'avoir foi en moi... Je ne pourrai jamais oublier tout ce que tu as fait, pour moi...

-Je t'aime, Merlin, dit-elle, très simplement. Et c'est ainsi qu'on est censé agir quand on aime quelqu'un.

-Je t'aime aussi, Gwen, lui répondit-il, sincèrement.

Elle hocha la tête, et dit :

-Je sais, Merlin. Je sais que tu nous aimes.

Puis elle le regarda tendrement disparaître dans une nuée d'étincelles.



*

Merlin rejoignit son campement dans la forêt d'Acétir et s'assit sur la souche qui se trouvait devant l'entrée de sa cabane. Il avait le cœur déchiré par l'incertitude car il ne savait pas ce qu'il devait faire. Gwen disait qu'il ne devait ni renoncer à la magie, ni rester en exil. Mais il connaissait Arthur et il savait à quel point il pouvait être buté parfois. Le simple fait que son ami ait reconnu à quel point il le voulait auprès de lui le touchait si profondément qu'il aurait été incapable de l'exprimer. Arthur était prêt à tout lui pardonner, parce qu'il l'aimait. Pendant de si longues années, Merlin avait redouté que son Roi ne lui ferme à jamais les portes de son cœur s'il apprenait la vérité à son sujet. Il craignait qu'Arthur le considère à jamais comme un traître et comme un indésirable, qu'il ne lui adresse plus la parole, qu'il tire un trait sur tout ce qu'ils avaient vécu ensemble. Il avait peur que la découverte de ses innombrables mensonges ne brise à jamais le lien qui les unissait. Il avait même redouté d'être enfermé, ou condamné à mort par son Roi... Mais ce n'était pas le cas. Il manquait à Arthur autant qu'Arthur lui manquait, non, parce qu'ils étaient les deux faces d'une même pièce, unis par un même destin, mais bien parce qu'ils étaient des amis fidèles, qui avaient partagé toutes leurs aventures, toutes leurs joies, toutes leurs peines, toutes leurs victoires, toutes leurs défaites... depuis six longues années. Arthur ne partait pas à la recherche d'Emrys, le faiseur de destin. Il partait en quête de Merlin, son ami. Et cela touchait Merlin au plus profond de son cœur, de savoir qu'Arthur faisait cette démarche juste parce qu'il lui manquait.

Il comprenait qu'Arthur n'arrive pas à accepter la magie pour l'instant. Il savait que c'était en partie sa faute. S'il avait réussi à guérir Uther, peut-être les choses auraient-elles été différentes. Mais il payait à présent l'erreur qu'il avait commise en ne prenant pas assez de précautions le jour où il avait tenté en vain de soigner l'ancien Roi, et où il l'avait achevé à la place...

Arthur avait trop souffert à cause de la sorcellerie pour pouvoir admettre la magie dans sa vie si rapidement, à moins d'un miracle.

Merlin savait qu'il allait devoir accomplir un miracle.

Mais si malgré cela Arthur ne changeait pas d'avis à propos de la magie, quelle décision prendrait-il au final ?

Rester en exil, loin de Camelot, avec ses pouvoirs, ou rentrer avec son Roi, et accepter de se soumettre aux Rites ?

Ou, en d'autres termes : écouterait-il son intelligence, ou son coeur ?

Ce dilemme pesait lourdement sur lui.

Dans les dernières semaines, il avait commencé à se rapprocher de la figure légendaire d'Emrys, le puissant magicien qu'il était censé incarner. Il avait combattu à l'aide de la magie, il avait voyagé dans le temps; il s'était déplacé en utilisant le souffle du vent, il avait créé des boucliers de protection enchantés pour protéger les siens; il avait emmené Morgane et les enfants sorciers en sécurité dans un nouveau Sanctuaire et il avait reconstruit les édifices dédiés à l'Ancien Culte.

Il s'était libéré de toute une existence de tabous et de silence pour devenir pleinement le sorcier qu'il était censé devenir.

Il avait oeuvré pour la magie, à travers elle et en elle... et s'était montré à la hauteur de son destin.

Pourtant, il ne s'était pas senti vraiment heureux à un seul moment. Arthur lui avait manqué à chaque instant, et ce manque avait été comme une brûlure mordante dans son cœur. Chaque jour qu'il passait loin de lui l'emplissait de tristesse. Chaque pensée qu'il avait pour lui le persuadait qu'il n'était pas à sa place quand il n'était pas à ses côtés. Ce n'était pas seulement Arthur qui lui manquait. Chaque réveil houleux, chaque regard, chaque sourire, chaque blague, chaque dispute, chaque chevauchée, chaque aventure, chaque combat qu'il aurait pu vivre avec Arthur, et qui avait été perdu dans leur séparation, créait en lui un nouveau vide impossible à combler. Arthur était comme un paysage qu'il connaissait les yeux fermés, comme un foyer où il se sentait chez lui; pas seulement l'autre moitié de son destin, mais l'autre moitié de son cœur.

Merlin pourrait survivre sans magie. Il mènerait une existence d'infirme, coupé de lui-même, coupé de son rôle, de son destin, de sa capacité à agir pour protéger Albion, Arthur, Guenièvre, et les sujets de Camelot. Mais il pourrait survivre.

Il savait qu'il ne survivrait pas sans Arthur. Loin de lui, peu à peu, son cœur se refroidirait, alourdi de tristesse, et il perdrait de vue le sens de ses pouvoirs. Il perdrait plus que sa magie. Il perdrait son cœur. Et il deviendrait corruptible, au même titre que n'importe quel autre sorcier trop puissant.

Il savait qu'il choisirait Arthur.

Il savait que faire ce choix était tout sauf raisonnable, et que, pour le bien commun, il aurait dû être capable, le cas échéant, de sacrifier tout le reste, y compris son bonheur.

Mais au fond de lui, il n'était pas Emrys, le sorcier de légende.

Il était Merlin, qui savait que l'amitié inébranlable qui l'unissait au Roi de Camelot avait fondé Albion bien plus que toute la magie qu'il possédait, Merlin, qui savait qu'Arthur avait besoin de lui, pas seulement pour lui sauver la vie, mais pour écouter son coeur.

A quoi bon sacrifier le cœur, si c'était pour sauver ce qui ne pouvait exister sans le coeur?

Albion n'avait aucun sens, si ce n'était sans l'amitié, la sincérité ou le partage.

Emrys ne pouvait exister sans âme, et Merlin était l'âme d'Emrys.

Paisiblement, il regarda sa décision en face : oui, il serait prêt à subir les Rites, pour rester auprès Arthur. Il pourrait toujours demander à d'autres magiciens d'assurer sa protection. Mais personne d'autre que lui ne pouvait être son ami.


Vivenef  (18.03.2013 à 23:37)
Message édité : 17.06.2021 à 20:12

CHAPITRE 14

Arthur avait chevauché sans répit depuis l'aube. Ce ne fut qu'après avoir pénétré dans la forêt d'Acétir qu'il cessa d'éperonner son cheval pour le faire filer au grand galop. Son destrier passa au trot, puis, au pas, avant de se figer complètement, couvert de sueur, harassé de fatigue. Arthur leva la tête et regarda autour de lui, en clignant des yeux. Il fut aussitôt saisi par la beauté de l'endroit. Le soleil filtrait à travers les hautes frondaisons des arbres et nimbait le sous-bois d'une lumière chaleureuse. Le sol moussu était tapissé de fougères et de pervenches. Un oiseau chantait perché au-dessus de lui dans les branches, et il pouvait entendre tout autour de lui les sons étouffés que produisait la vie de la forêt.

Quelque part, dans ce bois enchanté, l'attendait Merlin. Il sentit son cœur battre plus fort à cette pensée et un long frisson lui parcourut l'échine. Son cheval redressa la tête, comme s'il était au diapason de son humeur, et il se remit à avancer, de lui-même, entre les arbres immenses.

Arthur lui laissa la bride sur le cou, imprégné de la révérence que lui inspirait la forêt paisible. Ils franchirent un vallon tapissé de jonquilles, dépassèrent un ruisseau au cours cristallin, puis, débouchèrent sur une petite clairière, au bord de laquelle se trouvait un arbre couché. Les plantes grimpantes avaient recouvert son tronc abattu, qui était parsemé de fleurs; ses racines avaient lancé des rejets dont naissaient de nouveaux baliveaux...

Et sur le tronc était assis Merlin.

La première chose que remarqua Arthur était le manteau qu'il portait. C'était un manteau ridicule, bordé de fourrure et de plumes, qui aurait mieux convenu à une demoiselle qu'à un magicien, et Arthur dut résister à l'envie spontanée d'éclater de rire. Il se sentit ridicule de rester fixé sur un tel détail, alors qu'il aurait dû se soucier de mille autre choses bien plus importantes. Mais bon sang, il n'aurait jamais pensé que quiconque puisse faire preuve d'un goût aussi désastreux en matière de vêtements ! Il se retint de ne pas s'exclamer à voix haute : tu es une vraie fille, Merlin, alors même que cette réplique attendrie lui brûlait la langueIl ne pouvait quand même pas entamer la discussion sur un commentaire pareil ! Il garda la bouche fermée, et il avala sa salive.

Lentement, Merlin leva les yeux vers lui... Et soudain, Arthur oublia le manteau dans ce regard bleu océan qui cherchait le sien, avec timidité, avec espoir, avec joie, avec amour. Merlin était exactement tel qu'il se souvenait de lui : ses cheveux noirs un peu en bataille, ses longues mains fines croisées sur ses genoux; ses lèvres pleines entr'ouvertes dans une expression de complète innocence, ses yeux bleus plein de lumière et de profondeur. Il ne savait pas à quoi il s'était attendu, dans ce premier contact, mais certainement pas à tant de chaleur. La dernière fois qu'il l'avait vu, Merlin avait le visage en sang, à cause de lui, et à présent... ce même visage se tournait vers lui, sans rancoeur, ni colère, ni douleur, pour l'inonder d'un sentiment de bienvenue qui lui donnait presque l'impression de rentrer chez lui. Il n'arrivait pas à croire que le jeune homme qui se tenait là, assis sur ce tronc, à le regarder avec tant de douceur, était aussi un magicien. Il n'arrivait pas à croire qu'il possédait des pouvoirs qu'il devait redouter...

Arthur descendit de son cheval, et Merlin se leva, absorbant chaque détail de son visage bien-aimé pour le graver à jamais dans sa mémoire. Il avait l'impression de contempler un trésor sans prix. Avec les semaines, il avait presque fni par oublier, la manière dont les sourcils d'Arthur s'écarquillaient lorsqu'il était dans le doute, la moue qui venait danser sur ses lèvres lorsqu'il était blessé ou hésitant, l'expression qu'avait son regard bleu ciel quand il quêtait une réponse. Le voir apparaître silencieusement dans la forêt, vêtu de son armure miroitante, ses cheveux blonds décoiffés par la chevauchée, était comme un cadeau qu'il n'espérait plus recevoir. Sous les hautes frondaisons d'Acétir, le Roi Présent et à Venir semblait être l'image même du chevalier au cœur pur venu affronter son ultime épreuve.

Merlin avança vers lui, porté par la joie qu'il éprouvait à le revoir. S'il s'était écouté, il aurait couru. Mais il était presque certain qu'il aurait réussi à s'embrouiller les jambes, et il ne voulait pas trébucher maintenant. Pendant un moment, il ne put s'empêcher de sourire alors qu'il franchissait la distance qui le séparait encore de son ami. Puis, il vit l'expression d'Arthur s'assombrir à chaque pas qu'il faisait vers lui, et il ralentit, choqué de lire de l'inquiétude et de la peur sur ses traits.

-Arthur ? dit-il doucement, sous le choc.

-Merlin..., répondit Arthur, et sa voix se brisa.

Merlin chercha désespérément à renouer le contact visuel, mais Arthur détourna les yeux.

Le jeune magicien avala sa salive, et se figea, se sentant soudain profondément malheureux.

Il refit une tentative, d'une voix ébranlée :

-Arthur...

-Je suis venu pour...commença Arthur, en essayant de le regarder en face.

Mais à nouveau, à l'instant où leurs regards se rencontrèrent, le roi de Camelot fuit le contact, interrompant sa phrase en plein milieu pour fixer ses pieds d'un air profondément malheureux.

Merlin sentit des larmes brûlantes monter à ses yeux. Arthur était gêné, Arhur était mal à l'aise; Arthur ne savait plus comment lui parler. Comme s'il ne savait plus qui il était, comme s'il avait oublié.

 Je suis le même que j'ai toujours été, pensa-t-il, avec douleur. Mais il fut incapable de prononcer ces mots à voix haute... il avait l'impression que son cœur se brisait dans sa poitrine; il avait l'impression de ne plus pouvoir respirer.

Arthur resta perdu dans la contemplation de ses bottes brillantes, et Merlin songea, avec une pointe de jalousie, que Georges n'avait pas perdu de temps pour le remplacer. C'était une pensée stupide, puérile et ridicule, et il s'en voulut aussitôt de l'avoir formulée. Avec tristesse, il regarda son ami qui regardait ses pieds. Arthur et lui étaient face à face, mais c'était comme s'ils étaient séparés par mille océans. Jamais encore ils n'avaient été à la fois aussi près, et aussi loin... Jamais Merlin n'avait autant désiré rejoindre son ami.

-Arthur, murmura-t-il, en étendant les doigts pour lui toucher la main.

Aussitôt le Roi eut un mouvement de recul, comme si ce contact le brûlait.

Merlin laissa sa main retomber à son côté, et il souffla, désespéré :

-Sire.

Arthur secoua lentement la tête, et, cette fois, il leva les yeux pour regarder Merlin. Merlin qui le dévisageait avec tant de peine, avec tant d'espoir, C'était trop dur. Il n'arrivait pas à s'exprimer. Il avait tant de regrets, il avait si peur que tout soit changé à jamais entre eux.

-Merlin, je... commença-t-il.

Mais Merlin l'interrompit brusquement en s'exclamant :

-Est-ce que vous voudrez bien me pardonner ?

Arthur le vit mettre un genou à terre devant lui, sans cesser de le regarder avec espoir, comme pour lui rendre les choses encore plus difficiles. Il savait que c'était l'effet inverse de celui que recherchait Merlin. Merlin, en bon ami, tentait de lui faciliter les choses, d'endosser la responsabilité de ce qui avait mal tourné et de lui donner le beau rôle. Il ne savait pas quoi répondre à sa question : entre «oui, bien sûr», «non, pas du tout», «je n'en sais rien, je suis perdu» et «idiot». Mais il savait... qu'il ne voulait pas que Merlin s'agenouille devant lui. Surtout pas. Parce que ce n'était pas à Merlin de s'excuser; c'était à lui, pour l'avoir frappé et jeté en exil injustement. Au lieu de quoi, il était venu lui demander de faire un sacrifice, pour lui, et il ne savait pas comment formuler sa requête. Pas quand Merlin lui demandait pardon avec cette expression-là sur le visage. Il avait l'impression d'être un monstre.

De son côté, Merlin se sentit mourir dans le grand silence d'Arthur.Il avait les yeux fixés sur lui, attendant sa réponse, essayant de la lire sur ses traits sans y parvenir...Puis, lentement, très lentement, le regard d'Arthur vint rencontrer le sien, en exprimant plus sur sa confusion que n'auraient pu le faire toutes les paroles du monde.

-Je..., tenta Arthur.

-Je vous en prie, dit Merlin, d'un ton déterminé. Je veux retourner à Camelot avec vous. Plus que tout au monde.

C'était la vérité, mais il s'en voulut de l'avoir formulée à voix haute de cette manière-là. Cela sonnait de manière pathétique de la part du plus grand magicien qui ait jamais existé, et il n'avait pas envie d'avoir l'air pathétique. Il se mordit la lèvre et il pensa «idiot».

Mais Arthur le regarda avec étonnement, et demanda :

-Pourquoi, Merlin ? Pourquoi voudrais-tu... rentrer avec moi ?

Et Merlin sentit tout ce que contenait cette question.

Pourquoi voudrais-tu t'occuper de mon lever, de mon petit déjeuner, de mon bain, de mes affaires, de mes discours, de mes problèmes, et même, de repriser mes chaussettes, pourquoi supporterais-tu mes sautes d'humeur, mon arrogance, mes moqueries, mes ordres, pourquoi alors que tu pourrais être n'importe où ailleurs et faire n'importe quoi d'autre, pourquoi accepterais-tu d'être un serviteur alors que tu pourrais être ton propre maître.

-Parce que... commença Merlin.

Ce fut à son tour de baisser les yeux.

Il ne pouvait pas expliquer cela à Arthur, pas avec des mots. C'était ce que ses longues discussions avec Gwen lui avaient fait comprendre, il n'y avait qu'une seule manière pour lui de bien faire cela.

Et c'était avec l'aide de sa magie.

Il se releva et fit face à son ami.

-Laissez-moi répondre à votre question, dit-il, avec espoir. Laissez-moi vous montrer, et je vous jure que vous comprendrez tout. Si, après cela... vous jugez que je dois rester en exil... ou que vous ne voulez plus jamais entendre parler de moi, je respecterai votre...

-Merlin, coupa Arthur.

Merlin se tut, affligé, mais Arthur secoua la tête d'un air horrifié et affirma avec tout son cœur, comme si l'idée même lui était insupportable :

-Je ne veux pas ça. Ne plus jamais entendre parler de toi.

Merlin sentit son cœur se réchauffer à ces paroles, comme s'il revivait.

-J'ai... lu ta lettre. Celle que tu as écrite à Gwen. Celle où...

La voix d'Arthur se brisa, et il fit un geste de la main.

-Où tu lui parles des...

Les yeux d'Arthur brillaient beaucoup trop tout à coup.

-Des pâtés en croûte, conclut-il, pitoyablement.

-Oh, dit Merlin, qui se sentait coupable tout à coup. Désolé ?

Puis il ajouta stupidement :

-Gwen était censée brûler cette lettre. Je lui avais dit de la brûler.

-Elle me l'a montrée, dit Arthur, d'un ton de reproches, comme si c'était la faute de Merlin si elle lui avait désobéi. Et je me suis retrouvé... à...

Arthur secoua la tête, refusant d'articuler le mot « pleurer ». Les larmes qui coulaient sur ses joues maintenant étaient suffisantes. Merlin resta sans voix en les voyant. Arthur ne pleurait jamais d'habitude, et, pour une fois qu'il versait des larmes, c'était à cause des pâtés en croûte.

Il avait à la fois envie d'éclater de rire, de fondre en sanglots et de serrer Arthur dans ses bras de toutes ses forces.

Il n'avait jamais rien vu d'aussi adorable que l'expression outrée et malheureuse du visage d'Arthur à cet instant précis.

-... tout ça, à cause de ces maudits pâtés en croûte, continua Arthur, d'un air furieux. Parce qu'il n'y a que toi... qui puisse penser à des pareilles choses... même après avoir été exilé... personne d'autre n'y penserait...mais toi, oui, parce que... parce que...

-Parce que, bien que vous soyiez un crétin, je vous aime sincèrement ? proposa Merlin avec un mélange de douceur, et d'espièglerie.

-Tu parles comme une fille, protesta Arthur, indigné.

Merlin dut se retenir pour cacher l'énorme sourire qui menaçait de poindre sur ses lèvres.

Arthur plissa les yeux, mais son regard assassin mourut presque aussitôt. Il eut un soupir, hocha la tête, vaincu, et reconnut :

-Oui.

Merlin acquiesça, comme pour confirmer.

Arthur avait encore l'air plus perdu, et plus misérable qu'avant. Il se mit à s'agiter.

-Je ne peux pas... je ne veux pas... j'ai besoin... de toi... à mes côtés..

-Je sais, dit Merlin, d'un ton rassurant.

-Mais la magie...

Arthur secoua la tête en signe de dénégation.

-Je ne peux pas... ce n'est pas possible. Alors s'il existe un moyen... un moyen de...

-Vous voudriez que je ne l'utilise plus, formula Merlin, pour lui.

Arthur acquiesça, comme s'il était soulagé de ne pas avoir eu à le dire lui-même.

-Je sais... que c'est beaucoup te demander, et je veux que tu saches, que tu es libre... de prendre ta décision en ton âme et conscience. Je ne t'en voudrais pas, si tu choisissais... de rester loin de Camelot, et de garder ta magie... Mais j'aimerais... j'aimerais tellement que tu rentres avec moi, et si c'est ce que tu veux toi aussi...

-Oui, je le veux, Arthur, confirma Merlin, en le regardant droit dans les yeux.

Arthur hocha la tête, le regard plein d'espoir. Merlin prit ses mains dans les siennes, pour l'encourager à continuer. Il voulait le laisser aller jusqu'au bout, et lui faire sentir qu'il était là, avec lui. Quoiqu'il arrive. Arthur frissonna.

-J'ai rencontré un Faiseur de Rites... Si tu acceptes qu'il pratique son Sceau sur toi, ta magie ne serait plus un problème, et tout... pourrait redevenir comme avant. Je ne peux pas te promettre... que ce ne sera pas douloureux. Mais je peux te promettre que je serai là pour toi tout au long de cette épreuve... et ensuite...nous pourrons être ensemble.

-Arthur.

Merlin avait parlé avec une grande douceur.

-Vous savez que je serais prêt à faire n'importe quoi pour vous, n'est-ce pas ? dit-il avec un sourire chaleureux.

-Même... ça ? demanda Arthur, d'un ton hésitant.

-Oui. Même ça, affirma Merlin.

-C'est un énorme sacrifice, reprit Arthur, en lui adressant un regard plein d'inquiétude.

-Je sais.

Merlin esquissa un sourire mi-figue, mi-raisin.

-Mais... je pense que je devrais pouvoir survivre. Et... je veux que vous sachiez que je suis prêt à faire ce sacrifice, si vous me le demandez.

Le visage d'Arthur s'illumina. Il exprimait un tel bonheur, un tel soulagement.

-Sincèrement ? demanda-t-il.

-Oui. Sincèrement, répondit Merlin, et il le pensait.

-Je ne sais pas quoi dire, souffla Arthur.

Mais il avait envie de dire : « Merci ». Il ne pensait pas que Merlin accepterait aussi facilement sa proposition. Il était prêt à lui laisser le temps de réfléchir... Mais il avait, à nouveau, sous-estimé la loyauté de son ami. Il croyait Merlin quand il lui disait qu'il était prêt à faire cela pour lui. Il croyait en sa sincérité, en sa détermination. Et il s'aperçut soudain que la spontanéité avec laquelle Merlin lui avait répondu comptait pour lui plus qu'il n'aurait pu l'imaginer.

-La décision vous revient, Sire, dit Merlin en lui adressant un regard plein de force. C'est à vous et à vous seul de la prendre, et vous avez ma parole que je la respecterai, quelle qu'elle soit. Mais il faut que vous sachiez que ces Rites don vous parlez, sont irréversibles. Et par conséquent, il me semble important que vous fassiez votre choix en toute connaissance de cause.

Arthur hocha la tête. Cela semblait sage, en effet.

-J'ai une faveur à vous demander, et je vous supplie de ne pas me la refuser, dit Merlin, en le regardant, plus intensément.

-Oui, bien sûr, dit Arthur, spontanément. C'est bien...le moins que je puisse faire, étant donné ce que j'exige de toi. Tout ce que tu voudras, Merlin. Dis-moi seulement de quoi tu as besoin.

Merlin sourit.

-Vous devriez attendre que je vous aie dit de quoi il s'agit avant d'accepter, s'amusa-t-il.

Arthur haussa un sourcil.

Merlin redevint grave.

-Avant que vous ne preniez votre décision, je voudrais que vous m'autorisiez à utiliser ma magie pour vous faire voir quelque chose. C'est quelque chose que j'ai besoin de vous montrer et que je ne peux pas vous faire voir sans elle. Si, après cela, vous me demandez encore de choisir, entre vous, et elle, je rentrerai avec vous, pour essayer de vous servir sans elle. Je subirai les Rites et nous n'aurons plus jamais besoin d'en reparler quoi qu'il advienne.

Arthur hésita un instant. Etait-il prêt à laisser Merlin utiliser sa magie devant lui ? Etait-il prêt à regarder ce qu'il avait à lui montrer ? Une part de lui était en effroi à la simple pensée d'avoir à entrer en contact avec ses pouvoirs de sorcier. Mais d'un autre côté... Si Merlin avait voulu s'en servir pour lui nuire, il aurait pu le faire depuis longtemps déjà. Et Arthur savait que son Merlin ne lui voulait aucun mal. Son Merlin écrivait des lettres à propos de pâtés en croûte, lui demandait pardon pour lui éviter d'avoir à le faire et acceptait les sacrifices impensables qu'il lui demandait sans hésiter parce qu'il voulait autant être à ses côtés qu'Arthur désirait l'avoir auprès de lui. Que risquait-il à le laisser faire ? Rien. Que risquait-il à refuser ? D'éternels regrets. Regrets pour n'avoir pas été capable de faire confiance à un ami qui était prêt à faire n'importe quoi pour lui, regrets pour n'avoir pas connu même de loin ce à quoi il lui demandait de renoncer. Regrets de ne plus jamais avoir l'occasion d'apprendre ce que Merlin semblait avoir tellement besoin de lui montrer. Arthur ne voulait pas mourir idiot. Il voulait savoir. Il était plus curieux qu'il n'était effrayé.

Lentement, il hocha la tête, et il dit :

-D'accord.


Vivenef  (26.03.2013 à 02:01)
Message édité : 17.06.2021 à 20:12

Ce chapitre est spécialement dédié à Choup37 qui m'en a passé commande.

J'espère qu'il sera à la hauteur de ce que tu espérais :). 

Merci encore pour m'avoir demandé cette scène...

 

CHAPITRE 15

 

 

Merlin sentit un énorme poids disparaître de son cœur alors qu'Arthur lui donnait sa permission, et il sut, au fond de lui, que tout irait bien. Ce qu'Arthur l'autorisait à faire, maintenant, était une chose dont il avait rêvé toute sa vie, une chose qu'il n'aurait jamais cru pouvoir réaliser, une chose qui le rendrait heureux comme jamais il ne l'avait été si seulement il avait la chance de l'accomplir.

La joie qu'il ressentait était sans partage.

Elle n'avait d'égale que l'angoisse qu'il éprouvait à savoir que le moment était enfin venu...

Et qu'au travers de ce qui allait se produire maintenant, son destin serait scellé.

Arthur le chercha des yeux, d'un air inquiet, et dit :

-Vas-y doucement, d'accord ?

Le roi eut l'air un peu embarrassé en reconnaissant :

-Je ne suis pas... habitué à ça, et je n'aimerais pas mal réagir.

-Ne vous inquiétez pas, dit gentiment Merlin. Je vous promets que ça se passera bien. Vous avez confiance en moi, n'est-ce pas ?

Arthur lui renvoya un regard direct, et acquiesça.

-J'ai confiance en toi., Merlin.

Puis, il se raidit comme s'il se préparait à une joute, et il affirma :

-Vas-y. Je suis prêt.

Merlin posa délicatement ses mains sur les tempes d'Arthur, de part et d'autre de son visage.

Arthur frissonna légèrement au contact de sa peau fraîche. Ils étaient tout proches l'un de l'autre.

Son champ de vision était entièrement rempli par l'image de Merlin, qui était à présent sérieux et concentré.

-Détendez-vous, Arthur. Je vous promets que ça ne vous fera pas mal.

Arthur mit quelques instants à obtempérer, puis, la tension qui habitait son corps se relâcha, peu à peu. Les mains de Merlin sur son visage étaient douces comme des plumes. Les yeux de Merlin plongés dans les siens étaient bleus et profonds comme l'océan. Les lèvres de Merlin bougèrent doucement pour prononcer un mot, dans un simple murmure, un mot doux et incompréhensible qui fit luire ses yeux d'un éclat d'or, plus brillant que la lumière du soleil, les rendant absolument magnifiques.

L'or envahit les ténèbres de l'incertitude où Arthur était plongé, diffusant sa lumière autour de Merlin comme s'il la générait, et, peu à peu, Arthur se retrouva enveloppé par une douceur qu'il n'avait encore jamais éprouvée. C'était confortable comme un matelas de plumes. C'était doux comme le miel sous la langue. C'était bon comme de déguster une pomme dans un champ sous un beau ciel d'été. C'était un amour d'une innocence et d'une générosité inconcevables, plein d'une tendresse maternelle, rempli de consolation et de patience, et cet amour était tout autour de lui, pour lui, et aussi, en lui. Il ne s'était jamais senti bien de toute sa vie : chéri, protégé, pardonné, encensé. Il aurait pu rester là pour toute l'éternité, drapé dans ce nuage d'amour.

Il était...

Il n'était plus Arthur.

Il avait seize ans et il s'appelait Merlin. Il avait quitté son village, sa mère et ses amis, pour partir vers l'inconnu, vers la ville, vers Camelot, et il était plein d'enthousiasme à la pensée de découvrir le vaste monde. Il ne connaissait de la vie que le gruau de sa mère Hunith, le sol de la maison où il dormait à Ealdor, les amusements d'enfant qu'il partageait avec son ami Will. Il savait aussi qu'il n'était pas comme les autres adolescents de son âge à cause de ses pouvoirs, et qu'il devait absolument les dissimuler s'il ne voulait pas avoir d'énormes problèmes.

Il avait conscience de sa différence, une différence qui avait toujours été là et contre laquelle il ne pouvait rien, et il avait peur d'être rejeté à cause d'elle, peur d'être considéré comme un monstre, mais malgré tout, il était rempli d'espoir, parce que l'espoir faisait partie de sa nature, et cet espoir consistait en un seul rêve : trouver sa place quelque part ; être accepté, être aimé, avoir un but au service duquel grandir.

Pour inaugurer son arrivée en ville, un homme était décapité sous ses yeux, pour avoir commis le crime d'être différent, lui aussi, et la peur, qu'il avait pensé laisser derrière lui, resurgissait aussitôt pour l'oppresser, le prenant à la gorge. A peine arrivé dans les appartements du médecin de la cour, vers lequel sa mère l'avait envoyé, il sauvait la vie de Gaïus, d'instinct, avec sa magie, et il était sévèrement mis en garde : si jamais il utilisait ses pouvoirs au vu et au su de tous, il pourrait s'estimer perdu...

Arthur ressentait ce qu'avait ressenti Merlin alors : le même sentiment d'injustice, la même tristesse, la même colère, et surtout, la même peur de ne jamais être accepté pour qui il était vraiment.

Comme lui, il essayait de faire profil bas.

Mais, malgré ses efforts pour passer inaperçu, il se retrouvait en butte aux brimades d'un jeune arrogant qui s'amusait au tir sur cible mobile, et il était choqué par l'attitude qu'avait ce chevalier présomptueux envers plus faible que lui. Déterminé à aider son prochain, Merlin lui faisait ravaler son franc parler sans méchanceté, et, en rançon de son courage, il échouait en prison après avoir appris qu'il venait de s'adresser au prince en personne d'une façon inconvenante. Alors, le dragon enfermé sous le château lui apprenait que son destin était de protéger cet énergumène qu'était le Prince de Camelot, parce qu'ils étaient les deux faces d'une même pièce, destinée à unifier la terre d'Albion. Les deux faces d'une même pièce ! Comme Merlin, Arthur pensait : n'importe quoi, 

Mais ensuite, il se retrouvait à sauver sa supposée moitié de l'attaque d'une sorcière vengeresse alors que ça n'était pas du tout prévu, et il était bombardé son serviteur sur décret du Roi en personne.

Il ressentait de la révolte, du désespoir, du mécontentement, de la frustration; et une tristesse omniprésente à la pensée d'être toujours sous-estimé, toujours rabroué, toujours considéré comme un idiot.

Mais tout cela commençait à se changer en respect alors qu'il réalisait le poids que le jeune Prince présomptueux qu'il servait portait sur ses épaules, puis en admiration face à sa volonté de bien faire, puis, en tendresse lorsqu'il s'apercevait du cœur qui se cachait sous l'apparence de l'arrogance, et enfin, en désir d'aider, de soutenir, de protéger Arthur. Et d'être reconnu de lui comme un allié, comme un ami.

La peur sous-jacente d'être découvert, jeté en prison, brûlé vif, était toujours aussi grande, mais au fil du temps qui passait, le désir d'aider, de soutenir et de protéger commençait à prévaloir sur elle.

Peu à peu, l'envie de reconnaissance disparaissait, pour laisser émerger un altruisme plein de compassion.

Et la magie était au cœur de ce désir. Et la magie était ce désir.

La magie piégeait le vil Chevalier Valiant, la magie terrassait l'Adanc ; la magie sauvait le père de Guenièvre de la maladie; la magie enchantait la lance qui terrassait le griffon.

Parfois, la magie ne pouvait rien, comme lorsqu'il s'agissait de boire une coupe empoisonnée à la place d'Arthur, mais ça n'avait pas d'importance, parce que, même quand il n'était pas possible d'utiliser la magie, à cause de la peur de la condamnation, l'amour, lui, était toujours là.

Grandissant. Grandissant. Jusqu'à tout envahir, jusqu'à tout submerger, jusqu'à déplacer des montagnes.

Disant je suis prêt à mourir pour vous, comme lors de l'épreuve envoyée par Anora après que le crétin royal ait tué la licorne, parce que le crétin royal n'était pas qu'un crétin, mais un jeune homme au cœur pur, dont la bonté attendait d'être révélée, et dont le nom, Arthur, était l'inspiration même de l'amour..

Arthur était bouleversé de se voir par les yeux de Merlin; bouleversé de découvrir ce que Merlin voyait en lui.

Pour Merlin, la magie...la magie était le poumon de l'amour dont Arthur était le cœur...

La magie envoyait des globes lumineux pour sauver Arthur des ténèbres où Nimueh l'avait piégé; la magie empêchait Sophia de troquer son âme contre l'immortalité dans le lac d'Avalon; la magie protégeait le jeune druide qu'Uther voulait mettre à mort; la magie venait au secours du village d'Ealdor et mettait en déroute une armée de bandits; la magie forgeait une épée de légende pour barrer la route à un démon ; la magie se donnait en sacrifice après la morsure de la Bête Glatissante; la magie anéantissait le pouvoir maléfique de Nimueh la sorcière.

La magie terrassait le sorcier maudit qui répondait au nom de Cornélius Sigan, elle conduisait Morgane jusqu'aux druides pour lui apprendre à ne pas avoir peur d'elle-même, elle révélait l'imposture de la reine Catrina, elle était menacée d'anéantissement pour avoir dessiné des chevaux de fumée, elle combattait les chasseurs de sorcière en les prenant à leur propre jeu, elle exaltait le pouvoir du véritable amour face aux philtres dérisoires, elle regardait l'avenir en face pour mieux pouvoir le changer, elle apaisait des dragons et leur offrait sa clémence.

Elle sauvait Uther en déjouant les poisons de la Mandragore, elle combattait des monstres d'outre-tombe pour empêcher Camelot de tomber, elle perçait à jour les plans de Morgane, elle libérait des gobelins pour les remettre en boîte, elle choisissait des Lancelot et des Gauvain comme compagnons pour Arthur parce qu'elle savait qu'ils seraient les meilleurs compagnons qu'il puisse espérer.

Elle empêchait les Sidhes d'arranger un mariage, elle contrecarrait les plans de Morgause et Cenred à Fyrien, elle libérait le Roi pécheur de la malédiction qui le faisait souffrir, elle sauvait Guenièvre du bûcher et de la disgrâce,elle brisait le pouvoir des armées immortelles.

Elle était toujours aux côtés d'Arthur : dans tous les combats, dans tous les écueils, faisant tomber quantité de branches aux moments les plus opportuns, trouvant toujours le moyen de faire s'effondrer un plafond ou de briser la sous-ventrière d'un cavalier assoiffé de sang pile quand il le fallait, veillant à ce que les coups mortels soient déviés, à ce que les enchantements assassins soient contrés, à ce que les mauvais esprits soient écartés.

Familière, bienveillante, omniprésente, la magie était dans la trame même de la vie d'Arthur, mais Arthur était aveugle à son action permanente, et à la manière dont elle l'enrobait comme un bouclier depuis toujours... parce qu'il était tellement imprégné par elle, tellement habitué à vivre avec elle, qu'il était incapable de la distinguer.

C'était à cause de cet aveuglement que l'amour endurait les épreuves, les humiliations, les difficultés sans jamais rien faire d'autre que grandir, profond, sincère, tenace, condamné à se taire et à s'oublier...

Maintenant, Arthur ressentait Merlin.

Il se voyait par ses yeux.

Il voyait leurs deux vies du point de vue de l'ami, du serviteur, du magicien. 

Il éprouvait ce que Merlin avait éprouvé, à chaque aventure, à chaque épreuve, à chaque dilemme, il sentait le poids des responsabilités qui pesaient sur lui écraser ses frêles épaules.

Merlin avait peur, pour lui, en permanence.

Mais il était incapable de condamner un petit garçon à mort pour sauver l'avenir. Il était incapable de laisser mourir Morgane d'une hémorragie cérébrale.

Il n'arrivait pas à vouloir le mal, même celui de ses ennemis. Il espérait toujours leur rédemption, il ne pouvait se résoudre à haïr. Son âme était pure et resplendissante.

Arthur pleurait avec lui sur la jeune fille maudite qui se changeait en Bastet à la lumière des étoiles, lorsqu'elle mourait dans ses bras devant le lac d'Avalon, parce qu'il l'avait aimée sincèrement.

Il souffrait avec lui quand le Seigneur des Dragons, Balinor, son père, périssait trop tôt en lui léguant ses pouvoirs, le laissant, à nouveau, bâtard et orphelin.

Il mourait intérieurement à chaque mensonge que Merlin était obligé de dire pour pouvoir accomplir sa mission, s'obligeant à les prononcer parce qu'ils étaient nécessaires, s'obligeant à écouter, encore et encore, celui pour lequel il se sacrifiait chaque jour lui répéter : la magie est mauvaise et entendant à la place : je ne pourrai jamais t'accepter tel que tu es.

Merlin qui réussissait à trouver les mots pour l'empêcher de tuer son propre père, Merlin qui était à ses côtés même lorsque tous les autres l'abandonnaient... Merlin qui rappelait à lui ses chevaliers dispersés quand il avait besoin de leur présence, qui lui rendait sa force quand il la perdait, Merlin qui incarnait l'espoir disparaissait à chaque fois qu'il pensait qu'Arthur ne pourrait jamais l'accepter tel qu'il était.

Arthur le sentait si déterminé à donner sa vie pour lui, même lorsque ses pouvoirs flétrissaient en présence des Dorochas, alors qu'il était terrifié comme n'importe qui d'autre. Merlin était prêt, au même titre que lui, à se sacrifier pour refermer le voile, tout comme il était résolu à tout mettre en oeuvre pour sauver le Roi Uther, alors qu'il aurait dû être son plus farouche opposant, juste pour prouver à Arthur à quel point il l'aimait... juste pour lui montrer qu'il n'était pas mauvais.

Arthur le voyait décider de se transformer en Dragoon, d'abord pour Guenièvre, puis, pour Uther, et il embrassait avec lui l'immense espoir qu'il nourrissait de changer la vision que le Prince de Camelot avait de la magie... puis, il se décomposait de l'intérieur avec lui lorsqu'il échouait... Toutes ces larmes qu'avait versées Merlin, sur chacune de ses erreurs... Comme Arthur les comprenait, et comme il regrettait, de n'avoir pas pu être là pour lui dans ces moments-là, là pour lui dire, tout simplement : ce n'est pas de ta faute et tout ira bien.

Merlin le sauvait lors de son duel contre le terrible champion de la Reine Annis, Merlin combattait Morgane et détruisait le fomohrre, Merlin résistait au pouvoir de Lamia, Merlin perçait à jour la fourberie d'Agravain, Merlin découvrait avant tout le monde la vérité sur le retour de Lancelot, Merlin l'empêchait de tuer Guenièvre transformée en biche puis la guérissait lorsqu'elle était blessée, Merlin l'assommait lors du siège de Camelot pour pouvoir le soustraire aux foudres de Morgane, Merlin appelait son dragon à son aide pour anéantir les armées qui le poursuivaient, Merlin plaçait l'épée dans le lac, puis la retirait du lac, enfonçait l'épée dans la pierre, puis, incitait Arthur à s'en saisir et à la déloger du rocher...

Arthur en avait des vertiges, enlevé dans le torrent de feu de cette vie qui défilait sous ses yeux, de ce cœur qui battait à l'unisson du sien, de cette âme qui était l'autre moitié de la sienne.

Il sentait pulser cette pensée en lui : protéger, protéger, protéger, cette nécessité vitale qui venait avec l'amour et qui était le propos de la magie.

Il voyait les erreurs de Merlin et les souffrances indélébiles qu'elles lui avaient causées. La libération du dragon, l'empoisonnement de Morgane, la mort d'Uther, la trahison de Guenièvre qu'il était arrivé trop tard pour empêcher...

Merlin qui voulait tant faire le bon choix mais qui n'y parvenait pas toujours et qui portait chacune de ses fautes comme un poids qui ne disparaîtrait jamais. Merlin qui s'épuisait et s'inquiétait et pour qui mentir était de plus en plus lourd et de plus en plus triste, mais qui pensait sincèrement ne pas avoir le choix et qui avait toujours aussi peur qu'Arthur apprenne la vérité, peur d'être rejeté, détesté, à cause de ce qu'il était, à cause de la magie, à cause de l'amour.

La magie... sauvait Guenièvre des hommes envoyés par Ular. La magie... sauvait Morgane de l'emprise du démon qui la possédait, et lui ouvrait la voie de la rédemption... la magie entourait Morgane. Les yeux d'Arthur s'emplirent de larmes alors qu'ils distinguaient Morgane, entourée d'enfants, dont le sourire était enfin redevenu ce qu'il avait été jadis... Morgane... sa soeur... que la magie lui avait ramenée... que Merlin lui avait ramenée.

Car la magie était l'âme de Merlin, et elle n'aspirait qu'à le servir, comme le disaient ces lèvres blessées qui s'ouvraient pour dire : quoi que vous puissiez croire, je suis toujours votre serviteur. Même roué de coups, nié, exilé, rejeté loin de lui, Merlin n'avait jamais cessé d'être son serviteur, avec chaque fibre de sa magie. Les images et les émotions défilaient dans la tête d'Arthur, s'accélérant, s'amplifiant, et soudain, toute cette pression, toute cette peur, tout cet amour, et le fardeau de ces terribles responsabilités, se mêlèrent en lui dans un seul nom. Il crut que son cœur allait éclater, éclater de la tendresse qu'il éprouvait pour la personne qui portait ce nom, éclater de tant de bravoure, de générosité, de loyauté, de sacrifice, tout cela pour lui, c'était trop, trop immense, trop puissant, et cependant, d'une telle douceur, et d'un tel réconfort, qu'il était incapable de vivre sans cela, si bien qu'il se sentait juste... reconnaissant.

Le sort se dissipa, et Arthur, incapable de contenir ses sanglots, secoua la tête, puis, saisissant son ami par les épaules, le prit dans ses bras, et le serra contre lui, de toutes ses forces, en disant : «Merlin», sans se soucier des convenances ou du ridicule. Il arrivait juste à se cramponner à lui, et il répéta son nom, à voix basse, en écoutant la respiration rauque de Merlin contre sa joue, en sentant ses larmes inonder son cou.

Arthur comprenait ce que Merlin aurait été prêt à sacrifier s'il le lui avait demandé, et savoir qu'il l'aurait fait sans hésiter augmentait encore sa gratitude, et son admiration. La loyauté de Merlin était la plus incroyable qui soit au monde et la manière dont il était capable de placer son destin entre ses mains sans hésiter était plus belle preuve d'amour qui puisse exister. Il pouvait le voir, maintenant qu'il savait qui était vraiment Merlin, et ce qu'était sa magie.

Et il avait, enfin, le sentiment d'avoir les yeux grands ouverts.

-C'est moi qui te demande pardon, réussit-il à articuler.

Merlin hocha la tête contre lui, dans un sanglot silencieux.

-Jamais je ne te demanderai de sacrifier ta magie pour moi, promit Arthur.

Merlin émit un son étouffé, et Arthur le serra plus fort. Il le fit, autant parce qu'il en avait envie, que parce qu'il savait à présent, que, depuis des années, Merlin rêvait qu'il lui fasse un câlin. Un câlin exactement comme celui-là, dans lequel il pourrait s'appuyer sur lui et fermer les yeux pour oublier, l'espace d'un instant, qu'il était celui qui était censé protéger les autres, et se sentir pleinement protégé à son tour.

Alors, pour une fois dans sa vie, Arthur ne plaisanta pas, ni ne donna de bourrade solide dans le creux de son épaule. Au lieu de cela, il l'entoura de ses bras forts et fermes, et il resta là, à tenir étroitement son ami qui tremblait comme une feuille, de s'être révélé si complètement à lui avec tant de courage.

Puis, quand il entendit Merlin soupirer contre son oreille, Arthur se dégagea de l'étroite embrassade, et découvrit, attendri, qu'il n'était pas le seul à s'être couvert de ridicule. Les yeux de Merlin étaient à peu près aussi rouges que devaient l'être les siens, et il avait l'air de sortir du lit avec ses cheveux ébouriffés.

-Nous rentrons à Camelot, dit-il, d'un ton autoritaire. Ensemble.

Merlin hocha la tête avec un grand sourire idiot et répéta :

-Ensemble.

Arthur renifla, puis, dit d'un ton supérieur :

-Tu es une vraie fille, MerlinRegarde-toi: tu as le nez mouillé.

Arthur fit quelques pas, et ne put s'empêcher de sourire jusqu'aux oreilles quand il entendit derrière son dos : «tête de cuiller ».

Il n'avait pas besoin de savoir de quoi demain serait fait, puisqu'à cet instant précis, il chaque chose était enfin revenue à sa place


Vivenef  (01.04.2013 à 22:16)
Message édité : 17.06.2021 à 20:11

 CHAPITRE 16

 

 

Merlin et Arthur reprirent la route de Camelot, côte à côte. Arthur tenait son cheval par la bride pour marcher auprès de Merlin. Et après un long moment un peu étourdi, il rompit le silence enchanté qui les enveloppait. On aurait pu croire que c'était pour dire quelque chose d'intelligent. Merlin était encore tout commotionné d'avoir pu montrer toute la vérité à Arthur et il se sentait étrangement léger, nu et vulnérable, après lui avoir révélé tous ses secrets de cette manière-là. Il avait l'impression de flotter sur un nuage. Arthur l'avait vu et il l'acceptait tel qu'il était. C'était ce qu'il avait attendu toute sa vie ! Maintenant, il espérait quelque chose d'intelligent. Mais quand Arthur ouvrit la bouche, en lui jetant au passage un regard en coin, ce fut pour demander, d'un ton incrédule :

-Franchement, Merlin : qu'est-ce que c'est que ce manteau ?

Merlin lui jeta un coup d'oeil étonné.

Il avait un faible pour sa nouvelle garde-robe, et, tout à sa joie, il dit d'un ton bienheureux ;

-Il est élégant, non ?

Il n'aurait pas dû se montrer si naïf, il s'en rendit compte dès qu'il eut terminé sa phrase.

-Elégant ? fit Arthur, hilare. Il y a des plumes collées dessus. Des plumes, Merlin.

Le Roi roula des yeux d'un air éloquent et s'exclama en retroussant le nez :

-Ce sont les filles qui portent ce genre de choses.

-Arrêtez de me traiter de fille, Votre Anerie, se rebiffa Merlin. Il faudrait voir à ne pas tout mélanger. J'ai du style, voilà tout. Evidemment, pour vous, qui n'en avez pas...

-Je suis sûr que Morgane trouverait ça ravissant, coupa Arthur.

La réplique de Merlin mourut sur ses lèvres.

C'était exactement ce qui s'était passé. Elle avait essayé de le cacher à toutes forces, mais ses pensées avaient filtré malgré elle.

Arthur lui lança un regard triomphant, conscient d'avoir fait mouche.

-Ahah. Tu n'as rien à répondre à ça, n'est-ce pas ?

Merlin s'empourpra.

-En fait... reconnut-il.

-Elle a trouvé ravissant, dit Arthur, dont le sourire ne cessait de s'élargir tandis qu'il le dévisageait.

-Comment le sauriez-vous ? dit Merlin, sur la défensive.

-C'est ce qui se passe quand on lance un sortilège de vérité, dit Arthur d'un ton guilleret. La vérité apparaît.

-Vous avez eu le temps de faire attention à ce genre de détails ? s'étrangla Merlin.

-Quoi, tu croyais sans doute que je serais trop abasourdi par ton dragon pour remarquer ? Morgane a adoré ton manteau : si ça n'est pas une preuve que tu as des goûts de fille, claironna Arthur.

-Je n'ai pas des goûts de fille !

-Tu portes des plumes !

-Il y a un sens profond aux plumes. Je m'appelle Merlin. Et un merle est un oiseau. Donc...

-Tu vas t'envoler ? fit Arthur, hilare.

-En fait ; je pourrais m'envoler, fulmina Merlin. Et vous laisser planté là comme un idiot. Je suis un sorcier et je...

-Merlin ? dit Arthur avec bonne humeur.

L'habitude le fit s'interrompre aussitôt pour répondre :

-Oui ?

-La ferme.

Ils se regardèrent et Arhur eut un vaste sourire.

-Je n'ai aucune envie que tu t'envoles.

-Crétin royal.

-Idiot magique.

Merlin pantela, puis, éclata de rire. Arthur rit avec lui et le cheval leur lança un regard apitoyé en ayant l'air de penser qu'il était la seule créature présente à avoir la moindre once d'intelligence.

Quand le fou-rire fut passé, Merlin s'essuya les yeux.

-Arthur ?

-Oui, dit le Roi, en reprenant son souffle.

Il plissa les yeux et avoua :

-Ca m'a manqué.

-A moi aussi, Merlin. A moi aussi.

Arthur lui jeta un regard en coin.

-Si tu recommences à pleurer, je te trouve un nom de fille.

-Vous avez les yeux qui brillent, Votre Anerie.

-Non, ce n'est pas vrai.

-Arthuria.

-Pigeonnette.

-C'est un nom horrible ! s'indigna Merlin.

-C'est un nom d'oiseau, rectifia Arthur. Il fallait bien que je prenne les plumes en compte.

-Je n'arrive pas à le croire ! Après tout ce que vous m'avez fait endurer, vous croyez pouvoir m'appeler Pigeonnette ? Je suis Emrys. Je suis le plus grand magicien de tous les temps. J'exige d'être traité de manière...

-Merlin ?

-Oui...

-La ferme.

Merlin arrondit la bouche, furieux.

-C'est moi le Roi Présent et à Venir, pavoisa Arthur. Je t'appelle comme je veux..

-Je devrais vous changer en crapaud.

-Tu n'oserais jamais.

Ils se toisèrent l'un l'autre.

-Euh... les filles ? vint les interrompre une voix inconnue.

Arthur et Merlin se retournèrent comme un seul homme, outrés, pour découvrir qui avait osé s'adresser à eux avec tant d'effronterie. Un groupe de six brigands de grand chemin se trouvaient face à eux, pointant dans leur direction épées et arbalètes. Ils portaient des armures de cuir matelassées et ils souriaient de toutes leurs dents. Ils devaient les avoir encerclés depuis un moment parce qu'ils semblaient parfaitement amusés par la scène.

-Vous êtes adorables toutes les deux, s'exclama le chef hilare, mais permettez-nous d'interrompre votre petite discussion... et de vous alléger de votre or ? Dès que vous nous aurez rendu ce petit service, nous vous laissons retourner à votre dispute conjugale.

Le sourcil de Merlin sauta vers le haut.

Les yeux d'Arthur se plissèrent légèrement.

-Comment nous avez-vous appelés ? s'exclamèrent-ils en même temps.

-C'était ma réplique, s'exclama Arthur, en se retournant vers Merlin, agacé.

-Très bien ! A vous l'honneur, alors, lui répondit Merlin en écartant les mains. Faites-vous plaisir ! Je surveille vos arrières.

-J'aimerais beaucoup voir ça, dit Arthur en le toisant de haut.

-Ils sont six, et vous êtes seul, vous avez bien besoin de quelqu'un pour surveiller vos arrières, argumenta Merlin.

-Surveille donc plutôt mes avants, pendant que je juge de quoi tu es capable.

-Vous plaisantez ? Je ne vais quand même pas faire de la magie comme ça, devant tout le monde...

Arthur lui adressa un regard éloquent.

-Comme si c'était la première fois.

Merlin se sentit tout embarrassé.

-Très bien... je voulais dire... pas devant vous. C'est trop... personnel, ça m'intimide que vous me regardiez.

-Ca t'intimide ?

-Oui, parfaitement. D'habitude...

-Euh...

Ils s'interrompirent. Les bandits les dévisageaient d'un air perplexe. La mâchoire de deux ou trois d'entre eux semblait être sur le point de se décrocher.

-Assez plaisanté, intervint le chef. L'or, d'abord. Les discussions sur l'oreiller, ensuite.

-Quel oreiller ? s'exclamèrent à l'unisson Arthur et Merlin, indignés.

-Je ne dors pas avec lui ; il ronfle, dit Merlin, en pointant son doigt sur Arthur.

-Au moins, mes chaussettes ne sentent pas mauvais comme les tiennes !

-C'est bien normal, vu que c'est moi qui les lave ! Vous en salissez tellement que je n'ai plus le temps de m'occuper des miennes, c'est pour ça qu'elles sentent. Vos ronflements, par-contre, vous ne les devez qu'à vous-même.

-Je ne ronfle pas.

-Demandez à Gwen !

-Qui est Gwen ? demanda l'un des brigands, d'un air intéressé.

-C'est la Reine de Camelot, d'exclama Arthur, d'un air réprobateur. Un peu de respect quand vous parlez d'elle ! D'ailleurs, vous feriez bien de changer de ton. Parce que je suis le Roi Arthur, et que cet épouvantail à plumes, que vous voyez-là, est le plus puissant magicien de tous les temps.

-Et moi, je suis Dame Morgane, dit le chef des brigands en riant.

-Ne parlez pas comme ça de ma sœur, dit Arthur, avec un regard menaçant. Vous êtes bien trop laid pour usurper son identité.

-Assez ! s'exclama le chef des brigands.

Ce qui se passa ensuite fut un peu confus. Quatre des six arbalètes crachèrent des flèches mortelles et deux épées sifflèrent dans les airs.Quatre flèches s'arrêtèrent net, figées dans les airs, puis se retournèrent comme des boomerangs pour clouer deux de leurs envoyeurs à l'arbre le plus proche. Une épée fut transformée en pétunia, l'autre fut arrêtée par un bouclier. Un brigand se retrouva pendu par les pieds la tête en bas au sommet d'un arbre, une liane enroulée autour de ses bottes, tandis qu'une branche morte en attaquait un autre à coups répétés sur la tête. Le chef termina en-dessous d'Arthur tandis que l'ultime rescapé s'enfuyait en courant.

Arthur regarda Merlin, puis, successivement : les deux hommes cloués aux arbres par leurs vêtements comme après un jeu de fléchettes, celui qui se balançait dans les hauteurs, et celui qui était engagé dans un duel à mort avec une bûche. Puis, il ramassa le pétunia qui gisait par-terre, et il admit, amusé :

-Pas mal.

-Pas mal ? répondit Merlin. Qu'est-ce que j'aurais dû faire de plus pour mériter un bravo!

-Sortir un dragon de ta manche ? proposa Arthur.

Puis, il admit.

-En tout cas, je te reconnais une chose : tu as certainement un style... très original.

-Je crois, marmonna Merlin, que je vais prendre ça comme un compliment.

 

*

 

Ils étaient encore loin de Camelot lorsque le soir tomba, et ils s'arrêtèrent pour camper.

Merlin se mit en devoir de ramasser du bois pour le feu, et partit à la pêche au harpon dans le ruisseau le plus proche. Il prit trois poissons qu'il mit à griller sur une pique, puis, il aida Arthur à s'extraire de son armure, en s'exclamant au passage qu'il avait encore grossi. Arthur protesta avec véhémence; Merlin voulut regarder dans son sac; et ce fut alors qu'il trouva les miettes des pâtés en croûte.

-Je le savais ! s'exclama-t-il, triomphant.

Arthur eut beau protester, les évidences étaient là...

Le poisson se trouva grillé à point et ils le dégustèrent avec appétit. Quand ils eurent terminé de manger, Merlin jeta un coup d'oeil à son Roi. Une idée venait tout juste de germer dans sa tête...

-Arthur.

-Oui.

-Est-ce que vous aimeriez rencontrer mon dragon ?

La bouche d'Arthur s'arrondit, et son regard se mit à briller comme celui d'un enfant.

-C'est... possible ? demanda-t-il.

-Oui, bien sûr, dit Merlin. D'autant que je suis certain qu'il meurt d'envie de vous être présenté.

-Kilgarrah, lâcha soudain Arthur. C'est comme ça qu'il s'appelle, n'est-ce pas ?

Merlin ressentit une immense fierté à la pensée qu'Arthur se rappelle le nom du Grand Dragon.

-Est-ce que vous voulez ? insista-t-il.

Arthur siffla entre ses dents. Le moins qu'on puisse dire, c'était que la journée était pleine de surprises ! D'abord, il avait intériorisé une somme de connaissances inimaginable en l'espace de quelques secondes. Puis, il avait combattu sa première bataille aux côtés de Merlin magicien, et découvert que les pétunias étaient son arme secrète. Et maintenant, il était sur le point de rencontrer un dragon ! Il aurait dû se sentir dépassé, mais en vérité, il se sentait jeune, fougueux et enthousiaste comme il ne l'avait pas été depuis longtemps. C'était l'effet Merlin : leur camaraderie, leurs chamailleries idiotes, et l'humour qu'il y avait en chaque chose quand il était là...

-Allons-y, s'exclama-t-il d'un ton guilleret. Après tout, Kilgarrah et moi n'avons jamais été présentés correctement. La dernière fois que nous nous sommes rencontrés,il a essayé de me faire griller à grands coups de flammes, puis de me dévorer vivant.

Merlin lui adressa un regard peiné.

-Il n'était pas lui-même, protesta-t-il.

-Je sais, dit Arthur, avec un petit sourire. Je connais ton dragon, as-tu déjà oublié ? Lui aussi, faisait partie de ton sort de vérité.

-A une seule exception près, jeune Pendragon, tonna une voix caverneuse, dans le ciel au-dessus de leurs têtes. Je ne suis le dragon de personne !


Vivenef  (09.04.2013 à 01:55)
Message édité : 17.06.2021 à 20:11

 CHAPITRE 17

 

 

 

Arthur regarda Kilgarrah se poser face à eux et pensa : «gigantesque ». Se retrouver face à un dragon était une expérience intimidante, même lorsque le dragon en question n'avait pas particulièrement l'intention de vous faire griller à coups de lance flammes ni de vous dévorer vivant.

Il s'efforça néanmoins de faire bonne figure et de ne pas avoir l'air trop impressionné, parce qu'il n'avait pas la moindre intention de donner à Merlin une nouvelle occasion de l'appeler Arthuria.

Merlin s'était avancé vers la créature, et tous deux étaient en train de s'échanger des compliments.

Arthur les avait déjà vus faire, grâce au sortilège de vérité, mais les regarder pratiquer juste sous son nez en temps réel était assez fascinant.

-Vous m'avez devancé ; j'étais sur le point de vous demander de nous rejoindre.

-Je suis un dragon, Merlin. J'ai un don naturel pour les rendez-vous avec le destin.

-J'ai enfin honoré ma promesse envers vous, et, pour la première fois, je peux me tenir devant vous sans honte.

-Ce que tu as accompli, jeune magicien, tu l'as accompli grâce à ton cœur, et aujourd'hui, ce que j'ai discerné en toi depuis le commencement va enfin pouvoir devenir visible aux yeux de tous.

-Je suis heureux, Kilgarrah.

-Et la magie se réjouit avec toi, car ce jour est un grand jour pour nous tous, et pour Albion.

Arthur n'avait jamais vu Merlin faire les yeux doux à personne comme il les faisait à Kilgarrah.

Il avait l'air d'un amoureux transi face à sa dulcinée. Et le dragon semblait tout autant sous le charme du magicien, à en juger par le sourire qui s'inscrivait sur son visage. Inutile de chercher à comprendre comment un dragon pouvait sourire : cela relevait du mystère même pour Arthur qui assistait au phénomène. Tout ce qu'il aurait pu expliquer, c'était qu'il était convaincu que Kilgarrah souriait de tous ses yeux à cet instant précis, malgré ses dents tranchantes et ses griffes acérées.

-Voici le Roi Présent et à Venir, dit Merlin, en se retournant vers Arthur pour faire les présentations.

-Voici le Dragon qui n'appartient à personne, dit Arthur, par bravade, en regardant Kilgarrah.

-Arthur, dit Merlin, avec un regard indigné.

-Quoi ? répondit Arthur. C'est lui qui l'a dit ; pas moi.

Kilgarrah eut un rire chaleureux, comme si cette scène l'amusait pofondément.

Puis, il reprit son sérieux, et avança d'un pas, les yeux fixés sur Arthur comme s'il le mesurait du regard.

-Enfin, nous nous rencontrons, jeune Pendragon.

-Si vous avez bonne mémoire, c'est déjà la deuxième fois, lui rappela Arthur, en haussant un sourcil.

Il prit une inspiration et il dit :

-Je vous dois des excuses, pour toutes les années que vous avez passées enchaîné en-dessous du château. Au nom de Camelot, et de mon père.

-Rien n'arrive jamais sans une bonne raison, jeune Pendragon, répondit Kilgarrah. Et nul ne peut endosser seul la responsabilité de tous les choix par lequel le destin est forgé...

Arthur échangea un regard avec Merlin, déstabilisé par cette réponse.

-Je n'ai pas tout compris, c'est normal ? lui glissa-t-il à l'oreille.

-Les dragons aiment parler par énigmes, lui répondit Merlin sur le même ton.

-Si tu crois que je n'avais pas remarqué; je te signale que j'ai un excellent souvenir de toutes les conversations où il t'a laissé sur le carreau. C'est juste que je ne m'attendais pas à ce qu'il fasse la même chose avec moi.

-Je ne vois pas pourquoi il ferait autrement.

-Peut-être parce que je suis le Roi Présent et A Venir ?

-Vous êtes toujours aussi présompteux, en tout cas !

-C'est impoli de faire des appartés à deux quand on est engagé dans une discussion à trois, signala Kilgarrah, d'un ton amusé.

-Même lorsqu'il s'agit des deux faces de la même pièce ? dit Arthur, d'un ton joueur. Maintenant que nous en sommes-là, j'aimerais beaucoup que vous m'éclairiez sur ce point. Pourquoi les deux faces de la même pièce ?

-L'union du magicien Emys et du jeune Pendragon représente le lien entre l'ancien et le nouveau monde, répondit Kilgarrah. C'est seulement au travers de ce lien qu'Albion pourra voir le jour et devenir le royaume de légende qu'elle est appelée à être. Vos deux noms ont été inscrits dans l'histoire bien avant votre naissance, et votre destin restera gravé dans toutes les mémoires bien après votre mort. C'est un destin que vous ne pouvez accomplir l'un sans l'autre...

-Et si... nous ne nous étions pas du tout entendus ? dit Arthur, avec un regard sceptique. Ou si j'avais été incapable d'accepter la magie de Merlin ? Que se serait-il passé ?

-Albion serait morte avant même sa naissance, répondit Kilgarrah. Et ses royaumes auraient sombré dans le chaos.

-Tout ça, parce que moi, et Merlin, nous serions séparés ? dit Arthur, incrédule.

-Les deux faces d'une même pièce ne peuvent exister l'une sans l'autre, répondit solennellement Kilgarrah. Sans Merlin, jeune Pendragon, tu ne serais pas le Roi que tu es devenu. Et sans toi, Merlin ne serait pas non plus le Magicien qu'il est devenu. Maintenant, il vous faut unir vos forces pour unifier Albion et accomplir ce que vous avez été destinés à faire depuis l'aube des temps : redonner à la magie sa juste place dans le monde.

Arthur ouvrit la bouche, puis la referma. Redonner à la magie sa juste place dans le monde ? Qu'est-ce que ça voulait dire, au juste ? Il réalisa soudain qu'il n'avait pas réfléchi un seul instant à sa décision d'accepter Merlin tel qu'il était. Elle était venue comme une évidence. Il ne pouvait tout simplement pas faire autrement ! Mais bientôt, ils seraient de retour à Camelot. Comment justifierait-il le fait qu'il était de retour avec son serviteur, alors que celui-ci était désormais bien connu pour être un magicien, s'il ne changeait pas aussi les lois concernant la magie ?

Seulement, il ne se voyait pas du tout faire ça. Une chose était la magie de Merlin ; une autre était la magie tout court. Il avait pleinement confiance en la première, parce qu'elle émanait d'une personne à qui il aurait confié sa vie les yeux fermés. Mais la magie en général, et la magie des autres sorciers? C'était une toute autre histoire...

Merlin le regarda, et parut soudain très déstabilisé.

-Arthur... dit-il, d'un ton hésitant. Après que nous soyions retournés à Camelot... la magie ne sera plus illégale, n'est-ce pas ? Vous avez bien l'intention... de changer les lois qui la répriment ?

Arthur frissonna.

-Je ne sais vraiment pas ce qui t'a fait croire ça, dit-il, d'une voix faible.

-Ce qui m'a fait croire ça ? s'emporta Merlin, rouge pivoine. Je ne sais pas ! Laissez-moi réfléchir... Oh ! Pourquoi pas le fait que vous m'ayiez dit : «jamais je ne te demanderais de sacrifier ta magie pour moi !» ou bien votre détermination à ce que nous rentrions ensemble ! Et l'épisode des brigands, tout à l'heure, où vous m'avez poussé à vous faire la démonstation de ce dont j'étais capable, parce que vous étiez curieux ! Mais non ! Bien sûr ! C'est moi qui me fait des idées ! Parce que la magie est illégale, et que le Roi de Camelot est le plus grand des hors-la-loi ! Où avais-je la tête !!!

-Merlin !

-Oui ?

-La ferme.

Arthur fronça les sourcils.

-Ce que tu dis est vrai : j'accepte ta magie, mais ça te concerne... toi, pas les autres.

-Je n'arrive pas à le croire. Dites moi : comment allez-vous expliquer le fait que vous ayiez un magicien pour serviteur si la magie continue d'être illégale ? Allez-y, j'aimerais bien vous entendre !

-Tu ne pourrais pas être... une exception ? dit Arthur, en clignant des yeux.

-Je ne veux pas en être une ! Vous êtes le crétin le plus obstiné et le plus insupportable que j'aie jamais rencontré !

-Je pourrais bien dire de toi la même chose !

-Mon Dieu, Kilgarrah, je suis vraiment désolé, dit Merlin, confus, au Grand Dragon qui suivait la scène avec intérêt. Je pensais que cette question-là était réglée. Je croyais que...

-Il me semble, répondit Kilgarrah, que vous avez grand besoin de tirer cette partie-là des choses au clair entre vous. Mais souvenez-vous : sans magie, point d'Albion...

-Vous n'allez quand même pas nous laisser comme ça ? dit Merlin, indigné.

-Convaincre le jeune Pendragon est ton destin, pas le mien, s'amusa Kilgarrah.

-Vous voulez dire que c'est encore à moi de faire tout le travail ? s'écria Merlin, furieux.

Pour toute réponse, Kilgarrah étendit ses ailes, et s'envola vers le ciel en riant.

Merlin se retourna vers Arthur, qui se mordillait la lèvre inférieure d'un air profondément troublé.

-Je ne veux pas être une exception, redit-il, avec force. Des dizaines de pesonnes comptent sur moi pour que la magie puisse à nouveau être reconnue... des gens qui souffrent de vivre dans l'illégalité depuis des années ; je ne peux pas les trahir ; je ne peux pas les décevoir. Et je refuse de profiter d'un nouveau statut qui serait créé pour moi seul tandis qu'ils devraient continuer à se cacher.

Arthur soupira. Il savait toutes ces choses. Il avait vu la souffrance de Gili, d'Alator, et de tous les autres sorciers anonymes qui avaient été obligés de se cacher toute leur vie alors qu'ils ne rêvaient que de pouvoir être eux-mêmes, sans parler des druides, qui n'avaient jamais fait de mal à personne et qui avaient souffert de dizaines de persécutions... Il savait que c'était pour eux que Merlin parlait, et que c'était envers eux qu'il avait un devoir.

-Je comprends, dit-il. Tu as un engagement envers les autres magiciens, comme j'en ai un envers mon peuple...

-La magie n'est pas mauvaise, s'exclama Merlin, d'un air implorant.

-Je sais, dit Arthur. Mais même s'il existe beaucoup de magiciens honorables, tous ceux qui la possèdent n'ont pas un cœur aussi bon que le tien. Et c'est un danger qu'il me faut prendre la peine d'évaluer.

Merlin baissa les yeux. Il savait qu'Arthur disait la vérité... mais il n'avait pas envie de l'entendre.

-Je ne peux pas rentrer à Camelot et tout bousculer d'un seul coup, reprit Arthur. Nous devons prendre le temps de réfléchir à ce que nous allons faire. Sur le principe, je pourrais envisager une loi qui explique que l'usage de la magie... aux fins d'aider, de protéger ou de guérir son prochain... n'a rien de répréhensible...

-Vous êtes sincère ? dit Merlin, avec espoir.

-Oui, mais toute loi suppose des moyens de contrôle, reprit Arthur. Et je ne veux pas me précipiter dans quelque chose que je serai incapable de maîtriser par la suite. Alors... je te demande de m'aider, Merlin. A y réfléchir. Et à trouver la meilleure solution pour tout le monde. Le peuple de Camelot. Les magiciens. Les druides. Albion. Toi. Moi. Si ce que nous sommes supposés faire est unir l'ancien, et le nouveau monde, celui de la magie, et celui de la raison, il nous faut agir prudemment et avancer pas à pas.

Merlin hocha la tête, avec bonheur. Cela, il pouvait l'entendre.

-Nous trouverons un moyen, affirma-t-il. Ensemble.

-D'ici là, tu seras l'exception, expliqua Arthur. Ou, disons plutôt, la promesse d'un changement à venir. Il faudra, bien sûr, rectifier publiquement les choses pour que les gens sachent que tu n'as jamais essayé de me tuer. Et je t'accorderai mon pardon devant toute la Cour, pour services rendus à Camelot.

Arthur soupira.

-Le plus difficile, pour moi sera de me trouver un autre serviteur, reconnut-il avec répugnance.

-Quoi ? Vous voulez me licenciez ? s'écria Merlin, qui n'arrivait pas à le croire.

-Merlin : tout le monde saura que tu es un magicien, dit Arthur, en le regardant comme s'il était stupide.

-Je ne veux pas que vous preniez un autre serviteur, protesta Merlin, indigné. Je peux très bien être votre serviteur et votre magicien en même temps. C'est exactement ce que je suis depuis six ans, je vous signale et je m'en sors très honorablement.

-Je comptais faire de toi mon conseiller, lui annonça Arthur.

Merlin se tut. Il avait l'air déchiré, entre le plaisir qui lui faisait rosir les joues, et la répugnance qu'il semblait ressentir à la pensée de quitter ses fonctions premières.

-Tu es censé être Emrys, lui rappela Arthur. Le plus puissant magicien de tous les temps ? Tu pourrais tenir toute une armée en respect à toi tout seul ! Tu as un dragon ! Tu ne voudrais quand même pas passer le reste de ta vie à repriser mes chaussettes ? Ca ne ferait vraiment pas sérieux, Merlin.

-Si je peux utiliser ma magie pour mes corvées, je ne vois pas où serait le problème, protesta Merlin.

-Les corvées t'ont toujours assommé d'ennui, répliqua Arthur. Tu ne les as jamais faites qu'à contre-coeur, il n'y a qu'à voir comme ton remplaçant, Jean-Charles -

-Georges, rectifia Merlin, les yeux plissés. Il s'appelle Georges.

-Oui, enfin qu'importe – il n'y a qu'à voir comme il te surpasse pour se rendre compte que tu es le pire des serviteurs qui soit.

-Je ne veux pas que vous en preniez un autre, dit Merlin, obstiné.

-Pourquoi pas ?

-Parce que quand je m'occupe de vous, je sais de quelle humeur vous êtes, si vous avez passé une bonne journée, si quelque chose vous cause du souci; j'ai du temps pour vous écouter, pour vous donner mon avis, et nous faisons des blagues, et ensuite vous essayez de m'assommer en m'envoyant quelque chose sur la tête, mais vous me ratez à chaque fois, et si je n'ai plus ça...

Ca me manquera, pensa Arthur, le cœur serré, en même temps que Merlin le disait à voix haute.

-Merlin...

-Non. Certaines choses ne doivent jamais changer, dit Merlin, obstiné, en secouant la tête. Et certainement pas celle-là... En tant que votre serviteur personnel, je peux vous protéger plus facilement, vous accompagner où que vous alliez, et m'assurer que vous ne faites pas n'importe quoi...

-C'est bon, tu m'as convaincu, dit Arthur, qui ne voyait vraiment pas comment ils allaient pouvoir faire pour s'en sortir. Mais ça ne règle pas le problème de ta crédibilité...

Les yeux de Merlin pétillèrent soudain alors qu'une idée lui traversait l'esprit.

-Vous savez ? Si vous voulez vraiment un magicien pour siéger au Conseil et à la Table Ronde, j'en connais un qui serait tout à fait crédible...

-Ah oui ? Qui ça ? demanda Arthur, sceptique.

-Moi... en un peu plus vieux ? proposa Merlin. Je suis sûr que je pourrais avoir l'air très officiel du haut de mes quatre-vingts ans.

-Et comment diable comptes-tu expliquer ça aux gens ?

Merlin haussa les épaules.

-Il n'y a pas grand chose à expliquer. Ce serait un peu comme d'enfiler un vêtement de cérémonie... je suis sûr que comme ça, le fait que je soie votre serviteur le reste du temps aurait l'air beaucoup moins bizarre.

-C'est certainement l'idée la plus bizarre que j'aie jamais entendue, dit Arthur en éclatant de rire. En fait, elle est tellement bizarre qu'elle pourrait bien fonctionner...

-C'est vous qui vouliez que j'aie l'air crédible, lui signala Merlin.

-Tu ne le seras certainement pas avec ce manteau, grogna Arthur. Il faudra que nous te trouvions quelque chose d'autre à mettre... j'ai en tête un chapeau qui siérait particulièrement bien à tes quatre-vingts ans !

-Un chapeau ? dit Merlin, les sourcils froncés.

Arthur se fendit d'un gigantesque sourire.

-Quel chapeau ? dit Merlin, alarmé.


Vivenef  (16.04.2013 à 10:32)
Message édité : 17.06.2021 à 20:11

Ce chapitre est dédié aux visions du futur de Moucheron dans son Fléau Initiatique :). J'espère avoir la chance de lire une prochaine histoire que tu viendras nous raconter ici car tu es pleine de talent !

 

 

CHAPITRE 18

 

 

La Reine Guenièvre était étendue dans son lit, profondément endormie...

Il s'approcha silencieusement, et se pencha sur elle, étendant sa main au-dessus de son ventre...

Le sort qui lui permettrait de l'empêcher à jamais de concevoir un enfant était facile à lancer; en quelques instants, il s'assurerait qu'Arthur Pendragon n'engendre jamais d'héritier, et que sa lignée mourrait avec lui... La Reine endormie ne lui avait causé aucun tort. Elle semblait innocente dans son sommeil. Il n'éprouvait envers elle aucune haine... Mais elle avait fait l'erreur d'épouser le mauvais homme, et à cause de cela, jamais elle ne connaîtrait la chance de porter la vie.

Elle ne sentirait rien; elle ne souffrirait pas... Il concentra ses pouvoirs, prêt à frapper...

Quand soudain, quelque chose le retint. Une intuition...

Il retint son sortilège, et sonda prudemment les alentours avec son pouvoir. C'était bien ce qu'il avait cru percevoir ! Un puissant bouclier de protection magique entourait la Reine ! Il réussirait peut-être à le désactiver, mais s'il le faisait, l'auteur de la barrière enchantée détecterait aussitôt sa présence... Et il serait découvert !

Merlin, pensa-t-il, avec haine, furieux de voir ses plans être contrecarrés...

Il ne pouvait pas se permettre d'être démasqué. Il devrait trouver un autre moyen que la magie d'empêcher la Reine de concevoir...

Il y a toujours un moyen, pensa-t-il, avec un sourire glacial.

Il devrait y songer plus tard... Dommage pour elle ; le sortilège aurait été indolore... alors que l'autre alternative, elle, serait forcément douloureuse. Il recula d'un pas, puis, se détourna de la Reine. C'était la dernière fois que Merlin se mettait en travers de sa route.

Lorsqu'Arthur rentrerait avec lui, il se ferait neutraliser, et c'en serait terminé une fois pour toutes de ses pouvoirs.

Fort de cette pensée, il disparut de la chambre.

Il voulait profiter de cette nuit pour faire un voyage qu'il n'avait que trop reporté...

 

 

*

 

Il arriva sur l'Ile des Bénis grâce à l'aide de sa magie.

Il ne s'était jamais rendu dans ce lieu auparavant, mais il en avait entendu maintes descriptions, et il le croyait abandonné depuis longtemps; d'après ses informations, les grandes prêtresses qui y avaient régné jadis étaient toutes mortes, et les palais où elles avaient vécu étaient tombés en ruines... Il s'étonna de découvrir l'île habitée ; il ne s'y attendait pas ; il était rare qu'il soit incapable de prévoir l'avenir... et il n'aimait pas être surpris.

Cependant, le spectacle face auquel il se retrouva n'était pas entièrement pour lui déplaire...

Au milieu des ruines des anciennes habitations se dressait une grande maison de maître, construite en marbre blanc autour d'un patio, et entourée d'un jardin verdoyant, soigneusement entretenu, où croissaient des pommiers et des cerisiers. Face à la maison, entourée de vieux sycomores, se dressait la majestueuse silhouette d'un Temple de l'Ancienne Religion, dédié à la magie, dont les douze colonnades représentaient les douze préceptes des Grandes Prêtresses... l'édifice était bâti sur un nœud de pouvoir, et il en émanait une puissance paisible; l'autel qui se trouvait au centre du Temple était recouvert d'offrandes : fruits frais, pétales de fleurs et coupes d'eau claire, à destination des esprits de l'eau, de la terre et du ciel. Des drapeaux à prières étaient accrochés entre les colonnades, recouverts des symboles de l'ancienne langue. Un bouclier magique entourait la maison et le Temple, les nimbant d'un ciel ensoleillé, d'un ciel magique. En-dessous du bouclier, l'aube était douce comme en été et le vent perçant qui balayait l'île se changeait en brise au parfum de fleurs..

Des enfants jouaient dans le jardin, autour de l'eau vive d'une grande fontaine de pierre, à côté de la statue du dragon – une statue magnifique, qui avait sans doute nécessité des heures de travail acharné même pour un magicien talentueux. Il admira le dessin des ailes de la créature et le sculpté ciselé de son visage, si parfaitement rendu qu'on l'aurait cru vivant...

Il regarda les enfants, avec stupeur. Ce n'étaient pas des enfants ordinaires, et leurs jeux ne l'étaient pas davantage... Il dépassa une petite fille qui jouait à faire graviter une pomme au-dessus de sa tête, se figea devant trois jeunes garçons qui jouaient à « vole-corde » en lévitant à tour de rôle. L'espace d'un instant, il leur envia leur innocence. Trop tôt, sa propre insouciance lui avait été ravie, trop jeune, il avait cessé de jouer et de rire. Il ne pensait pas qu'il existe encore un lieu en ce monde où les enfants magiciens puissent avoir cette chance...

Il entendit un grondement sourd, et son regard se leva instinctivement vers le dragon... Comment pouvait-il émettre ce son s'il était fait de pierre ? Ce fut alors qu'il réalisa qu'il ne s'agissait pas d'une statue immaculée, mais d'un dragon bien vivant. Il eut un choc. Les deux adolescentes se cachaient sous ses ailes, tenant chacune un tout petit garçon par la main, cessèrent de parler et de rire pour lui adresser des regards effrayés.Le dragon tourna lentement vers lui ses yeux d'argent, chargés d'une hostilité et d'une défiance qui lui étaient entièrement destinées, et il sentit une terreur sourde ramper en lui face à l'expression de menace silencieuse de la créature. Ce fut cet instant que choisit l'un des jeunes magiciens, un garçon qui n'avait pas plus de quatorze ans, pour courir en direction de la maison en criant :

-Dame Morgane ! Dame Morgane !

Il sentit un sourire s'inscrire sur ses lèvres...

Il ne s'était pas trompé en venant la chercher ici; même s'il ne s'attendait certes pas à la trouver en telle compagnie... Il sentit son cœur battre plus fort lorsque le garçon réapparut sur le seuil de la porte.

Elle émergea un instant plus tard, et il frissonna. Sa beauté était encore plus saisissante que dans ses souvenirs. Son visage d'ivoire où étincelaient les joyaux de ses yeux verts était encadré des longues boucles brillantes de ses cheveux noirs. Elle portait une robe de soie bleu nuit, dont les voiles caressaient le sol derrière elle, et ses pieds étaient nus. Elle semblait paisible. Plus paisible qu'elle ne l'était dans ses souvenirs, et aussi, bien plus puissante. L'aura de pouvoir qui l'entourait le galvanisa, et il pensa : ma Dame...

Le regard de Morgane passa sur lui, puis, croisa celui du dragon. Dans un frémissement de jalousie, il les sentit communiquer tous deux en silence; il était incapable de comprendre ce qu'ils se disaient, mais il pouvait ressentir la force du lien qui les unissait.

Les enfants avaient interrompu leurs jeux, sentant que quelque chose d'inhabituel était sur le point de se produire, et tous leurs regards étaient fixés sur lui.

-Rentrez maintenant, leur ordonna Morgane, d'une voix douce et impérieuse.

Ils lui obéirent aussitôt, les plus grands prenant les plus petits dans leurs bras pour les emmener au plus vite. Ils étaient peut-être une trentaine; la plus grande n'avait pas plus de seize ans ; le plus jeune commençait à peine à tenir sur ses jambes. Le dernier d'entre eux referma la porte de la maison derrière lui.

Le dragon déploya ses ailes, et s'envola.

Morgane, et lui, restèrent seuls face à face.

 

*

 

Elle s'avança sur l'herbe émeraude, marchant vers lui en silence si légèrement qu'elle semblait flotter au-dessus du sol. La brise agitait les longues boucles de ses cheveux noirs et sa démarche était majestueuse, aérienne.

Il vint à sa rencontre, et, lorsqu'ils furent face à face, il s'immobilisa.

Elle le dévisagea un long moment, les yeux brillants, mais le visage indéchiffrable, comme si elle cherchait à retenir la joie instinctive qu'elle éprouvait à le revoir...

Elle n'a pas oublié, pensa-t-il, les yeux plongés dans les siens.

Puis elle dit :

-Bonjour, Mordred.

-Tu m'as reconnu, murmura-t-il, émerveillé.

Il n'était pas certain qu'elle en soit capable. Il avait beaucoup changé depuis l'époque où elle l'avait connu, petit garçon. Il était un homme aujourd'hui. Il avait longtemps attendu avant de chercher à la retrouver...

Elle eut un léger sourire.

-Oui. Bien sûr, je t'ai reconnu. Tu n'étais qu'un enfant la dernière fois que nous nous sommes rencontrés, mais je serais capable de te reconnaître entre mille.

Il eut envie de la prendre dans ses bras.

Mais elle ne fit pas un geste vers lui.

-Que viens-tu faire ici ? lui demanda-t-elle d'un ton calme.

Elle était sur ses gardes, prête à utiliser sa magie pour protéger...à nouveau, il sentit la jalousie monter en lui. Sa famille. C'était ainsi qu'elle considérait les enfants qu'elle avait envoyés à l'intérieur. A l'abri. Il pouvait sentir la farouche tendresse qu'elle leur portait, et sa méfiance envers lui, malgré le lien qui les unissait...

-Je suis venu te voir, dit-il.

-C'est chose faite, répondit-elle.

-Que fais-tu ici ? demanda-t-il avec curiosité.

-Je suis la grande prêtresse de ce lieu, dit Morgane. Je perpétue la tradition de l'Ancien Culte. Je fortifie la magie de l'île afin qu'elle redevienne pour les nôtres la source de puissance qu'elle était jadis. Je secours les enfants sorciers abandonnés ou convaincus de crime à cause de leur pouvoir. J'enseigne la magie à ceux qui possèdent le don afin qu'ils apprennent à ne pas craindre ce qu'ils sont.

-Crois-tu avoir les connaissances nécessaires pour ce faire ? demanda-t-il, étonné.

-J'en ai suffisamment, dit Morgane, en plissant légèrement les yeux de colère face à son incrédulité. J'ai l'approbation des druides en cette oeuvre et plusieurs grands magiciens sont déjà venus prier dans ce Temple et rendre visite à mes enfants. De plus...

Elle lui adressa un regard hautain.

-Je ne crois pas avoir besoin de ton avis pour affirmer que je sais ce que je fais, Mordred.

Il pouvait sentir la colère tirer en elle, mais elle la maîtrisait.

Il eut un signe de paix.

-Loin de moi l'idée de questionner tes pouvoirs, dit-il. Je peux sentir à quel point ils se sont développés. Mais dis-moi... quels sont tes projets en ce qui concerne Camelot ?

-Pourquoi cette question ? Camelot est un souvenir d'une autre vie pour moi, répondit Morgane.

-Je croyais que tu rêvais d'en être la Reine, objecta-t-il.Après tout, tu es l'aînée des Pendragon. Arthur a usurpé ton héritage.

-L'héritage d'Arthur est fait de terre et d'hommes, Mordred. Le mien est la magie.

Il hocha la tête, et sourit légèrement.

-Tu es... encore plus radieuse que dans mes souvenirs, Morgane. Je n'ai jamais pu oublier la belle dame qui m'avait sauvé de la colère d'Uther Pendragon. La douceur de sa voix, ou l'éclat de son regard. Pendant toutes ces années, pas un instant je n'ai cessé de penser à toi. La mémoire de ton visage m'a donné le courage de continuer... et la force de me battre.

 

 

*

 

 

Morgane regarda Morded, bouleversée par ses paroles. Il la regardait avec, dans les yeux, un éclat qui la troublait. Elle se souvenait de l'enfant qu'il avait été ; mais aujourd'hui, il n'était plus un enfant. Et le beau jeune homme qui prononçait ces mots faisait vaciller son cœur malgré elle.

Dès la première fois que leurs regards s'étaient croisés, il y avait eu entre eux un lien spécial.

Elle pouvait toujours sentir ce lien, et il la déstabilisait. Comme le bleu de ces yeux rayonnants de pouvoir qui la dévisageaient fiévreusement, ou la noblesse de ce visage d'enfant, qui avait grandi pour devenir celui d'un homme. En elle, le démon eut un sursaut, qui la glaça d'effroi. Non ! pensa-t-elle, en l'enchaînant fermement à sa volonté.

-Et toi... as-tu pensé à moi ? demanda-t-il.

-Parfois, reconnut-elle. Ces dernières années ont été troublées pour moi. J'ai traversé des moments difficiles. Je me suis égarée dans les ténèbres.

-Comme tous les magiciens d'Albion, répondit Mordred.

Il la toucha, de ses longs doigts fins. Elle baissa les yeux sur cette main qui effleurait la sienne, impuissante face à la chaleur qui l'envahissait. Elle se souvint du baiser de Merlin, qui l'avait faite revivre... C'était la première fois depuis si longtemps que des lèvres s'étaient posées sur les siennes, et ces lèvres avaient été si chastes, si innocentes... Le contact de Mordred était bien différent; il était chargé d'une passion fervente, d'une adoration silencieuse. Morgane se rappela de la tristesse qu'elle avait ressentie en regardant Merlin partir, pour rejoindre Arthur. Elle s'était répété : Emrys n'appartient qu'à son destin. L'amour n'était ni pour lui, ni pour elle. Tout au moins, pas cette sorte d'amour.

Dumoins était-ce ce qu'elle avait cru...

Le démon tira sur sa chaîne, avec plus de force.

Pourquoi l'amour te serait-il interdit, Morgane ?

Elle retira sa main, vivement, s'obligeant à garder la tête froide. Ce n'est pas de l'amour, pensa-t-elle. C'est juste un vertige. L'amour est dans ce que je bâtis ici. L'amour est dans le lien que je partage avec Aithusa. L'amour est dans le Temple de l'Ancien Culte, et dans l'enseignement que je prodigue à mes enfants.

Son moment de faiblesse passa.

Mais le visage de Mordred était doux quand elle leva les yeux pour croiser son regard, faisant ressurgir la tendresse instinctive qu'elle éprouvait pour lui. Elle revoyait le petit garçon blessé qu'elle avait soigné jadis comme si sa vie en dépendait...

-J'ai parcouru un long chemin, moi aussi, depuis cette époque. Je suis un chevalier de la table ronde aujourd'hui, dit Mordred à mi-voix. Pour tous, mon nom est Solel. Le peuple de Camelot m'admire, et Arthur me fait confiance.

Morgane le regarda en silence.

Puis elle demanda :

-Est-ce un titre de gloire pour toi, qu'ils t'admirent et t'apprécient alors qu'ils n'ont pas la moindre idée de ce que tu es ?

Mordred eut un sourire glacial.

-C'est une preuve de leur stupidité, répondit-il.

Morgane ne lui rendit pas son sourire.

 

*

 

-Quelles sont tes intentions ? demanda-t-elle sans ambages.

-As-tu regardé dans l'avenir ces temps-ci ? lui demanda-t-il.

Elle secoua la tête.

-J'évite de le faire. Mes visions me parlent de ténèbres.

-Laisse-moi te parler de la vision que j'ai eue, dit Mordred.Arthur n'aura pas d'héritier. La gloire de sa jeunesse s'efface déjà. Dorénavant, il ne fera plus qu'accumuler les erreurs. Son règne s'avèrera aussi décevant que celui d'Uther. Guenièvre ne lui donnera pas d'enfants. D'ici quelques années, il me désignera comme son successeur, et le peuple en sera ravi...

-Et ensuite ? demanda calmement Morgane.

-Je renverserai Arthur, répondit Mordred. Après lui avoir retiré la confiance du peuple. J'arriverai au pouvoir porté par les applaudissements des sujets de Camelot. Et je deviendrai le premier Roi Sorcier qui ait jamais régné. Je dirigerai Albion. Les ennemis de la magie plieront devant l'étendue de mes pouvoirs. La magie sera enfin libre, Morgane. Et l'Ancien Culte pourra être restauré dans toute sa gloire.

Morgane continua de le dévisager pensivement. Elle ne savait pas quoi penser. Les quelques fois où elle avait regardé l'avenir, la crainte l'avait fait reculer. Les images de la grande bataille qui se préparait remplissaient son cœur d'ombre... Dans l'une d'elles, elle voyait son frère giser dans son sang, transpercé par sa propre épée, et elle s'entendait crier son nom. Jadis, elle avait désiré la mort d'Arthur. Mais quand elle avait rêvé cette scène, elle n'avait ressenti que des regrets, et de la pitié pour lui.

-Quand ce jour arrivera... quand je serai Roi. Je voudrais... que tu soies ma Reine, Morgane.

Elle regarda Mordred, bouleversée.

-Tu es une puissante sorcière. Si tu t'unis à moi, rien ne nous résistera plus, et une nouvelle ère pourra commencer... Réfléchis à ce que pourra être le monde que nous gouvernerons ensemble. Les enfants que tu formes aujourd'hui pourront un jour constituer l'élite d'un noble peuple de magiciens, réléguant pour toujours le temps des purges et des bûchers dans l'oubli.

Elle désirait cela, autant que lui. Oublier le temps des persécutions. Faire renaître la magie. Mais quelque chose, dans cette argumentation précipitée, l'incitait à la méfiance. Et Arthur...

-Tu veux tuer mon frère, dit-elle, en le dévisageant.

-J'ignorais que tu avais de tels sentiments pour lui, répondit Mordred, surpris.

Elle ferma les yeux. Arthur, à l'agonie, gisant dans une mare de sang, le regard, plein de douleur et de détresse... sa vision la hantait. Elle avait combattu son frère lorsqu'elle était sous l'emprise du démon; elle l'avait haï ; elle avait cherché à le tuer. Mais aujourd'hui, elle ne ressentait plus de haine envers lui. Il avait beau être stupide, il avait beau commettre des erreurs, son cœur était innocent. Elle se souvenait des combats qu'ils avaient livrés ensemble, elle se souvenait de sa bonté. Arthur n'était pas responsable du fait qu'Uther lui ait enseigné à n'avoir pour la magie que de la défiance...

-C'est mon frère, dit-elle.

-Je ne veux pas le tuer, dit Mordred. Mais le détrôner ? Oui. Parce que je sais que sous son règne, les traditions de l'Ancien Culte, et la magie, ne feront que s'affaiblir... jusqu'à disparaître, si nous le laissons faire.

-Tu n'en sais rien, dit Morgane.

Mordred plissa les yeux.

-Emrys pense qu'Arthur est le Roi Présent et à Venir qui unifiera l'ancien monde, et le nouveau.

-Emrys est faible. Arthur l'a banni, et il s'est laissé faire. Il n'arrivera jamais à rétablir la magie en Albion. Il a eu sa chance, et il a échoué...

-Emrys n'est pas faible. Il a peut-être commis des erreurs... mais il a aussi accompli de grandes choses. J'ai foi en lui.

-Il t'a dupée, Morgane.

Elle secoua la tête.

-Je ne crois pas, non.

-Veux-tu que je te montre, comment lui et ton frère réconcilieront l'ancien, et le nouveau monde ? Je peux te faire voir, l'avenir qu'ils construiront ensemble. Je peux te le faire voir, jusqu'au-delà du voile.

Morgane frissonna.

-Prends ma main, dit Mordred.

Elle hésita un instant. Puis, elle obéit. Dans l'étincelle de leur contact, elle sentit la puissance de la magie déferler. Ils étaient tout proches de la Source; Mordred puisait directement dans le pouvoir qui émanait de l'île des Bénis pour amorcer son sortilège... Morgane vit un cristal de Neathid rayonner dans sa main; puis, comme lorsque Merlin l'avait emportée avec lui, quelques semaines plus tôt, elle se sentit enlevée... mais cette fois, vers l'avenir. Ce n'était pas un saut dans le temps de quelques années. Ils enjambèrent près de deux mille ans, qu'elle vit défiler en-dessous d'eux avec une rapidité qui lui donna le vertige. Mordred étreignait sa main avec force, guidant leur voyage, et elle pouvait sentir la puissance qui émanait de lui. Elle n'avait rien à envier à celle d'Emrys, mais elle était loin d'être aussi chaleureuse; il y avait en elle une douleur qui pulsait, irrémédiable...

Les pouvoirs de Mordred n'étaient pas assez grands pour que la vision de l'avenir qu'il voulait lui montrer soit entièrement nette. Mais Morgane se sentit horrifiée dès qu'elle posa pied dans ce futur. Tout était gris, mort, froid, étrange. Les gens avaient les yeux vides et le pas pressé au milieu de leurs inventions prodigieuses. Il n'y avait pas d'arbres. Il n'y avait pas d'eau. La terre elle-même paraissait exsangue et épuisée.

-Sens-tu les esprits de l'eau, de la terre et du ciel ? dit Mordred, à ses côtés. Sens-tu les étincelles du pouvoir, le vois-tu briller dans leurs yeux ? Sens-tu la Source vers laquelle nous pouvons toujours nous tourner dans notre époque ?

-Il n'y a plus de magie, souffla-t-elle, horrifiée.

-Voilà le monde qu'Emrys et Arthur Pendragon bâtiront ensemble, dit Mordred. Voilà la merveilleuse Albion qu'ils réussiront à construire.

Morgane pâlit, et ses yeux s'emplirent de larmes. En elle, le démon gronda, avec violence.

-Non, dit-elle, d'une voix terrifiée. Non, c'est impossible.

-Viens avec moi, dit Mordred.

Il l'entraîna dans une rue grise et silencieuse, au milieu des piétons de cette époque étrange. Ils s'arrêtèrent devant une boutique, et Mordred l'entraîna à l'intérieur... Sur les étagères s'alignaient des centaines, et des centaines de livres. Mordred en prit un, et l'ouvrit pour elle. Morgane regarda le titre. Il était écrit :

La Légende du Roi Arthur.

Il lui montra la première page, et Morgane sentit ses yeux se brouiller, quand elle vit inscrit, en tête de chapitre :

Merlin l'Enchanteur.

-Veux-tu voir la conclusion ? lui demanda Mordred.

Elle secoua la tête. Elle ne voulait rien voir. Elle voulait rentrer chez elle, sur l'Ile des Bénis. Elle avait besoin de revoir Aithusa... Elle avait l'impression que cette époque exsangue drainait ses pouvoirs. Elle était certaine qu'elle deviendrait folle si Mordred prolongeait cette vision plus longtemps...

-Regarde, dit-il.

Merlin avait gagné...

Ainsi l'Ancien Culte, porteur de Chaos, s'abîma-t-il dans l'oubli, et une nouvelle époque radieuse put-elle voir le jour; celle de l'honneur, de l'ordre, et de la chevalerie, que le règne du Roi Arthur devait inaugurer...

Morgane sentit son souffle lui manquer. Aithusa, pensa-t-elle, en se sentant glisser, irrémédiablement.

Mordred la regarda, impitoyable.

-Crois-tu qu'il y ait des dragons dans cette époque, Morgane ? lui demanda-t-il. Il y a bien longtemps qu'eux aussi ont disparu.

-Non, c'est impossible ! s'écria Morgane.

Ses yeux flamboyèrent comme l'or, et elle rejeta le livre loin d'elle, pantelante.
L'instant d'après, elle et Mordred étaient de retour sur l'Ile des Bénis. Elle s'écarta de lui comme si son contact le brûlait. Les larmes ruisselaient sur ses joues, et elle peinait à reprendre son souffle.

-Non ! hurla-t-elle.

Et une fissure apparut dans la première des colonnades du Temple.

Elle tomba à genoux, une main sur son cœur. Emrys ne pouvait pas trahir la magie; il était la magie.... Elle ne pouvait pas croire qu'il ait donné naissance à un tel avenir. Elle ne pouvait pas croire qu'il les ait tous abandonnés...

-Est-ce cela que tu veux, Morgane ? demanda Mordred, d'une voix calme.

Lentement, elle leva les yeux sur lui.

En elle, le démon rugissait...

-Va-t'en, supplia-t-elle.

-Vas-tu le soutenir, lui ou me soutenir moi ? insista Mordred.

Elle secoua la tête.

-Je ne soutiens que la magie, dit-elle, à travers ses larmes, se cramponnant à ses convictions pour lutter contre le démon dont les chaînes faiblissaient, d'instant en instant. Je suis la dernière des grandes prêtresses. Ce que je veux – c'est rétablir l'Ancien Culte pour que la magie redevienne puissante en ce monde. Reconstruire les palais en ruines de l'Ile des Bénis. Voir se multiplier les écoles sacrées où les enfants magiciens pourront apprendre à utiliser leurs dons. Et vivre dans un monde peuplé d'autant de dragons que d'hommes.

-C'est ce que je veux, moi aussi. Et tu auras toutes ces choses, si je deviens Roi, dit Mordred en s'agenouillant devant elle.

-Je n'ai pas besoin de ton aide pour réaliser ce projet, répondit-elle, les yeux flamboyants. Regarde autour de toi, Mordred. J'ai déjà commencé. Je suis ici, au milieu des miens, et j'oeuvre pour la magie ; pour qu'elle puisse refleurir enfin. Toi, qu'as-tu fait jusqu'ici, hormis te cacher et réfléchir aux moyens d'accéder au pouvoir ?

-Je t'ai montré la vérité, répondit-il. Tout ce que tu as accompli ici sera détruit et sombrera dans l'oubli. Le règne d'Arthur restera dans toutes les mémoires comme celui où la magie s'éteindra au profit de l'ordre et de la chevalerie. Le futur ne se rappellera pas de Merlin comme de celui qui aura rétabli la magie, mais comme du plus puissant des magiciens de tous les temps parce qu'il sera aussi le dernier. Je suis comme toi, Morgane. Je veux oeuvrer pour la magie.

-Non, Mordred. Tu veux que la magie œuvres pour toi, rugit-elle.

-C'est faux.

-Tu veux devenir Roi.

-Pour sauver ce qui peut encore l'être, dit Mordred. Pour empêcher que cet avenir immonde n'advienne.

Elle haleta, et parvint à museler le démon qui cognait contre les murs de sa prison de toutes ses forces.

-Prends garde, Mordred. La soif de pouvoir corrompt. Elle dévorera ton âme si tu la laisses faire. Je le sais, je suis déjà passée par là.

Elle ferma les yeux et, dans un ultime effort, réussit à faire battre le démon en retraite. Ses larmes se tarirent. Son souffle s'apaisa. Elle se redressa lentement, et invoqua les esprits de la terre, du ciel, et de l'eau. La Source frémit, l'inondant des longs doigts étincelants de sa magie, stabilisant ses forces.

Elle pouvait respirer, à nouveau.

Mais elle savait qu'elle n'aurait plus de repos désormais. Pas après avoir vu cet horrible avenir que lui avait montré Mordred. Pas après avoir ressenti l'absence de la magie dans le monde. Elle ne cesserait plus de se demander comment Merlin, le si puissant Merlin, au cœur si généreux, au regard si rempli d'amour, Merlin dont la merveilleuse magie faisait reverdir les arbres, guérissait la terre, et libérait les âmes condamnées aux ténèbres, Merlin dont l'infinie tendresse l'avait ramenée à la lumière, avait pu laisser un futur aussi désespéré advenir. Un futur sans magie ni dragons, un futur où tout ce en quoi elle croyait était mort.

-Vas-tu réfléchir à ma proposition ? demanda Mordred..

Elle le dévisagea avec horreur, et répondit :

-Oui.

Un sourire victorieux se dessina sur ses lèvres, et il voulut faire un pas vers elle.

-Non, dit-elle, en étendant sa main devant elle.

Il se figea sur-place.

-Va-t'en, maintenant, ordonna-t-elle. Va-t'en, je t'en prie, Mordred. J'ai besoin d'être seule.

Il hocha la tête, en silence, puis se mit à reculer.

Elle resta où elle se trouvait, sous le bouclier ensoleillé, au centre du patio enchanteur, à côté de la fontaine. Sa tête était légèrement inclinée sur le côté, ses yeux étaient clos. Elle semblait écouter le bruit de l'eau, immobile comme une statue, et il pouvait presque sentir le va et vient de ses pensées, entre lumière et ténèbres.  

 

FIN de l'épisode 3

Merlin Will Return ;)

A bientôt pour l'épisode 4 : l'Age d'Or de Camelot.


Vivenef  (23.04.2013 à 00:41)
Message édité : 17.06.2021 à 20:11

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Il y a quelques thèmes et bannières toujours en attente de clics dans les préférences . Merci pour les quartiers concernés.

Sonmi451, Aujourd'hui à 12:03

Merci par avance à tout ceux qui voteront dans préférence, j'aimerais changer le design de Gilmore Girls mais ça dépend que de vous.

choup37, Aujourd'hui à 12:56

Effectivement, beaucoup de designs vous attendent dans préférences, on a besoin de vos votes

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